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Décisions

Cass. com., 13 février 1996, n° 93-18.006

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Nicot

Rapporteur :

M. Dumas

Avocat général :

Mme Piniot

Avocat :

SCP Boré et Xavier

Bordeaux, 2e ch., du 12 nov. 1992

12 novembre 1992

Attendu, selon l'arrêt critiqué, que, suivant un "accord bancaire de financement "du 25 novembre 1980, la Banque Française du Commerce Extérieur (BFCE) et l'Union Méditerranéenne de Banques ont accordé au Crédit Populaire d'Algérie (CPA) un crédit destiné à financer la part française de contrats souscrits entre un acheteur étranger et un fournisseur français ;

qu'il était prévu que ces contrats devaient faire l'objet de modalités particulières d'application, sous forme de "fiches d'admission" comportant diverses précisions et dont la signature par l'emprunteur vaudrait instruction irrévocable au prêteur de payer le fournisseur concerné dans les conditions qui y seraient mentionnées ;

qu'il était en outre stipulé que le prêteur ne devrait tenir compte d'une modification aux conditions convenues que si l'emprunteur lui apportait l'accord des fournisseurs ; que, le 15 juin 1983, la société Desse a conclu un marché de travaux devant être exécuté en Algérie et subordonné, notamment, à la signature d'une convention entre elle et le CPA, devant permettre le règlement de 85 % de la part transférable du marché ;

que ce marché, ainsi que plusieurs de ses avenants, ont donné lieu à l'émission de trois fiches d'admission, dont l'une sous forme d'avenant à la seconde ;

que la première fiche, datée du 30 septembre 1983, prévoyait, au profit du fournisseur, le versement de la somme de 63 541 536 francs et précisait que le montant du crédit pourrait être majoré de 85 % des révisions de prix définies dans le contrat après paiement des acomptes correspondants ;

que la deuxième fiche, en date du 10 avril 1985, stipulait le paiement de la somme de 5 117 208,80 francs ;

que son avenant portait sur une somme de 3 584 363,84 francs ; que la BFCE a notifié ces fiches d'admission à la société Desse, en indiquant à celle-ci qu'elle devait justifier, par certificats bancaires, du paiement, par le maître de l'ouvrage, de 15 % du prix des prestations visées dans chaque fiche ;

qu'une partie des sommes mentionnées sur les fiches ont été réglées ;

que la société Anciens Etablissements Desse Frères et M. X..., agissant en qualité de syndic du règlement judiciaire de la société Desse Frères, ont réclamé, en se fondant sur la première fiche, le paiement des sommes de 144 085,24 francs, 834 941,91 francs et 2 474 155,61 francs ;

que la cour d'appel a accueilli leur demande pour la première de ces sommes et l'a rejetée pour les deux autres ;

qu'au titre de l'avenant à la seconde fiche, ils ont demandé le règlement des sommes de 1 435 236,60 francs, 276 683,79 francs, 54 132,80 francs et 105 782,65 francs ;

que l'arrêt n'a fait droit à cette demande que pour une partie de la somme de 276 683,79 francs ;

qu'il a par ailleurs rejeté une demande tendant à la condamnation de la BFCE au paiement de dommages-intérêts pour faute ayant consisté à ne pas verser certaines sommes et entrainé la défaillance de la société Desse Frères ;

Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches, du pourvoi principal :

Attendu que M. X..., en sa qualité de syndic du règlement judiciaire de la société Desse Frères et la société Anciens Etablissements Desse Frères font grief à l'arrêt d'avoir limité le montant de la condamnation de la BFCE au profit de la société Desse Frères à la somme de 389 926,13 francs, alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'arrêt a constaté qu'aux termes des conventions intervenues entre les parties participant au financement et aux travaux d'extension de l'aéroport d'Oran, la société Desse était bénéficiaire d'une stipulation pour autrui par laquelle le Crédit Populaire d'Algérie devrait mandat irrévocable à la BFCE de payer les sommes prévues par les fiches d'admission, qu'aucune modification de cet ordre irrévocable ne pourrait intervenir sans l'accord de la société Desse et qu'en conséquence la BFCE n'était pas fondée à invoquer la révocation du mandat donné par le Crédit Populaire d'Algérie ;

