Décisions
CA Paris, Pôle 6 - ch. 8, 30 novembre 2023, n° 23/00624
PARIS
Arrêt
Autre
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRÊT DU 30 NOVEMBRE 2023
(n° , 1 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 23/00624 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CG77P
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 09 Septembre 2008 par le conseil de prud'hommes de CRETEIL RG n° F06/01558 ayant fait l'objet d'un appel. L'arrêt en date du 13 janvier 2021 rendu par la Cour d'appel de Paris prononçant la péremption de l'instance a été cassé et annulé en toutes ses dispositions par un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation en date du 7 décembre 2022.
DEMANDEUR A LA SAISINE SUR RENVOI APRES CASSATION
S.A. BAUDIN [Localité 3]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Audrey HINOUX, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477 substituée par Me Faouza CAULET, avocat au barreau de PARIS, toque : C1532
DÉFENDEUR A LA SAISINE SUR RENVOI APRES CASSATION
Monsieur [M] [N]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représenté par Me Olivier BONGRAND, avocat au barreau de PARIS, toque : K0136 et par Madame [K] [H] épouse [N], en vertu d'un jugement d'habilitation du 24 janvier 2023 du juge des contentieux de la protection du Tribunal judiciaire d'ALENÇON, statuant en qualité de juge des tutelles
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 Octobre 2023, en audience publique, les avocats ne s'étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Nathalie FRENOY, Présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Nathalie FRENOY, présidente de chambre
Madame Isabelle MONTAGNE, présidente de chambre
Madame Sandrine MOISAN, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Monsieur [M] [N] a été engagé par la société Baudin [Localité 3], entreprise de construction spécialisée dans les ouvrages d'art et ponts métalliques, par contrat à durée indéterminée du 1er mars 1976.
Il occupait en dernier lieu le poste de Directeur Commercial et Développement Export (DCDE), cadre autonome C2 de la convention collective nationale des travaux publics.
Le 16 mai 2006, la société Baudin [Localité 3] a convoqué M. [N] à un entretien préalable fixé au 30 mai suivant et l'a mis à pied à titre conservatoire.
Par courrier du 7 juin 2006, elle lui a notifié son licenciement pour faute grave, ayant découvert des agissements fruaduleux relatifs notamment au chantier du Pont de [Localité 4] au Cameroun.
Monsieur [N] a saisi le 18 juillet 2006 le conseil de prud'hommes de Créteil qui, par jugement du 9 septembre 2008, a :
-dit et jugé que le licenciement pour faute grave par la société Baudin [Localité 3] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
-condamné la société Baudin [Localité 3] à verser à Monsieur [N], dont le salaire moyen mensuel est de 6 991 euros, les sommes de :
-4 612 euros au titre de rappel de salaire pour mise à pied injustifiée,
-461,20 euros au titre des congés payés afférents,
-19 215 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
-1 921,50 euros au titre des congés payés afférents,
-115 353 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,
-41 946 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-débouté Monsieur [N] de ses autres demandes,
-ordonné à la société Baudin [Localité 3] de remettre à Monsieur [N] un certificat de travail, un bulletin de paie et une attestation Assedic conformes à la décision à intervenir,
-dit qu'il n'y a pas lieu à exécution provisoire au titre de l'article 515 du code de procédure civile,
-condamné la société Baudin [Localité 3] aux entiers dépens.
Par déclaration du 30 septembre 2008, la société Baudin [Localité 3] a interjeté appel de ce jugement.
Par ordonnance du 16 décembre 2009, un sursis à statuer a été décidé dans l'attente de la décision définitive rendue dans l'instance pénale ouverte devant le juge d'instruction du Tribunal de grande instance d'Orléans.
Par ordonnance du 10 janvier 2012, la radiation de l'affaire a été prononcée, dans l'attente de l'avancement de la procédure pénale.
Par ordonnance du juge d'instruction du Tribunal de grande instance d'Orléans, en date du 20 décembre 2014, Monsieur [N] a bénéficié d'un non-lieu pour les infractions d'usage de faux au Cameroun et de corruption active au Cameroun et au Tchad, mais a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour s'être, en France et au Tchad, courant janvier 2003 et jusqu'au 31 décembre 2003, rendu complice du délit d'usage de faux commis par [A] [T] au préjudice de la société Baudin [Localité 3] par fourniture d'instructions, en l'espèce en lui ordonnant de payer une ou plusieurs fausses factures à [Z] [S], gérant de la société SEMOH.
Le Tribunal correctionnel d'Orléans, par jugement du 10 décembre 2015, a déclaré Monsieur [N] coupable de complicité d'usage de faux en écriture de janvier 2003 à décembre 2003 en France et au Tchad, l'a condamné à un emprisonnement délictuel d'un an avec sursis et à verser la somme de 27'440 € à la société Baudin [Localité 3] au titre de son préjudice matériel et celle de 10'000 € au titre de son préjudice moral.
La chambre des appels correctionnels de la Cour d'appel d'Orléans, par arrêt du 17 juillet 2018, a confirmé le jugement en toutes ses dispositions sur l'action publique et sur la réparation du préjudice matériel de la société Baudin [Localité 3], mais l'a infirmé relativement à la réparation du préjudice moral de cette dernière, mettant à la charge de Monsieur [N] la somme de 5 000 € à ce titre.
La Chambre criminelle de la Cour de cassation, par arrêt en date du 4 décembre 2019, a rejeté le pourvoi de Monsieur [N].
Saisie par la société Baudin [Localité 3] sollicitant le rétablissement de l'affaire le 13 décembre 2019, la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 3), par arrêt du 13 janvier 2021, a :
-prononcé la péremption de l'instance,
y ajoutant,
-condamné la société Baudin [Localité 3] à payer à Monsieur [N] en cause d'appel la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamné la société Baudin [Localité 3] aux éventuels dépens.
Le 12 mars 2021, la société Baudin [Localité 3] s'est pourvue en cassation.
La Cour de cassation par arrêt du 7 décembre 2022 (n°1299 F-D, pourvoi n° Y21-13.261) a cassé et annulé l'arrêt rendu le 13 janvier 2021 et a renvoyé les parties devant la cour d'appel de Paris autrement composée, la cour d'appel ayant violé les textes susvisés ' en statuant ainsi, alors que l'ordonnance du 16 décembre 2009 de sursis à statuer dans l'attente d'une décision pénale définitive, avait interrompu le délai de péremption jusqu'à la survenance de cet événement, soit jusqu'à l'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 4 décembre 2019, en sorte que les parties n'avaient aucune diligence à accomplir jusqu'à cette date'.
Par acte du 13 janvier 2023, la société Baudin [Localité 3] a saisi la cour d'appel de Paris.
