Cass. req., 28 mars 1892
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Manau
Rapporteur :
M. Cotelle
Avocat général :
M. Reynaud
Avocat :
Me de Valroger
LA COUR : — Sur le premier moyen pris de la violation des art. 502, 513, 1134, 815, 1853, 1855 c. civ., 20, 23, 24, 26 c. com. : — Attendu que l’arrêt attaqué, loin d’avoir dénaturé les actes dont il fait dépendre la solution du procès, les a sainement appréciés en qualifiant de société les conventions par lesquelles, depuis 1876, les consorts Morel avaient laissé en commun des biens et valeurs affectés à une exploitation industrielle dont la gérance était réservée par les enfants à leur père, en vue de partager les bénéfices qui pourraient en résulter ;
Attendu que la cour d’appel n’a fait qu’interpréter, comme c’était son droit souverain, lesdites conventions, en déduisant de l’ensemble de leurs clauses, que, dans l’intention commune des parties, la valeur de 300,000 fr., attribuée aux droits successifs laissés en commun par chacun des héritiers de la dame Morel, limitait au même chiffre le risque de perte auquel ils devaient être exposés par le résultat des affaires sociales ;
Qu’il suit de là que ces héritiers ont été de simples commanditaires, rôle compatible avec la situation légale du demandeur en cassation, lequel est pourvu d’un conseil judiciaire depuis 1881 ;
Attendu que la qualification de commandité, donnée à la société dont s’agit par les juges du fond, ne rencontrait aucun obstacle juridique dans le défaut de publicité de cette société, circonstance qui, d’après l’art. 56 de la loi du 24 juill. 1867, n’est pas susceptible d’être opposée aux tiers par les associés ;
Qu’ainsi le moyen proposé n’est point justifié ;
Sur le deuxième moyen, pris de la violation des art. 223, 502, 513, 1865 c. civ. — Attendu que, s’agissant d’une société en commandite, où le demandeur en cassation ne figurait qu’en qualité de bailleur de fonds, le jugement qui l’a pourvu d’un conseil judiciaire n’a pas eu pour effet d’empêcher la continuation de cette société pendant la durée qui lui était assignée par l’acte du 6 oct. 1880, ni son renouvellement par l’acte du 4 nov. 1886, auquel le demandeur en cassation a comparu avec l’assistance d’un conseil judiciaire ad hoc, par suite de l’opposition de ses intérêts avec ceux de son père, investi des mêmes fonctions par un jugement du 12 août 1881 ;
Que l’importance de l’affaire dans laquelle était engagé pour Emile Morel un capital de 300,000 fr. n’empêchait pas qu’il y eût là, pour les commanditaires, un simple placement de fonds qui, bien qu’aléatoire, a pu être fait par ledit Emile Morel, avec le concours de son conseil, et qu’en tenant cette opération pour valable, I’arrêt attaqué n’a violé aucune loi ;
Sur le troisième moyen, pris de la violation et fausse application des art. 803, 808, 882, 1166, 2205 c. civ. et 557, 550, 563 c. pr. civ. : — Attendu que l’arrêt attaqué, dans son dispositif, n’a pas constitué les défendeurs éventuels créanciers du demandeur en cassation, comme étant aux droits de son père dont la succession aurait à exercer sur Emile Morel une répétition de 21,300 fr. ;
Que la chose jugée se réduit à maintenir l’opposition que les défendeurs éventuels ont formée au partage de la succession de Morel père, et la défense par eux faite à l’administrateur de l’indivision Morel-Deffaux, de se dessaisir de tous deniers dont il serait comptable en cette qualité ;
Attendu que, créanciers personnels d’Emile Morel à concurrence de sa commandite dans la société avec laquelle ils avaient traité, les défendeurs éventuels tenaient de l’art. 882 c. civ. la faculté de s’opposer au partage des masses de communautés et de successions dans lesquelles ledit Emile Moral avait des droits indivis, sans être tenus de suivre les formes spéciales de la saisie-arrêt ;
Par ces motifs, rejette.