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Décisions

CA Dijon, ch. soc., 23 novembre 2023, n° 22/00171

DIJON

Arrêt

Autre

CA Dijon n° 22/00171

23 novembre 2023

[K] [R]

C/

[K] [V] [I]

UNÉDIC DÉLÉGATION AGS CGEA - AGS [Localité 5]

S.C.P. BTSG- MAITRE [T] [F] ès-qualités de « Commissaire à l'exécution du plan » de « [I] [K] »

Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE - AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE DIJON

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 23 NOVEMBRE 2023

MINUTE N°

N° RG 22/00171 - N° Portalis DBVF-V-B7G-F4RA

Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CHALON SUR SAONE, décision attaquée en date du 25 Janvier 2022, enregistrée sous le n° F19/00377

APPELANT :

[K] [R]

[Adresse 1]

[Localité 6]

représenté par Me Stefan RIBEIRO de la SELARL ALTILEX AVOCATS, avocat au barreau de VAL D'OISE

INTIMÉS :

[K] [V] [I]

[Adresse 2]

[Localité 7]

représenté par Maître Alexandre JAFFEUX, avocat au barreau de DIJON

UNÉDIC DÉLÉGATION AGS CGEA - AGS [Localité 5]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 5]

représenté par Maître Florence GAUDILLIERE, avocat au barreau de PARIS substitué par Maître Justine CALO, avocat au barreau de CHALON-SUR-SAONE, Maître Carole FOURNIER, avocat au barreau de CHALON-SUR-SAONE

S.C.P. BTSG- MAITRE [T] [F] ès-qualités de « Commissaire à l'exécution du plan » de « [I] [K] »

[Adresse 3]

[Localité 5]

non comparante, non représentée

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Octobre 2023 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller chargé d'instruire l'affaire et qui a fait rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :

Olivier MANSION, Président de chambre,

Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,

Katherine DIJOUX-GONTHIER, Conseiller,

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Jennifer VAL,

ARRÊT : réputé contradictoire,

PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Jennifer VAL, Greffière, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

M. [K] [R] a été embauché par M. [K] [I] le 29 mai 2017 par un contrat à durée déterminée en qualité de gestionnaire de son établissement "Bed & Breakfast - Le Train des Rêves" à [Localité 8] (71).

Conclue pour une durée initiale de 6 mois, la relation contractuelle s'est poursuivie à durée indéterminée à compter du 1er décembre 2017.

Du 18 février au 17 juillet 2019, M. [R] a été placé en arrêt de travail.

Au terme de la visite de reprise du 18 juillet 2019, le médecin du travail a émis un avis d'inaptitude avec dispense de reclassement au motif que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé.

M. [R] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement le 12 août 2019.

Il a été licencié le 16 août suivant pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Par requête du 23 octobre 2019, M. [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Chalon-sur-Saône afin de juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse et faire condamner l'employeur aux conséquences indemnitaires afférentes, outre des dommages-intérêts pour harcèlement moral.

Par jugement du 25 janvier 2022, le conseil de prud'hommes de Chalon-sur-Saône a rejeté l'ensemble des demandes du salarié.

Par déclaration formée le 25 février 2022, M. [R] a relevé appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières écritures du 17 mai 2022, l'appelant demande de :

- infirmer en totalité le jugement déféré,

- dire que M. [R] a été victime de harcèlement et de dégradation de ses conditions de travail. Dire que partant, le licenciement fondé sur l'avis d'inaptitude mais ayant comme cause le harcèlement et la dégradation des conditions de travail est dénué de toute cause réelle et sérieuse,

- condamner M. [I] à lui payer les sommes suivantes :

* 5 570,36 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 557,03 euros au titre des congés payés afférents,

* 16 711,08 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive,

* 16 711,08 euros à titre de dommages-intérêts distincts pour harcèlement moral et dégradations des conditions de travail,

* 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dire que l'ensemble des sommes dues et à caractère salarial portera intérêt au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes,

