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Décisions

CA Lyon, 1re ch. civ. B, 21 novembre 2023, n° 21/08487

LYON

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

MMA Iard Assurances Mutuelles (Sté), MMA Iard (SA), Fromageries Chabert (Sté)

Défendeur :

Caisse Régionale d’Assurances Mutuelles Agricoles de Rhône-Alpes Auvergne (Groupama) (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Goursaud

Conseillers :

Mme Lemoine, Mme Lecharny

Avocats :

Me Pacifici, Me Sardin

TJ Lyon, du 21 sept. 2021, n° 19/01614

21 septembre 2021

Exposé du litige

* * * *

EXPOSÉ DE L'AFFAIRE

Dans le cadre de son activité de production de fromages d'appellation d'origine protégée, la société Fromageries Chabert (la fromagerie ou l'assurée), assurée auprès de la société MMA IARD assurances mutuelles, se fournit en lait notamment auprès du GAEC La ferme des Murailles (le GAEC), producteur de lait, assuré auprès de la société Groupama Rhône-Alpes Auvergne (la société Groupama).

Le 27 septembre 2017, des analyses effectuées sur les reblochons fabriqués par la fromagerie le 21 septembre 2017 ont révélé une contamination des produits par la bactérie salmonelle. Des analyses supplémentaires ont relevé une contamination du lait collecté entre le 20 et le 27 septembre 2017 et permis d'identifier que l'origine de la contamination se trouvait dans le lait fourni par le GAEC.

Le sinistre a été déclaré auprès des assureurs respectifs et un procès-verbal de constatation des causes et circonstances du sinistre et d'évaluation des dommages a été signé par les experts le 5 décembre 2017.

A défaut de solution amiable, les sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD SA (les sociétés MMA) et la fromagerie ont fait assigner la société Groupama et le GAEC en indemnisation.

Par jugement du 21 septembre 2021, le tribunal judiciaire de Lyon a :

-déclaré irrecevable l'action des sociétés MMA,

- condamné la société Groupama à payer à la fromagerie la somme de 9 164,53 euros,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision,

- débouté les parties pour le surplus

- condamné la société Groupama aux dépens.

Par déclaration du 26 novembre 2021, les sociétés MMA et la fromagerie ont interjeté appel du jugement.

Moyens

Au terme de leurs dernières conclusions notifiées le 13 juillet 2022, elles demandent à la cour de réformer le jugement et, statuant à nouveau, de :

- dire et juger que la subrogation légale de l'article L. 121-12 du code des assurances n'impose pas que le versement de l'indemnité soit concomitant à la quittance subrogatoire de paiement,

par voie de conséquence,

- dire et juger que le GAEC est responsable, sur le fondement du régime juridique des produits défectueux dont l'ensemble des conditions sont remplies, du préjudice qu'elles ont subi,

- dire et juger que la société Groupama est tenue de garantir le GAEC des conséquences dommageables de sa responsabilité,

par voie de conséquence,

- condamner la société Groupama à payer aux sociétés MMA la somme de 174'850,03 euros en réparation du préjudice subi,

- condamner la société Groupama à payer à la fromagerie la somme de 18'829,06 euros en réparation du préjudice subi,

- condamner la société Groupama à payer aux sociétés MMA la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance conformément aux articles 698 et 699 du même code,

Au terme de ses dernières conclusions notifiées le 13 septembre 2022, la société Groupama demande à la cour de :

- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a débouté les sociétés MMA de toutes leurs demandes à défaut de justifier d'une subrogation légale régulière,

- la réformer pour le surplus,

- débouter les sociétés MMA et la fromagerie de l'intégralité de leurs demandes,

- condamner in solidum la fromagerie et les sociétés MMA à lui payer la somme de 6 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance,

subsidiairement,

- réduire la responsabilité de son assuré par application de l'article 1245-12 du code civil,

