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Décisions

CA Rennes, 9e ch. de la securite soc., 29 novembre 2023, n° 21/05453

RENNES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Urssaf de Bretagne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Serrin

Conseillers :

Mme Pujes, Mme Prual

Avocat :

Me Broustail

TGI Rennes, du 11 déc. 2019, n° 15/00085

11 décembre 2019

EXPOSÉ DU LITIGE : 

Le 5 septembre 2013, la société [3] (la société) a été destinataire d'un avis de contrôle émanant de l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales Bretagne (l'URSSAF), devant s'effectuer dans ses locaux les 8 et 9 octobre 2013, dans le cadre d'une vérification de l'application des législations de sécurité sociale, d'assurance chômage et AGS.

A la suite de ces vérifications, la société s'est vu notifier une première lettre d'observations du 2 décembre 2013 pour un rappel de cotisations et contributions de sécurité sociale, d'assurance chômage et d'AGS d'un montant de 50 064 euros, portant sur deux chefs de redressement :

- travail dissimulé avec verbalisation - dissimulation d'emploi salarié : assiette réelle ;

- annulation des réductions Fillon suite au constat de travail dissimulé.

Cette lettre mentionne comme date de fin de contrôle le 1er décembre 2013.

Parallèlement, un procès-verbal a été transmis au procureur de la République le 26 novembre 2013.

La société s'est vu notifier une seconde lettre d'observations du 5 décembre 2013 pour un rappel de cotisations et contributions de sécurité sociale, d'assurance chômage et d'AGS d'un montant de 7 896 euros, cette lettre mentionnant comme date de fin de contrôle le 6 novembre 2013.

Le 23 décembre 2013, la société a fait valoir ses observations, contestant le redressement résultant de la lettre d'observations du 2 décembre 2013 relative au constat d'un travail dissimulé.

En réponse, le 10 janvier 2014, l'inspecteur a maintenu l'ensemble des redressements tels que notifiés dans la lettre d'observations.

L'URSSAF a notifié une mise en demeure du 20 juin 2014 tendant au paiement des cotisations et des majorations de retard y afférentes, pour un montant de 59 341 euros s'agissant du travail dissimulé.

Contestent le bien-fondé du redressement, la société a saisi la commission de recours amiable le 17 juillet 2014, laquelle a rejeté ses demandes lors de sa séance du 20 novembre 2014.

Elle a alors porté le litige devant le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Ille-et-Vilaine le 21 janvier 2015.

Par jugement du 11 décembre 2019, ce tribunal devenu le pôle social du tribunal de grande instance de Rennes a :

- constaté la régularité de la procédure de contrôle ;

- confirmé le bien-fondé du redressement opéré au titre du travail dissimulé ;

- débouté la société de ses demandes ;

- confirmé la décision de la commission de recours amiable du 20 novembre 2014 ;

- condamné la société au paiement de la somme de 24 572 euros au titre de la dissimulation d'emploi-assiette réelle ;

- dit que l'URSSAF procédera à un nouveau calcul concernant l'annulation des réductions Fillon ;

- condamné la société au paiement du montant des annulations des réductions Fillon ainsi calculées ;

- dit que l'URSSAF procédera à un nouveau calcul des majorations de retard et a condamné la société au paiement de celles-ci ;

- condamné la société à payer à l'URSSAF la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par déclaration adressée le 23 décembre 2019, la société a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 13 décembre 2019.

Appelée à l'audience de mise en état du 17 juin 2021, l'affaire a fait l'objet d'une radiation par mention au dossier, emportant son retrait du rôle des affaires en cours.

Le 28 juillet 2021, la société en a sollicité la réinscription.

Par ses écritures parvenues au greffe par le RPVA le 2 novembre 2022, auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, la société demande à la cour au visa des dispositions des articles 14 du code de procédure civile, L. 8221-6 du code du travail, L. 243-7, L. 311-1, L. 311-2, L. 311-11, R. 243-59 et R. 243-59-3 du code de la sécurité sociale :

- de la recevoir dans son appel et l'y déclarer bien fondée ;

A titre préliminaire,

- de constater que comme le tribunal, la cour ne peut pas trancher un litige portant sur la qualification des relations de travail la liant à M. [Z] sans que ce dernier ait été mis en cause, et rectifier le jugement du 11 décembre 2019 qui a positionné à tort M. [Z] comme « défendeur » aux cotés de l'URSSAF ;

Statuant à nouveau après annulation ou infirmation du jugement entrepris,

A titre principal,

- de dire et juger inexistants et privés d'effet le contrôle déclaré achevé le 1er décembre 2013 ainsi que la réclamation d'une somme totale passée de 50 064 euros (24 572 euros en cotisations + 25 492 euros en reprise d'exonérations) à 27 714 euros (24 572 euros en cotisations + 3 142 euros en reprise d'exonérations) notifiée par mise en demeure du 19 juin 2014, réclamation légalement impossible que ce soit sur le fondement du procès-verbal de travail dissimulé ou sur le terrain d'une simple « requalification en salarié » ;

A titre subsidiaire,

- de dire et juger nuls et de nul effet le contrôle déclaré achevé le 1er décembre 2013 ainsi que la réclamation d'une somme totale en principal passée de 50 064 euros (24 572 euros en cotisations + 25 492 euros en reprise d'exonérations) à 27 714 euros (24 572 euros en cotisations + 3 142 euros en reprise d'exonérations) notifiée par mise en demeure du 19 juin 2014, pour confusion quant aux règles applicables dans le cadre de la procédure de vérification de droit commun adoptée, et non-respect de celles-ci ;

A titre très subsidiaire,

- de dire et juger nulle, comme mal fondée en ce qui concerne le renversement de la présomption de non-salariat, la réclamation d'une somme totale en principal passée de 50 064 euros (24 572 euros en cotisations + 25 492 euros en reprise d'exonérations) à 27 714 euros (24 572 euros en cotisations + 3 142 euros en reprise d'exonérations) notifiée par mise en demeure du 19 juin 2014 ;

En tout état de cause :

- de donner acte à l'URSSAF du recalcul de la reprise des « allégements Fillon » au titre des dispositions de l'article L. 133-4-2, III et IV nouveaux du code de la sécurité sociale, soit 3 142 euros au lieu de 25 492 euros ;

- d'enjoindre à l'URSSAF de procéder à la radiation du privilège inscrit au greffe du tribunal de commerce ;

- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée au versement d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de condamner l'URSSAF au versement d'une somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de débouter l'URSSAF de toute demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ses écritures parvenues au greffe 30 janvier 2023, auxquelles s'est référée et qu'a développées sa représentante à l'audience, l'URSSAF demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions ;

- prononcer le quantum du redressement à la somme de 27 714 euros au titre des cotisations, somme à laquelle devra s'ajouter les majorations de retard complémentaires dont le calcul reste à parfaire ;

- condamner la société au paiement de cette somme assortie des majorations de retard complémentaires dont le montant reste à parfaire ;

- condamner la société au paiement de la somme supplémentaire de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rejeter les demandes et prétentions de la société.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions susvisées.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

1 -Sur la mise en cause de M. [Z] :

S'il est exact que la cour est saisie d'un litige portant sur la qualification des relations de travail liant la société à M. [Z] et que, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation (2e Civ., 7 avril 2022, pourvoi n° 20-21.622), ce dernier a été appelé à la cause en première instance et mentionné à juste titre en qualité de défendeur sur la décision rendue, il y a lieu cependant de noter que la société, dans sa déclaration d'appel, n'a pas intimé M. [Z].

La mention "en présence de M. [Z]" figurant sur cette déclaration d'appel n'a pas de valeur juridique.

L'article 554 du code de procédure civile ne prévoit l'intervention forcée en cause d'appel que s'agissant de personnes qui n'ont été ni parties ni représentées en première instance.

Dès lors, faute pour la société d'avoir régularisé un appel à l'encontre de M. [Z] dans le délai d'appel, toute demande de ce chef, quelle que soit la manière dont elle est formulée par la société dans ses écritures, est irrecevable.