qu'il en résultait nécessairement que la BFCE ne pouvait refuser le paiement des sommes réclamées par la société Desse dès lors que celles-ci figuraient sur les fiches d'admission ;

qu'en subordonnant néanmoins ce règlement à la preuve préalable du paiement par le Crédit Populaire d'Algérie d'un montant égal à 15 % du prix des travaux, la cour d'appel a conféré à celui-ci le pouvoir de s'opposer au règlement par la BFCE au profit de la société Desse en méconnaissance du caractère irrévocable du mandat de payer figurant dans les fiches d'admission ;

qu'en rejetant pour l'essentiel les demandes de la société Desse au seul motif que celle-ci ne justifiait pas du paiement de l'acompte de 15 % correspondant aux fiches d'admission, la cour d'appel n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences qui en résultaient en violation de l'article 1121 du Code civil ;

alors, d'autre part, que l'arrêt ne conteste pas que, ni dans le contrat cadre de financement, ni dans les fiches d'admission, n'est prévue l'exigence de la preuve du paiement par le Crédit Populaire d'Algérie des acomptes de 15 % sur le prix du marché au moyen de certificats bancaires ;

que la BFCE n'a pas soutenu dans ses conclusions d'appel que la société Desse aurait néanmoins accepté le principe de cette preuve préalable par le dépôt de certificats bancaires comme étant une condition du règlement des sommes en exécution du mandat irrévocable donné par l'emprunteur ;

qu'en soulevant d'office le moyen tiré de l'acceptation par la société Desse de ce mode de preuve, sans ordonner la réouverture des débats, la cour d'appel a violé le principe du contradictoire et l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;

alors, en outre, que ni le contrat cadre de financement, ni les fiches d'admission ne posaient comme condition à l'exécution du mandat irrévocable donné à la BFCE par le Crédit Populaire, le dépôt préalable par la société Desse de certificats bancaires établissant le paiement des acomptes de 15 % par l'emprunteur ;

qu'en subordonnant les droits de la société Desse envers la BFCE à l'exigence de tels certificats bancaires, la cour d'appel a violé l'article 1121 du Code civil ;

alors, enfin, que la BFCE s'était bornée à invoquer dans ses conclusions d'appel, l'exigence de la preuve par des certificats bancaires du paiement par le Crédit Populaire d'Algérie, des acomptes de 15 % ;

qu'en énonçant, en ce qui concerne les sommes de 1 435 236,60 francs, 105 782,65 francs et 54 132,80 francs, qu'il n'était pas établi que les sommes versées pour exécution d'un avis à tiers détenteur du fisc algérien, s'appliquaient aux acomptes de 15 % relatifs aux sommes réclamées par la société Desse, la cour d'appel a soulevé un moyen d'office sans provoquer les explications préalables des parties en violation de l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, d'une part, que l'arrêt ne se borne pas à relever que le CPA avait donné à la BFCE le mandat irrévocable de payer les sommes prévues par les fiches d'admission ;

qu'analysant l'accord bancaire de financement, il retient que ces fiches précisaient, notamment, "les modalités d'utilisation du crédit et de paiement au fournisseur et que la signature du CPA vaudrait instruction de payer le fournisseur concerné "dans les conditions précisées sur la fiche" ;

qu'ayant constaté que la fiche d'admission n 39 prévoyait règlement "après paiement des acomptes correspondant", il décide que le paiement, par la BFCE "ne peut s'exercer que dans les limites et aux conditions fixées par les fiches d'admission ;

qu'à partir de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui avait par ailleurs exposé que la société Desse admettait que "le versement des 85 % du marché était subordonné au paiement de 15 %", a pu statuer comme elle l'a fait ;

Attendu, d'autre part, que, dès lors que la BFCE soutenait qu'il résultait d'une lettre du 19 mars 1986 de la société Desse que celle-ci connaissait l'exigence d'une preuve, par production de certificats bancaires, des réceptions des acomptes, la cour d'appel n'a pas soulevé d'office la question de l'acceptation de cette exigence ;

Attendu, en outre, qu'ayant constaté "que la société Desse a accepté que la justification du paiement des acomptes se ferait par la production de certificats bancaires", la cour d'appel n'a pas méconnu la loi du contrat ;

