CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 23 novembre 2023, n° 21/07860
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Empur (SAS)
Défendeur :
Aurexia (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Renard
Conseillers :
Mme Soudry, Mme Ranoux-Julien
Avocats :
Me Bouretz, Me Bellichach, Me Ouazana
EXPOSE DU LITIGE :
La société Empur a une activité de nettoyage industriel.
La société Aurexia a pour activité le conseil et l'assistance aux entreprises.
La société Aurexia a conclu le 25 mars 2013 avec la société Empur un contrat de prestation d'entretien de ses locaux professionnels pour une durée de deux ans, avec une prise d'effet au 8 juillet 2013. Ce contrat a été ensuite renouvelé tacitement par périodes de 2 ans.
Par courrier recommandé du 8 mars 2019, la société Aurexia a informé la société Empur de sa décision de résilier le contrat.
Considérant que la résiliation n'avait pas été annoncée dans le délai contractuel de 4 mois avant l'échéance du contrat, la société Empur a exigé le paiement de l'indemnité contractuelle de résiliation. La société Aurexia s'y est opposée.
Par acte en date du 10 décembre 2019, la société Empur a assigné la société Aurexia devant le tribunal de commerce de Paris en paiement.
Par jugement en date du 19 mars 2021, le tribunal de commerce de Paris a :
- Débouté la société Empur de sa demande indemnitaire ;
- Condamné la société Empur à payer à la société Aurexia la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;
- Ordonné l'exécution provisoire ;
- Condamné la société Empur aux dépens de l'instance dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 74,50 euros dont 12,20 euros de TVA.
Par déclaration du 22 avril 2021, la société Empur a interjeté appel du jugement en ce qu'il a :
- Débouté la société Empur de sa demande tendant à la condamnation de la société Aurexia à lui payer la somme de 15 887,04 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 6 septembre 2019 ;
- Débouté la société Empur de sa demande tendant à la condamnation de la société Aurexia à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Débouté la société Empur de sa demande tendant à la condamnation de la société Aurexia aux dépens de l'instance ;
- Condamné la société Empur à payer à la société Aurexia la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la société Empur aux dépens de l'instance.
Par ses dernières conclusions, notifiées par RPVA le 14 décembre 2022, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses moyens et prétentions, la société Empur demande de :
- Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau :
- Condamner la société Aurexia à payer à la société Empur la somme de 15 887,04 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 6 septembre 2019 ;
- Condamner la société Aurexia à payer à la société Empur la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Aurexia aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, la société Empur fait valoir en substance que :
- Le contrat précise qu'il est conclu pour une durée de deux ans à compter de la date de commencement de la prestation, le 8 juillet 2013, et qu'il se poursuit par une période de deux ans, sauf dénonciation écrite adressée par lettre recommandée avec accusé de réception au moins quatre mois avant la date anniversaire du contrat. Ainsi, sa dénonciation doit être notifiée au moins quatre mois avant la date anniversaire du contrat, donc être notifiée avant le 8 mars et au plus tard le 7 mars.
- La société Aurexia ayant résilié le contrat par lettre recommandée avec avis de réception en date du 8 mars 2019, soit un jour après la date butoir dont elle disposait pour le faire, elle n'a pas respecté le délai contractuellement fixé pour dénoncer le contrat. La computation du délai de préavis fixé par le contrat litigieux ne saurait être régie par les dispositions des articles 641 et 642 du code de procédure civile. De même, l'article 1190 du code civil, issu de l'ordonnance du 10 février 2016 ne s'applique pas au présent contrat qui a été conclu avant son entrée en vigueur.
- Le délai contractuel pour dénoncer le contrat n'ayant pas été respecté, la société Aurexia est redevable de l'indemnité de résiliation anticipée prévue par l'article 6.2, alinéa 2, des conditions générales du contrat.