2 - Sur l'absence de condamnation pénale préalable :

Au visa de l'article L. 8221-6 du code de la sécurité sociale, la société fait valoir que lorsque la 'requalification comme salarié' concerne une personne bénéficiant de la présomption de travailleur indépendant, le donneur d'ordre n'est susceptible d'un redressement qu'à la condition d'avoir été condamné pénalement pour travail dissimulé au vu de la preuve d'une situation de subordination juridique permanente (élément matériel) et délibérée (élément intentionnel) ; qu'en l'espèce, le procès-verbal de travail dissimulé a fait l'objet d'un classement sans suite le 13 février 2017.

L'URSSAF réplique à juste titre que l'article L. 8221-6 susvisé ne conditionne pas le recouvrement des cotisations à une condamnation pénale préalable du donneur d'ordre mais précise que dès lors que le donneur d'ordre a fait l'objet d'une condamnation pénale, celui-ci est redevable des cotisations éludées.

C'est le sens des arrêts cités par l'URSSAF (2e Civ., 31 mai 2018, pourvoi n° 17-18.142, 2e Civ., 12 mars 2020, pourvoi n° 18-21.648, en présence d'une relaxe) aux termes desquels le juge de la sécurité sociale ne peut que tenir compte d'une décision pénale définitive intervenue en matière de travail dissimulé, quelle qu'elle soit.

Par ailleurs, la Cour de cassation a jugé que si la recherche des infractions constitutives de travail illégal mentionnées à l'article L. 8211-1 du code du travail est soumise, pour le recouvrement des cotisations qui en découle, à la procédure prévue par l'article R. 133-8 du code de la sécurité sociale, ces dispositions ne font pas obstacle à ce qu'un organisme de recouvrement procède, dans le cadre d'un contrôle de l'application de la législation de sécurité sociale par les employeurs et les travailleurs indépendants prévu par l'article L. 243-7 du code de la sécurité sociale, à la recherche des infractions susmentionnées aux seules fins de recouvrement des cotisations afférentes (2e Civ., 7 novembre 2019, pourvoi n° 18-21.947).

En l'espèce, en présence d'un classement sans suite au pénal, il appartient à la juridiction sociale de se prononcer sur le bien-fondé du redressement opéré par l'URSSAF avec pour finalité le recouvrement de cotisations sociales.

Aucune nullité de la mise en demeure et du redressement ne saurait en conséquence être retenue de ce chef comme le soutient la société, ce moyen est inopérant.

3 - Sur les moyens de nullité de la procédure de contrôle :

L'URSSAF rappelle à bon droit que la lutte contre le travail dissimulé, par les agents de l'URSSAF peut emprunter deux voies distinctes :

- la première qui s'inscrit dans le cadre d'un contrôle classique que l'organisme peut opérer sur le fondement de l'article L. 243-7 du code de la sécurité sociale et qui peut conduire les agents à procéder à un redressement des cotisations et contributions en raison d'un travail dissimulé ;

- la seconde qui découle des dispositions des articles L. 8872-1 et suivants du code du travail qui habilite les agents de l'URSSAF à directement rechercher et constater des infractions en matière de travail illégal qui comprend le travail dissimulé.

En l'espèce, une vérification de l'application des législations de sécurité sociale, d'assurance-chômage et de garantie des salaires AGS a été diligentée auprès de la société pour la période du1er janvier 2010 au 31 décembre 2012 et au vu des pièces consultées, des investigations complémentaires ont été réalisées dans le cadre de la recherche des infractions aux interdictions de travail dissimulé mentionné aux articles L. 8221-1 et L. 8221-2 du code du travail, sur la même période.

La chronologie des opérations est la suivante :

- un avis de contrôle a été adressé à la société le 5 septembre 2013 (pièce n° 1 de la société) en vue d'un contrôle comptable d'assiette ;

- ce contrôle a été clôturé le 6 novembre 2013 ;

- des investigations complémentaires ont été menées par l'inspectrice au titre de la recherche d'un travail dissimulé entre le 6 novembre 2013 et le 1er décembre 2013, date de clôture de ce second contrôle en sollicitant du comptable de la société d'autres documents que ceux qu'elle avait déjà consultés et notamment les factures des prestations ;

- l'URSSAF a notifié à la société une lettre d'observations opérant un redressement au titre du travail dissimulé le 2 décembre 2013 ; parallèlement, un procès-verbal a été rédigé et transmis au procureur de la république ;

- l'URSSAF a notifié à la société une seconde lettre d'observations le 5 décembre au titre du contrôle comptable d'assiette.

