CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 18 novembre 2010, n° 09/13012
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Eco Delta Développement (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mme Touzery-Champion, Mme Pomonti
Avoués :
SCP Gaultier - Kistner, SCP Grappotte Benetreau Jumel
Avocats :
Me Paetzold, Me Rebhann
M. Guy B. qui est consultant financier, spécialisé en matière d'énergies renouvelables et conventionnelles, a conclu le 15 février 2007 un « accord de service relatif à une augmentation de capital », avec la société Eco Delta Développement (EDD), société d'ingénierie ayant pour objet de promouvoir, développer et exploiter des projets décentralisés d'énergies renouvelables, notamment éoliennes.
Cette dernière était à la recherche de partenaires financiers afin de financer ces projets à hauteur de 12,5 millions d'euros à la fin du premier semestre 2007.
Selon ce contrat, conclu pour une durée de 6 mois à compter de sa signature, EDD s'est engagée à payer une commission de 1,5% hors taxe, calculée sur toute somme investie par les investisseurs présentés par le prestataire, sous la condition que les efforts du prestataire aient été utiles à la mise en relation avec le ou les investisseurs ayant mené un placement privé dans la société EDD.
En exécution de sa mission, M.B. a pris contact avec un certain nombre d'investisseurs intervenants sur le marché des énergies renouvelables dont les sociétés B. et SNC L..
Au cours des négociations avec ces dernières, M. B. a été informé par la société B. que M.Michel J., l'un de ces interlocuteurs pour le compte d'EDD a fait l'objet d'une interdiction de gérer d'une durée de vingt ans, dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société Groupe Electricité Moderne, dont il avait été aveC son beau père, Joseph G., le dirigeant social..
Prenant acte de cette information en ce qu'elle constituait un obstacle à la réalisation de tout investissement privé et dès lors à la poursuite de son mandat, par lettre du 20 juillet 2007, M. B. a demandé à EDD un dédommagement pour le travail effectué du 19 février au 19 juillet 2007, soit 40 000 euros et le remboursement de frais soit 1 359,55 euros.
Le 27 juillet 2007, La société EDD a refusé de régler la totalité de ce montant aux motifs d'une part, que le contrat du 15 février 2007 n'a prévu des honoraires que dans le cas où un financement serait effectivement obtenu grâce aux efforts de M.B. et d'autre part, que la condamnation prononcée à l'encontre de M.J. ne constitue pas une cause de rupture des négociations avec les investisseurs.
C'est dans ces conditions que M.B. a saisi le tribunal de commerce de Paris par acte du 28 septembre 2007.
Par un jugement du 25 mai 2009, le tribunal a débouté la société Eco Delta Développement de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée à payer à Guy B. les sommes de 1352,55 euros en remboursement de notes de frais, 20 000 euros à titre d'indemnité compensatrice d'honoraires, 20 000 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice d'image et 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La cour,
Vu l'appel interjeté par la société Eco Delta Développement le 12 juin 2009 ;
Vu les conclusions signifiées le 16 juin 2010, par lesquelles la société EDD demande à la cour de :
infirmer le jugement entrepris dans son intégralité.
rejeter l'appel incident formé par M. B.,
condamner M. B. à payer à EDD 5000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive et 6200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les conclusions signifiées le 10 juin 2010,par lesquelles M.B. demande à la cour de :
débouter la société EDD de l'ensemble de ses demandes.
confirmer le jugement entrepris :
en ce qu'il a admis la responsabilité délictuelle de la société EDD en raison de la réticence dolosive dont elle s'est rendue coupable à l'égard de M. B. lors de la conclusion du contrat du 15 février 2007,
en ce qu'il a condamné la société EDD à payer, à titre de dommages et intérêts, respectivement les sommes de 20 000 euros en réparation du préjudice d'image subi par M.B. et de 1352,55 euros en remboursement des frais engagés pour l'exécution de sa mission,
en ce qu'il a alloué à M. B. la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du CPC,
le recevoir en son appel incident et statuant à nouveau, condamner la société EDD à lui payer, à titre de dommages et intérêts, la somme de 40 000 euros en réparation du préjudice résultant de la perte de chance de ne pas avoir traité ou, à tout le moins, à des conditions de rémunération différentes de celles négociées,
en tout état de cause, condamner la société EDD à lui payer la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR CE
Considérant que le contrat conclu entre EDD et M.B. n'a prévu aucun honoraire mais une commission calculée sur toute somme investie ; qu'il s'ensuit que la décision des premiers juges en ce qu'elle condamne EDD à payer une indemnité compensatrice d'honoraires doit être réformée ;
Considérant que les contrats doivent se former et s'exécuter dans des conditions de parfaite loyauté par chacune des parties ;
Considérant que la société EDD a été immatriculée au registre du commerce le 15 avril 2002 et Chantal G. épouse J. a été désignée comme présidente du conseil de surveillance ;
Considérant que Michel J. qui a été condamné par jugement du 28 juin 2004 du tribunal de commerce de Marseille à une interdiction de gérer d'une durée de 20 ans, le tribunal retenant notamment qu'à la suite du refus des commissaires aux comptes d'approuver les comptes présentés comme bénéficiaires, il avait été mis en évidence une perte de 645 392,76€, il avait été constaté un défaut de paiement de la TVA et que l'activité déficitaire de la société Electricité Moderne avait été maintenue par Michel J. « dans un intérêt personnel puisqu'il prélevait mensuellement une rémunération de 13 720,41€ outre des frais mensuels de déplacement et de réception de l'ordre de 43 734,71€ » ;
