Cass. com., 7 janvier 1992, n° 90-14.831
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Le Dauphin
Avocat général :
M. Curti
Avocats :
SCP Desaché et Gatineau, SCP Defrénois et Levis
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :
Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Montpellier, 15 mars 1990), qu'ayant, pour une durée déterminée, conclu avec la société Grands Garages de l'Hérault (société GGH) un contrat de location de matériel informatique dont elle s'était engagée à assurer la maintenance, la société CMC a été mise en liquidation des biens le 10 novembre 1982 ; que par convention du 24 novembre 1982 conclue entre le syndic et la société Data 100, aux droits de laquelle se trouve la société Northern Télécom Data Systems (société Northern Data), les contrats liant la société CMC aux utilisateurs des équipements informatiques ont été cédés à la société Northern Data ; que la société GGH a fait connaître à celle-ci, par lettres des 9 mars et 28 avril 1983, son intention de mettre fin à un contrat devenu, selon elle, une " convention tacite à durée indéterminée " et de ne régler la redevance mensuelle que jusqu'au 31 juillet 1983 ; que la société Northern Data a répliqué que le contrat devait s'exécuter jusqu'à son terme, soit le 31 décembre 1983, sauf la possibilité pour le locataire de procéder à sa résiliation anticipée en s'acquittant de l'indemnité contractuelle égale à 90 % du montant des redevances restant à courir jusqu'à cette date ; qu'elle a ensuite assigné la société GGH en paiement de l'indemnité ;
Attendu que la société GGH fait grief à l'arrêt d'avoir accueilli cette demande alors, selon le pourvoi, d'une part, que le contrat conclu intuitu personnae, dont le contrat d'entreprise est par sa nature propre un des exemples les plus significatifs, ne peut faire l'objet d'une cession ; qu'il résulte par hypothèse de cette incessibilité, l'impossibilité de rendre opposable au prétendu cédé la cession interdite néanmoins alléguée par l'accomplissement de l'une ou l'autre des formalités légales requises en cas de cession conventionnelle autorisée et a fortiori par une simple acceptation tacite suppléant à ces formalités ; qu'en énonçant en l'espèce que le caractère intuitu personae du contrat GGH-CMC n'avait pas à être examiné et en décidant en conséquence que, même revêtue de ce caractère, cette convention pouvait faire l'objet d'une cession opposable au cédé dès lors qu'il y aurait tacitement acquiescé par sa prétendue exécution de ce même contrat, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1690 du Code civil ; alors, d'autre part, que les faits, tels les paiements par le cédé au cessionnaire, présentés comme constituant l'exécution du contrat ne peuvent caractériser l'acceptation ou l'acquiescement du cédé seuls de nature à rendre inutile l'une ou l'autre des formalités exigées par l'article 1690 du Code civil ; qu'à supposer en l'espèce que le contrat GGH-CMC ait pu faire l'objet d'une cession, l'opposabilité de cette cession à la société GGH ne pouvait résulter de son paiement sans protestation d'une seule facture, ce prétendu fait d'exécution du contrat réputé transmis n'étant pas à lui seul susceptible d'établir la reconnaissance sans équivoque de l'existence du transport au contraire immédiatement dénoncée après ce paiement ; qu'en décidant néanmoins que la société GGH avait " manifesté son acquiescement " en poursuivant l'exécution du contrat initial par le paiement de factures relatives à des interventions de Northern Data, sans au
surplus distinguer entre la seule facture acquittée avant protestation et celles acquittées postérieurement, pour interdire en conséquence à la société GGH de se prévaloir de l'inopposabilité de la cession résultant de l'inobservation des formalités légales requises, la cour d'appel a en toute hypothèse de nouveau violé l'article 1690 du Code civil ; et alors, enfin, que l'extinction du contrat intuitu personae GGH-CMC résultant nécessairement de la disparition de la société CMC ne pouvait laisser place qu'à un nouveau contrat tacite à durée indéterminée entre les sociétés GGH et Northern Data ; que l'intention d'exécuter de la société GGH ne pouvait dès lors porter que sur ce nouveau contrat seul existant et non sur le contrat initial définitivement éteint ; qu'il en résulte que la cour d'appel ne pouvait justifier la volonté qu'elle prête à la société GGH de poursuivre le contrat initial qu'en excluant le caractère intuitu personae de cette convention qui interdisait sa continuation par transmission et établissait corrélativement que la société GGH n'avait pu avoir pour intention que d'exécuter le seul contrat susceptible de recevoir exécution, celui né tacitement entre elle et la société Northern Data après l'extinction du précédent contrat avec la société CMC ; qu'en délaissant délibérément cette question capitale qu'elle déclare indifférente, la cour d'appel n'a pas justifié la volonté de la société GGH de poursuivre l'exécution du contrat initial et privé en conséquence sa décision de toute base légale au regard des articles 1134 et 1690 du Code civil ;
Mais attendu que le fait qu'un contrat ait été conclu en considération de la personne du cocontractant ne fait pas obstacle à ce que les droits et obligations de ce dernier soient transférés à un tiers dès lors que l'autre partie y a consenti ; que l'arrêt relève qu'informée le 26 novembre 1982 par lettre du syndic de la société CMC, laquelle n'avait pas disparu du seul fait de l'ouverture de la procédure collective, et de la société Northern Data que celle-ci assurerait désormais la maintenance des équipements informatiques et percevrait les redevances contractuelles, la société GGH a poursuivi sans réserve l'exécution du contrat ; qu'elle a ainsi réglé les factures mensuelles, dès le 2 décembre 1982 et pour les mois de janvier, février et mars 1983, et a sollicité, pour la même période, l'intervention des services techniques de la société Northern Data ; qu'ayant ainsi, sans se fonder sur le paiement d'une seule facture, constaté que la société GGH avait manifesté de façon non équivoque sa volonté d'accepter la cession du contrat litigieux à la société Northern Data, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.