- limiter la réclamation aux préjudices indemnisables, à l'exclusion du dommage résultant de l'atteinte au produit défectueux et au préjudice économique en découlant, excluant les postes de fournitures de lait et de sa transformation,

- dire et juger que la responsabilité du GAEC doit être limitée à la part de sa fourniture dans la production de la fromagerie et qu'en toute hypothèse, l'indemnisation de la fourniture du lait comme celle du préjudice excédant la somme de 500 euros doit être exclue,

- débouter la fromagerie et les sociétés MMA de l'ensemble du surplus de leurs demandes,

- condamner in solidum la fromagerie et les sociétés MMA à lui payer la somme de 6 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 3 novembre 2022.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

Motivation

MOTIFS DE LA DÉCISION

1. Sur la recevabilité de l'action engagée par les sociétés MMA

Les appelantes font valoir que :

- les sociétés MMA ont indemnisé la fromagerie dans les conditions et limites de la police d'assurance qu'elle avait souscrite de sorte que, conformément à l'article L. 121-12 du code des assurances, elles sont subrogées dans les droits de leur assurée à concurrence de l'indemnité versée ; les conditions de la subrogation légale spéciale sont parfaitement réunies en l'espèce, l'assureur n'ayant pas à rapporter la preuve d'un paiement concomitant au profit de l'assuré, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal ;

- la société Groupama ne peut utilement arguer d'un défaut de production d'une police d'assurance signée par l'assurée, alors que seule celle-ci serait fondée à soulever l'inopposabilité des pièces constituant la police d'assurance, que le paiement à la fromagerie est intervenu en vertu d'une police valablement souscrite et que l'indemnité a été versée en application des garanties prévues dans l'avenant à la police d'assurance du 30 mars 2016;

- le contrat d'assurance n'encourt pas la nullité, dès lors que la fromagerie n'a commis aucune fausse déclaration et qu'en tout état de cause, l'inexactitude des déclarations n'entraîne pas la nullité du contrat lorsque l'assuré est de bonne foi ; en outre, un tiers au contrat d'assurance ne peut se prévaloir de la nullité du contrat ;

- les sociétés MMA n'ont pas indemnisé leur assurée de réclamations non garanties.

La société Groupama réplique que les demandes des sociétés MMA sont irrecevables, faute de justifier d'une subrogation légale régulière. Elle fait valoir essentiellement que :

- les sociétés MMA ne rapportent pas la preuve que le paiement a été réalisé en vertu d'une garantie souscrite et acceptée par la fromagerie, à défaut de produire une police signée par l'assurée ;

- les sociétés MMA disposaient de deux moyens pour s'opposer à l'indemnisation de la fromagerie : d'une part, la nullité du contrat pour fausse déclaration intentionnelle, d'autre part, l'existence d'une exclusion contractuelle figurant au paragraphe 2.1.2 des conditions générales.

Réponse de la cour

En l'espèce, les sociétés MMA indiquent agir sur le fondement de la subrogation légale de l'article L. 121-12 du code des assurances.

Aux termes de cet article, l'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l'assureur.

Pour bénéficier de la subrogation légale de plein droit de l'article L. 121-12 précité, l'assureur doit justifier qu'il a effectivement payé l'indemnité d'assurance et que le paiement est intervenu en exécution d'une obligation de garantie qui avait été souscrite par contrat. En revanche, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, il n'a pas à rapporter la preuve d'un paiement concomitant au profit de l'assuré.

Les sociétés MMA justifient avoir payé une indemnité d'assurance de 174 850,03 euros à l'assurée « en règlement de l'indemnité définitive et pour solde de tout compte au titre du contrat 141 043 191 et correspondant aux frais garantis et exposés suite à la livraison de lait contaminé par des salmonelles entre le 20 et le 27/09/2017 par le GAEC [...] » par la production d'une quittance subrogative datée du 24 mai 2018 signée par l'assurée et d'une copie de chèque d'un montant de 174'850,03 euros établi par la société MMA IARD au profit de la fromagerie.