Que dès le 20 août 2004, le tribunal de commerce de Marseille, statuant en référé sur citation de M.Philippe G., actionnaire et Président du directoire de EDD qui dénonçait les conditions de fonctionnement de la société, relevait « il ressort des débats et des éléments produits que Monsieur Michel J. exercerait une certaine ingérence au sein de la SA Eco Delta Developpement , pour preuve sa présence et ses interventions non contestées aux réunions du Conseil de Surveillance et aux assemblées générales, faisait droit à la demande et désignait un administrateur provisoire avec une mission de gestion et d'administration ;
Que le compte rendu des réunions du conseil des surveillance du 30 mai et du 13 décembre 2007 mentionnent la présence de Michel J. en tant que directeur du développement ;
Que le 23 juin 2007, les époux J. divorcés depuis le 18 mai 2002 ont créé la société O., apportant respectivement la pleine propriété, Mme Chantal G., de 536 209 actions et M.J. de 275 actions de la société EDD ;
Qu'il résulte des pièces notamment des mails échangés que Michel J. a été l'interlocuteur privilégié de Guy B. dans l'exécution du contrat passé ; qu'il est intervenu auprès des clients présentés par ce dernier comme en témoigne M.B. intervenant pour le compte de la société de droit canadien L. qui relate s'être déplacé sur le site de EDD en juin 2007 et avoir eu plusieurs rencontres avec Michel J. ;
Que dans ses documents de présentation aux tiers investisseurs potentiels Guy B. a traduit la situation qui lui avait été présentée, exposant que EDD n'avait pas de gestionnaire à temps plein mais deux gestionnaires :
Ronald K., ingénieur, président du directoire indiquant 'M.K. remplit les fonctions de PDG sans en avoir le titre officiel. Il a d'autres activités parallèles dont une société de consultations relations publiques basée à Dubaï,
Michel J., ingénieur spécialisé dans l'énergie nucléaire ayant vécu à Montréal, directeur du développement , indiquant M.K. prend ses décisions après consultation avec M.J. lequel ne travaille pas à temps plein car il est semi retraité (65ans)' ;
Que le 18 juin 2007 dans un document de présentation destinée aux investisseurs, Guy B. présentait 'la direction comme étant composée d'une équipe d'ingénieurs compétents et crédibles'M.K. qui a une longue expérience de la gestion d'équipes est un spécialiste du redressement de sociétés. Le deuxième homme clé de l'équipe est M.J., ingénieur nucléaire ayant travaillé en Amérique du Nord dont l'épouse détient 32% du capital' ;
Considérant que la dissimulation par Michel J. de ses antécédents extrêmement graves alors qu'il exerçait de fait des fonctions de responsabilité au sein de EDD et que vis-à-vis des tiers il avait un rôle essentiel au regard même de son expérience passée en tant qu'ingénieur spécialisé dans le domaine de l'énergie, est déloyale ; que c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu que la dissimulation de son interdiction de gérer constitue vis à vis de son co contractant et de la mission qui lui a été confiée une réticence dolosive ;
Considérant que le contrat confié à M.B. portait sur une durée de 6 mois ; que la découverte de cette réticence dolosive est intervenue avant ce terme ; qu'il s'ensuit que même si aucun investisseur ne s'était encore engagé, il est constant que la découverte de la condamnation prononcée à l'encontre de Michel J. ne pouvait que mettre un terme à tout projet et constitue dès lors une perte de chance pour M.B. de réaliser l'objectif prévu et de percevoir une commission ; que de plus faute d'avoir eu connaissance la condamnation de M.J., il a également perdu une chance de traiter son contrat dans des termes prenant en cause cette circonstance ;
Que si M.B. justifie de frais engagés dans l'exercice de son mandat, le contrat ne stipulait pas qu'il en serait défrayé ; que cette perte s'inscrit dans la perte de chance de bénéficier d'un remboursement à ce titre ;
Considérant que par conséquent ce préjudice sera chiffré à la somme de 40 000€ au paiement de laquelle la société EDD sera condamnée ;
Considérant que vis-à-vis de ses clients, la découverte des antécédents de M.J. en totale contradiction avec la présentation qui leur en avait été faite par M .B. ne peut qu'altérer leur confiance et crée pour celui-ci un déficit d'image ; que c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu ce chef de préjudice et l'ont réparé en lui allouant une somme de 20 000€ ;
Considérant qu'il y a lieu de rejeter la demande de EDD qui ne rapporte pas la preuve du caractère abusif de l'action de M.B. ;
Et considérant que M.B. a dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge, qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure qui sera précisée au dispositif.
PAR CES MOTIFS
Confirme partiellement le jugement entrepris en ce qu'il a retenu la responsabilité délictuelle de la société EDD et l'a condamnée à payer une somme de 20 000€ à M.B. au titre de son préjudice d'image, en ce qu'il l'a condamnée à lui payer une somme de 3000€ au titre de l'article 700 du cde de procédure civile,
Le réforme pour le surplus et statuant à nouveau,
Condamne la société EDD à payer à M.B. la somme de 40 000€ au titre du préjudice résultant de la perte de chance,
Déboute la société EDD de l'ensemble de ses demandes,
Condamne la société EDD à payer M.B. la somme de 5000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile et rejette la demande de la société EDD à ce titre,
Condamne la société EDD aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.