- ordonner la capitalisation des intérêts au taux légal en application de l'article 1154 du code civil à compter du prononcé du jugement à intervenir,

- condamner M. [I] aux entiers dépens,

- fixer en tant que de besoin les condamnations sur l'état des créances salariales et/ou au passif de M. [I],

- dire que "le jugement à intervenir" sera opposable au CGEA et à la SCP BTSG ès qualité de mandataire judiciaire de M. [I],

- juger que le CGEA devra intervenir en garantie des sommes sollicitées,

- dire que les sommes sollicitées au titre de la créance salariale seront réglées sur les fonds disponibles de M. [I] ou à défaut sur les premières rentrées de fonds,

- débouter M. [I] de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles,

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

Aux termes de ses dernières écritures du 1er août 2022, M. [I] demande de :

- confirmer le jugement déféré,

en conséquence :

- débouter M. [R] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

- déclarer que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse,

- constater l'absence de harcèlement moral et de dégradations des conditions de travail dont M. [R] se prétend victime,

- le condamner à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières écritures du 10 août 2022, l'AGS-CGEA de [Localité 5] demande de :

- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions

à titre principal, sur la mise hors de cause de l'UNEDIC AGS :

- constater qu'un plan de redressement a été adopté,

- constater que M. [I] ne se trouve plus en procédure de redressement judiciaire et n'a pas fait l'objet d'une liquidation judiciaire,

- juger que la procédure de redressement judiciaire a pris fin avec l'adoption du plan de redressement,

- mettre hors de cause la garantie de l'AGS, aucune procédure collective n'étant en cours,

à titre subsidiaire, sur le principe de subsidiarité :

- constater que M. [I] a été placée en redressement judiciaire le 16 janvier 2020,

- constater qu'aucune liquidation judiciaire n'a été prononcée,

- juger que l'AGS-CGEA ne fera l'avance des éventuelles sommes accordées au demandeur, qu'en l'absence de fonds disponibles entre les mains du mandataire judiciaire,

à titre très subsidiaire, sur les demandes de M. [R] :

- constater que le licenciement est bien fondé,

- constater la carence de M. [R] dans l'administration de la preuve,

- débouter le salarié de l'intégralité de ses demandes

subsidiairement, minorer notoirement les demandes de dommages-intérêts,

- juger qu'en aucun cas l'UNEDIC AGS ne saurait intervenir en garantie de sommes sollicitées

au titre d'astreintes et de l'article 700 du code de procédure civile,

- constater en tout état de cause que la garantie de l'UNEDIC AGS ne peut aller au-delà des limites prévues par les articles L.3253-8 et suivants du code du travail,

- juger que le montant maximal avancé par l'UNEDIC l'AGS ne saurait être supérieur au montant du plafond applicable, toutes créances avancées pour le compte du salarié,

à titre infiniment subsidiaire et en tout état de cause :

- donner acte à l'UNEDIC AGS de ce qu'elle ne prendrait éventuellement en charge que les salaires et accessoires, dans le cadre des dispositions des articles L.625-3 et suivants du code de commerce, uniquement dans la limite des articles L.3253-8 et suivants du code du travail, que les créances directement nées de l'exécution du contrat de travail et ne prendrait donc en charge, notamment, ni les dommages-intérêts pour résistance injustifiée ou pour frais irrépétibles, ni les astreintes, ni les sommes attribuées au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- juger que l'UNEDIC AGS ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L.3253-8 et suivants du code du travail que dans les termes et les conditions résultant des dispositions des articles L.3253-17 et L.3253-19 du code du travail,

- juger que l'obligation de l'UNEDIC AGS de [Localité 5] de faire l'avance de la somme à laquelle serait évalué le montant des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pourra s'exécuter que sur présentation d'un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement,

- statuer ce que de droit sur les dépens.

Par jugement du tribunal de commerce de Chalon-sur-Saône du 16 janvier 2020, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte et la SCP BTSG a été désignée en qualité de mandataire judiciaire de M. [I].

Un plan de redressement a été adopté le 6 mai 2021.