Il en résulte que l'URSSAF a bien opéré deux contrôles : un contrôle comptable d'assiette dans lequel s'est inséré un contrôle pour travail dissimulé, régi par les dispositions des articles L. 8872-1 et suivants du code du travail, et non deux contrôles de 'droit commun' comme le soutient à tort la société.

Il s'ensuit que les moyens soulevés par la société qui tendent à démontrer que le contrôle pour travail dissimulé est irrégulier comme étant un second contrôle réalisé en application de l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale sont totalement inopérants.

Il y a lieu de rejeter les moyens de nullité soulevés.

4 - Sur le bien-fondé du redressement pour travail dissimulé et ses conséquences sur les autres chefs de redressement :

Aux termes de la lettre d'observations, l'inspectrice a établi les constats et raisonnement suivants :

Dans le cadre du contrôle comptable d'assiette de la société [3], il a été constaté le recours à un agent commercial, M. [Z] [T], dans le domaine de la commercialisation de maisons individuelles sur la période d'avril 2010 à septembre 2011.

Ce dernier est rémunéré sous forme de commissions pour ses prestations.

Les conditions d'exercice de son activité sont les suivantes :

- le contrat d'agent commercial conclu avec la société précise que M. [Z] exercera cette représentation en qualité de mandataire exclusif de la société [3] (article 1) ;

- le contrat est conclu pour une durée indéterminée à compter du 1er avril 2010 (article 2) ;

- le contrat prévoit une période de préavis préalable à la rupture du contrat (article 2) ;

- le contrat prévoit une période d'essai égale aux trois premiers mois du contrat (article 2) ;

- le contrat prévoit que M. [Z] s'engage à fournir à la société un compte rendu et des rapports hebdomadaires indiquant le nom, l'adresse des clients visités, la date de la visite (article 4) ;

- M. [Z] vend les produits conformément au prix de vente indiqué par la société (article 5) ;

- le matériel et la documentation confiés à M. [Z] restent la propriété de la société et devront lui être restitués en cas de rupture du contrat (article 4) ;

- en contrepartie de son travail, M. [Z] perçoit une commission fixe égale à 5 % du montant hors taxes des travaux facturés au client (article 6) ;

- le contrat prévoit une clause de non-concurrence qui s'appliquera pendant une durée d'un an à compter de la rupture du contrat (article 9).

De plus, sur les devis réalisés par M. [Z] figurent l'en-tête "[3]", nom commercial de la société [3], et son statut « conseiller commercial ». M. [Z] recevait les clients au siège de la société.

La société n'a pas vérifié le numéro d'immatriculation au registre des agents commerciaux de M. [Z].

M. [Z] s'est immatriculée auprès de l'URSSAF avec pour seule activité « agent commercial dans le domaine de la commercialisation de maisons neuves ».

Enfin, M. [Z] était recruté sous statut salarié dans deux autres sociétés pour effectuer le même travail (commercialisation de maisons neuves) avant son arrivée au sein de la société.

Il est aussi noté que M. [Z] a été la seule personne recrutée sous ce statut alors que les conditions d'exercice de son activité sont les mêmes que celles des autres commerciaux VRP salariés de la société.

Il ressort de la procédure un recours au statut de travailleur indépendant en ce qui concerne les prestations effectuées par M. [Z] [T].

Ce dernier doit être considéré comme un salarié.

Cette fiction juridique permet au donneur d'ordre d'échapper aux obligations liées au statut d'employeur (réglementation du travail en général), de bénéficier d'une souplesse maximum dans la gestion du personnel (embauche, licenciement, horaires, congés), d'acquérir des facilités de trésorerie en échappant au versement de charges sociales.

En effet, le faux travailleur indépendant doit s'entendre comme une relation entre un employeur et un salarié qui est dissimulée sous l'apparence d'une fiction juridique de sous-traitance.

L'employeur se présente comme un donneur d'ordre qui a recours aux services d'un « travailleur indépendant ».

L'examen des conditions réelles d'activité peut permettre l'assujettissement en vertu de l'article L. 311-3 du code de la sécurité sociale. La jurisprudence a jugé à plusieurs reprises que, lorsque les conditions d'exercice démontrent un lien de subordination, il convient de les assujettir au régime général.

Les dispositions du droit du travail et de la sécurité sociale ont un caractère d'ordre public qui s'oppose à toute volonté de s'y soustraire par des moyens artificiels visant à éluder les règles de protection sociale des travailleurs.

L'activité de M. [Z] doit être requalifiée en tant que salarié en vertu de l'article L. 311-2 du code de la sécurité sociale.

En droit, il s'agit, après requalification des relations contractuelles, d'une dissimulation d'emploi salarié.

Les sommes relevées sur les factures sont réintégrées dans l'assiette des cotisations après reconstitution des sommes en brut.

Si l'URSSAF fait grief à la société d'avoir travaillé avec M. [Z] sous un faux statut de travailleur indépendant, pour autant ce n'est pas la procédure d'abus de droit qu'elle a mise en œuvre dès lors qu'elle s'est attachée à renverser la présomption de non-salariat résultant du statut de travailleur indépendant.

Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné, le travail au sein d'un service organisé pouvant constituer un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail. (2e Civ., 8 octobre 2020, pourvoi n° 19-16.606 ; 2e Civ., 17 février 2022, pourvoi n° 20-19.493).

Selon l'article L. 311-11, alinéa 1, du code de sécurité sociale, les personnes physiques mentionnées à l'article L. 8221-6, I, du code du travail, dans sa rédaction applicable à la date d'exigibilité des cotisations litigieuses, ne relèvent du régime général de la sécurité sociale que s'il est établi que leur activité les place dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard d'un donneur d'ordre.

Dès lors, il appartient à l'organisme du recouvrement qui entend procéder à la réintégration des sommes versées par un donneur d'ordre à une personne physique bénéficiant de la présomption de non-salariat, de rapporter la preuve de ce lien de subordination juridique. (2e Civ., 24 juin 2021, pourvoi n° 20-13.944).

L'existence d'une relation de travail salariée ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité professionnelle.

Si le lien de subordination est l'élément décisif et s'il appartient au juge de le détecter à la lumière des pouvoirs de direction, de contrôle et de sanction mis en œuvre par l'employeur, la seule intégration à un service organisé est impropre à caractériser l'existence d'un lien de subordination s'il n'apparaît pas que le travailleur indépendant est soumis par ailleurs au pouvoir de direction, de contrôle et de sanction de l'employeur prétendu.

Il n'est pas discuté que M. [Z] était immatriculé au registre spécial des agents commerciaux pour la période en cause.

Force est de constater en l'espèce que les développements de l'inspectrice relayés par l'URSSAF dans ses conclusions sont inopérants s'agissant de démontrer l'exercice d'un travail au sein d'un service organisé selon des conditions déterminées unilatéralement par la société (Soc., 13 avril 2022, n° 20-14.870) et ne permettent pas de retenir que pendant l'exécution des missions, la société disposait du pouvoir de contrôler l'exécution de ses directives et d'en sanctionner les manquements.

L'analyse des conditions effectives de travail n'a été menée par l'inspectrice que par le prisme du contrat d'agent commercial régularisé entre la société et M. [Z]. Ce dernier n'a pas été auditionné ; il n'a pas davantage été destinataire d'un questionnaire.

Or, tous les points du contrat de prestation en litige considérés par l'inspectrice comme des indices d'une relation salariée sont expressément prévus par les articles L. 134-1 et suivants et R. 134-1 et suivants du code de commerce régissant le statut d'agent commercial qui est d'ordre public.

Il en effet légalement possible de prévoir dans ce type de contrat une rémunération variable en fonction du nombre ou de la valeur des affaires comme en l'espèce, une durée de contrat indéterminée, une période d'essai, un préavis en cas de rupture des relations contractuelles, une clause de non-concurrence après la cessation du contrat, la mise à disposition de l'agent commercial de toute documentation utile sur les produits ou services qui font l'objet du contrat, l'autorisation du mandant s'agissant de la représentation d'une entreprise concurrente, la définition d'un secteur géographique.