- Cette clause ne peut être écartée par application de l'article 1171 du code civil qui est doublement inapplicable. D'abord, parce qu'il est entré en vigueur avant la conclusion du contrat, et qu'il ne s'applique pas aux contrats qui relèvent des dispositions spéciales de l'article 442-6 I du code de commerce, devenu l'article L. 442-1 I, 2° du même code, comme en l'espèce.
- L'indemnité prévue à l'article 6.2 alinéa 2 des conditions générales ne s'analyse pas en une clause pénale, mais en une clause de dédit : elle ne peut donc pas être réduite en application des dispositions de l'article 1231-5 du code civil qui donnent aux juges le pouvoir de réduire le montant d'une clause pénale manifestement excessive.
Par ses dernières conclusions, notifiées par RPVA le 3 juillet 2023, la société Aurexia demande, au visa des articles 1152, 1162 et 1226 du code civil, de :
- Confirmer le jugement entrepris ;
Statuant à nouveau :
- Recevoir la Société Aurexia en ses écritures, les disant bien fondées ;
- Constater la validité et la régularité de la résiliation intervenue par courrier recommandé posté le 8 mars 2019, pour une résiliation à l'échéance du 8 juillet 2019 ;
- En conséquence, débouter la Société Empur de l'intégralité de ses demandes ;
A titre subsidiaire :
- Constater que la clause de l'article 6.2 alinéa 2 et 3 du contrat de prestation de service est une clause pénale ;
- En conséquence, Juger que la mention "La présente clause constitue une clause d'indemnisation forfaitaire non susceptible de révision judiciaire" de la clause pénale est réputée non écrite ;
- Juger que la clause pénale crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties et qu'en l'absence de préjudice subi par la Société Empur, le montant de la clause pénale se trouve être manifestement excessif ;
En conséquence, réduire le montant de la clause à juste proportion ;
En tout état de cause :
Condamner la Société Empur à verser à la Société Aurexia la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers frais et dépens de l'instance.
Au soutien de ses prétentions, la société Aurexia fait valoir en substance que :
- En application de l'article 1162 du code civil (dans sa version applicable au présent litige), et des articles 641 et 642 du code de procédure civil, il doit être considéré que le courrier de résiliation a été adressé en temps utiles par la société Aurexia. En vertu de la règle de la computation des délais, lorsqu'un délai est exprimé en mois, celui-ci expire le jour du dernier mois qui porte le même quantième à 24 heures, de l'événement qui fait courir le délai. Le point de départ du préavis de 4 mois a commencé le 8 mars à minuit et se terminait donc le 8 mars 2019 à minuit. S'il subsiste un doute, en application de l'article 1162 (ancien) du code civil, le contrat doit s'interpréter contre la société Empur. Enfin, en tout état de cause, si le délai d'expiration du contrat était le 7 juillet 2019, ce jour étant un dimanche, le délai devait être prorogé au lundi suivant, le 8 juillet 2019.
- Si la cour venait à retenir que la résiliation a été effectuée tardivement, la clause sur laquelle la société Empur se fonde pour réclamer une indemnité de 15 886,04 euros, dont les termes permettent d'identifier une clause pénale en application de l'article 1226 (dans sa version applicable au présent litige) du code civil, devra être déclarée excessive et son montant, modéré par le juge. La clause contractuelle qui stipule que l'indemnité n'est pas susceptible de révision judiciaire, méconnait les dispositions de l'article 1152 du Code civil (dans sa version applicable au présent litige) et doit être réputée non écrite.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 7 septembre 2023.
MOTIFS
A titre liminaire, la Cour rappelle qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de "constatations" qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques.
Sur la résiliation,
L'article 1103 du code civil dispose que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
En l'espèce, le contrat litigieux indique qu'il est conclu "pour une durée de deux ans à compter de la date de commencement de la prestation", fixée au 8 juillet 2013, et qu'il "se poursuit par période de deux ans, sauf dénonciation écrite adressée par lettre recommandée avec accusé de réception par l'une ou l'autre des parties au moins quatre mois avant la date anniversaire du contrat".