Me [T] [F], mandataire judiciaire de M. [I], partie à la procédure de première instance, ne s'est pas constitué à hauteur de cour et n'a pas conclu, bien que régulièrement assigné à personne le 25 avril 2022.

Pour l'exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, la cour rappelle qu'en cause d'appel, dès lors qu'un intimé n'a pas conclu, la cour statue néanmoins sur le fond mais, en vertu de l'article 472 du code de procédure civile, il n'est fait droit au moyens de l'appelant que dans la mesure où ils sont estimés réguliers, recevables et bien fondés, étant observé que l'absence de conclusions de l'intimé vaut adoption par lui des motifs retenus par les premiers juges.

I - Sur la mise hors de cause de l'AGS-CGEA :

Rappelant qu'à la suite de difficultés financières, M. [I] a été placé en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Chalon-sur-Saône du 16 janvier 2020 (pièce n°1), que la SCP BTSG a été désignée en qualité de mandataire judiciaire mais qu'un plan de redressement a été adopté par jugement du 6 mai 2021 (pièce n°2), de sorte que la procédure de redressement judiciaire a pris fin à cette date et que par ailleurs M. [I] n'a pas fait l'objet d'une liquidation judiciaire, l'AGS-CGEA demande sa mise hors de cause au motif que sa garantie ne peut intervenir que lorsqu'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est en cours, ce qui n'est pas le cas.

M. [R] ne formule aucune observation à cet égard, pas plus que M. [I].

En l'espèce, les créances du salarié afférentes à la rupture du contrat de travail sont antérieures à l'ouverture du redressement judiciaire qui est intervenue le 16 janvier 2020, alors que le contrat a été rompu par la notification d'un licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 16 août 2019.

L'AGS-CGEA n'est donc pas fondé à solliciter sa mise hors de cause en se prévalant de ce que M. [I] est redevenu in bonis à la suite du jugement ayant homologué le plan de redressement.

Les créances dues au salarié en exécution du contrat de travail et au titre de la rupture de celui-ci antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire restent soumises, même après l'adoption d'un plan de redressement, qu'il soit par cession ou par continuation, au régime de la procédure collective et doivent donc être fixées au passif de ladite procédure.

Ainsi, les créances de rappel de salaire et congés payés afférents nées antérieurement à la procédure collective doivent faire l'objet d'une fixation, étant rappelé qu'en tout état de cause l'AGS-CGEA ne fera l'avance des sommes allouées au salarié qu'en l'absence totale de fonds disponibles entre les mains du mandataire judiciaire.

Il n'y a par ailleurs pas lieu de rappeler les limites de la garantie de l'AGS qui sont déterminées par la loi et notamment les articles L. 3253-8 à L. 3253-13, L. 3253-17, R. 3253-5 et L. 3253-19 à L. 3253-23 du code du travail.

De même, le CGEA-AGS de [Localité 5] et la SCP BTSG, es qualité de mandataire judiciaire de M. [I] étant parties à la procédure, la demande de M. [R] de déclarer que la décision à intervenir leur sera opposable est sans objet.

II - Sur le bien fondé du licenciement :

M. [R] conteste son licenciement au motif que son inaptitude aurait été causée par le harcèlement moral subi de la part de l'employeur.

a - Sur le harcèlement moral :

Il résulte des dispositions de l'article L1152-1 du code du travail qu'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L1154-1 du code du travail précise qu'en cas de litige relatif à l'application notamment de l'article L1152-1 précité, le salarié établit des faits qui permettent de supposer l'existence d'un harcèlement.

Ainsi lorsque le salarié présente la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble permettent de supposer l'existence d'un harcèlement moral et dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, M. [R] expose dans ses écritures que la "chronologie des éléments" démontre qu'il a subi un harcèlement et des persécutions de la part de M. [I] et que ce harcèlement et la dégradation de ses conditions de travail sont la cause exclusive de l'avis d'inaptitude du 18 juillet 2019, de sorte que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Il évoque à cet égard des insultes, dénigrements, humiliations et autres mensonges de M. [I] qui se sont répétés tout au long de l'exécution du contrat de travail, sans plus de précision quant à leur contenu, lesquels ont porté atteinte à ses droits et à sa dignité, altéré sa santé physique et mentale et compromis son avenir professionnel.

A l'appui de ses affirmations, il verse aux débats :

- un courrier électronique du 31 octobre 2019 que M. [I] a adressé à M. [J], maire de la commune de [Localité 7], mentionnant "nous avons mis en évidence de nombreuses violations graves du code pénal dissimulées par l'ancien "responsable", M. [R]. D'autres matériels exclusifs qui lui ont été confiés restent bloqués dans l'ordinateur qu'il avait volé et rendu au bout d'un mois (mais endommagé et bloqué par des codes qu'il a toujours refusé de me communiquer ) - une partie de sa promesse juvénile de "détruire le train des Rêves. Il est étrange que nous ayons trois anciens employés (tous amis ou membres de la famille de M. [R]) qui, par cupidité et stupidité aient exigé plus d'argent que ce qu'il leur était dû pour leurs salaires. Plus de 5 000 euros au-dessus de leurs salaires auraient été versés à ces trois personnes sous forme de primes et d'excédents de salaires au cours de leur emploi, sans retraite individuels et, par conséquent, ils ne nous volment pas mais uniquement dans nos programmes pour handicapés et nos monuments historiques. [...] un de ceux-ci, âgé de 18 ans, accompagné d'un autre adulte, nous a physiquement agressé, Mme [I] et moi-même [...]" (pièce n°43),

- un courrier électronique du 6 décembre 2019 adressé au même [H] [J] par M. [I] indiquant "comme vous le savez peut-être, en raison de l'économie et d'actes criminels commis par d'ancien employés, nous avons rencontré des difficultés financières et nous avons eu du mal à poursuivre l'expansion du Train des rêves. Nous poursuivons la demande de détention en prison pour deux de ces personnes et, à mesure que l'enquête pour corruption se poursuivra, cela impliquera probablement d'autres personnes [...]" (pièce n°44)

- une lettre de M. [I] du 2 septembre 2020 adressée au maire de la commune de [Localité 7] indiquant qu'une dénommé Mme [G], employée de la mairie, a tenté d'obtenir des information sur lui alors qu'elle accusée des vols du train des rêves (pièce n°45)

- deux courriers électroniques des 31 août et 18 décembre 2020 émanant de M. [I] relatifs aux agissements de Mme [G] et à l'organisation d'un vide grenier avec la mention en fin de page des termes "nous sommes heureux d'annoncer que depuis le début de 2019 il n'y a plus eu de vols, d'articles manquants ou d'article endommagés. Cela contribue à notre reprise économique [...]" (pièce n°46).

Bien qu'il n'en fasse pas mention dans ses écritures, la cour relève que le salarié produit également :

- un message dactylographié du 18 février 2019 accusant réception d'une "décision" prise par le salarié (non précisée), lui apportant un soutien et proposant différentes modalité de reprise s'il le souhaite et l'appelant à cesser le dénigrement dont il ferait preuve à l'égard de l'employeur (pièce n°3),

- un second message électronique par lequel l'employeur informe des tiers de la démission de M. [R] et de l'envoi par lui de message SMS insultants, outre l'évocation d'une possibilité de reprise moyennant le respect de certaines règles dont le respect des horaires, des consignes et l'arrêt de la consommation d'alcool sur le lieu de travail (pièce n°4),

- un troisième message électronique du 20 février 2019 non signé et sans destinataire évoquant divers manquement reprochés à M. [R] (pièce n°5),

- un quatrième message électronique du 21 février (année non précisée) réclamant à "[K]" de restituer ses clés et tous les biens et propriétés intellectuelles du Train des Rêves et formulant par la même occasion divers reproches comme celui de "comme un enfant, vous refusez de me répondre" ou d'avoir causé au moins 25 000 euros de pertes en commandant du travail non autorisé (pièce n°6),

- divers arrêts de travail (pièces n°2, 7, 11, 13, 19, 20, 23),

- une lettre recommandée du 12 mars 2019 de M. [I] à M. [R] l'informant d'un prochain dépôt de plainte (pièce n°8),

- un courrier électronique de M. [R] du 15 mars 2019 exigeant de M. [I] qu'il cesse de le menacer, de le rabaisser, de l'humilier et de dénigrer son travail (pièce n°9) et sollicitant une rupture conventionnelle, demande réitérée le 7 mai suivant (pièce n°12) et envisagée le 6 juin 2019 (pièce n°15),

- une lettre ouverte du 10 mai 2019 de M. [I] adressée à différents interlocuteurs (maire de la commune de [Localité 7], Mme [G] et M. [R]) formulant divers reproches à l'encontre de ce dernier (pièce n°14),

- une "notice" de M. [I] du 12 juin 2019, sans destinataire mentionné, indiquant "nous tenons à vous informer qu'un ancien employés, M. [K] [R], a "démissionné" du Train des Rêves dans des conditions défavorables. Il a été découvert qu'il avait détourné plus de 28 000 € de commandes de produits et de services" (pièce n°16),

- une lettre de M. [I] à M. [R] proposant à ce dernier de réintégrer son emploi sous réserve de respecter certaines consignes, notamment ne plus menacer de détruire la société et rendre compte de son activité lorsque cela lui sera demandé (pièce n°17),

- un récépissé de dépôt de plainte de M. [R] du 17 juin 2019 (pièce n°18

- l'avis d'inaptitude du 18 juillet 2019 (pièce n°21),

- un jugement non définitif du tribunal correctionnel de Chalon-sur-Saône condamnant M. [I] pour harcèlement moral sur la personne de M. [R] (pièce n°49).

La cour relève à cet égard que :

- les éléments allégués par M. [R] comme constitutif d'un harcèlement moral postérieurs à la rupture du contrat de travail le 16 août 2019 sont inopérants,

- nonobstant le fait que l'examen des nombreux courriers produits soit rendu difficile par le fait que M. [R] se dispense d'en faire le commentaire dans ses écritures et que les deux protagonistes sont prénommés [K], il démontrent néanmoins qu'un vif contentieux a opposé les parties à compter de février 2019, M. [I] formulant, explicitement ou indirectement, et à plusieurs reprises, des griefs à l'encontre de M. [R], y compris d'infractions pénales.

L'examen de ces éléments, pris dans leur ensemble, permet de supposer l'existence d'un harcèlement. Il incombe dès lors à M. [I] de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement.

Sur ce point, l'employeur oppose que le harcèlement moral allégué n'est pas caractérisé car les correspondances produites par le salarié ne font en réalité qu'état de dysfonctionnements imputables à M. [R].

Il ajoute que :

- en se prétendant victime de harcèlement moral, celui-ci tente de s'exonérer de tous les dommages qu'il lui a causés du fait d'un comportement particulièrement instable et agressif,

- en raison des nombreux manquements du salarié (non respect des consignes de sécurité, retards récurrents, non remise des outils de travail lors de son arrêt de travail, modification de mots de passe sur divers sites, refus d'exécuter des tâches, détournement d'un grand nombre de biens, de commandes de produits et de services, dénigrement constant de M. [I] et volonté de nuire au Train des Rêves), il a du faire face en envoyant divers courriers électroniques tant à M. [R] qu'à des tiers, ce qui ne saurait être constitutif d'un harcèlement moral,

- le salarié n'a jamais contesté les écrits de M. [I] sollicitant qu'il cesse de dénigrer son entreprise avant la saisine du conseil de prud'hommes,

- si M. [R] estimait réellement qu'il était victime de harcèlement moral, il n'aurait certainement pas sollicité une rupture conventionnelle de son contrat de travail,

- il n'est produit aucun élément d'ordre médical démontrant l'existence d'une dégradation de son état de santé physique ou mental en lien direct avec des prétendus faits de harcèlement moral,

- il a fait preuve d'empathie à l'égard de M. [R] en cherchant constamment à l'aider lui et sa famille, en lui proposant de se reposer, de prendre un congé maladie s'il le fallait.