Dans ses dernières écritures soutenues à l'audience, elle demande à la cour :
à titre principal :
-d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Créteil en date du 9 septembre 2008 en ce qu'il a :
-dit et jugé que le licenciement pour faute grave de Monsieur [M] [N] par la société Baudin [Localité 3] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
-condamné la société Baudin [Localité 3] à verser à Monsieur [N] dont le salaire moyen mensuel est de 6 991 euros, les sommes de :
-4 612 euros au titre de rappel de salaire pour mise à pied injustifiée, (quatre mille six cent douze euros),
-461,20 euros au titre des congés payés afférents (quatre cent soixante et un euros et vingt centimes),
-19 215 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis (dix-neuf mille deux cent quinze euros),
-1 921,50 euros au titre des congés payés afférents (mille neuf cent vingt et un euros et cinquante centimes),
-115 353 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement (cent quinze mille trois cent cinquante-trois euros),
-41 946 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (quarante et un mille neuf cent quarante-six euros),
-1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile (mille euros),
-condamné la société Baudin [Localité 3] aux dépens,
statuant à nouveau,
-de juger que le licenciement de Monsieur [M] [N], notifié par lettre en date du 7 juin 2006, est parfaitement régulier et justifié,
-de débouter Monsieur [M] [N] de l'intégralité de ses demandes à ce titre,
-d'ordonner le remboursement des sommes versées par la société Baudin [Localité 3] à Monsieur [M] [N] en exécution du jugement du conseil de prud'hommes de Créteil en date du 9 septembre 2008 au titre de l'exécution provisoire et de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 13 janvier 2021,
-de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Créteil en date du 9 septembre 2008 en ce qu'il a :
*débouté Monsieur [M] [N] de ses autres demandes et en particulier de sa demande de rappel de salaire au titre de la prime de 13ème mois /fin d'année,
à titre subsidiaire:
-de juger que la demande de Monsieur [M] [N] au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et préjudice moral est infondée tant dans son principe que dans son quantum,
en conséquence
-de débouter Monsieur [M] [N] de ses demandes à ce titre,
à titre infiniment subsidiaire:
-dans l'hypothèse où la Cour ferait droit aux demandes à caractère salarial formulées par Monsieur [M] [N], de juger que ces sommes s'entendent comme des sommes brutes avant précompte des charges sociales,
-dans l'hypothèse où la Cour considérerait que les demandes de dommages et intérêts formulées par Monsieur [M] [N] sont fondées, de juger que les dommages et intérêts alloués à ce titre s'entendent comme des sommes brutes avant CSG et CRDS,
-dans l'hypothèse où la Cour devait entrer en voie de condamnation, de limiter le quantum des condamnations susceptibles d'être prononcées pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 33 835,50 euros bruts de CSG/CRDS,
en tout état de cause :
-de débouter Monsieur [M] [N] du surplus de ses demandes,
-de condamner Monsieur [M] [N] à verser à la société Baudin [Localité 3] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-de condamner Monsieur [M] [N] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Dans ses dernières conclusions développées oralement, Monsieur [N], régulièrement représenté par son épouse suivant jugement du 24 janvier 2023 du juge des contentieux de la protection statuant en qualité de juge des tutelles, demande à la cour de :
-confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Créteil en ce qu'il a fixé le
salaire moyen à 6 991 euros, jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse et a condamné la société Baudin [Localité 3] à verser à Monsieur [N] les sommes suivantes :
-4 612 euros à titre de rappel de mise à pied injustifiée,
-461,20 euros au titre des congés payés afférents,
-19 215 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
-1 921,50 euros au titre des congés payés afférents,
-115 353 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
-1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-confirmer le jugement sur le principe de la condamnation au versement d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse mais statuant à nouveau,
-infirmer s'agissant du quantum alloué en condamnant la société Baudin [Localité 3] à verser à Monsieur [N] 139 820 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné à la société Baudin [Localité 3] de remettre à Monsieur [N] un certificat de travail, un bulletin de paie et une attestation Assedic conformes au jugement,
-infirmer le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur [N] de ses demandes de solde de prime de fin d'année sur préavis et de congés payés afférents, de dommages et intérêts pour procédés abusifs,
statuant à nouveau
-condamner la société Baudin [Localité 3] à verser à Monsieur [N] les sommes suivantes :
-1 592 euros au titre du solde de prime de fin d'année sur préavis,
-159,20 euros au titre des congés payés afférents,
-70 000 euros à titre de dommages et intérêts pour usage de procédés vexatoires et abusifs,
en tout état de cause :
-condamner la société Baudin [Localité 3] à payer à Monsieur [N] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en appel,
-débouter la société Baudin [Localité 3] de l'ensemble de ses demandes.
L'audience de plaidoiries a été fixée au 3 octobre 2023.
Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu'aux conclusions susvisées, soutenues oralement à l'audience, pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.
MOTIFS DE L'ARRET
Sur le licenciement :
La lettre de licenciement adressée le 7 juin 2006 à Monsieur [N] contient les motifs suivants strictement reproduits:
'En votre qualité de Directeur commercial et directeur Export, vous aviez en charge la responsabilité commerciale du chantier du pont de [Localité 4] au Cameroun.
Alors que ce chantier devait initialement générer un bénéfice net prévisionnel après imputation des frais généraux et avant impôts de l'ordre de 600 000 euros, les pertes se portent d'ores et déjà à ce jour à 1.000.000 euros bien que tous les contentieux (qu'ils aient à ce jour emprunté une voie judiciaire ou non) que ce chantier a générés sur place avec les différents intervenants, notamment avec les fournisseurs locaux et avec le client, ne soient pas épuisés.
Compte tenu de l'absence d'éclaircissement de votre part sur les raisons de ces pertes et des différents contentieux en cours, une enquête a été diligentée sur place à la demande de la Direction de la société.
Les premiers éléments du rapport d'enquête remis le 6 avril dernier font apparaître de très graves anomalies.
Parmi les agissements frauduleux identifiés et pour lesquels une plainte contre X avec constitution de partie civile a été déposée par la société il est notamment possible de relever :
- l'exécution de 3 chantiers importants (réalisation des fondations d'une usine d'emplissage de bouteilles de gaz à [Localité 5] ; réalisation des fondations d'une route de 2 km à [Localité 5], réparation d'une route sur 70 km) pour le compte d'autres donneurs d'ordre à l'insu de Baudin [Localité 3], en utilisant le personnel, le matériel et les matériaux du chantier de [Localité 4],
-des versements d'argent destinés à couvrir les dépenses du chantier de [Localité 4] ont été utilisés pour le paiement de prestations afférentes à d'autres chantiers,
- l'organisation de surfacturation de matériel,
- l'établissement de factures fictives avec la complicité d'entreprises sous-traitantes.
Un certain nombre de témoignages recueillis sur place vous mettent en cause directement.
Il vous est par ailleurs et en toutes hypothèses reproché :
-d'avoir été présent à plusieurs reprises sur le chantier du pont de [Localité 4] ainsi que sur les chantiers pour lesquels du personnel et du matériel de Baudin ont été frauduleusement et massivement détournés et de n'avoir pas informé la Direction de la société de l'ampleur de ces dysfonctionnements manifestes,
-de n'avoir pas pris les mesures adéquates pour les faire immédiatement cesser, comme cela résultait expressément de vos responsabilités,
-de n'avoir pas non plus pris contact avec les donneurs d'ordre des chantiers sur lesquels le personnel et le matériel de Baudin ont été indûment utilisés afin d'établir les bons de commande afférents aux prestations effectuées, procéder à la régularisation de la situation et obtenir les recettes afférentes,
- de n'avoir pas assuré correctement le suivi du paiement de ce chantier qui n'est, à ce jour, toujours pas soldé.
L'ensemble des faits reprochés ci-dessus sont d'autant plus impardonnables que votre expérience de l'export et plus particulièrement de l'Afrique vous avait conduit non seulement à revendiquer la Direction de ce service mais également l'exclusivité de la gestion des rapports commerciaux avec les intervenants sur place.
