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Décisions

CA Agen, ch. soc., 28 novembre 2023, n° 22/00788

AGEN

Arrêt

Autre

CA Agen n° 22/00788

28 novembre 2023

ARRÊT DU

28 NOVEMBRE 2023

PF/AM

-----------------------

N° RG 22/00788 -

N° Portalis DBVO-V-B7G-DBH2

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Association PROTESTANTE RÉGIONALE D'ECOUTE ET DE SOUTIEN

C/

[E] [M]

-----------------------

Grosse délivrée

le :

aux avocats

ARRÊT n° /2023

COUR D'APPEL D'AGEN

Chambre Sociale

La COUR d'APPEL D'AGEN, CHAMBRE SOCIALE, dans l'affaire

ENTRE :

Association PROTESTANTE RÉGIONALE D'ECOUTE ET DE SOUTIEN prise en la personne de son représentant en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représentée par Me Christophe BIAIS, avocat au barreau de BORDEAUX

APPELANTE d'un jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de MARMANDE en date du 29 Août 2022 dans une affaire enregistrée au rôle sous le n° R.G. F21/00009

d'une part,

ET :

[E] [M]

nationalité française,

née le 27 Octobre 1987 à [Localité 4]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Renaud DUFEU, substitué par Me CONSTANTE, avocat au barreau d'AGEN

INTIMÉE

d'autre part,

COMPOSITION DE LA COUR :

l'affaire a été débattue et plaidée en audience publique le 03 Octobre 2023, sans opposition des parties, devant la cour composée de :

Pascale FOUQUET, Conseiller faisant fonction de présidente

Anne Laure RIGAULT, Conseiller

qui en ont rendu compte dans le délibéré de la cour composée outre elles-mêmes de :

Elisabeth SCHELLINO, Présidente de Chambre

en application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, et après qu'il en a été délibéré par les magistrats ci-dessus nommés,

Greffière : Nathalie CAILHETON

ARRÊT : prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile

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'

FAITS ET PROCÉDURE :

L'association protestante régionale d'écoute et de soutien (ci-après désignée l'APRES) a une mission d'accueil, de soin, d'éducation, d'accompagnement vers l'autonomie des enfants et adolescents et jeunes adultes. Elle offre des passerelles entre l'hospitalisation et la vie en société et gère neuf établissements et services destinés à des enfants en Lot-et-Garonne.

Le 1er octobre 2019, Mme [E] [M] a été engagée par l'APRES en qualité de chef de service éducatif auprès de l'établissement Clair Matin, par contrat de travail à durée déterminée à temps complet, courant du 2 octobre 2019 au 23 octobre 2019, en remplacement partiel de Madame [F] [X], elle-même employée en qualité de chef de service éducatif par glissement de poste en remplacement de Madame [R] [J], directrice adjointe, absente pour maladie.

Le 23 octobre 2019, le contrat a été renouvelé, une première fois, jusqu'au 24 novembre 2019.

Le 25 novembre 2019 a été signé un contrat de travail à durée déterminée, à temps complet et à terme imprécis.

Le même 25 novembre 2019 a été signé un autre contrat de travail à durée déterminée, mais fixant cette fois l'échéance du terme à la date du 19 janvier 2020.

Le 20 janvier 2020, le contrat a été renouvelé jusqu'au 23 février 2020.

Le 24 février 2020, le contrat a été reconduit jusqu'au 25 février 2020.

Le 25 février 2020, l'APRES a mis fin aux fonctions de Mme [E] [M] et a recruté un nouveau salarié.

Le 23 février 2021, Mme [E] [M] a saisi le conseil de prud'hommes de Marmande pour contester les conditions d'exécution et de rupture de son contrat de travail.

Le 6 décembre 2021, le conseil s'est déclaré en partage de voix.

