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Décisions

Cass. 2e civ., 10 novembre 2021, n° 20-15.361

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pireyre

Rapporteur :

Mme Bouvier

Avocats :

SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre

Paris, du 27 févr. 2020

27 février 2020

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 février 2020), la société Banque patrimoine et Immobilier (BPI), aux droits de laquelle vient la société Crédit immobilier de France développement (Cifd), a mandaté, en 2009, la société Boukris (l'avocat), avec pour mission de représenter ses intérêts dans les actions en responsabilité et en paiement relatives aux affaires dites « Apollonia ».

2. Arguant de la réorganisation interne du groupe de sociétés auquel elle appartient, la société Cifd a mis fin, le 2 octobre 2015, au mandat conféré à l'avocat, s'agissant de la gestion des dossiers relatifs à ce contentieux, avant de le décharger, le 6 janvier 2016, des autres dossiers qu'il gérait dans son intérêt.

3. S'estimant victime d'une révocation abusive de son mandat, l'avocat a assigné la société Cifd devant un tribunal de grande instance aux fins d'indemnisation.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui est irrecevable.

Sur le moyen, pris en sa première, deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

5. L'avocat fait grief à l'arrêt de le débouter de l'ensemble de ses demandes tendant à « dire et juger » que la société BPI avait rompu brutalement leur relation, de le débouter de ses demandes tendant à réparer ses préjudices financier et moral et de le condamner verser à la société Cifd la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile alors :

« 1°/ que le mandant est libre de révoquer à tout moment son mandat, sauf à ne pas commettre un abus de droit, que l'avocat et son client sont liés par un contrat de mandat qui empêche, sauf manquement grave aux obligations convenues par les parties, une rupture brutale des relations contractuelles entre les parties, qu'en l'espèce pour débouter la société Boukris de sa demande en réparation du préjudice économique et moral subi en raison de la rupture brutale des relations établies, la cour d'appel se serait bornée à considérer que le cabinet n'était pas économiquement dépendant de la société Cifd, et qu'en statuant ainsi, par des motifs prétendument impropres et inopérants à justifier sa décision, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1984 et 2004 du code civil ;

2°/ que la révocation du mandat liant l'avocat à son client institutionnel devrait s'exercer en application d'un délai de préavis raisonnable ; qu'à défaut d'application des dispositions particulières de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture devrait être indemnisé sur le fondement du droit commun de la responsabilité contractuelle, en affirmant, en l'espèce, qu'« au vu de la nature sérielle du contentieux qui diminuait, de l'activité même d'avocat liée à la durée des affaires en cours, du caractère intuitu personae de la relation avec son client, la rupture signifiée par courrier du 2 octobre 2015 à la société Cifd et liée à une réorganisation et à un regroupement du contentieux, ne présente pas un caractère abusif », sans vérifier, comme elle y était expressément invitée, si l'exécution d'un préavis contractuel avait été convenu par les parties et si, faute de l'avoir exécuté, la société Cifd n'avait pas brutalement rompu la relation la liant à la société Boukris, la cour d'appel a violé les articles 1103 et 1121 du code civil, ensemble le principe de la force obligatoire des conventions ;

3°/ qu'en tout état de cause, tout jugement doit être motivé ; que le juge ne peut statuer par voie d'affirmation ; qu'en se déterminant comme elle l'a fait, sans réserver le moindre motif à l'application d'un préavis contractuel, liant pourtant les parties, la cour d'appel a procédé par voie d'affirmation, en violation de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. Pour rejeter la demande d'indemnisation formée par l'avocat, l'arrêt relève que si, en 2010 et 2011, le chiffre d'affaires de l'avocat, lié aux dossiers Apollonia, a atteint 43 % du contentieux du cabinet, il avait diminué à 26 % en 2013 et 2014 et 28 % sur 9 mois en 2015, ce qui ne peut caractériser un état de dépendance.

7. La décision précise que ce contentieux sériel résultant d'un sinistre, important en nombre de dossiers à son apparition, n'était pas destiné à perdurer dans le temps ce que ne pouvait ignorer l'avocat, de sorte que la rupture, qui est intervenue en 2015, ne peut être qualifiée de brutale.

8. L'arrêt retient également que l'avocat ne démontre pas, contrairement à ce qu'il prétend, qu'il a dû procéder à une réduction de capital, en lien avec la présente affaire, qu'il ne justifie pas davantage avoir été dans l'obligation de se séparer de deux collaboratrices chargées de ce contentieux, que la rupture aurait entraîné une désorganisation du cabinet et qu'enfin, la perte du chiffres d'affaires prétendument consécutive à la révocation n'était pas significative.

9. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui ne s'est pas bornée à relever l'absence d'une situation de dépendance économique et qui n'était pas tenue d'entrer dans le détail de l'argumentation des parties, a, aux termes d'une motivation détaillée, pu en déduire que l'avocat ne pouvait prétendre à une indemnité, en l'absence d'abus de droit de la part du mandant.

10. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.