Le désastre occasionné par cette affaire tant du point de vue strictement financier que de l'image de Baudin en Afrique vous est donc en grande partie imputable.
Compte tenu de la gravité des faits reprochés ci-dessus et de l'impossibilité manifeste de maintenir notre relation de travail, notamment en raison de la perte totale de confiance qui en résulte, ce licenciement prend effet immédiatement.'
La société Baudin [Localité 3] soutient que les griefs reprochés à M. [N] sont particulièrement précis, à savoir le désastre financier du chantier du pont de [Localité 4] dont il avait la responsabilité, l'absence d'alerte donnée à l'entreprise, l'absence de mesures pour que son employeur soit payé et que les agissements frauduleux dont il avait connaissance cessent ainsi que sa participation à des versements d'argent pour d'autres chantiers, à la surfacturation de matériel, à l'établissement de factures fictives, griefs qui justifient incontestablement le licenciement pour faute grave décidé.
La société appelante considère que le licenciement a été initié moins de deux mois après la découverte des faits litigieux, que le non-lieu n'a aucune incidence sur la régularité du licenciement dans la mesure où M. [N] n'a pas été licencié en raison de la commission de certaines infractions mais pour des agissements frauduleux, en violation de ses obligations contractuelles.
Monsieur [N] soutient au contraire que son employeur, informé en mai 2005 de dysfonctionnements et en possession d'un rapport d'enquête prétendument accablant depuis avril 2006, a tardé à le licencier, que le non-lieu prononcé à son bénéfice affecte toute la première partie de la lettre de licenciement, que les autres griefs ne lui sont pas imputables et ne sont pas démontrés puisqu'il était responsable de la négociation commerciale en amont des chantiers à l'export mais en aucun cas responsable de leur exécution ou de leur gestion financière, que les pertes d'exploitation (très différentes de celles annoncées dans la lettre de licenciement) ne lui sont pas imputables, qu'il a spontanément informé le directeur export Monsieur [L], de ses soupçons en janvier 2005 ainsi que le président du directoire en juin suivant. Il considère que son employeur a préféré le licencier, pour ne pas rendre aléatoire le recouvrement de sommes attendues de lui en sa qualité de PDG de la société SAM dans le cadre de sa sortie du capital de cette société et insiste sur la chronologie de ces événements.
L'employeur dispose d'un délai de deux mois, à compter du jour où il a connaissance d'un fait fautif imputé à un salarié, pour engager une procédure disciplinaire s'il le souhaite, en application de l'article L. 1332-4 du code du travail.
Ce délai débute le jour où l'agissement fautif est personnalisé, c'est-à-dire quand l'employeur - qui s'entend aussi comme pouvant être le supérieur hiérarchique du salarié, et ce même s'il n'est pas le titulaire du pouvoir disciplinaire- a une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié.
En l'espèce, la société Baudin [Localité 3] (BC) verse aux débats le rapport d'enquête du Cabinet d'investigations et de recherche de renseignements saisi par elle, le 3 mars 2006, pour mener des investigations et tenter d'expliquer le 'résultat anormalement défavorable du marché de la construction du pont' entre [Localité 5] et [Localité 4] au Cameroun, rapport déposé le 6 avril 2006, conseillant à l'entreprise de déposer des plaintes tant en France qu'au Cameroun et concluant à 'une « carambouille » financière de haut niveau' impliquant notamment Monsieur [N], ainsi qu'une attestation et une lettre en date respectivement des 20 et 27 mars 2006 de Monsieur [E], ayant été son correspondant au Cameroun, mettant en cause l'intimé à l'occasion notamment de la signature d'une convention modifiant des accords antérieurs et 'soldant définitivement le différend' avec la société BC.
Il n'est pas justifié par Monsieur [N] que son employeur ait été suffisamment informé antérieurement de faits susceptibles de lui être reprochés.
En outre, il résulte de l'arrêt de la chambre des appels correctionnels de la Cour d'appel d'Orléans en date du 17 juillet 2018 que le directeur du département export, Monsieur [L], qui avait dès 2003 sollicité, en vain, des explications sur certaines pertes, avait été alerté par Monsieur [N] en cours d'année 2005 ' des agissements anormaux' de [A] [T]. Il n'est pas établi qu'à cette date, l'alerte donnée par l'intimé ait pu conduire l'employeur à s'interroger sur ses propres agissements et ses directives données en Afrique.
Le déclenchement de la procédure de licenciement datant du 16 mai 2006, par l'envoi de la convocation à entretien préalable, ne saurait être qualifié de tardif, ayant eu lieu dans les deux mois du résultat des investigations menées. Aucune prescription des faits fautifs ne saurait être opposée en l'espèce.
Le licenciement étant intervenu pour faute grave, il convient de rappeler que la faute ainsi qualifiée, qui seule peut justifier une mise à pied conservatoire, résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise; il appartient à l'employeur d'en rapporter la preuve.
En l'espèce, pour démontrer la gravité et l'imputabilité au salarié des faits reprochés, la société Baudin [Localité 3] verse aux débats des attestations, factures, conventions, copies de procès-verbaux d'auditions et d'interrogatoires, ainsi que les procès-verbaux de synthèse des enquêteurs chargés de commissions rogatoires dans le cadre de l'affaire dite « Pont de [Localité 4] », qui rappellent qu'en juillet 2002, ladite société a obtenu la maîtrise d'ouvrage de la construction d'un pont et de 800 mètres de route à [Localité 5], lieu-dit [Localité 4] au Cameroun, que les pertes constatées à la réception provisoire du chantier ont conduit l'entreprise à envoyer un détective privé sur site 'qui a mis en évidence des malversations notoires'. Cette expression a été reprise notamment par la cour d'appel d'Orléans dans son arrêt du 17 juillet 2018.
S'il est établi par un document décrivant l'organisation du Département Export en date du 15 janvier 2001 qu'il a pour principal responsable le Directeur Technique Ouvrages d'Art (DTOA) 'particulièrement chargé de gérer l'exploitation du département et de ses filiales comprenant la gestion du personnel et de leurs frais généraux ainsi que le suivi financier et fiscal après commande' et que le directeur commercial (ou DCDE, poste de Monsieur [N]) (également responsable de l'activité export) assure la prospection commerciale, le suivi des demandes d'admission et la revue de chiffrage avec le responsable de zone concernée, en coordination avec le directeur d'exploitation, avant la signature du contrat, force est de constater que les 'malversations notoires' mises en évidence par le détective privé n'ont pas été signalées immédiatement à l'employeur, malgré la connaissance qu'avait Monsieur [N] de l'Afrique, du métier et du chantier.
Or, Monsieur [N], qui a indiqué en cours d'entretien préalable - dont il verse le compte rendu établi par un salarié choisi par lui ( sa pièce 17 )- qu'il avait le devoir de prendre 'des mesures de terrain en cas de crise c'est-à-dire d'événements graves et soudains qu'il serait amené à connaître au cours de ses déplacements', reconnaît aussi 'qu'il avait le devoir d'alerter en cas de problèmes'.
Par ailleurs, Monsieur [N] avoue avoir été informé en décembre 2004 d'une utilisation « irrationnelle du matériel » sur le chantier (pièce 15 page 10) et n'avoir transmis cette information à Monsieur [L] qu'en mai 2005.