Par jugement du 29 août 2022, le conseil de prud'hommes en formation de départage a jugé le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et a ainsi condamné la société à lui payer les sommes suivantes :

- condamné l'APRES payer à Mme [E] [M] la somme de 78 594, 52 euros, à titre de dommages et intérêts pour rupture anticipée illicite du contrat de travail à durée déterminée à terme imprécis en date du 25 novembre 2019 ;

- condamné l'APRES à payer à Mme [E] [M] la somme de 6 040, 64 euros, à titre d'indemnité de fin de contrat ;

- condamné l'APRES payer à Mme [E] [M] la somme de 1 000 euros, à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

- débouté Mme [E] [M] de sa demande de paiement d'heures supplémentaires et de congés payés afférents ;

- débouté Mme [E] [M] de sa demande de paiement de l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L8223-1 du code du travail, en cas de travail dissimulé ;

- condamné l'APRES à payer à Mme [E] [M] la somme de 3 000 euros, sur le fondement 700 du code de procédure civile

- condamné l'APRES aux dépens

- rappelé que la présente décision était exécutoire à titre provisoire (article 514 du Code de procédure civile)

Par déclaration du 29 septembre 2022, l'APRES a régulièrement déclaré former appel du jugement en indiquant que l'appel porte sur les dispositions du jugement qui l'ont :

- condamnée à payer à Mme [E] [M] la somme de 78 594, 52 euros, à titre de dommages et intérêts pour rupture anticipée illicite du contrat de travail à durée déterminée à terme imprécis en date du 25 novembre 2019 ;

- condamnée à payer à Mme [E] [M] la somme de 6 040, 64 euros, à titre d'indemnité de fin de contrat ;

- condamnée à payer à Mme [E] [M] la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

- condamnée à payer à Mme [E] [M] la somme de 3 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

- condamnée aux dépens

Mme [E] [M] a interjeté appel incident.

La procédure de mise en état a été clôturée par ordonnance du 10 août 2023.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

I. Moyens et prétentions de l'APRES appelante principale et intimée sur appel incident

Aux termes de ses dernières conclusions enregistrées au greffe le 5 juillet 2023 expressément visées pour plus ample exposé des moyens et prétentions de l'appelante, l'APRES demande à la cour de':

- La déclarer recevable et bien fondée en son appel

- Réformer la décision entreprise en l'ensemble de ses dispositions contestées

Et statuant à nouveau

- Débouter Madame [E] [M] en sa demande tendant à la voir condamner à lui payer une somme de 83 120.63 € à titre de dommages et intérêts pour rupture anticipée illicite du contrat de travail à durée déterminée à terme imprécis en date du 25 novembre 2019

- Débouter Madame [E] [M] de sa demande tendant à la voir condamner à lui payer une somme de 6 040.64 € à titre d'indemnité de fin de contrat

- Débouter Madame [E] [M] en sa demande tendant à la voir condamner à lui payer une somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral

- débouter Madame [E] [M] en sa demande tendant à la voir condamner à lui payer une somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens

- Condamner Madame [E] [M] à lui payer à une indemnité de 4 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

- Condamner enfin Madame [E] [M] aux entiers dépens de première instance et d'appel

A l'appui de ses prétentions, l'APRES fait valoir que :

- le conseil de prud'hommes a considéré à tort que le second contrat de travail à durée déterminée à terme précis n'avait pas opéré novation du premier contrat à durée déterminée à terme imprécis daté du même jour, 25 novembre 2020, et qu'en conséquence la cessation des relations contractuelles le 25 février 2020 s'analysait en une rupture anticipée illicite

- la salariée est de mauvaise foi

- la substitution d'un terme imprécis à un terme précis l'a été à la demande expresse de la salariée le 8 janvier 2020 au motif qu'elle avait initié une formation professionnelle depuis le 15 octobre

- il y a eu novation à la demande de la salariée et dans son intérêt

- sur le préjudice moral:

- la salariée n'a apporté la preuve d'aucun manquement fautif au titre de ses obligations

- les attestations produites ne sont pas probantes

- il n'existe aucune discrimination en tant que lanceur d'alerte et elle n'a jamais révélé une menace ou un préjudice grave pour l'intérêt général

- elle n'a pas eu connaissance du dysfonctionnement de la chaudière et a immédiatement pris les mesures nécessaires dès sa connaissance, selon devis produit signé le 19 février,

- le contrôle par le service de contrôle du service des prestations et structures sociales a été positif le 21 février

- les contrôles par ce service sont annuels

- la salariée a sollicité ce service alors qu'elle n'était plus salariée de la structure depuis plus d'un an