Elles justifient également de la souscription par la fromagerie d'un contrat d'assurance n° 141 043 191 « contamination des produits » à effet du 1er mars 2015, par la production du contrat conclu avec la société Covea Risks, aux droits de laquelle elles viennent, ne portant pas la signature de la fromagerie, et d'un avenant au même contrat à effet du 1er mars 2016, conclu avec les sociétés MMA et signé par la fromagerie le 30 mars 2016.

Ainsi, nonobstant le défaut de signature sur les conditions particulières et générales du contrat initial produit, en signant la quittance subrogative précitée et l'avenant de mars 2016, la fromagerie a reconnu, tant son adhésion au contrat que l'existence de la garantie litigieuse. Ces documents sont suffisants pour démontrer que le règlement effectué par les sociétés MMA est intervenu en exécution de son obligation de garantie.

S'agissant de la nullité du contrat pour fausse déclaration intentionnelle, la seule production par la société Groupama d'un tableau des sinistres subis par la fromagerie entre 2009 et 2014 du fait de la contamination des produits par une bactérie ne suffit pas à démontrer qu'elle a établi une fausse déclaration intentionnelle en reconnaissant, par la signature de l'avenant de mars 2016, qu'« au cours des 5 dernières années ['], [son] site n'a subi aucune contamination, suspectée ou avérée, accidentelle ou malveillante, ayant nécessité le retrait ou le rappel de produits », dès lors, d'une part, que le tableau a été établi par la société Groupama elle-même et n'est corroboré par aucune pièce, et, d'autre part, qu'il ne ressort pas de ce tableau que les contaminations ont entraîné le retrait ou le rappel de produits. Au surplus, la société Groupama ne rapporte pas la preuve que cette déclaration de l'assurée, à la supposer inexacte, a été faite de mauvaise foi dans l'intention de tromper l'assureur sur la nature du risque.

Enfin, c'est à tort que la société Groupama soutient que l'examen du tableau récapitulatif des dommages figurant dans le procès-verbal contradictoire impose d'exclure le coût d'achat du lait pour un montant de 142'224,93 euros, en application de l'exclusion contractuelle figurant au paragraphe 2.1.2 des conditions générales du contrat d'assurance, alors qu'il résulte du rapprochement entre le tableau des garanties figurant en page 5/8 des conditions particulières et le lexique figurant à la fin des conditions générales du contrat que celui-ci couvre notamment les frais de remplacement des produits contaminés, à savoir, notamment, « les frais correspondant au prix des matières premières et produits utilisés ».

Au vu de ce qui précède, les sociétés MMA sont fondées à invoquer la subrogation légale de l'article L. 121-12 du code des assurances et justifient d'une qualité à agir à l'encontre de la société Groupama.

Le jugement est en conséquence infirmé en ce qu'il a déclaré leur action irrecevable pour défaut de qualité.

2. sur la responsabilité du GAEC

Les sociétés MMA et la fromagerie sollicitent la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a considéré que le lien entre le dommage (la perte de fromages) et la défectuosité du produit (le lait contaminé) est rapportée, mais son infirmation en ce qu'il n'a pas retenu l'entière responsabilité du GAEC et a considéré que la fromagerie est responsable pour moitié du sinistre. Elles font valoir que :

- les experts mandatés par les assurances ont établi, contradictoirement, que le lait contaminé par la salmonelle provenait du GAEC ;

- un lait contaminé par la bactérie salmonelle, bactérie pathogène à l'origine de toxi-infections alimentaires, est considéré comme dangereux et donc défectueux, et doit être écarté des productions de fromage au lait cru, aucune mesure appropriée ne pouvant être prise pour permettre son utilisation pour la fabrication de reblochon ; si la réglementation n'impose pas un lait stérile, une bactérie classée pathogène ne peut être considérée comme une bactérie de la flore lactique normale et attendue ; en l'espèce, l'élevage du GAEC était massivement contaminé par la salmonelle, en raison d'un manquement dans le respect des règles sanitaires ;