En outre, alors que Monsieur [N] était en charge des 'études', de la 'maîtrise d'œuvre', du 'suivi des demandes d'admission' avec notamment 'le choix des partenaires', 'la définition des options techniques et financières assurant la meilleure compétitivité possible', mais aussi de participer 'au minimum trimestriellement à la réunion d'exploitation' , de proposer 'au directeur de département les moyens humains et matériels nécessaires pour le bon déroulement de ces opérations et assurer la gestion du personnel placé sous ses ordres', le procès-verbal d'audition de Monsieur [T], expliquant qu'il faisait lui-même, en sa qualité d'intérimaire d'une société tierce, le tri des postulants, trouvait des solutions pour les locations d'engins, avouant des surfacturations, du 'troc' ou des échanges de matériaux et matériels de la société avec rétrocession de commissions ainsi que l'exécution d'une 'route de 2 km à [Localité 5] pour le compte du Ministère de la ville' permet de retenir de réels manquements de l'intimé à ces différents niveaux, en violation de ses attributions précisément listées. Les autres pièces de la procédure, versées aux débats par la société BC, confirment l'exécution des travaux dans des conditions anormales et peu transparentes pour le siège.
Par ailleurs, dans son audition, en réponse à la question relative à des 'enveloppes pour des commissions occultes', Monsieur [T] a avoué avoir 'amené du courrier à Mifoumbia qui m'avait été remis soit par [N] soit par [F] '.
S'il est vrai que la procédure pénale a reconnu Monsieur [N] coupable de faits commis au Tchad et non au Cameroun, lieu des prétendus manquements listés dans la lettre de licenciement, force est de constater toutefois que les reproches à l'origine de la rupture du contrat de travail correspondent à des détournements de fonds et de matériel du chantier camerounais (pont de [Localité 4]) au profit d'autres chantiers, dont certains menés au Tchad, à l'insu de l'employeur (cf notamment l'audition de Monsieur [T] (sic) 'j'ai également présenté [S] à M. [N] et je sais qu'ils sont allés ensemble au Tchad. À leur retour, M. [N] m'a demandé de lui payer une certaine somme en espèces, mais je ne me souviens du montant. Je me suis exécuté. Je précise que ces sommes venaient du chantier de [Localité 4]. M. [N] m'a dit que [S] allait me remettre une facture et je l'ai payé. À ce moment-là, [S] n'avait fourni aucun service à la société Baudin [Localité 3]'.'Effectivement, j'étais présent lorsque M. [N] a proposé à M. [S]. Cela s'est passé à [Localité 5]'[...] ' [N] a dit clairement à [S] qu'il fallait avoir le marché, même s'il faut le payer. Je n'ai pas entendu le chiffre', étant précisé que Monsieur [S] était le gérant de la société SEMOH, bénéficiaire d'une facture de 18 millions de Francs CFA datée du 20 janvier 2004 ne correspondant à aucune prestation réelle, pour laquelle Monsieur [N] a été condamné pour complicité d'usage de faux.
Les éléments recueillis lors de l'enquête et de l'instruction de l'affaire montrent en outre l'existence, en mai 2003, d'un chantier en vue de la construction d'une usine d'emplissage de bouteilles de gaz avec les engins de la société Baudin [Localité 3], dont Monsieur [N] était au courant dès cette date puisqu'il avait fait un voyage au Cameroun notamment pour y régler le prêt d'engins par Monsieur [T].
Enfin, il résulte de l'arrêt de la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel d'Orléans en date du 17 juillet 2018 que Monsieur [N] a commis un délit à l'occasion de l'exercice de son activité professionnelle et alors qu'il était investi de 'responsabilités qui auraient dû le conduire à s'assurer du respect de la législation', que s'il n'a pas eu une action directe aussi importante, 'son statut et sa rémunération devaient l'amener à contrôler les actions sur le terrain et non à favoriser voire à donner des directives pour que les règles soient transgressées'.
Par conséquent, les principaux griefs retenus dans la lettre de licenciement étant vérifiés, le licenciement de l'espèce, fondé sur une faute grave, est justifié, le maintien du salarié s'avérant impossible dans la structure.
Le jugement de première instance doit donc être infirmé en ce qu'il a dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamné l'employeur à diverses sommes au titre des indemnités et documents de rupture.
Enfin, le présent arrêt, infirmatif sur le licenciement et les sommes induites, constitue le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution du jugement; il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de restitution formulée par la société Baudin [Localité 3].
Il convient de rappeler toutefois que les sommes devant être restituées portent intérêts au taux légal à compter de la signification, valant mise en demeure, de la décision ouvrant droit à restitution.
Sur les procédés abusifs et vexatoires :
Face à Monsieur [N] qui invoque des manquements de son employeur à son obligation d'exécuter de bonne foi le contrat de travail en lui reprochant de l'avoir humilié sur la base de griefs infondés et inopposables et en procédant à son éviction brutale, particulièrement attentatoire à son honneur, en communiquant les motifs de son licenciement, et réclame 70'000 € à titre de dommages-intérêts de ce chef, la société Baudin [Localité 3] conclut au rejet de la demande, insistant sur le caractère fantaisiste de l'argumentation développée par son adversaire.
En l'espèce, alors que Monsieur [N] a été mis à pied à titre conservatoire par courrier du 16 mai 2006 et que ni le courrier de convocation à entretien préalable, ni la lettre de licenciement ne sont démontrés comme contenant des griefs ou accusations infondés ou comme ayant été rendus publics, la démonstration d'un préjudice résultant de procédés abusifs et vexatoires n'est pas faite.
La demande d'indemnisation à ce titre doit donc être rejetée, par confirmation du jugement entrepris.
Sur le rappel de salaire :
La société Baudin [Localité 3] demande la confirmation du jugement qui a rejeté la demande de rappel de salaire au titre d'une prime de 13ème mois / fin d'année, expliquant que la somme de 5 820 € lui a été versée en juin 2006 prorata temporis, eu égard à sa présence au sein de l'entreprise en 2006.
Monsieur [N] réclame la somme de 1 592 € pour solde de sa prime de fin d'année/13ème mois, ainsi que les congés payés y afférents.
La relation de travail de l'espèce a pris fin avec la lettre de licenciement datée du 7 juin 2006.
L'intimé, qui ne précise pas le fondement juridique de sa prétention et qui reconnaît le versement effectif de la somme invoquée par l'employeur en juin 2006, ne se prononce pas sur la proratisation de ce montant par rapport à sa présence dans l'entreprise; il doit être débouté de sa demande, alors que le contrat de travail versé aux débats stipule un treizième mois payé en totalité en décembre, sans précision sur son calcul en cas de départ anticipé.
Le jugement de première instance doit donc être confirmé de ce chef.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Monsieur [N], qui succombe, doit être tenu aux dépens de première instance, par infirmation du jugement entrepris, et d'appel.
L'équité commande d'infirmer le jugement de première instance relativement aux frais irrépétibles, et faisant application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société employeur, de lui allouer à ce titre la somme globale de 1 500 € à la charge du salarié.
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe à une date dont les parties ont été avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
INFIRME le jugement déféré, sauf en ses dispositions relatives à l'indemnisation de procédés vexatoires et abusifs et au paiement d' un solde de prime de fin d'année,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
DIT le licenciement de Monsieur [M] [N] fondé sur une faute grave,
CONDAMNE Monsieur [M] [N] à payer à la société Baudin [Localité 3] la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
REJETTE les autres demandes des parties,
CONDAMNE Monsieur [N] aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRÊT DU 30 NOVEMBRE 2023
(n° , 1 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 23/00624 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CG77P
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 09 Septembre 2008 par le conseil de prud'hommes de CRETEIL RG n° F06/01558 ayant fait l'objet d'un appel. L'arrêt en date du 13 janvier 2021 rendu par la Cour d'appel de Paris prononçant la péremption de l'instance a été cassé et annulé en toutes ses dispositions par un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation en date du 7 décembre 2022.
DEMANDEUR A LA SAISINE SUR RENVOI APRES CASSATION
S.A. BAUDIN [Localité 3]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Audrey HINOUX, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477 substituée par Me Faouza CAULET, avocat au barreau de PARIS, toque : C1532
DÉFENDEUR A LA SAISINE SUR RENVOI APRES CASSATION
Monsieur [M] [N]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représenté par Me Olivier BONGRAND, avocat au barreau de PARIS, toque : K0136 et par Madame [K] [H] épouse [N], en vertu d'un jugement d'habilitation du 24 janvier 2023 du juge des contentieux de la protection du Tribunal judiciaire d'ALENÇON, statuant en qualité de juge des tutelles
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 Octobre 2023, en audience publique, les avocats ne s'étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Nathalie FRENOY, Présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Nathalie FRENOY, présidente de chambre
Madame Isabelle MONTAGNE, présidente de chambre
Madame Sandrine MOISAN, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Monsieur [M] [N] a été engagé par la société Baudin [Localité 3], entreprise de construction spécialisée dans les ouvrages d'art et ponts métalliques, par contrat à durée indéterminée du 1er mars 1976.
Il occupait en dernier lieu le poste de Directeur Commercial et Développement Export (DCDE), cadre autonome C2 de la convention collective nationale des travaux publics.
Le 16 mai 2006, la société Baudin [Localité 3] a convoqué M. [N] à un entretien préalable fixé au 30 mai suivant et l'a mis à pied à titre conservatoire.
Par courrier du 7 juin 2006, elle lui a notifié son licenciement pour faute grave, ayant découvert des agissements fruaduleux relatifs notamment au chantier du Pont de [Localité 4] au Cameroun.
Monsieur [N] a saisi le 18 juillet 2006 le conseil de prud'hommes de Créteil qui, par jugement du 9 septembre 2008, a :
-dit et jugé que le licenciement pour faute grave par la société Baudin [Localité 3] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
-condamné la société Baudin [Localité 3] à verser à Monsieur [N], dont le salaire moyen mensuel est de 6 991 euros, les sommes de :
-4 612 euros au titre de rappel de salaire pour mise à pied injustifiée,
-461,20 euros au titre des congés payés afférents,
-19 215 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
-1 921,50 euros au titre des congés payés afférents,
-115 353 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,
-41 946 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-débouté Monsieur [N] de ses autres demandes,
-ordonné à la société Baudin [Localité 3] de remettre à Monsieur [N] un certificat de travail, un bulletin de paie et une attestation Assedic conformes à la décision à intervenir,
-dit qu'il n'y a pas lieu à exécution provisoire au titre de l'article 515 du code de procédure civile,
-condamné la société Baudin [Localité 3] aux entiers dépens.
Par déclaration du 30 septembre 2008, la société Baudin [Localité 3] a interjeté appel de ce jugement.
Par ordonnance du 16 décembre 2009, un sursis à statuer a été décidé dans l'attente de la décision définitive rendue dans l'instance pénale ouverte devant le juge d'instruction du Tribunal de grande instance d'Orléans.
Par ordonnance du 10 janvier 2012, la radiation de l'affaire a été prononcée, dans l'attente de l'avancement de la procédure pénale.
Par ordonnance du juge d'instruction du Tribunal de grande instance d'Orléans, en date du 20 décembre 2014, Monsieur [N] a bénéficié d'un non-lieu pour les infractions d'usage de faux au Cameroun et de corruption active au Cameroun et au Tchad, mais a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour s'être, en France et au Tchad, courant janvier 2003 et jusqu'au 31 décembre 2003, rendu complice du délit d'usage de faux commis par [A] [T] au préjudice de la société Baudin [Localité 3] par fourniture d'instructions, en l'espèce en lui ordonnant de payer une ou plusieurs fausses factures à [Z] [S], gérant de la société SEMOH.
Le Tribunal correctionnel d'Orléans, par jugement du 10 décembre 2015, a déclaré Monsieur [N] coupable de complicité d'usage de faux en écriture de janvier 2003 à décembre 2003 en France et au Tchad, l'a condamné à un emprisonnement délictuel d'un an avec sursis et à verser la somme de 27'440 € à la société Baudin [Localité 3] au titre de son préjudice matériel et celle de 10'000 € au titre de son préjudice moral.
La chambre des appels correctionnels de la Cour d'appel d'Orléans, par arrêt du 17 juillet 2018, a confirmé le jugement en toutes ses dispositions sur l'action publique et sur la réparation du préjudice matériel de la société Baudin [Localité 3], mais l'a infirmé relativement à la réparation du préjudice moral de cette dernière, mettant à la charge de Monsieur [N] la somme de 5 000 € à ce titre.
La Chambre criminelle de la Cour de cassation, par arrêt en date du 4 décembre 2019, a rejeté le pourvoi de Monsieur [N].
Saisie par la société Baudin [Localité 3] sollicitant le rétablissement de l'affaire le 13 décembre 2019, la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 3), par arrêt du 13 janvier 2021, a :
-prononcé la péremption de l'instance,
y ajoutant,
-condamné la société Baudin [Localité 3] à payer à Monsieur [N] en cause d'appel la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamné la société Baudin [Localité 3] aux éventuels dépens.
Le 12 mars 2021, la société Baudin [Localité 3] s'est pourvue en cassation.
La Cour de cassation par arrêt du 7 décembre 2022 (n°1299 F-D, pourvoi n° Y21-13.261) a cassé et annulé l'arrêt rendu le 13 janvier 2021 et a renvoyé les parties devant la cour d'appel de Paris autrement composée, la cour d'appel ayant violé les textes susvisés ' en statuant ainsi, alors que l'ordonnance du 16 décembre 2009 de sursis à statuer dans l'attente d'une décision pénale définitive, avait interrompu le délai de péremption jusqu'à la survenance de cet événement, soit jusqu'à l'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 4 décembre 2019, en sorte que les parties n'avaient aucune diligence à accomplir jusqu'à cette date'.
Par acte du 13 janvier 2023, la société Baudin [Localité 3] a saisi la cour d'appel de Paris.