- les attestations produites par la salariée sont inopérantes

- elle produit l'attestation du directeur général, M. [W]

- les documents ont été présentés en CSE en toute transparence et les conclusions ont été abordées

- seule la crise sanitaire a décalé la réception et l'installation des pièces

- aucune plainte n'a émané des salariés

- l'inspectrice du département a constaté que la température des lieux était tout à fait correcte comme elle en justifie

- elle a souscrit un contrat de maintenance et en justifie

- dans les derniers temps de la relation contractuelle, la salariée a multiplié les manquements professionnels et les accusations mensongères

- le changement de prestataire de la cuisine centrale n'a jamais conduit à une rupture d'approvisionnement

- la salariée a dépassé les limites de son droit d'expression car il s'agit d'un prestataire ayant reçu l'habilitation du ministère de la justice et elle devait auparavant en informer sa hiérarchie avant d'élever des critiques

- la dégradation de son état de santé en lien avec ses conditions de travail n'est pas démontrée

- les trois attestations produites ne sont pas probantes

- sur la demande d'exclusion du barème l'article 1235-3 du code du travail:

- la salariée n'est pas en droit de solliciter une indemnisation supérieure à celle prévue par le barème

- toute condamnation, quel que soit son quantum, aurait un impact négatif sur l'association eu égard à sa situation financière critique

II. Moyens et prétentions de Mme [E] [M] intimée sur appel principal et appelante sur incident

Selon dernières conclusions enregistrées au greffe de la cour le 3 août 2023 expressément visées pour plus ample exposé des moyens et prétentions de l'intimée, Mme [E] [M] demande à la cour de :

- Juger qu'elle est recevable et bien fondée en ses demandes fins et conclusions et en son appel incident

- Débouter l'APRES de l'ensemble de ses demandes formées en appel

En conséquence :

- Confirmer le jugement de première instance du conseil de prud'hommes de Marmande du 29 août 2022, en ce qu'il a :

- condamné l'APRES à lui payer la somme de 78 594,52 € à titre de dommages et intérêts pour rupture anticipée illicite du contrat de travail à durée déterminée à terme imprécis en date du 25 novembre 2019

- condamné l'APRES à lui payer une indemnité de fin de contrat

- condamné l'APRES à lui payer des dommages et intérêts pour préjudice moral

- condamné l'APRES à lui payer la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance

- condamné l'APRES aux dépens de la première instance

Vu son appel incident

- Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Marmande du 29 août 2022 en ce qu'il a :

- condamné l'APRES à lui payer la somme de 6 040,64 euros à titre d'indemnité de fin de contrat

- condamné l'APRES à lui payer la somme de 1 000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral

- l'a déboutée de sa demande de paiement d'heures supplémentaires et de congés payés afférents

- l'a déboutée de sa demande de paiement de l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L.8223-1 du code du travail en cas de travail dissimulé

et statuant de nouveau des chefs précités, il est demandé à la cour d'appel de :

- Condamner l'APRES à lui payer la somme de 7859,45 € à titre d'indemnité de fin de contrat

- Condamner l'APRES à lui payer la somme de la somme de 10 000 € nets à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral

- Condamner l'APRES à lui payer la somme de la somme de 1756,64 € à titre de rappels de salaires pour les heures supplémentaires effectuées et 175,61 € au titre du congés payés afférents

- Condamner l'APRES à lui payer la somme 26 248,62 € à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé

Y ajoutant, il est demandé à la cour d'appel de :

- Condamner l'APRES à lui payer la somme de la somme de 5000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'instance d'appel

- Condamner l'APRES au paiement des entiers dépens de l'instance d'appel dont distraction au profit de Me Dufeu sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile

A titre subsidiaire,

Si par extraordinaire la cour infirme le jugement de première instance et ne retient pas la rupture anticipée illicite du contrat de travail à durée déterminée

- Requalifier les contrats de travail à durée déterminée qui forment un tout indivisible, en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 2 octobre 2019, ou à défaut les requalifier à compter du 25 novembre 2019

En conséquence,

- Condamner l'APRES à lui payer les sommes suivantes :

