Cass. 3e civ., 23 novembre 2023, n° 22-20.490
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme TEILLER
1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 28 juin 2022), l'office public d'aménagement et de construction de la Savoie (l'OPAC) a confié à M. [P], assuré auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF), la maîtrise d'oeuvre de travaux d'urbanisme d'une zone d'aménagement concerté à Chambéry.
2. M. [P] a sous-traité des études de voirie et réseaux divers à la société Etudes et projets, aux droits de laquelle vient la société par actions simplifiée Artelia ville et transport (la société Artelia), assurée auprès des sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles (les sociétés MMA).
3. A la suite d'affaissements de la voirie, la juridiction administrative a ordonné une expertise, rendue commune à la MAF par ordonnance du 15 avril 2005.
4. Par requête du 22 décembre 2010, l'OPAC a saisi la juridiction administrative au fond pour voir notamment condamner M. [P], la MAF, la société Artelia, la commune de [Localité 7] et la société Eurovia à l'indemniser de son préjudice. La société [P] architectes (la société [P]) a déclaré venir aux droits de M. [P]. La juridiction administrative a condamné la société [P], la commune de [Localité 7] et la société Eurovia à payer diverses sommes à l'OPAC. L'intervention de la société Axa France IARD (la société Axa), assureur de la commune de [Localité 7], a été déclarée non admise. Les demandes de garantie formées par la société [P] contre la société Artelia et la MAF ont été rejetées comme formées devant une juridiction incompétente.
5. Par acte du 5 mars 2010, l'OPAC a assigné son assureur la société Sagena, devant un tribunal de grande instance. Par acte du 3 janvier 2011, la société Sagena a notamment appelé en intervention forcée la société [P] et son assureur la MAF. Par conclusions des 2 et 5 juillet 2012, la MAF a demandé la garantie des sociétés Artelia et MMA.
6. Par ordonnance du 23 octobre 2018, le juge de la mise en état a constaté le désistement de l'OPAC et l'absence d'objet des recours subséquents.
7. Par acte du 29 janvier 2019, la société Axa a notamment assigné la MAF, en sa qualité d'assureur de M. [P] et de la société [P], en paiement de diverses sommes.
8. Par acte du 8 février 2021, la MAF a appelé en garantie les sociétés Artelia et MMA.
Enoncé du moyen
9. La MAF fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite l'action qu'elle a engagée le 8 février 2021, en sa qualité d'assureur tant de M. [P] que de la société [P] contre les sociétés Artelia et MMA et de dire éteinte cette action, alors :
« 1°/ que lorsque l'assureur d'un constructeur assigne l'assureur d'un autre constructeur en paiement de sommes qu'il a payées au titre de la responsabilité de son assuré, le délai de prescription du recours de l'assureur ainsi assigné contre d'autres constructeurs et/ou leurs assureurs commence à courir à compte de cette assignation ; qu'en l'espèce, pour juger prescrite l'action de la MAF qui avait sollicité, par assignation du 8 février 2021, la garantie de la société Artelia et de son assureur pour les sommes réclamées par la société Axa France IARD dans une assignation du 29 janvier 2019 au titre de ce qu'elle avait payé en qualité d'assureur de la commune de [Localité 7], la cour a retenu que le délai de prescription de cette action avait commencé à courir le 15 avril 2005, date à laquelle lui avaient été rendues communes les opérations d'expertises, et qu'il s'était achevé le 18 juin 2013 ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil ;
2°/ que le délai de prescription de l'action d'un constructeur et/ou de son assureur tendant à obtenir la garantie d'un autre constructeur et/ ou de son assureur commence à courir à la date à laquelle le demandeur en garantie a fait l'objet d'une action en paiement ; qu'en l'espèce, la cour a jugé que le point de départ du délai de prescription de l'action de la MAF devait être fixé à la date de l'ordonnance lui ayant rendu communes les opérations d'expertise ; qu'en statuant ainsi, la cour a violé l'article 2224 du code civil ;
3°/ que le point de départ d'une prescription qui a commencé à courir avant l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 ne peut être déterminé au regard de dispositions de l'article 2224 du code civil : qu'en l'espèce, la cour d'appel a estimé que l'ordonnance du 15 avril 2005 ayant étendu l'expertise à la MAF marquait la date à laquelle elle avait eu connaissance des faits permettant d'exercer son action récursoire et que la prescription était acquise le 18 juin 2013 ; qu'en statuant ainsi, elle a violé l'article 2224 du code civil ;
4°/ que des conclusions constituent une demande en justice qui interrompent le délai de prescription jusqu'à l'extinction de l'instance, date à laquelle un nouveau délai commence à courir, l'interruption étant non avenue lorsque le demandeur se désiste de sa demande ; qu'en l'espèce, la cour a jugé que l'acceptation par la MAF du désistement de l'OPAC de Savoie ayant donné lieu à l'extinction de l'instance suivant ordonnance du juge de la mise en état en date du 29 octobre 2018 emportait désistement par la MAF de son appel en garantie formé en qualité d'assureur de la société [P] Architectes, de sorte qu'était non avenu l'effet interruptif des conclusions sollicitant la garantie de la société Artelia et de son assureur prises les 2 et 5 juillet 2012, soit avant le terme du délai de prescription qu'elle a fixé au 18 juin 2013, et que l'appel en garantie exercé par la MAF le 8 février 2021 était prescrit ; que pourtant, la seule acceptation par la MAF du désistement de l'OPAC de Savoie ne pouvait emporter désistement de l'appel en garantie formé contre la société Artelia et son assureur, d'autant qu'il résultait des conclusions par lesquelles elle avait accepté ce désistement qu'elle demandait au juge de la mise en état de dire que la procédure se poursuivrait entre elle, la société [P] Architectes, la société Artelia et son assureur, si bien qu'un nouveau délai de 5 ans pour former un recours en garantie avait commencé à courir à compter de l'ordonnance du 29 octobre 2018 et que l'action ainsi exercée le 8 février 2021 n'était pas prescrite ; qu'en déclarant néanmoins cette action prescrite, la cour d'appel a violé les articles 2224, 2242 et 2243 du code civil. »
Réponse de la Cour
10. Le recours d'un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant relève des dispositions de l'article 2224 du code civil et se prescrit par cinq ans à compter du jour où le premier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer (3e Civ., 16 janvier 2020, pourvoi n° 18-25.915, publié).
11. La demande d'expertise, si elle n'est pas accompagnée d'une demande de reconnaissance d'un droit, ne serait-ce que par provision, ne peut faire courir la prescription de l'action du constructeur ou de l'assureur tendant à être garanti de condamnations en nature ou par équivalent ou à obtenir le remboursement de sommes mises à sa charge en vertu de condamnations ultérieures (3e Civ., 14 décembre 2022, pourvoi n° 21-21.305, publié).
12. Le constructeur auquel la victime des dommages demande en justice la réparation de son préjudice doit former ses actions récursoires contre les autres constructeurs et sous-traitants dans un délai de cinq ans courant à compter de cette demande. Il n'est pas fait exception à cette règle lorsque le recours est provoqué par l'action récursoire d'un autre responsable mis en cause par la victime.
13. La cour d'appel ayant constaté, d'une part, que, par requête du 22 décembre 2010, l'OPAC avait saisi le tribunal administratif pour que soit engagée la responsabilité de M. [P] et de son assureur la MAF et que celle-ci, en cette qualité, n'avait agi en garantie contre les sociétés Artelia et MMA que le 8 février 2021, dès lors que les demandes formées par conclusions des 2 et 5 juillet 2012 l'avaient été par la MAF en sa qualité d'assureur de la société [P] et non de M. [P], elle a exactement retenu que l'action récursoire de la MAF, en sa qualité d'assureur de M. [P], était prescrite.
14. Ayant constaté, d'autre part, que, par acte du 3 janvier 2011, la MAF, en sa qualité d'assureur de la société [P], avait été assignée en garantie par la société Sagena, elle-même recherchée par l'OPAC, et ayant retenu, par une interprétation souveraine de la motivation et des dispositions ambiguës de l'ordonnance du juge de la mise en état du 9 novembre 2021, que la MAF s'était désistée de ses propres demandes reconventionnelles de garantie, de sorte qu'en application de l'article 2243 du code civil, l'interruption résultant des conclusions des 2 et 5 juillet 2012 était non avenue, elle a exactement retenu que l'action récursoire de la MAF, en sa qualité d'assureur de la société [P], était prescrite.
15. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour : REJETTE le pourvoi.