Dans ses dernières écritures soutenues à l'audience, elle demande à la cour :
à titre principal :
-d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Créteil en date du 9 septembre 2008 en ce qu'il a :
-dit et jugé que le licenciement pour faute grave de Monsieur [M] [N] par la société Baudin [Localité 3] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
-condamné la société Baudin [Localité 3] à verser à Monsieur [N] dont le salaire moyen mensuel est de 6 991 euros, les sommes de :
-4 612 euros au titre de rappel de salaire pour mise à pied injustifiée, (quatre mille six cent douze euros),
-461,20 euros au titre des congés payés afférents (quatre cent soixante et un euros et vingt centimes),
-19 215 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis (dix-neuf mille deux cent quinze euros),
-1 921,50 euros au titre des congés payés afférents (mille neuf cent vingt et un euros et cinquante centimes),
-115 353 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement (cent quinze mille trois cent cinquante-trois euros),
-41 946 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (quarante et un mille neuf cent quarante-six euros),
-1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile (mille euros),
-condamné la société Baudin [Localité 3] aux dépens,
statuant à nouveau,
-de juger que le licenciement de Monsieur [M] [N], notifié par lettre en date du 7 juin 2006, est parfaitement régulier et justifié,
-de débouter Monsieur [M] [N] de l'intégralité de ses demandes à ce titre,
-d'ordonner le remboursement des sommes versées par la société Baudin [Localité 3] à Monsieur [M] [N] en exécution du jugement du conseil de prud'hommes de Créteil en date du 9 septembre 2008 au titre de l'exécution provisoire et de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 13 janvier 2021,
-de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Créteil en date du 9 septembre 2008 en ce qu'il a :
*débouté Monsieur [M] [N] de ses autres demandes et en particulier de sa demande de rappel de salaire au titre de la prime de 13ème mois /fin d'année,
à titre subsidiaire:
-de juger que la demande de Monsieur [M] [N] au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et préjudice moral est infondée tant dans son principe que dans son quantum,
en conséquence
-de débouter Monsieur [M] [N] de ses demandes à ce titre,
à titre infiniment subsidiaire:
-dans l'hypothèse où la Cour ferait droit aux demandes à caractère salarial formulées par Monsieur [M] [N], de juger que ces sommes s'entendent comme des sommes brutes avant précompte des charges sociales,
-dans l'hypothèse où la Cour considérerait que les demandes de dommages et intérêts formulées par Monsieur [M] [N] sont fondées, de juger que les dommages et intérêts alloués à ce titre s'entendent comme des sommes brutes avant CSG et CRDS,
-dans l'hypothèse où la Cour devait entrer en voie de condamnation, de limiter le quantum des condamnations susceptibles d'être prononcées pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 33 835,50 euros bruts de CSG/CRDS,
en tout état de cause :
-de débouter Monsieur [M] [N] du surplus de ses demandes,
-de condamner Monsieur [M] [N] à verser à la société Baudin [Localité 3] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-de condamner Monsieur [M] [N] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Dans ses dernières conclusions développées oralement, Monsieur [N], régulièrement représenté par son épouse suivant jugement du 24 janvier 2023 du juge des contentieux de la protection statuant en qualité de juge des tutelles, demande à la cour de :
-confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Créteil en ce qu'il a fixé le
salaire moyen à 6 991 euros, jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse et a condamné la société Baudin [Localité 3] à verser à Monsieur [N] les sommes suivantes :
-4 612 euros à titre de rappel de mise à pied injustifiée,
-461,20 euros au titre des congés payés afférents,
-19 215 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
-1 921,50 euros au titre des congés payés afférents,
-115 353 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
-1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-confirmer le jugement sur le principe de la condamnation au versement d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse mais statuant à nouveau,
-infirmer s'agissant du quantum alloué en condamnant la société Baudin [Localité 3] à verser à Monsieur [N] 139 820 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné à la société Baudin [Localité 3] de remettre à Monsieur [N] un certificat de travail, un bulletin de paie et une attestation Assedic conformes au jugement,
-infirmer le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur [N] de ses demandes de solde de prime de fin d'année sur préavis et de congés payés afférents, de dommages et intérêts pour procédés abusifs,
statuant à nouveau
-condamner la société Baudin [Localité 3] à verser à Monsieur [N] les sommes suivantes :
-1 592 euros au titre du solde de prime de fin d'année sur préavis,
-159,20 euros au titre des congés payés afférents,
-70 000 euros à titre de dommages et intérêts pour usage de procédés vexatoires et abusifs,
en tout état de cause :
-condamner la société Baudin [Localité 3] à payer à Monsieur [N] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en appel,
-débouter la société Baudin [Localité 3] de l'ensemble de ses demandes.
L'audience de plaidoiries a été fixée au 3 octobre 2023.
Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu'aux conclusions susvisées, soutenues oralement à l'audience, pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.
MOTIFS DE L'ARRET
Sur le licenciement :
La lettre de licenciement adressée le 7 juin 2006 à Monsieur [N] contient les motifs suivants strictement reproduits:
'En votre qualité de Directeur commercial et directeur Export, vous aviez en charge la responsabilité commerciale du chantier du pont de [Localité 4] au Cameroun.
Alors que ce chantier devait initialement générer un bénéfice net prévisionnel après imputation des frais généraux et avant impôts de l'ordre de 600 000 euros, les pertes se portent d'ores et déjà à ce jour à 1.000.000 euros bien que tous les contentieux (qu'ils aient à ce jour emprunté une voie judiciaire ou non) que ce chantier a générés sur place avec les différents intervenants, notamment avec les fournisseurs locaux et avec le client, ne soient pas épuisés.
Compte tenu de l'absence d'éclaircissement de votre part sur les raisons de ces pertes et des différents contentieux en cours, une enquête a été diligentée sur place à la demande de la Direction de la société.
Les premiers éléments du rapport d'enquête remis le 6 avril dernier font apparaître de très graves anomalies.
Parmi les agissements frauduleux identifiés et pour lesquels une plainte contre X avec constitution de partie civile a été déposée par la société il est notamment possible de relever :
- l'exécution de 3 chantiers importants (réalisation des fondations d'une usine d'emplissage de bouteilles de gaz à [Localité 5] ; réalisation des fondations d'une route de 2 km à [Localité 5], réparation d'une route sur 70 km) pour le compte d'autres donneurs d'ordre à l'insu de Baudin [Localité 3], en utilisant le personnel, le matériel et les matériaux du chantier de [Localité 4],
-des versements d'argent destinés à couvrir les dépenses du chantier de [Localité 4] ont été utilisés pour le paiement de prestations afférentes à d'autres chantiers,
- l'organisation de surfacturation de matériel,
- l'établissement de factures fictives avec la complicité d'entreprises sous-traitantes.
Un certain nombre de témoignages recueillis sur place vous mettent en cause directement.
Il vous est par ailleurs et en toutes hypothèses reproché :
-d'avoir été présent à plusieurs reprises sur le chantier du pont de [Localité 4] ainsi que sur les chantiers pour lesquels du personnel et du matériel de Baudin ont été frauduleusement et massivement détournés et de n'avoir pas informé la Direction de la société de l'ampleur de ces dysfonctionnements manifestes,
-de n'avoir pas pris les mesures adéquates pour les faire immédiatement cesser, comme cela résultait expressément de vos responsabilités,
-de n'avoir pas non plus pris contact avec les donneurs d'ordre des chantiers sur lesquels le personnel et le matériel de Baudin ont été indûment utilisés afin d'établir les bons de commande afférents aux prestations effectuées, procéder à la régularisation de la situation et obtenir les recettes afférentes,
- de n'avoir pas assuré correctement le suivi du paiement de ce chantier qui n'est, à ce jour, toujours pas soldé.
L'ensemble des faits reprochés ci-dessus sont d'autant plus impardonnables que votre expérience de l'export et plus particulièrement de l'Afrique vous avait conduit non seulement à revendiquer la Direction de ce service mais également l'exclusivité de la gestion des rapports commerciaux avec les intervenants sur place.
Le désastre occasionné par cette affaire tant du point de vue strictement financier que de l'image de Baudin en Afrique vous est donc en grande partie imputable.
Compte tenu de la gravité des faits reprochés ci-dessus et de l'impossibilité manifeste de maintenir notre relation de travail, notamment en raison de la perte totale de confiance qui en résulte, ce licenciement prend effet immédiatement.'
La société Baudin [Localité 3] soutient que les griefs reprochés à M. [N] sont particulièrement précis, à savoir le désastre financier du chantier du pont de [Localité 4] dont il avait la responsabilité, l'absence d'alerte donnée à l'entreprise, l'absence de mesures pour que son employeur soit payé et que les agissements frauduleux dont il avait connaissance cessent ainsi que sa participation à des versements d'argent pour d'autres chantiers, à la surfacturation de matériel, à l'établissement de factures fictives, griefs qui justifient incontestablement le licenciement pour faute grave décidé.
La société appelante considère que le licenciement a été initié moins de deux mois après la découverte des faits litigieux, que le non-lieu n'a aucune incidence sur la régularité du licenciement dans la mesure où M. [N] n'a pas été licencié en raison de la commission de certaines infractions mais pour des agissements frauduleux, en violation de ses obligations contractuelles.
Monsieur [N] soutient au contraire que son employeur, informé en mai 2005 de dysfonctionnements et en possession d'un rapport d'enquête prétendument accablant depuis avril 2006, a tardé à le licencier, que le non-lieu prononcé à son bénéfice affecte toute la première partie de la lettre de licenciement, que les autres griefs ne lui sont pas imputables et ne sont pas démontrés puisqu'il était responsable de la négociation commerciale en amont des chantiers à l'export mais en aucun cas responsable de leur exécution ou de leur gestion financière, que les pertes d'exploitation (très différentes de celles annoncées dans la lettre de licenciement) ne lui sont pas imputables, qu'il a spontanément informé le directeur export Monsieur [L], de ses soupçons en janvier 2005 ainsi que le président du directoire en juin suivant. Il considère que son employeur a préféré le licencier, pour ne pas rendre aléatoire le recouvrement de sommes attendues de lui en sa qualité de PDG de la société SAM dans le cadre de sa sortie du capital de cette société et insiste sur la chronologie de ces événements.
L'employeur dispose d'un délai de deux mois, à compter du jour où il a connaissance d'un fait fautif imputé à un salarié, pour engager une procédure disciplinaire s'il le souhaite, en application de l'article L. 1332-4 du code du travail.
Ce délai débute le jour où l'agissement fautif est personnalisé, c'est-à-dire quand l'employeur - qui s'entend aussi comme pouvant être le supérieur hiérarchique du salarié, et ce même s'il n'est pas le titulaire du pouvoir disciplinaire- a une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié.
En l'espèce, la société Baudin [Localité 3] (BC) verse aux débats le rapport d'enquête du Cabinet d'investigations et de recherche de renseignements saisi par elle, le 3 mars 2006, pour mener des investigations et tenter d'expliquer le 'résultat anormalement défavorable du marché de la construction du pont' entre [Localité 5] et [Localité 4] au Cameroun, rapport déposé le 6 avril 2006, conseillant à l'entreprise de déposer des plaintes tant en France qu'au Cameroun et concluant à 'une « carambouille » financière de haut niveau' impliquant notamment Monsieur [N], ainsi qu'une attestation et une lettre en date respectivement des 20 et 27 mars 2006 de Monsieur [E], ayant été son correspondant au Cameroun, mettant en cause l'intimé à l'occasion notamment de la signature d'une convention modifiant des accords antérieurs et 'soldant définitivement le différend' avec la société BC.
Il n'est pas justifié par Monsieur [N] que son employeur ait été suffisamment informé antérieurement de faits susceptibles de lui être reprochés.
En outre, il résulte de l'arrêt de la chambre des appels correctionnels de la Cour d'appel d'Orléans en date du 17 juillet 2018 que le directeur du département export, Monsieur [L], qui avait dès 2003 sollicité, en vain, des explications sur certaines pertes, avait été alerté par Monsieur [N] en cours d'année 2005 ' des agissements anormaux' de [A] [T]. Il n'est pas établi qu'à cette date, l'alerte donnée par l'intimé ait pu conduire l'employeur à s'interroger sur ses propres agissements et ses directives données en Afrique.
Le déclenchement de la procédure de licenciement datant du 16 mai 2006, par l'envoi de la convocation à entretien préalable, ne saurait être qualifié de tardif, ayant eu lieu dans les deux mois du résultat des investigations menées. Aucune prescription des faits fautifs ne saurait être opposée en l'espèce.
Le licenciement étant intervenu pour faute grave, il convient de rappeler que la faute ainsi qualifiée, qui seule peut justifier une mise à pied conservatoire, résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise; il appartient à l'employeur d'en rapporter la preuve.
En l'espèce, pour démontrer la gravité et l'imputabilité au salarié des faits reprochés, la société Baudin [Localité 3] verse aux débats des attestations, factures, conventions, copies de procès-verbaux d'auditions et d'interrogatoires, ainsi que les procès-verbaux de synthèse des enquêteurs chargés de commissions rogatoires dans le cadre de l'affaire dite « Pont de [Localité 4] », qui rappellent qu'en juillet 2002, ladite société a obtenu la maîtrise d'ouvrage de la construction d'un pont et de 800 mètres de route à [Localité 5], lieu-dit [Localité 4] au Cameroun, que les pertes constatées à la réception provisoire du chantier ont conduit l'entreprise à envoyer un détective privé sur site 'qui a mis en évidence des malversations notoires'. Cette expression a été reprise notamment par la cour d'appel d'Orléans dans son arrêt du 17 juillet 2018.
S'il est établi par un document décrivant l'organisation du Département Export en date du 15 janvier 2001 qu'il a pour principal responsable le Directeur Technique Ouvrages d'Art (DTOA) 'particulièrement chargé de gérer l'exploitation du département et de ses filiales comprenant la gestion du personnel et de leurs frais généraux ainsi que le suivi financier et fiscal après commande' et que le directeur commercial (ou DCDE, poste de Monsieur [N]) (également responsable de l'activité export) assure la prospection commerciale, le suivi des demandes d'admission et la revue de chiffrage avec le responsable de zone concernée, en coordination avec le directeur d'exploitation, avant la signature du contrat, force est de constater que les 'malversations notoires' mises en évidence par le détective privé n'ont pas été signalées immédiatement à l'employeur, malgré la connaissance qu'avait Monsieur [N] de l'Afrique, du métier et du chantier.
Or, Monsieur [N], qui a indiqué en cours d'entretien préalable - dont il verse le compte rendu établi par un salarié choisi par lui ( sa pièce 17 )- qu'il avait le devoir de prendre 'des mesures de terrain en cas de crise c'est-à-dire d'événements graves et soudains qu'il serait amené à connaître au cours de ses déplacements', reconnaît aussi 'qu'il avait le devoir d'alerter en cas de problèmes'.
Par ailleurs, Monsieur [N] avoue avoir été informé en décembre 2004 d'une utilisation « irrationnelle du matériel » sur le chantier (pièce 15 page 10) et n'avoir transmis cette information à Monsieur [L] qu'en mai 2005.