- 4 374,77 € au titre de l'indemnité de requalification prévue par l'article L.1245-2 du code du travail

-26 248, 62 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou à défaut sans cause réelle et sérieuse

- 17 499,08 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 1749,91 € au titre des congés payés afférents

En tant que de besoin, juger que doit être écarté le montant maximal d'indemnisation prévu par l'article L.1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité, le plafonnement violant les dispositions de l'article 24 de la Charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la convention 158 de l'OIT et le droit au procès équitable ou, à défaut, écarter ce plafonnement en raison de l'atteinte disproportionnée portée à ses droits

A titre infiniment subsidiaire :

Si la cour ne retient pas la requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée

- Juger que l'employeur s'est rendu coupable de discrimination/mesure discriminatoire en violation de la législation applicable aux lanceurs d'alerte, a agi en méconnaissance de la liberté d'expression de la salariée et a fait preuve de mauvaise foi et de déloyauté

- Juger que l'absence de renouvellement du contrat déterminée et/ou l'absence de proposition d'un nouveau contrat est illicite, injustifiée et abusive

En conséquence,

- Condamner l'APRES à lui payer la somme de 30 000 € nets à titre de dommages et intérêts en raison de la discrimination subie et/ou de la violation de la liberté d'expression de la salariée et/ou de la déloyauté de l'employeur

En tout état de cause

- Condamner l'APRES à lui payer les sommes suivantes :

- 10 000 € nets au titre du préjudice moral subi par la salariée, consécutif aux agissements de l'employeur

- 1 756,64 € à titre de rappels de salaires pour les heures supplémentaires effectuées et 175,61 € au titre du congés payés afférents

- 26 248,62 € à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé

- 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'instance d'appel

- 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance

- aux dépens de l'instance d'appel dont distraction au profit de Me Dufeu sur le fondement des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile

En tant que de besoin, juger que doit être écarté le montant maximal d'indemnisation prévu par l'article L.1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité,ce plafonnement violant les dispositions de l'article 24 de la Charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la convention 158 de l'OIT et le droit au procès équitable ou, à défaut, écarter ce plafonnement en raison de l'atteinte disproportionnée portée à ses droits

- Juger que l'ensemble des condamnations produiront intérêts au taux légal à compter de la saisine prud'homale

A l'appui de ses prétentions, Mme [E] [M] fait valoir que:

- les cas de rupture anticipée d'un contrat à durée déterminée sont limitativement énumérés par l'article L1243-1 du code du travail

- le contrat de travail à durée déterminée à terme imprécis ne pouvait être rompu le

25 novembre avant la date de retour du salarié absent

- l'APRES n'a pas déféré à sa demande de production de l'intégralité des arrêts de travail de Mme [J] qui a été licenciée pour inaptitude le 22 septembre 2021, ni justifié du fait que Mme [X] pouvait reprendre son poste et a cessé le remplacement de Mme [J]

- l'attestation de Mme [D] selon laquelle elle sollicitait un terme précis car elle avait initié une formation mi-octobre est mensongère

- l'employeur était informé de sa formation CAFERUIS et l'avait autorisée dès son embauche à s'absenter et elle produit l'attestation du 2 octobre 2019

- elle conteste aussi l'attestation de Mme [Z]': seuls versements de la prime de précarité ont été versés en février 2020

- l'attestation de Mme [I] n'apporte aucun élément

- il n'existe aucune novation entre les contrats et la preuve de l'intention commune n'est pas rapportée

- elle n'avait aucun intérêt à un contrat à terme imprécis

- dans ce cas, l'employeur l'aurait indiqué la cause de la novation ou de la substitution de l'ancien par le nouveau contrat ou de la conclusion d'un avenant

- l'employeur ne dit rien sur l'intention de nover et les conditions de sa conclusion

- le contrat à terme précis est antidaté (la demande de la salariée a été faite selon l'APRES le 8 janvier 2020)

MOTIFS

I- Sur la rupture du contrat de travail

A- l'appelant invoque le principe de la novation à titre principal

Selon l'article 1329 du code civil, la novation est un contrat qui a pour objet de substituer à une obligation, qu'elle éteint, une obligation nouvelle qu'elle crée.