Le principe de l'article 1162 du code civil (dans sa version applicable au présent litige), qui dispose que le contrat d'adhésion s'interprète, en cas de doute, contre celui qui l'a proposé, n'a pas vocation à s'appliquer au présent litige au regard du caractère non équivoque des stipulations contractuelles relatives aux formalités de résiliation, qui n'emportent pas d'élément d'ambiguïté ou d'indétermination.
Le contrat de 2 ans, conclu à compter du 8 juillet 2013, a été renouvelé par tacite reconduction par période de deux ans, et par voie de conséquence, il se poursuivait jusqu'au 8 juillet 2019.
Il a été jugé que les dispositions des articles 640 et suivants du code de procédure civile ne sont que l'expression en matière procédurale d'une règle de portée générale applicable, quelle que soit la qualification des délais, à la notification de tous les actes juridiques ou judiciaires et que dès lors, "lorsqu'un délai est exprimé en mois, ce délai expire le jour du dernier mois qui porte le même quantième que le jour de l'acte, de l'événement, de la décision ou de la notification qui fait courir le délai; que tout délai expire le dernier jour à 24 heures".
Cependant, la résiliation devant être notifiée ou signifiée avant le terme du contrat, le délai de préavis est compté à rebours, à partir du terme du contrat et non pas à compter de la date de délivrance du congé. Ainsi, la résiliation devait être signifiée ou notifiée par la société Aurexia à la société Empur quatre mois avant le terme du contrat, c'est à dire avant que ne commence à courir ce délai de quatre mois. Les dispositions de l'article 642 du code de procédure civile ne s'appliquant que lorsqu'un acte ou une formalité doit être accompli avant l'expiration d'un délai, le délai contractuel prévoyant que la résiliation doit être donnée 4 mois à l'avance ne pouvait être prorogé, s'il expirait un samedi, un dimanche, un jour férié ou chômé, au premier jour ouvrable suivant.
Il appartenait en conséquence à la société Aurexia d'informer la société Empur de sa volonté de résiliation au plus tard 4 mois avant le 8 juillet 2019, soit le 7 mars 2019.
La cour ne peut que constater que la lettre de la société Aurexia datée du 8 mars 2019 n'a pas été adressée dans le délai contractuel de dénonciation du contrat, puisqu'elle est intervenue un jour après la date butoir et que, par voie de conséquence, le préavis de résiliation n'a pas été respecté.
Sur la demande en paiement,
L'article 1226 définie la clause pénale comme étant celle par laquelle une personne, pour assurer l'exécution d'une convention, s'engage à quelque chose en cas d'inexécution, l'article 1229 précisant que cette clause est la compensation des dommages et intérêts que le créancier supporte de l'inexécution de l'obligation principale.
Pour réclamer une indemnité de 15 886,04 euros, la société Empur se fonde sur l'article 6.2 alinéa 2 des conditions générales du contrat, qui stipule que "dans tous les cas de résiliation ou de résolution du fait du client, en réparation du préjudice subi du fait de la rupture anticipée du contrat passé avec le prestataire, le client versera à ce dernier une indemnité égale à celle résultant des versements mensuels qu'il aurait normalement effectués jusqu'à l'échéance normale du terme du contrat".
Les parties s'opposent quant à la qualification de cette clause. La société Empur soutient qu'il s'agit d'une clause de dédit qui ne peut être réduite, tandis que la société Aurexia affirme qu'il s'agit d'une clause pénale qui, insérée au sein des conditions générales du contrat, a échappé à toute négociation et a créé un déséquilibre significatif entre les parties, ajoutant qu'à ce titre, elle doit être déclarée non écrite ou bien que son montant doit être réduit à de plus juste proportion.
Le déséquilibre significatif est le plus souvent caractérisé par une absence de réciprocité des prérogatives contractuelles ou par une disproportion entre les droits et obligations des parties.
Issu de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, l'article 1171 s'applique, à l'instar du contrat litigieux, aux contrats renouvelés tacitement après le 1er octobre 2016, le renouvellement ou la tacite reconduction donnant lieu à un nouveau contrat. Par ailleurs, il ressort des travaux parlementaires de la loi du 20 avril 20148 ratifiant ladite ordonnance que l'intention du législateur était que l'article 1171 du code civil sanctionne les clauses abusives dans les contrats ne relevant pas des dispositions spéciales de l'article L. 442-6 du code du commerce, devenu l'article L. 442-6, I, 2°, lequel sanctionne précisément le fait de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
La société Aurexia ne précise pas sur lequel des deux fondements juridiques elle s'appuie pour soutenir que la clause litigieuse devrait être déclarée non écrite.
En tout état de cause, le déséquilibre significatif doit être examiné au regard de l'analyse des clauses imposées dans la convention en tenant compte des contreparties accordées, et de l'équilibre économique de l'opération. L'absence de pouvoir réel de négociation de celui qui se prétend victime d'une soumission ou d'une tentative de soumission à un déséquilibre significatif doit être prouvée, par exemple en démontrant l'exclusion de toute possibilité de négociation. Force est de constater que la société Aurexia ne fournit aucun élément qui permettrait de caractériser son absence de pouvoir de négociation dans le contrat d'entretien de ses locaux. Par voie de conséquence, cette clause ne peut être réputée non écrite.
Pour être qualifiée de clause pénale, la peine doit avoir été stipulée en prévision du préjudice résultant de l'inexécution d'une obligation. En effet, la clause pénale a pour objet de faire assurer l'exécution de son obligation par le débiteur alors que la faculté de dédit lui permet de se soustraire à cette exécution.
En l'espèce, la clause litigieuse stipule une indemnité en cas de résiliation anticipée de la part de la société Aurexia dont le montant est équivalent au prix dû en cas d'exécution du contrat jusqu'à son terme, soit en l'espèce 24 mois, sans aucune contrepartie puisque la société Empur ne devait plus aucune prestation au titre du contrat.
Cette clause présente donc, outre un caractère indemnitaire, un caractère comminatoire afin de dissuader la société Aurexia de rompre avant le terme les relations contractuelles.
Il s'en déduit que la clause litigieuse avait pour objet de contraindre la société Aurexia à exécuter le contrat jusqu'à son terme et d'évaluer de manière forfaitaire le préjudice subi par la société Empur et qu'elle doit dès lors être qualifiée de clause pénale dont le montant éventuellement dérisoire ou excessif peut être modifié par le juge en application de l'article 1152 ancien du code civil.
La somme réclamée en application de la clause litigieuse apparaît manifestement excessive au regard du préjudice effectivement subi par la société Empur qui a disposé de plusieurs mois pour procéder au remplacement de sa cliente, le délai contractuel de résiliation n'ayant été dépassé par la société Aurexia que de 24 heures.
Il convient donc de réduire la clause pénale à la somme globale de 1323,92 euros, correspondant à 2 mois de facturation mensuelle moyenne, et de condamner la société Aurexia à son paiement, avec intérêts au taux légal à compter du 6 septembre 2019, date de la mise en demeure.
Le jugement sera donc infirmé de ce chef.
Sur les demandes accessoires,
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la société Empur aux dépens et au paiement de la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Aurexia, partie qui succombe est condamnée aux dépens.
L'équité commande que chacune des parties conserve à sa charge les frais irrépétibles qu'elle a engagés.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions.
Statuant à nouveau et y ajoutant :
- Condamne la société Aurexia à payer à la société Empur la somme de 1323,92 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 6 septembre 2019 ;
- Rejette les demandes formulées au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamne la société Aurexia aux entiers dépens.