En outre, alors que Monsieur [N] était en charge des 'études', de la 'maîtrise d'œuvre', du 'suivi des demandes d'admission' avec notamment 'le choix des partenaires', 'la définition des options techniques et financières assurant la meilleure compétitivité possible', mais aussi de participer 'au minimum trimestriellement à la réunion d'exploitation' , de proposer 'au directeur de département les moyens humains et matériels nécessaires pour le bon déroulement de ces opérations et assurer la gestion du personnel placé sous ses ordres', le procès-verbal d'audition de Monsieur [T], expliquant qu'il faisait lui-même, en sa qualité d'intérimaire d'une société tierce, le tri des postulants, trouvait des solutions pour les locations d'engins, avouant des surfacturations, du 'troc' ou des échanges de matériaux et matériels de la société avec rétrocession de commissions ainsi que l'exécution d'une 'route de 2 km à [Localité 5] pour le compte du Ministère de la ville' permet de retenir de réels manquements de l'intimé à ces différents niveaux, en violation de ses attributions précisément listées. Les autres pièces de la procédure, versées aux débats par la société BC, confirment l'exécution des travaux dans des conditions anormales et peu transparentes pour le siège.
Par ailleurs, dans son audition, en réponse à la question relative à des 'enveloppes pour des commissions occultes', Monsieur [T] a avoué avoir 'amené du courrier à Mifoumbia qui m'avait été remis soit par [N] soit par [F] '.
S'il est vrai que la procédure pénale a reconnu Monsieur [N] coupable de faits commis au Tchad et non au Cameroun, lieu des prétendus manquements listés dans la lettre de licenciement, force est de constater toutefois que les reproches à l'origine de la rupture du contrat de travail correspondent à des détournements de fonds et de matériel du chantier camerounais (pont de [Localité 4]) au profit d'autres chantiers, dont certains menés au Tchad, à l'insu de l'employeur (cf notamment l'audition de Monsieur [T] (sic) 'j'ai également présenté [S] à M. [N] et je sais qu'ils sont allés ensemble au Tchad. À leur retour, M. [N] m'a demandé de lui payer une certaine somme en espèces, mais je ne me souviens du montant. Je me suis exécuté. Je précise que ces sommes venaient du chantier de [Localité 4]. M. [N] m'a dit que [S] allait me remettre une facture et je l'ai payé. À ce moment-là, [S] n'avait fourni aucun service à la société Baudin [Localité 3]'.'Effectivement, j'étais présent lorsque M. [N] a proposé à M. [S]. Cela s'est passé à [Localité 5]'[...] ' [N] a dit clairement à [S] qu'il fallait avoir le marché, même s'il faut le payer. Je n'ai pas entendu le chiffre', étant précisé que Monsieur [S] était le gérant de la société SEMOH, bénéficiaire d'une facture de 18 millions de Francs CFA datée du 20 janvier 2004 ne correspondant à aucune prestation réelle, pour laquelle Monsieur [N] a été condamné pour complicité d'usage de faux.
Les éléments recueillis lors de l'enquête et de l'instruction de l'affaire montrent en outre l'existence, en mai 2003, d'un chantier en vue de la construction d'une usine d'emplissage de bouteilles de gaz avec les engins de la société Baudin [Localité 3], dont Monsieur [N] était au courant dès cette date puisqu'il avait fait un voyage au Cameroun notamment pour y régler le prêt d'engins par Monsieur [T].
Enfin, il résulte de l'arrêt de la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel d'Orléans en date du 17 juillet 2018 que Monsieur [N] a commis un délit à l'occasion de l'exercice de son activité professionnelle et alors qu'il était investi de 'responsabilités qui auraient dû le conduire à s'assurer du respect de la législation', que s'il n'a pas eu une action directe aussi importante, 'son statut et sa rémunération devaient l'amener à contrôler les actions sur le terrain et non à favoriser voire à donner des directives pour que les règles soient transgressées'.
Par conséquent, les principaux griefs retenus dans la lettre de licenciement étant vérifiés, le licenciement de l'espèce, fondé sur une faute grave, est justifié, le maintien du salarié s'avérant impossible dans la structure.
Le jugement de première instance doit donc être infirmé en ce qu'il a dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamné l'employeur à diverses sommes au titre des indemnités et documents de rupture.
Enfin, le présent arrêt, infirmatif sur le licenciement et les sommes induites, constitue le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution du jugement; il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de restitution formulée par la société Baudin [Localité 3].
Il convient de rappeler toutefois que les sommes devant être restituées portent intérêts au taux légal à compter de la signification, valant mise en demeure, de la décision ouvrant droit à restitution.
Sur les procédés abusifs et vexatoires :
Face à Monsieur [N] qui invoque des manquements de son employeur à son obligation d'exécuter de bonne foi le contrat de travail en lui reprochant de l'avoir humilié sur la base de griefs infondés et inopposables et en procédant à son éviction brutale, particulièrement attentatoire à son honneur, en communiquant les motifs de son licenciement, et réclame 70'000 € à titre de dommages-intérêts de ce chef, la société Baudin [Localité 3] conclut au rejet de la demande, insistant sur le caractère fantaisiste de l'argumentation développée par son adversaire.
En l'espèce, alors que Monsieur [N] a été mis à pied à titre conservatoire par courrier du 16 mai 2006 et que ni le courrier de convocation à entretien préalable, ni la lettre de licenciement ne sont démontrés comme contenant des griefs ou accusations infondés ou comme ayant été rendus publics, la démonstration d'un préjudice résultant de procédés abusifs et vexatoires n'est pas faite.
La demande d'indemnisation à ce titre doit donc être rejetée, par confirmation du jugement entrepris.
Sur le rappel de salaire :
La société Baudin [Localité 3] demande la confirmation du jugement qui a rejeté la demande de rappel de salaire au titre d'une prime de 13ème mois / fin d'année, expliquant que la somme de 5 820 € lui a été versée en juin 2006 prorata temporis, eu égard à sa présence au sein de l'entreprise en 2006.
Monsieur [N] réclame la somme de 1 592 € pour solde de sa prime de fin d'année/13ème mois, ainsi que les congés payés y afférents.
La relation de travail de l'espèce a pris fin avec la lettre de licenciement datée du 7 juin 2006.
L'intimé, qui ne précise pas le fondement juridique de sa prétention et qui reconnaît le versement effectif de la somme invoquée par l'employeur en juin 2006, ne se prononce pas sur la proratisation de ce montant par rapport à sa présence dans l'entreprise; il doit être débouté de sa demande, alors que le contrat de travail versé aux débats stipule un treizième mois payé en totalité en décembre, sans précision sur son calcul en cas de départ anticipé.
Le jugement de première instance doit donc être confirmé de ce chef.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Monsieur [N], qui succombe, doit être tenu aux dépens de première instance, par infirmation du jugement entrepris, et d'appel.
L'équité commande d'infirmer le jugement de première instance relativement aux frais irrépétibles, et faisant application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société employeur, de lui allouer à ce titre la somme globale de 1 500 € à la charge du salarié.
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe à une date dont les parties ont été avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
INFIRME le jugement déféré, sauf en ses dispositions relatives à l'indemnisation de procédés vexatoires et abusifs et au paiement d' un solde de prime de fin d'année,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
DIT le licenciement de Monsieur [M] [N] fondé sur une faute grave,
CONDAMNE Monsieur [M] [N] à payer à la société Baudin [Localité 3] la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
REJETTE les autres demandes des parties,
CONDAMNE Monsieur [N] aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE