Cass. com., 29 novembre 2023, n° 22-21.623
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
M. Ponsot
Avocat général :
M. Lecaroz
Avocats :
la SCP Alain Bénabent, Me Bertrand
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Papeete, 8 septembre 2022), par un acte sous seing privé des 10 et 11 septembre 2018, prorogé par un avenant du 24 septembre 2018, M. [P] a consenti à l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée Holding BSP (la société Holding BSP) « représentée par son gérant, M. [T] [B] » une promesse de cession des parts de la société Hôtel La pirogue API, exploitant une résidence hôtelière implantée sur un îlot en Polynésie.
2. La société Holding BSP a été constituée le 24 août 2018, ayant pour gérant M. [B] et pour associé unique la société par actions simplifiée Holding BSP, elle-même détenue en totalité par M. [B]. Elle a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 1er octobre 2018.
3. Le 18 mars 2019, le conseil de M. [P] a adressé au notaire chargé de l'établissement de l'acte de cession, M. [Y], une lettre exprimant le refus de son client de signer l'acte réitératif.
4. L'acte n'ayant pas été signé, la société Holding BSP, après avoir vainement mis en demeure M. [P] de s'exécuter, a saisi le tribunal mixte de commerce par requête en date du 30 avril 2019 aux fins de voir ordonner l'exécution forcée de la promesse de cessions de parts.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. M. [P] fait grief à l'arrêt d'ordonner l'exécution de la promesse de cession de parts, alors « que l'acte conclu par une société en cours d'immatriculation, et partant dépourvue de personnalité morale, est nul de nullité absolue, insusceptible de confirmation ou ratification ; qu'en rejetant la demande de nullité du compromis de cession conclu entre M. [P] et la société Holding BSP les 10 et 11 septembre 2018 et amendé par voie d'avenant le 24 septembre 2018, alors que la société Holding BSP "a été immatriculée le 1er octobre 2018" soit postérieurement à la conclusion de ces actes, au motif que "la rédaction impropre de ces actes quant à la qualité du cessionnaire est donc sans emport eu égard à la connaissance qu'avait [V] [P] que [T] [B] agissait pour le compte d'une société en formation et non au nom de celle-ci", la cour d'appel a statué par motif impropre et violé les articles L. 210-6 du code de commerce et 1842 du code civil. »
Réponse de la Cour
6. Il résulte des articles L. 210-6 et R. 210-6 du code de commerce que les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés. Les personnes qui ont agi au nom ou pour le compte d'une société en formation avant qu'elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits. Ces engagements sont alors réputés avoir été souscrits dès l'origine par la société.
7. La Cour de cassation juge depuis de nombreuses années que ne sont susceptibles d'être repris par la société après son immatriculation que les engagements expressément souscrits « au nom » (Com., 22 mai 2001, n° 98-19.742 ; Com., 21 février 2012, n° 10-27.630, Bull. n° 4 ; Com., 13 novembre 2013, n° 12-26.158) ou « pour le compte » (Com., 11 juin 2013, n° 11-27.356 ; Com., 10 mars 2021, n° 19-15.618) de la société en formation, et que sont nuls les actes passés « par » la société, même s'il ressort des mentions de l'acte ou des circonstances que l'intention des parties était que l'acte soit accompli en son nom ou pour son compte (3e Civ., 5 octobre 2011, n° 09-72.855 ; Com., 21 février 2012, n° 10-27.630, Bull. n° 4 ; Com., 19 janvier 2022, n° 20-13.719).
8. Cette jurisprudence repose sur le caractère dérogatoire du système instauré par la loi, lequel permet de réputer conclus par une société des actes juridiques passés avant son immatriculation. Elle vise à assurer la sécurité juridique, dès lors que la présence d'une mention expresse selon laquelle l'acte est accompli « au nom » ou « pour le compte » d'une société en formation protège, d'un côté, le tiers cocontractant, en appelant son attention sur la possibilité, à l'avenir, d'une substitution de plein droit et rétroactive de débiteur, et, de l'autre, la personne qui accomplit l'acte « au nom » ou « pour le compte » de la société, en lui faisant prendre conscience qu'elle s'engage personnellement et restera tenue si la société ne reprend pas les engagements ainsi souscrits.
9. Cette solution a pour conséquence que l'acte non expressément souscrit « au nom » ou « pour le compte » d'une société en formation est nul et que ni la société ni la personne ayant entendu agir pour son compte n'auront à répondre de son exécution, à la différence d'un acte valable, mais non repris par la société, qui engage les personnes ayant agi « au nom » ou « pour son compte ». Elle s'avère ainsi produire des effets indésirables en étant parfois utilisée par des parties souhaitant se soustraire à leurs engagements, et a paradoxalement pour conséquence de fragiliser les entreprises lors de leur démarrage sous forme sociale au lieu de les protéger, sans toujours apporter une protection adéquate aux tiers cocontractants, qui, en cas d'annulation de l'acte, se trouvent dépourvus de tout débiteur.
10. L'exigence selon laquelle l'acte doit, expressément et à peine de nullité, mentionner qu'il est passé « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation ne résultant pas explicitement des textes régissant le sort des actes passés au cours de la période de formation, il apparaît possible et souhaitable de reconnaître désormais au juge le pouvoir d'apprécier souverainement, par un examen de l'ensemble des circonstances, tant intrinsèques à l'acte qu'extrinsèques, si la commune intention des parties n'était pas que l'acte soit conclu au nom ou pour le compte de la société en formation et que cette société puisse ensuite, après avoir acquis la personnalité juridique, décider de reprendre les engagements souscrits.
11. En l'espèce, après avoir constaté que l'acte des 10 et 11 septembre 2018 avait été signé par M. [B] en qualité de gérant de la société Holding BSP en cours d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés, l'arrêt relève qu'il résulte des correspondances produites, dont la teneur n'est pas contestée, que M. [P] a été clairement informé, avant la signature de cet acte et de son avenant, que M. [B] agissait pour le compte d'une société en formation.
12. En l'état de ces constatations, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel, qui a fait ressortir que, en dépit de la rédaction impropre de ces actes quant à la désignation du cessionnaire, la commune intention des parties était que l'acte soit conclu au nom ou pour le compte de la société en formation et que cette société puisse ensuite, après avoir acquis la personnalité juridique, décider de reprendre les engagements souscrits, a ordonné l'exécution de la promesse litigieuse.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.