Attendu, enfin, s'agissant des sommes de 1 435 236,60 francs, 105 782,65 francs et 54 132,80 francs, que l'arrêt retient qu'au surplus, dès lors que la BFCE avait demandé, et que la société Desse avait accepté, que la justification du paiement des acomptes se ferait par la production de certificats bancaires, il ne peut être admis d'autre moyen de preuve de ces paiements ;

que par ce seul motif, abstraction faite de celui qui est critiqué dans la quatrième branche du moyen, et qui est surabondant, la cour d'appel a justifié sa décision ;

Que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

Et sur le second moyen du pourvoi principal :

Attendu que M. X..., en sa qualité de syndic du règlement judiciaire de la société Desse Frères et la société Anciens Etablissements Desse Frères reprochent encore à l'arrêt d'avoir rejeté la demande de dommages-intérêts formée contre la BFCE, alors, selon le pourvoi, que tout jugement et arrêt doit être motivé ; que la cour d'appel s'est bornée à affirmer qu'il n'était pas établi que la faute de la BFCE qui a entrainé une privation de trésorerie ait joué un rôle direct dans la survenance de l'état de cessation des paiements de la société Desse ;

qu'en statuant ainsi par voie de simple affirmation sans exposer les raisons pour lesquelles elle considérait que la preuve du lien de causalité n'était pas apportée contrairement à ce qu'avaient décidé les premiers juges, la cour d'appel a entaché son arrêt d'un défaut de motifs en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que, si le jugement, dont les intimés déclaraient s'approprier les motifs, sans autre démonstration, avait admis que le refus de paiement opposé par la BFCE avait contribué au "dépôt de bilan", compte tenu des difficultés de trésorerie que connaissait alors la société Desse, l'arrêt infirme cette décision en réduisant de 6 104 314,53 francs à 389 976,13 francs la dette de la BFCE à l'égard de la société Desse ;

qu'eu égard au montant de cette dernière somme et à sa constatation liminaire selon laquelle la part transférable du marché s'était élevée à la somme de 83 972 419 francs, c'est sans encourir le grief du moyen, que la cour d'appel a décidé que la preuve n'était pas rapportée d'un lien de causalité entre la faute de la BFCE et la défaillance de la société Desse ;

d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais, sur premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident :

Vu les articles 1134 et 1991 du Code civil ;

Attendu que, pour condamner la BFCE à payer la somme de 144 085,24 francs à la société Desse, l'arrêt retient que la BFCE, sans alléguer que la justification du versement de l'acompte de 15 % n'aurait pas été régulièrement fournie, se borne à prétendre que cette somme aurait fait l'objet de l'interdiction de payer notifiée par le Crédit Populaire d'Algérie ;

que toutefois, il résulte de ce qui précède que, faute de justification de l'accord de la société Desse, la révocation du mandat de paiement n'est pas fondée, en sorte que la BFCE devra payer cette somme ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait retenu que la BFCE était mandataire du CPA, ce dont il résultait qu'il ne pouvait être reproché à la BFCE d'avoir exécuté les ordres de son mandant, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et sur le second moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi incident :

Vu l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que, pour condamner la BFCE à payer la somme de 245 890,89 francs, à la société Desse l'arrêt retient qu'il résulte des documents produits que l'acompte de 15 % correspondant à la somme de 276 683,79 francs réclamée soit 48 826,55 francs n'a pas été intégralement versé, mais seulement à concurrence de 43 392,51 francs ;

qu'il apparait conforme à la commune intention des parties que la BFCE doive verser à la société Desse la fraction de la somme de 276 683,79 francs correspondant à la partie d'acompte payée soit 245 890,89 francs ;

Attendu qu'en statuant ainsi, sans inviter les parties à s'expliquer sur l'existence d'un accord, non invoqué par elles, prévoyant qu'en cas de paiement partiel des acomptes, le paiement des sommes portées sur les fiches d'admission serait réduit en conséquence, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les deuxième et troisième branches du premier moyen du pourvoi incident, ainsi que sur la première branche du second moyen de ce pourvoi :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la BFCE à payer à la société Desse la somme de 389 976,13 francs, avec intérêts au taux légal depuis le 24 juin 1988, et dit que les dépens seraient supportés à concurrence d'un dixième par la BFCE et de neuf dixièmes par la société Desse, l'arrêt rendu le 12 novembre 1992, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse.