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Décisions

CA Pau, 2e ch. sect. 1, 28 novembre 2023, n° 22/01153

PAU

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Buroteam 64, Landes Bureautique (SAS)

Défendeur :

Aquitaine Expérience Bureautique (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pellefigues

Conseillers :

M. Darracq, Mme Baylaucq

Avocats :

Me Suissa, Me Ledain, Me Mauriac

T. com. Dax, du 15 mars 2022

15 mars 2022

FAITS PROCEDURE - PRETENTIONS et MOYENS DES PARTIES

La société par actions simplifiée Aquitaine Expérience bureautique (AXP bureautique), créée le 22 août 2003, dirigée par M.[L], a pour activité principale la vente, la location et la maintenance de solutions d'impression et de dématérialisation de documents à destination des professionnels.

Cette société fait partie du réseau concessionnaire de distribution des matériels et produits Xerox sur un territoire de référence, mais sans exclusivité, s'étendant à toute la moitié sud du département des Landes.

Les sociétés par actions simplifiée Buroteam 64, créée le 12 février 2014, et Landes bureautique (anciennement IC bureautique), créée le 1er décembre 2018, dirigée par M.[W], filiales de la société S.O Bureautique, exercent une activité similaire à celle de la société AXP bureautique, sur le Sud-Ouest, la première étant également concessionnaire Xerox et la seconde, revendeur de ce même fournisseur.

Par acte d'huissier du 15 juin 2020, le conseil de la société AXP bureautique a mis en demeure la société Buroteam 64 de cesser immédiatement ses actes de concurrence déloyale par démarchage systématique de sa clientèle, discrédit et confusion et en lui réclamant une indemnité transactionnelle forfaitaire de 50.000 euros. 

Par lettre du 24 juin 2020, le conseil de la société Buroteam 64 a contesté les faits dénoncés et s'est opposé à la demande indemnitaire.

Par acte d'huissier du 5 août 2020, le conseil de la société AXP bureautique a réitéré la même mise en demeure à l'égard de la société Landes bureautique.

Par lettre du 18 septembre 2020, le conseil de la société Landes bureautique et de la société Buroteam 64 a maintenu sa contestation.

Suivant exploits du 28 avril 2021, la société AXP bureautique a fait assigner par devant le tribunal de commerce de Dax la société Buroteam 64, la société Landes bureautique, la société Béarn bureautique et la société S.O bureautique en cessation des actes de concurrence déloyale et indemnisation de son préjudice financier d'un montant de 125.319 euros, outre l'indemnisation de son préjudice moral d'un montant de 50.000 euros.

Par jugement contradictoire du 15 mars 2022, auquel il convient expressément de se référer pour un plus ample exposé des faits et des prétentions et moyens initiaux des parties, le tribunal a :

- mis hors de cause les sociétés Béarn bureautique et S.O bureautique.

- dit que la société Buroteam 64 et la société Landes bureautique ont eu un comportement déloyal dans le démarchage des clients de la société AXP bureautique.

- déclaré la société Buroteam 64 et la société Landes bureautique mal fondées en leur demande reconventionnelle et les en a déboutées.

- condamné solidairement la société Buroteam 64 et la société Landes bureautique à payer à la société AXP bureautique la somme de 30.000 euros au titre du préjudice économique.

- débouté la société S.O bureautique et Béarn bureautique de leurs demandes fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

- dit les parties mal fondées pour les autres demandes et les en a déboutées.

- condamné solidairement la société Buroteam 64 et la société Landes bureautique à payer à la société AXP bureautique la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Par déclaration faite au greffe de la cour le 25 avril 2022, la société Landes bureautique et la société Buroteam 64 ont relevé appel de ce jugement contre la société AXP bureautique.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 13 septembre 2023.

Vu les dernières conclusions notifiées le 21 juillet 2022 par la société Buroteam 64 et la société Landes bureautique qui ont demandé à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société AXP bureautique de sa demande au titre d'un préjudice moral et d'image, et de l'infirmer pour le surplus, et, statuant à nouveau, de :

- dire et juger qu'elles n'ont commis aucun acte de concurrence déloyale à l'égard de la société AXP bureautique.

- débouter la société AXP bureautique de l'ensemble de ses demandes.

- condamner la société AXP bureautique à payer à la société Buroteam 64 la somme de 12.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice autonome d'image.

- condamner la société AXP bureautique à payer à la société Landes bureautique la somme de 18.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice autonome d'image.

- condamner la société AXP bureautique à payer, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 3.500 euros à la société Buroteam 64 et celle de 3.500 euros à la société Landes bureautique.

Vu les dernières conclusions notifiées le 21 octobre 2022 par la société AXP bureautique qui a demandé à la cour, au visa des articles 1240 et 1241 du code civil, 699 et 700 du code de procédure civile, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que les sociétés défenderesses avaient eu un comportement déloyal dans le démarchage de ses clients, débouté les défenderesses de leurs demandes reconventionnelles et condamné solidairement les mêmes à lui payer la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et de l'infirmer pour le surplus, et, statuant à nouveau, de :

- débouter les appelantes de leurs demandes.

- condamner solidairement la société Buroteam 64 et la société Landes bureautique à lui payer :

- la somme globale de 124.940 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice économique.

- la somme de 50.000 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice moral.

- la somme de 5.865 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la concurrence déloyale.

Les appelantes font grief au jugement d'avoir retenu leur responsabilité civile pour démarchage abusif des clients de la société AXP bureautique alors que celle-ci ne rapporte pas la preuve ni, d'une part, de la déloyauté de sa concurrence, quand, au contraire, elles ont pratiqué un démarchage parfaitement légitime, usuellement admis entre des entreprises concurrentes évoluant dans le même secteur d'activité, selon le principe constitutionnel de la liberté du commerce et de l'industrie, ni, d'autre part, d'un quelconque lien de causalité des agissements qui leur sont imputés à faute avec le préjudice allégué tenant à la résiliation des contrats à leur terme échu.

L'intimée, appelante incidente, approuve le jugement d'avoir retenu les faits de démarchage abusif de la clientèle facilité par le recrutement en 2018 de son ancien responsable des ventes, en la personne de M. [K] mais lui fait grief d'avoir considéré, pour limiter l'indemnisation de son préjudice, que le détournement n'était pas massif et n'avait pas été précédé ou accompagné de faits de dénigrements par la présentation de propositions tarifaires fallacieuses et la profération de propos malveillants alors que le démarchage systématique de la clientèle et le dénigrement sont établis et directement à l'origine du départ d'une « vingtaine » de clients représentant une perte de marge brute de 102.440 euros HT, outre la perte des primes Xerox pour 7.500 euros ainsi que la perte du chiffre d'affaire des contrats de maintenance pour 15.000 euros.

Cela posé, la concurrence déloyale est caractérisée par l'abus de la liberté d'entreprendre en recourant à des procédés contraires aux règles et aux usages du commerce et à l'honnêteté professionnelle, indépendamment même de toute intention de nuire, occasionnant un préjudice engageant la responsabilité délictuelle de l'auteur sur le fondement des articles 1240 et 1241 du code civil.

En l'espèce, force est de constater que la société AXP bureautique ne rapporte pas la preuve de la déloyauté fautive de ses concurrentes.

En effet, et en premier lieu, il faut constater que les 10 résiliations de contrats sont étalées entre 2019 et 2022, à leur terme échu, et que ce sont 15 clients qui ont rejoint les deux sociétés concurrentes, ce qui, en l'absence d'élément plus précis sur le volume des clients traités et le chiffre d'affaires réalisé par la société AXP bureautique ne permet pas de mesurer l'ampleur concrète du détournement de clientèle allégué.

Ensuite, si les premières remontées des clients ayant fait part de leur étonnement d'être démarchés par un concurrent distribuant le matériel Xerox sont datées de l'année 2018 qui est l'année d'embauche de M. [K], ancien responsable des ventes AXP bureautique entre 2007 et 2012, en qualité de responsable d'agence de la société Buroteam 64, le grief de détournement du fichier clients ou d'informations confidentielles n'est aucunement démontré alors que M. [K], qui avait quitté son employeur six années auparavant, ne disposait d'aucune information actuelle sur la politique commerciale, tarifaire et sociale de celui-ci et que, compte tenu du financement des matériels bureautiques dans le cadre d'un crédit-bail ou d'une location financière d'une durée moyenne de 5 années, il ne disposait pas plus d'information actuelle sur l'état opérationnel de la clientèle de la société AXP bureautique.

Par son expérience passée tirée de sa connaissance du tissu économique et du profil-type de la clientèle professionnelle ayant recours aux prestations bureautiques, M. [K] a ainsi pu mettre à la disposition de son employeur des compétences sur le ciblage de la clientèle Xerox, exclusives de tout déséquilibre concurrentiel au détriment de la société AXP bureautique.

L'évocation par M. [W] du « compte clients » de la société AXP bureautique à la suite de l'embauche de M. [K] s'inscrit dans le cadre de mails polémiques et outranciers entre les deux dirigeants se reprochant mutuellement d'empiéter le territoire de l'autre.

Par ailleurs, au soutien de ses allégations, l'intimée se prévaut essentiellement de sept attestations ou mails de ses clients faisant part de leur désagréable surprise d'avoir été démarchés pour du matériel Xerox dont ils étaient équipés mais dont il ne résulte pas la preuve de faits de nature à faire dégénérer en concurrence déloyale le démarchage réalisé par la société Buroteam 64.

Seuls deux témoins, Mme [P] et Mme [N] évoquent des propos tendant à créer une confusion entre la société Buroteam 64 et la société AXP bureautique, mais, dans une attestation produite par les appelantes, Mme [P] a précisé que M. [W] s'était bien présenté dans ses locaux en tant que directeur de la société Landes bureautique, concurrente de son fournisseur, tandis que les explications de Mme [N], isolées, imprécises - le nom du commercial en cause n'est pas mentionné sont impropres à caractériser le recours à un procédé visant à créer une confusion au détriment de la société AXP bureautique.

Les allégations de propositions tarifaires fallacieuses se limitent à deux propositions versées aux débats, l'une concernant la mairie d'[Localité 7], l'autre M. [S], architecte, et dont l'intimée critique vainement les erreurs de présentation concernant la rubrique « situation actuelle » puisque celle-ci n'a pu être renseignée qu'à partir des informations fournies par le client et que celui-ci était encore en mesure de contrôler l'offre commerciale comparative, de sorte qu'il ne peut être déduit de ces deux documents la preuve d'une volonté de présenter de façon péjorative et erronée les performances et les qualités d'un concurrent afin de tromper le client.

Aucun propos péjoratif ou malveillant ne ressort des attestations versées aux débats, un concurrent étant libre de suggérer qu'il est mieux placé que son concurrent en soutenant qu'il « n'était pas difficile de faire mieux ».

Le jugement a ainsi justement écarté le grief de dénigrement et de vente à perte, guère mieux démontré.

Il faut également constater que, en dépit des plaintes de la société AXP bureautique, la société Xerox n'a pris aucune mesure connue à l'égard de la société Buroteam 64 et de la société Landes bureautique.

Enfin, l'intimée ne peut se faire un quelconque grief du démarchage d'études notariales alors que la société Buroteam 64 ignorait l'accord-cadre conclu entre la société AXP bureautique et la chambre des notaires de Pau pour l'installation de la solution Wooxo et que la fausse allégation d'un prétendu soutien de la chambre des notaires, rapidement recadrée par celle-ci, n'a eu aucune conséquence dommageable pour la société AXP bureautique.

Il résulte des constations qui précèdent que, contrairement à ce qu'a retenu le jugement, même pris dans leur ensemble, les faits dénoncés, ténus, disparates et carencés en preuve, ne peuvent être regardés comme formant des indices graves et concordants caractérisant des actes de concurrence déloyale par démarchage systématique de la clientèle adossé à des pratiques contraires à la liberté du commerce et de l'industrie, les appelantes ayant choisi d'affronter la société AXP bureautique sur son territoire dans le cadre d'une offensive commerciale dont il n'est pas démontré qu'elle aurait dégénéré en abus dommageable.

Par conséquent, le jugement sera infirmé en ce qu'il a dit que la société Buroteam 64 et la société Landes bureautique avaient commis des actes de concurrence déloyale et condamné les mêmes à indemniser la société AXP bureautique.

La société AXP bureautique sera donc déboutée de l'ensemble de ses demandes.

Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts.

Les appelantes font grief à la société AXP bureautique d'avoir donné une large publicité au litige afin de dégrader leur image de marque auprès des clients et prospects et freiner durablement leur progression commerciale.

Mais, les appelantes, qui n'ont versé aucune pièce au soutien de leurs allégations, ne démontrent ni la faute ni la réalité du préjudice qu'elles invoquent.

Par ces motifs, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Landes bureautique et la société Buroteam 64 de leurs demandes reconventionnelles de dommages et intérêts.

La société AXP bureautique sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

Et les parties seront encore déboutées de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Landes bureautique et la société Buroteam 64 de leurs demandes reconventionnelles de dommages et intérêts et débouté les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,

INFIRME le jugement pour le surplus,

et statuant à nouveau,

DEBOUTE la société AXP bureautique de l'ensemble de ses demandes fondées sur la concurrence déloyale imputée à la société Buroteam 64 et à la société Landes bureautique,

CONDAMNE la société AXP bureautique aux dépens d'appel,

DEBOUTE les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.