En l'espèce, il ne s'agit donc pas d'une novation mais de la coexistence de deux contrats datés et signés par les parties du même jour, le 25 novembre 2019':

- l'un à terme imprécis: «ce contrat est conclu pour une durée minimale de 28 jours (soit du 25/11/2019 au 22/12/2019). Si l'absence de Mme [X] se prolongeait au-delà de la période minimale envisagée par le présent contrat, celui-ci se poursuivrait jusqu'à la date de retour du salarié absent, date qui constituerait alors le terme automatique du contrat»

- l'autre à terme précis':19 janvier 2020 pour assurer le remplacement partiel de Mme [X], chef de service éducatif, par glissement de poste en remplacement de Mme [J], directrice adjointe pour maladie, puis renouvelé jusqu'au 23 puis 25 février 2020 pour le même motif.

Il importe peu de savoir quel est le contrat réellement conclu en premier à partir du moment où un contrat à terme précis a été signé par les parties, a été exécuté et a été renouvelé trois fois sans contestation jusqu'à son terme le 25 février 2020.

Par conséquent, le contrat a cessé de s'exécuter à la date prévue, soit le 25 février 2020. Il n'existe donc pas de rupture anticipée du contrat à terme imprécis qui ne s'appliquait pas.

En conséquence, la cour infirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné l'APRES à payer à Mme [M] la somme de 78 594,52 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture anticipée illicite du contrat de travail à durée déterminée à terme imprécis du

25 novembre 2019 ainsi que la somme de 6 040,64 euros à titre d'indemnité de fin de contrat et la déboute de ses demandes.

II- A titre subsidiaire, sur la requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée:

Mme [M] fait valoir que le second contrat signé le 20 janvier (premier renouvellement) a été antidaté car elle était absente de son lieu de travail à ces dates pour congés puis formation.

Or, être en congés ou en formation n'est pas un motif qui justifie d'être empêché de se déplacer pour venir signer un contrat de travail.

De plus, c'est bien sa signature qui est apposée sur le contrat litigieux.

En conséquence, la cour déboute la salariée de sa demande de requalification et en indemnités subséquentes.

III- Sur le non-renouvellement du contrat

A- Sur la procédure d'alerte

Mme [M] se prévaut des dispositions de la loi Sapin 2 et de son article 6 qui institue le statut protecteur de lanceur d'alerte et de l'article L1132-3-3 du code du travail, dans sa version applicable au litige du 11 décembre 2016 jusqu'au 1er septembre 2022, selon lequel: «Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article'L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions.

Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation professionnelle, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir signalé une alerte dans le respect des articles'6'à'8'de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

En cas de litige relatif à l'application des premiers et deuxièmes alinéas, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, ou qu'elle a signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.»

L'article L1132-4 du code du travail, dans sa version applicable au litige, sanctionne par la nullité tout acte pris en violation du chapitre concernant le principe de non discrimination:«toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance des dispositions du présent chapitre est nul».

La protection propre au lanceur d'alerte doit s'entendre de la relation ou du témoignage de faits susceptibles d'être constitutifs d'un délit ou d'un crime et doit s'entendre strictement.

Il n'existe pas de préalable à la dénonciation.

La mauvaise foi du salarié ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce.

En l'espèce, la salariée soutient que son alerte concernant les dysfonctionnements de l'institution et les conditions d'accueil des enfants sont à l'origine de la procédure de licenciement.

Elle a alerté son employeur le 31 janvier, le 5 février 2020 et lors d'une réunion le

12 février 2020 sur les conditions d'accueil des enfants privés de chauffage et d'eau chaude pendant trois semaines en plein hiver, entre janvier et février 2020 et que ses relances sont demeurées sans effet.

Elle a également alerté le conseil départemental qui a effectué un contrôle inopiné le

20 février 2020.

Son bulletin de salaire du 1er au 23 février 2020 est le seul mentionnant l'indemnité de précarité et l'indemnité compensatrice de congés payés ce qui démontre que la décision était déjà prise en amont.

Son dernier contrat n'a été renouvelé que pour deux jours alors qu'après son départ, son poste a été pourvu par des contrats à durée déterminés successifs.

Pour bénéficier de la protection conférée au lanceur d'alerte, il faut rapporter que les faits sont susceptibles d'être constitutifs d'un crime ou d'un délit.

Or, il résulte des éléments produits que Mme [M] a seulement signalé des dysfonctionnements du système de chauffage et la situation des enfants accueillis. Ces éléments de fait, dont la relation de bonne foi n'est pas contestée, ne laissent pas présumer de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime.

Par conséquent, la cour ne reconnaît pas à Mme [M] le statut de lanceur d'alerte.

Il n'existe donc pas de non renouvellement illicite du contrat de travail tel qu'invoqué. Mme [M] sera déboutée de sa demande de ce chef.

B- Sur le droit d'expression du salarié et l'exécution de bonne foi du contrat de travail

Aux termes de l'article L.1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

La bonne foi se présumant, la charge de la preuve de l'exécution déloyale du contrat de travail par l'employeur incombe au salarié

L'article L2281-1 du code du travail dispose que: «Les salariés bénéficient d'un droit à l'expression directe et collective sur le contenu, les conditions d'exercice et l'organisation de leur travail.

L'accès de chacun au droit d'expression collective peut être assuré par le recours aux outils numériques sans que l'exercice de ce droit ne puisse méconnaître les droits et obligations des salariés dans l'entreprise.»

La salariée reproche à l'employeur de lui avoir proposé plusieurs contrats à durée déterminée pour absence et d'avoir mis brutalement un terme à son contrat en raison de son positionnement, que la salariée remplacée était toujours absente au moment du non renouvellement de son contrat et que d'autres contrats à durée déterminée se sont succédé après son départ lequel a été uniquement motivé par la volonté de l'évincer.

Mme [M] soutient qu'elle a été sanctionnée pour avoir fait usage de son droit d'expression au sujet des dysfonctionnements de la chaudière de l'établissement et de la pétition qu'elle a signée concernant le changement d'organisation au niveau de la cuisine centrale diffusée en février 2020 et débattue lors d'une réunion le 21 février 2020.

Elle fait valoir avoir agi dans l'intérêt des jeunes accueillis et n'avoir proféré aucune accusation mensongère.

L'employeur conteste ses allégations en soutenant:

- d'une part avoir engagé les réparations dès qu'il a eu connaissance des dysfonctionnements de la chaudière. Il en justifie par courriel du 6 février 2020' au conseil départemental: «'la chaudière de Clair Matin est elle aussi hors d'usage. Elle est irréparable. L'entreprise Duplan doit nous transmettre dans les prochaines heures un devis de changement. Les jeunes vont prendre les douches dans deux autres établissements immédiatement à proximité (...)'». Le devis a été transmis par M. [W] au conseil départemental dès sa réception le 19 février. La réparation a été constatée le

21 février 2020 par Mme [L], chargée du contrôle des structures sociales et médico-sociales: «'(') nous avons procédé avec M. [G], directeur de l'autonomie, à une visite de contrôle de la MECS Clair Matin, suite à une déclaration de défaut de chauffage. Nous avons pu nous entretenir avec les éducateurs et tous les jeunes sur place et sur notre temps de présence nous avons pu constater que l'accueil était tout à fait convenable. Nous ferons d'ailleurs état avec vous d'une température peut être trop élevée pour la saison dans les locaux. En l'état, rien ne laisse présager d'un impact sur les jeunes accueillis. (...)'»

- d'autre part, qu'il ne lui a jamais interdit de s'exprimer mais que les derniers temps, Mme [M] avait multiplié les manquements professionnels en diffusant de fausses allégations auprès du conseil départemental qui ne relevaient ni de son poste ni de ses missions s'agissant, pour exemple, du changement de prestataire de la cuisine centrale.

Force est de constater que l'employeur a fait usage de son pouvoir disciplinaire en licenciant une salariée qui avait manqué à ses obligations professionnelles en tant que cadre, en contactant directement l'instance supérieure, à savoir le conseil départemental, au risque de lui faire perdre son habilitation auprès du ministère de la Justice sans lui en référer préalablement.

Le statut de lanceur d'alerte ne lui étant pas reconnu et le droit d'expression n'étant pas en lien avec le non renouvellement du contrat mais bien le non-respect de son obligation de loyauté, ni la démonstration d'un comportement déloyal de l'employeur, la cour déboute Mme [M] de sa demande en dommages et intérêts de la somme de 30 000 euros.

En l'absence de démonstration d'un préjudice distinct en lien avec ses conditions de travail, la cour infirme le jugement en ce qu'il a condamné l'APRES à payer à Mme [M] la somme de 1 000 euros pour préjudice moral et la déboute de sa demande.

III- Sur les heures supplémentaires:

Aux termes de l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles et , dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, en évalue le nombre et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Si la preuve des horaires de travail effectués n'incombe ainsi spécialement à aucune des parties et si l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de présenter, préalablement, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies pour permettre à l'employeur, qui doit assurer le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en fournissant ses propres éléments

En l'espèce, Mme [M] produit au soutien de sa demande en paiement d'un rappel de salaire pour heures supplémentaires deux décomptes hebdomadaire et mensuel des heures accomplies en janvier 2020 et février 2020 sous forme d'un tableau synthétique indiquant jour après jour le nombre d'heures accomplies. Elle produit également l'attestation de M. [O] qui atteste de la surcharge de travail de Mme [M] après sa démission en décembre 2019

Pour s'opposer à son décompte d'heures supplémentaires non rémunérées, l'employeur fait valoir en premier lieu que les heures réclamées non pas été soumises pour validation au supérieur hiérarchique de la salariée et produit la note d'information intitulée «procédure concernant la gestion des heures supplémentaires et complémentaires».

L'employeur assure le contrôle des heures supplémentaires effectuées.

Pour confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande, il suffira de rajouter que l'accord implicite de l'employeur n'est pas rapporté et que Mme [M] ne conteste pas avoir eu connaissance de la note produite.

Par voie de conséquence, la cour confirme le jugement déféré en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en travail dissimulé.

V- Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Mme [M], qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à payer à l'APRES la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. La condamnation de première instance sera infirmée de ce chef.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, et en dernier ressort,

CONFIRME le jugement du 29 août 2022 en ce qu'il a':

- débouté Mme [E] [M] de sa demande d'heures supplémentaires et congés payés afférents,

- débouté Mme [E] [M] en indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

INFIRME le jugement du 29 août 2022 en ce qu'il a':

- condamné l'association protestante régionale d'écoute et de soutien à payer à Mme [E] [M] les sommes de:

- 78 594,52 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture anticipée illicite du contrat de travail à durée déterminée à terme imprécis du 25 novembre 2019

- 6 0040,64 euros à titre d'indemnité de fin de contrat

- 1000 euros à titre de préjudice moral

- 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

- condamné l'association protestante régionale d'écoute et de soutien aux dépens

Statuant de nouveau et y ajoutant,

- DÉBOUTE Mme [E] [M] de sa demande en dommages et intérêts pour rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée à terme imprécis du 25 novembre 2019,

- DÉBOUTE Mme [E] [M] de sa demande subsidiaire en requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée à compter du 2 octobre 2019, ou à défaut, à compter du 25 novembre 2019,

- DÉBOUTE Mme [E] [M] de sa demande en indemnité de requalification,

- DÉBOUTE Mme [E] [M] de sa demande en licenciement nul ou à défaut sans cause réelle et sérieuse,

- DÉBOUTE Mme [E] [M] de sa demande en indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents,

-,DÉBOUTE Mme [E] [M] de sa demande présentée à titre infiniment subsidiaire en dommages et intérêts pour discrimination et/ou en violation de la liberté d'expression et/ou de la déloyauté de l'employeur,

- DÉBOUTE Mme [E] [M] de sa demande en préjudice moral,

- CONDAMNE Mme [E] [M] aux dépens de première instance et d'appel,

- CONDAMNE Mme [E] [M] à payer à l'association protestante régionale d'écoute et de soutien la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et la déboute de ses demandes en frais non répétibles de procédure.

Le présent arrêt a été signé par Pascale FOUQUET, conseiller faisant fonction de présidente de chambre, et par Nathalie CAILHETON, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,