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Décisions

Cass. crim., 27 septembre 2016, n° 15-85.248

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin

Rapporteur :

M. Bellenger

Avocat général :

M. Desportes

Avocats :

Me Le Prado, SCP Lyon-Caen et Thiriez

Grenoble, du 7 juill. 2015

7 juillet 2015

Vu le mémoire commun aux demanderesses et le mémoire en défense produits ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 121-1, 121-2, 121-3, 221-6 du code pénal, 459, 463, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a débouté les parties civiles, agissant tant en leur nom propres qu'en qualité d'ayants droit de M. Y... de leur demande de réparation des préjudices causés par le décès de M. Y... à l'encontre de la société Colas Rhône-Alpes Auvergne pour la faute commise dans l'exécution d'un marché de travaux publics sur la commune de Valence ;

" aux motifs que les investigations poursuivies sur commission rogatoire ne permettaient pas l'identification de témoins directs de l'accident ; qu'elles confirmaient en revanche la réalité d'un défaut de signalisation des travaux ; qu'il résulte de l'article 121-2 du code pénal que les personnes morales ne peuvent être déclarées pénalement responsables, que s'il est établi qu'une infraction a été commise pour leur compte par leurs organes ou leurs représentants ; qu'en l'espèce, ainsi que le souligne la société prévenue, l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, en date du 27 mars 2013, ne désigne aucun organe ou représentant de la société Colas Rhône-Alpes Auvergne en qualité d'auteur de la faute reprochée ayant agi pour le compte de la société poursuivie ; que le jugement déféré à la cour ne désigne pas davantage le représentant de la société se limitant à affirmer « les représentants de cette société, en ne s'assurant pas de l'efficience de cette signalisation ont commis une faute de négligence de nature à engager la responsabilité pénale de cette personne morale » ; que les parties civiles et le ministère public qui arguent des fautes de M. Z..., conducteur de travaux, et de M. A..., chef de chantier, tous deux salariés de la société Colas Rhône-Alpes Auvergne, n'ayant reçu aucune délégation de pouvoirs écrite n'apportent aucun élément permettant de mesurer que le premier auquel il est reproché en tant que conducteur de travaux de ne pas avoir apporté de modification au plan transmis par la ville et le second auquel il est reproché de ne pas avoir disposé un dispositif de signalisation d'approche et d'avoir omis même une partie du dispositif minimum proposé par la ville disposaient de la compétence, du pouvoir et des moyens requis pour ce faire ; qu'au contraire, il résulte du dossier qu'aucun de ces salariés n'était investi d'un pouvoir de représentation de la société ou n'avait participé à l'élaboration ou à la signature des documents liant la commune de Valence à la société Colas Rhône-Alpes Auvergne et les déclarations de l'un comme de l'autre ne permettent pas de considérer qu'ils étaient délégataires de pouvoirs de la société prévenue, une telle délégation n'étant jamais consentie par une société de l'importance de la société Colas Rhône-Alpes Auvergne à un chef de chantier et n'étant absolument pas démontrée concernant le conducteur de travaux dont l'étendue de la mission concernant le chantier sur lequel a été découvert, inconscient et très gravement blessé M. Y... n'a pas même été décrite avec précision ; qu'en effet, s'il est constant que M. Z...devait veiller à la coordination des équipes employées par son employeur la société Colas Rhône-Alpes Auvergne, rien n'établit qu'il était investi d'une mission de coordination avec les services de la voirie ou les services de police de la commune de Valence qui n'avait ni abandonné ni même délégué partie de ses pouvoirs relativement au plan de circulation puisque l'arrêté du maire du 28 juillet 2008 disposait expressément en son article 1er :
« l'entreprise Colas Rhône-Alpes Auvergne est autorisée à effectuer les travaux sus visés du lundi 18 août au vendredi 29 août 2008 période au cours de laquelle seront prises les dispositions suivantes :
- article 2 « La rue Faventines sera fermée à la circulation générale, sauf riverains et véhicules de secours, entre le giratoire Rhin et Danube et la rue des Alpes, dans le sens du giratoire vers le centre-ville ; que la rue Faventines sera fermée à la circulation générale, sauf riverains et véhicules de secours, entre la rue Colonel Driant et le giratoire Rhin et Danube (Camille Vernet), dans le sens giratoire vers rue du Colonel Driant. La circulation générale se fera par les rues Jean Jaurès puis Thiers et Colonel Driant en direction de la rocade et/ ou rue de l'Isle en direction de la place Lamartine. Pour rejoindre le centre-ville la circulation générale se fera par les rues Pont du Gat et Sévîgné. Des panneaux de pré-signalisation et de déviation seront mis en place aux abords du chantier par les services de la ville,
- article 6 : la signalisation du chantier sera mise en place avant le début des travaux par l'entreprise désignée à l'article 1er en concertation avec les services de police et seront conformes aux prescriptions de l'instruction interministérielle du 6 novembre 1992, livre 1er, 5e partie ;
- l'article 11 : les services de police sont habilités à prendre toutes les mesures complémentaires nécessaires à la protection du chantier et à la sécurité des personnes et des biens ; qu'à ce titre, ils pourront moduler la circulation en fonction des impératifs et faire intervenir la fourrière en cas de stationnement gênant » ;
que, dès lors, faute d'un quelconque élément permettant de déterminer l'organe ou le représentant de la société ayant commis une faute pour le compte de celle ci, les conditions de l'article 121-2 du code pénal ne sont pas réunies en l'espèce pour retenir la responsabilité pénale de la société Colas Rhône-Alpes Auvergne et la cour ne peut, en conséquence, qu'infirmer le jugement déféré et renvoyer la prévenue appelante des fins de la poursuite ;

" 1°) alors qu'il appartient aux juges d'ordonner les mesures d'instruction dont ils reconnaissent la nécessité ; que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier le dispositif ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; que la société Colas a été poursuivie pour blessures par imprudence, pour n'avoir pas assuré une signalisation adéquate du chantier qu'elle devait réaliser sur la chaussée d'une voie publique de la commune de Valence, faute ayant entraîné les blessures puis le décès de la victime qui circulant sur un bicyclette avait chuté dans le décaissement réalisé pour les besoins du chantier ; que, pour infirmer le jugement entrepris ayant retenu la culpabilité de ladite société et la relaxer, la cour d'appel a estimé qu'il n'était pas établi que le conducteur de travaux et le chef de chantier de l'entreprise de travaux publics auxquels les parties civiles et le ministère public attribuaient des fautes étaient titulaires d'une délégation de pouvoirs et qu'il n'existait pas au dossier d'élément « permettant de déterminer » l'organe ou le représentant de la société ayant commis une faute pour le compte de celle-ci ; qu'en prononçant ainsi, sans ordonner les mesures d'instruction dont elle reconnaissait la nécessité et qui auraient permis de déterminer quel était l'organe ou le représentant de la société ayant commis une faute dans la détermination ou la mise en oeuvre de la signalisation du chantier, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

" 2°) alors qu'en vertu de l'article 121-2 du code pénal, les personnes morales sont responsables de toutes fautes commises par leurs organes ou représentants, agissant pour leur compte ; qu'en l'absence de délégation de pouvoirs, le respect des règles de sécurité liées à l'exécution de l'activité d'une société pèse sur le chef d'entreprise, sauf pour ce dernier à établir qu'il a procédé à une délégation de pouvoirs ; qu'en se contentant de constater que le chef de chantier et le conducteur de travaux de la société prévenue ne disposaient pas de délégation de pouvoir, ce qui n'excluait pas toute faute du chef d'entreprise pour n'avoir pas pris les mesures nécessaires afin d'assurer les obligations de sécurité s'imposant lors de l'exécution d'un chantier sur la voie publique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

" 3°) alors que le salarié ayant pour mission de déterminer et faire appliquer les règles de sécurité qu'impose l'activité d'une société et doté de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires à l'exercice de ses fonctions, a la qualité de représentant de ladite personne ; qu'une délégation de pouvoirs écrite n'est pas nécessaire ; qu'en estimant qu'il n'était pas établi que le conducteur de chantier avait reçu une délégation de pouvoir, en l'absence d'écrit, dès lors qu'il n'avait participé à l'élaboration ou à la signature des documents liant la commune de Valence et qu'il n'était pas établi qu'il avait une mission de coordination avec la ville, sans se prononcer sur les conclusions des parties civiles qui soutenaient qu'il était l'interlocuteur de la ville pour l'organisation de la circulation et de la signalisation du chantier et qu'il avait reconnu s'occuper de la mise en place du chantier, ce qui établissait qu'il s'était vu déléguer les fonctions de détermination des règles de signalisation du chantier, délégation de pouvoirs qui n'avait pas à être écrite, et que la signalisation prévue était manifestement insuffisante, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

" 4°) alors qu'il résulte des articles 121-3 et 221-6 du code pénal que l'homicide par imprudence résulte de toute faute ayant contribué à créer la situation ayant entraîné le décès de la victime ; qu'en estimant que les services de la voirie ou les services de police de la commune de Valence n'avaient ni abandonné ni même délégué partie de ses pouvoirs relativement au plan de circulation pour estimer que le conducteur de travaux ne pouvait se voir imputer de faute dans la signalisation du chantier, quand la cour d'appel constatait que l'arrêté municipal du 28 août 2008 prévoyait que la signalisation du chantier serait mise en place avant le début des travaux par l'entreprise chargée du chantier de remise en état de la chaussée, serait-ce en concertation avec les services de la commune, ce qui établissait que la prévenue intervenait dans la détermination de la signalisation du chantier et quand elle relevait que les investigations avaient confirmé que le chantier n'était pas suffisamment signalé, la cour d'appel qui a exclu toute faute de la société prévenue dans la détermination de la mise en place de la signalisation du chantier, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations ;

" 5°) alors qu'à tout le moins, en ne recherchant si le chef de chantier qui avait reconnu avoir omis de placer un panneau travailleur, sur le plan même insuffisant remis par le conducteur de travaux n'avait pas commis une faute, dans le cadre de fonctions de mise en oeuvre des moyens de sécurité, de nature à établir une subdélégation de pouvoirs aux motifs qu'il ne disposait d'aucune délégation écrite, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale " ;
Vu les articles 121-2 du code pénal et 463 du code de procédure pénale ;

Attendu que, selon le premier de ces textes, les personnes morales, à l'exception de l'Etat, sont responsables pénalement des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ;
Attendu que, selon le second, il appartient aux juges d'ordonner les mesures d'instruction dont ils reconnaissent eux-mêmes la nécessité ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. Y..., qui circulait en vélo, a été grièvement blessé lors de sa chute sur la chaussée où des travaux de décaissement sur une profondeur de trente centimètres, non signalisés à cet endroit, avaient été effectués par la société Colas Rhône-Alpes Auvergne ; que, poursuivie pour blessures involontaires, la société Colas Rhône-Alpes Auvergne a été déclarée coupable ; que la prévenue et le procureur de la République ont relevé appel de cette décision ;

Attendu que, pour débouter les parties civiles après relaxe, l'arrêt énonce que l'ordonnance de renvoi ne désigne aucun organe ou représentant de la société Colas Rhône-Alpes Auvergne en qualité d'auteur de la faute, que le chef de chantier et le conducteur de travaux n'ont pas reçu de délégation de pouvoirs écrite de la société Colas, une telle délégation n'étant jamais consentie par une société de cette importance à un chef de chantier auquel il est reproché de ne pas avoir apporté de modification au plan transmis par la ville, et n'étant pas démontrée pour le conducteur de travaux qui n'aurait pas mis en place une signalisation du chantier ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'après avoir constaté la matérialité des manquements, il lui appartenait de rechercher, au besoin en ordonnant un supplément d'information, si lesdits manquements résultaient de l'abstention de l'un des organes ou représentants de la société prévenue et s'ils avaient été commis pour le compte de celle-ci, la cour d'appel, a méconnu le sens et la portée des textes susvisés et des principes ci-dessus rappelés ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Grenoble, en date du 7 juillet 2015, en ses seules dispositions civiles, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Grenoble et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.