- les conditions d'application des articles 1245 et suivants du code civil sont réunies, le GAEC ne pouvant s'exonérer par la preuve d'une absence de faute ; le producteur de lait est en effet tenu d'une obligation de résultat de fournir un lait sain et apte à la consommation ; c'est bien une défaillance au niveau du producteur primaire qui est à l'origine de la contamination des fromages ; a contrario, ce sont le système de contrôle et le plan de maîtrise établis par la fromagerie qui ont permis d'éviter la mise en circulation des produits contaminés ;

- la fromagerie, elle-même obligée de se conformer aux exigences du cahier des charges de l'appellation d'origine protégée, n'a commis aucune faute susceptible de réduire ou atténuer la responsabilité du producteur de lait ; en effet, la charte de production des reblochons impose de procéder à l'emprésurage du lait dans un délai maximum de 24 heures après la traite la plus ancienne, ce qui ne permet pas de réaliser les analyses et d'en obtenir le résultat ; en outre, la bactérie n'est pas instantanément détectable dans le lait puisqu'elle le devient lorsque la bactérie s'est développée.

La société Groupama réplique que :

-le lait du GAEC n'était pas défectueux au sens de l'article 1245-3 du code civil puisque la fourniture de lait cru destiné à la fabrication de fromages n'est pas soumise à la même réglementation que la production de lait cru destiné à la consommation humaine et qu'aucune réglementation ne prévoit que le lait destiné à la fabrication de fromages doit être stérile ni ne fait obligation au producteur laitier de procéder à des contrôles bactériologiques ; au contraire, il y a une présomption légale d'une possible altération de la qualité hygiénique du lait sans pour autant qu'un manquement à la réglementation et aux normes d'hygiène soit caractérisé, de sorte que le fromager doit normalement s'attendre à recevoir du lait contenant des bactéries, étant précisé que la distinction introduite par les sociétés MMA et la fromagerie entre les bactéries pathogènes et les autres est inopérante ; l'obligation de respecter des critères microbiologiques imposant l'absence de salmonelles dans un échantillon de 25 g de fromage au lait cru pèse sur le producteur de fromage qui est tenu d'une obligation de résultat, et non sur le producteur laitier qui n'est tenu que d'une obligation de moyens et pour lequel il existe une tolérance quant à la présence de germes dans le lait cru ; seul peut être qualifié de défectueux un lait dont la teneur en bactéries dépasse les seuils réglementaires et qui a été récolté sur des animaux non sains au sens de la réglementation ; or, les intimées ne démontrent aucune contamination supérieure aux normes en vigueur ni aucun manquement de l'éleveur à ses obligations quant à la surveillance de son troupeau et au respect des règles d'hygiène ;

- sur le lien de causalité, s'il n'est pas contesté que la bactérie qui a été à l'origine du retrait de la vente des fromages a le même génome que celle trouvée dans les analyses du GAEC, force est de constater qu'eu égard à l'obligation de la fromagerie de contrôler la qualité du lait avant toute transformation, aucun préjudice n'aurait été causé à la fromagerie si elle avait respecté la réglementation en vigueur ; le tribunal a retenu à bon droit une faute de la fromagerie pour ne pas avoir contrôlé le lait, mais a retenu de manière erronée un partage de responsabilité entre le GAEC et la fromagerie, alors qu'il convient de retenir intégralement la faute de la fromagerie ;

- sur le fondement de l'article 1245-10, 4° et 5°, du code civil, le GAEC doit être exonéré de toute responsabilité, puisque la contamination du lait est inévitable, qu'en l'état des connaissances techniques et scientifiques, il ne lui était pas possible de déceler l'existence d'un défaut dans le lait et que la charte de production du reblochon lui impose de fournir un lait le plus rapidement possible, dans des délais ne permettant pas de procéder à une analyse bactériologique.

Réponse de la cour

L'article 1245 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable au litige, dispose que le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime.

Aux termes de l'article 1245-3 du même code, un produit est défectueux au sens du présent chapitre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.

Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.

Un produit ne peut être considéré comme défectueux par le seul fait qu'un autre, plus perfectionné, a été mis postérieurement en circulation.

Enfin, conformément à l'article 1245-8, le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage. Dès lors, il lui incombe d'établir, outre que le dommage est imputable au produit incriminé, que celui-ci est défectueux, cette preuve pouvant être rapportée par des présomptions pourvu qu'elles soient graves, précises et concordantes.

En l'espèce, s'agissant de la preuve du dommage, il est établi et non contesté que les reblochons fabriqués avec les collectes de lait effectuées du 20 au 27 septembre 2017 se sont révélés impropres à la consommation en raison d'une contamination à la bactérie salmonelle et qu'ils ont dû être détruits.

La société Groupama ne conteste pas que la bactérie à l'origine du retrait de la vente des fromages a le même génome que celle trouvée dans les analyses du GAEC.

Il ressort en effet du procès-verbal de constatations relatives aux causes et circonstances et à l'évaluation des dommages signé par les experts des sociétés MMA et Groupama que :

- le 27 septembre 2017, dans le cadre du plan de contrôle de routine sur reblochons, les analyses correspondant aux cuves de fabrication 5 et 7 (issues du tank de stockage n° 2), pour la fabrication du 21 septembre 2017, se sont révélées positives à la recherche de salmonelles,

- l'analyse des échantillons de tous les producteurs du tank n° 2 a permis d'identifier le producteur n° 46, à savoir le GAEC, seul positif à la recherche de salmonelles,

- le lait du GAEC était positif pour les collectes du 20 au 27 septembre 2017,

- le sérotypage de salmonelles a mis en évidence la présence de Salmonella Enteritidis dans les reblochons fabriqués du 18 au 28 septembre 2017 et dans le lait du GAEC,

- les fromages contaminés ont été contradictoirement dénombrés dans la chambre de stockage de la fromagerie, avec un poids net d'environ 31'120 kg de fromages à détruire.

S'agissant du caractère défectueux de ce lait, la cour a rappelé plus avant qu'il résulte de l'article 1245-3 du code civil qu'un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et que dans l'appréciation de ce critère, il doit être tenu compte notamment de l'usage qui peut être raisonnablement attendu du produit.

En l'espèce, l'usage qui pouvait être raisonnablement attendu du lait vendu par le GAEC à la fromagerie est sa transformation en reblochons au lait cru destinés à être mis sur le marché et consommés par des consommateurs. Il en résulte que la contamination du lait par une bactérie pathogène du genre salmonelle, dont il ressort du préambule du règlement (CE) n° 2073/2005 de la Commission du 15 novembre 2005 concernant les critères microbiologiques applicables aux denrées alimentaires (considérant n° 16) que la présence dans le lait non pasteurisé et certains produits à base de lait non pasteurisé est susceptible de « présenter un risque élevé pour la santé publique », constitue un défaut au sens de l'article 1245-3 précité, en ce que cette contamination n'offre pas la sécurité à laquelle l'acquéreur et le sous-acquéreur peuvent légitimement s'attendre dans le cadre de l'opération de transformation du lait en reblochons au lait cru puis de consommation de ceux-ci.

La société Groupama n'est pas fondée à arguer d'une absence de réglementation applicable au lait destiné à la fabrication de fromages et à soutenir que l'obligation de respecter des critères microbiologiques imposant l'absence de salmonelles dans un échantillon de 25 g de fromage au lait cru pèse sur le seul producteur de fromage, à l'exclusion du producteur laitier, alors que le règlement (CE) précité, qui énonce, en son annexe I, que les fromages mis sur le marché fabriqués à partir de lait cru ne doivent contenir aucune salmonelle dans un échantillon de 25 g, précise, en son article 3, que les mesures nécessaires à assurer le respect des critères microbiologiques pertinents établis à l'annexe I doivent être prises par les exploitants du secteur alimentaire à tous les stades de la production, de la transformation et de la distribution des denrées alimentaires, ce dont il résulte que le producteur de lait cru utilisé pour la fabrication de fromages au lait cru est tenu, au même titre que le producteur de fromages, de prendre les mesures utiles au respect des critères de sécurité des denrées alimentaires.

C'est encore vainement que la société Groupama allègue l'absence de preuve d'un manquement du GAEC aux normes d'hygiène pour contester le caractère défectueux du lait, dès lors qu'il résulte des articles 1245-9 et 1245-10 du code civil que la responsabilité du producteur est une responsabilité de plein droit et qu'il peut être responsable du défaut alors même que le produit a été fabriqué dans le respect des règles de l'art ou de normes existantes ou qu'il a fait l'objet d'une autorisation administrative.

Il ne saurait être retenu que le lait porte en lui une présomption de contamination et qu'il appartient à la fromagerie de contrôler la qualité du lait avant toute transformation afin d'écarter les laits à risques en amont de la production, alors que le cahier des charges de l'appellation d'origine protégée auquel elle est soumise, impose à la fromagerie de procéder à l'emprésurge du lait dans un délai maximum de 24 heures après la traite la plus ancienne, de sorte qu'elle ne peut attendre les résultats d'analyse des échantillons de lait avant de démarrer la production des fromages.

C'est à tort que le tribunal a procédé à un partage de responsabilité par moitié entre le GAEC et la fromagerie, au motif que s'il est exact que le délai de 24 heures ne peut être respecté avec des analyses préalables, cette contrainte est inhérente aux produits fabriqués par la fromagerie avec du lait cru et que le producteur n'a pas à en supporter seul la charge. En effet, alors qu'en application de l'article 1245-12 du code civil, la responsabilité du producteur ne peut être réduite ou supprimée, compte tenu de toutes les circonstances, que lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime ou d'une personne dont la victime est responsable, aucune faute n'est établie, en l'espèce, à l'encontre de la fromagerie.

Le jugement est donc infirmé en ce qu'il a procédé à un partage de responsabilité par moitié.

La société Groupama soutient enfin qu'en application de l'article 1245-10, 4° et 5°, du code civil, le GAEC doit être exonéré de toute responsabilité, aux motifs que la contamination du lait est inévitable, qu'en l'état des connaissances techniques et scientifiques, il ne lui était pas possible de déceler l'existence d'un défaut dans le lait et que la charte de production du reblochon lui impose de fournir un lait le plus rapidement possible, dans des délais ne permettant pas de procéder à une analyse bactériologique.

Selon l'article 1386-11 du code civil, devenu 1245-10, le producteur est responsable de plein droit à moins qu'il ne prouve :

[...]

4° Que l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n'a pas permis de déceler l'existence du défaut ;

5° Ou que le défaut est dû à la conformité du produit avec des règles impératives d'ordre législatif ou réglementaire.

En premier lieu, il résulte de ce texte que le caractère prétendument inévitable de la contamination n'est pas une cause d'exonération de la responsabilité du producteur.

En deuxième lieu, il est faux de prétendre que la présence de salmonelles dans le lait livré par le GAEC est due à la conformité de ce lait à la charte de production du reblochon, étant observé au surplus que cette charte n'est pas une règle impérative d'ordre législatif ou réglementaire.

En troisième lieu, alors que la cause d'exonération tirée de l'état des connaissances scientifiques et techniques doit faire, comme tous les cas d'exonération de la responsabilité du producteur limitativement énumérés à l'article 7 de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des états membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, l'objet d'une interprétation stricte, force est de considérer que l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où le GAEC a mis le lait en circulation, permettait de déceler l'existence d'une contamination à la salmonelle, et que l'absence de dépistage bactériologique systématique du lait n'a pas pour cause l'état des connaissances scientifiques et techniques mais des contraintes économiques et de respect de la charte de production du reblochon.

Au vu de ce qui précède, il convient de retenir que le lait livré par le GAEC est à l'origine de la contamination des reblochons à la salmonelle, que cette contamination constitue un défaut au sens de l'article 1245-3 du code civil, que le lien de causalité entre le produit défectueux et l'atteinte de 31'120 kg de reblochon est établi et que le GAEC ne peut se prévaloir d'une cause d'exonération de responsabilité.

3. Sur les demandes indemnitaires

Les sociétés MMA et la fromagerie font valoir que :

- l'évaluation du préjudice subi par la fromagerie à la somme de 193'679,09 euros ayant été faite contradictoirement par les deux experts des assureurs, elle est opposable à la société Groupama, aucun point de désaccord n'ayant été consigné par son expert lors de la réunion;

- les sociétés MMA rapportant la preuve de leur qualité de subrogées, et donc de leur qualité à agir, la société Groupama doit être condamnée à leur payer la somme de 174'850,03 euros en indemnisation de leur entier préjudice ;

- la fromagerie subit un préjudice propre correspondant au reliquat des frais non couverts par son assurance, soit la somme de 18'829,06 euros correspondant au montant de la franchise contractuelle (10'000 euros), aux frais de destruction des produits non garantis (4 725,06 euros) et aux frais kilométriques (4 104 euros).

La société Groupama réplique que :

- l'évaluation des dommages versée aux débats, bien que signée par son expert, ne vaut pas reconnaissance d'un préjudice indemnisable, le chiffrage contradictoire du préjudice n'empêchant pas la contestation juridique du bien-fondé de la réclamation ;

- aux termes de l'article 1245-12 du code civil, la responsabilité du producteur peut être réduite voire supprimée, lorsque le dommage a été causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime ; en l'espèce, l'ampleur du dommage résulte de l'absence de contrôle des matières premières en amont du processus de fabrication et du mélange des laits provenant de diverses exploitations, avec pour effet que lorsqu'une exploitation est contaminée, ce sont plusieurs milliers de litres de lait qui sont contaminés ;

- il résulte de l'article 1245-1 du code civil et de la jurisprudence de la Cour de cassation que la responsabilité ne s'étend pas au produit défectueux lui-même et aux préjudices économiques découlant de cette atteinte ; dès lors, les réclamations suivantes ne sauraient être entièrement indemnisées : achat du lait, coût de transformation, coût de transport supplémentaire, frais d'analyse, charges d'exploitation, destruction y compris transport ;

- le préjudice résultant du retrait et de la destruction des fromages doit encore être limité parce que le lait isolé a été réutilisé après pasteurisation et a servi à faire des produits dont la marge est supérieure à celle réalisée avec les fromages détruits ;

- la somme de 500 euros fixée par l'article 1245-1 du code civil doit être déduite de la réclamation, cette somme n'étant pas indemnisable.

Réponse de la cour

Les sociétés MMA et la fromagerie demandent la condamnation de la société Groupama à leur payer la somme totale de 193'679,09 euros, ainsi décomposée :

achat du lait (facture septembre 2017) 124'224,93 €

coût de transformation (facture septembre 2017) 30'013,12 €

indemnités kilométriques 3 104,00 €

frais d'analyse (Lidal et interne) 3 794,12 €

charges d'exploitation 8 817,86 €

destruction 4 725,06 €.

Les sociétés MMA produisent une quittance de règlement de sinistre par laquelle la fromagerie reconnaît avoir reçu la somme de 174'850,03 euros « en règlement de l'indemnité définitive et pour solde de tout compte au titre du contrat 141 043 191 et correspondant aux frais garantis et exposés suite à la livraison de lait contaminé par des salmonelles entre le 20 et le 27/09/2017 par le GAEC [...] », franchise de 10'000 euros déduite, et les subroge dans tous ses droits et actions.

Ainsi qu'il a été rappelé plus avant, selon l'article 1245-12 du code civil, la responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée, compte tenu de toutes les circonstances, lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime.

En l'espèce, il a été retenu qu'aucune faute ne peut être reprochée à la fromagerie en raison de l'absence de contrôle des matières premières en amont du processus de fabrication, cette absence résultant du respect du cahier des charges de l'appellation d'origine protégée auquel la fromagerie et le GAEC sont soumis.

Par ailleurs, si la mise en commun et le mélange du lait du GAEC avec ceux d'autres membres de la coopérative a conduit à une aggravation du dommage, ce mélange n'a pas causé le dommage qui résulte exclusivement de la contamination du lait fourni par le GAEC, lequel a contaminé l'ensemble de la production de reblochons.

La société Groupama ne rapportant pas la preuve qui lui incombe que l'une des fautes alléguées à l'encontre de la fromagerie serait la cause, même partielle, du dommage que celle-ci a subi, il n'y a pas lieu de faire application de l'article précité et de réduire ou supprimer la responsabilité du producteur.

Selon l'article 1245-1 du code civil, la responsabilité du fait des produits défectueux s'applique à la réparation du dommage résultant d'une atteinte à la personne et du dommage supérieur à un montant déterminé par décret, qui résulte d'une atteinte à bien autre que le produit défectueux lui-même.

Il résulte de ce texte que ce régime de responsabilité ne s'applique pas à la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte au produit défectueux lui-même et aux préjudices économiques découlant de cette atteinte.

En conséquence, les appelantes ne sont pas fondées à solliciter, sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux, le remboursement de la facture d'achat du lait pour 124'224,93 euros.

En revanche, les autres préjudices, qui sont consécutifs à l'atteinte aux fromages produits et non au lait lui-même, sont indemnisables. L'évaluation des préjudices ouvrant droit à réparation en application du régime de responsabilité des produits défectueux ayant été effectuée contradictoirement par les experts des deux assureurs, la société Groupama n'est pas fondée à la contester.

Au vu de ce qui précède et compte tenu de la franchise de 500 euros fixée par le décret n° 2005-113 du 11 février 2005 pris pour l'application de l'article 1386-2 du code civil, il y a lieu, par infirmation du jugement déféré, de condamner la société Groupama à payer :

- aux sociétés MMA la somme de 174'850,03 € - 124'224,93 € - 500 € = 50'125,10 euros,

- à la fromagerie la somme de 18'829,06 euros, correspondant au montant de sa franchise contractuelle et aux frais kilométriques et de destruction des produits non couverts par sa garantie.

4. Sur les demandes accessoires

Compte tenu de la solution donnée au litige en cause d'appel, il convient d'infirmer le jugement en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et de le confirmer s'agissant des dépens de première instance.

La société Groupama, partie perdante au principal, est condamnée aux dépens d'appel. Elle est encore condamnée à payer aux sociétés MMA la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'elles ont dû engager tant en première instance qu'en appel.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement déféré, sauf en ses dispositions relatives à l'exécution provisoire et aux dépens de première instance,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Déclare recevable l'action des sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD SA,

Condamne la société Groupama Rhône-Alpes Auvergne à payer aux sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD SA la somme de 50'125,10 euros,

Condamne la société Groupama Rhône-Alpes Auvergne à payer à la société Fromageries Chabert la somme de 18'829,06 euros,

Condamne la société Groupama Rhône-Alpes Auvergne à payer aux sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD SA la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Groupama Rhône-Alpes Auvergne aux dépens d'appel.