Est également contenu dans le statut d'agent commercial le fait que les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information ainsi que le fait que le mandant se doit de mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat, ce qui passe par la fourniture de matériels ou de documentation.

Le contrôle usuel de l'exécution de la prestation contractuellement impartie au prestataire, notamment par le biais de compte rendu et des rapports hebdomadaires, ne suffit pas à caractériser le lien de subordination prétendu.

Par ailleurs, la situation de dépendance économique n'a jamais été reconnue comme un indice à lui seul suffisant pour établir la relation salariée. Le contrat régularisé entre la société et M. [Z] prévoit la possibilité pour ce dernier de signer un contrat d'agent commercial avec une autre société qui n'exerce pas une activité dans la construction de maisons individuelles ou la rénovation. L'exclusivité relevée par l'inspectrice est ainsi limitée au secteur d'activité concerné, ce que le statut d'agent commercial permet.

Il importe peu que M. [Z] avait été recruté sous statut salarié dans deux autres structures identiques pour effectuer le même travail avant son arrivée au sein de la société.

Il n'est pas non plus singulier, compte tenu de la nature des missions dévolues à M. [Z], que sur les devis réalisés par ses soins figurent en en-tête "[3]", qu'il reçoive parfois les clients au siège de la société et que les prix et conditions de vente de la société soient appliqués. En sa qualité de mandataire, les contrats étaient bien entendu signés au nom et pour le compte de la société.

Il n'est en revanche aucunement fait état d'objectifs qui lui auraient été assignés par la société (en chiffre d'affaires réalisé ou en nombre de contacts sur une période de temps donnée), d'horaires et/ou lieu de travail imposés, de rendez-vous clients pris par la société qu'il aurait dû honorer, d'un système d'évaluation (recours à un système de notation, de bonus/malus), le cas échéant assorti de sanctions, de l'obligation de se conformer à certaines méthodes de vente ou d'assister à des formations ou des réunions commerciales.

Dès lors, au vu de l'ensemble de ces éléments, l'URSSAF échoue à caractériser un lien de subordination juridique entre la société et M. [Z], et partant à renverser la présomption de non-salariat.

Le redressement objet de la lettre d'observations du 2 décembre 2013 sera en conséquence annulé dans son intégralité ainsi que la mise en demeure subséquente, le sort du chef n° 2 relatifs à l'annulation des réductions générales de cotisations suite au constat de travail dissimulé étant directement lié à celui du chef n° 1, sans qu'il y ait lieu de s'interroger sur la régularité de la méthode ayant consisté à procéder à une reconstitution de l'assiette en base brute.

Le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions.

5 - Sur les frais irrépétibles et les dépens :

Il n'apparaît pas équitable de laisser à la charge de la société ses frais irrépétibles.

L'URSSAF sera en conséquence condamnée à lui verser à ce titre la somme de 2 500 euros.

S'agissant des dépens, l'article R. 144-10 du code de la sécurité sociale disposant que la procédure est gratuite et sans frais en matière de sécurité sociale est abrogé depuis le 1er janvier 2019.

Il s'ensuit que l'article R. 144-10 précité reste applicable aux procédures en cours jusqu'à la date du 31 décembre 2018 et qu'à partir du 1er janvier 2019 s'appliquent les dispositions des articles 695 et 696 du code de procédure civile relatives à la charge des dépens.

En conséquence, les dépens de la présente procédure exposés postérieurement au 31 décembre 2018 seront laissés à la charge de l'URSSAF qui succombe à l'instance.

PAR CES MOTIFS :

La COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

DÉCLARE irrecevable la demande de la société [3] tendant à la mise en cause de M. [Z] ;

INFIRME le jugement dans toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

PRONONCE l'annulation du redressement objet de la lettre d'observations du 2 décembre 2013 et de la mise en demeure subséquente ;

CONDAMNE l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales Bretagne à verser à la société [3] une indemnité de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales Bretagne aux dépens, pour ceux exposés postérieurement au 31 décembre 2018.