Néanmoins, nonobstant le caractère inopérant de l'argument tiré du fait que M. [R] n'a pas contesté les reproches formulés avant la saisine du conseil de prud'hommes, la cour relève que l'employeur, tout comme l'AGS-CGEA qui l'allègue également, procèdent par voie d'affirmation quant aux griefs formulés de façon répétés à l'encontre du salarié, ne produisant à cet égard aucun élément de nature à établir ou même laisser supposer leur réalité.

Dans ces conditions, peu important qu'il ne ressorte pas des arrêts de travail produits ni de l'avis d'inaptitude la mention d'une altération de sa santé en lien avec un éventuel harcèlement moral, les critères légaux étant alternatifs et non cumulatifs, la répétition, y compris auprès de tiers, d'accusations dont il n'est aucunement démontré qu'elles sont fondées, même partiellement, caractérise des agissements répétés de harcèlement qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail de M. [R] susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité mais aussi de compromettre son avenir professionnel.

En conséquence, sa demande de dommages-intérêts pour préjudice distinct sera accueillie, le harcèlement moral subi causant nécessairement un préjudice au salarié.

Il lui sera en conséquence alloué la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts, cette somme étant fixée au passif de la liquidation de M. [K] [I], le jugement déféré étant infirmé sur ce point.

b - Sur le bien fondé du licenciement :

Il est constant qu'est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude lorsqu'il est démontré que l'inaptitude est consécutive à un manquement préalable de l'employeur qui l'a provoquée.

En l'espèce, M. [R] soutient que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse, et non nul, au motif qu'il a été victime d'un harcèlement moral à l'origine de son inaptitude.

Pour sa part, l'employeur oppose que :

- M. [R] n'a nullement été victime de harcèlement moral,

- aucun élément ne permet de démontrer que l'inaptitude du salarié a pour origine une dégradation de ses conditions de travail puisque l'avis d'inaptitude a été prononcé sans rapport avec une quelconque maladie professionnelle ou un accident du travail, aucune demande de reconnaissance d'une maladie professionnelle ou d'accident n'a été formulée par le salarié et les arrêts de travail sont de droit commun.

Il ressort des développements qui précèdent que M. [R] a été victime de harcèlement moral dans le cadre de la relation de travail.

Néanmoins, il ne ressort pas des pièces produites la démonstration suffisante que l'inaptitude est imputable à ce manquement de l'employeur.

En effet, étant rappelé que M. [R] a été placé en arrêt de travail à compter du 11 mars 2019 jusqu'à la rupture du contrat de travail, il ne ressort pas des arrêts de travail produits ni de l'avis d'inaptitude une quelconque mention d'un lien avec un harcèlement moral.

Dès lors qu'il n'est pas démontré que l'inaptitude est consécutive à un manquement préalable de l'employeur qui l'a provoquée, il y a lieu de considérer que le licenciement pour inaptitude fondé sur un avis du médecin du travail dispensant l'employeur de son obligation de reclassement est bien fondé. Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de M. [R] à ce titre.

III - Sur les demandes de l'AGS :

Il n'y a pas lieu de rappeler les limites de la garantie de l'AGS qui sont déterminées par la loi et notamment les articles L. 3253-8 à L. 3253-13, L. 3253-17, R. 3253-5 et L. 3253-19 à L. 3253-23 du code du travail.

S'agissant de la demande de M. [R] de "fixer en tant que de besoin les condamnations sur l'état des créances salariales et/ou au passif de M. [I]", il résulte des développements qui précèdent que la somme allouée à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral est fixée au passif de la liquidation judiciaire, de sorte qu'il n'y a pas lieu de statuer sur cette demande, de fait sans objet.

IV - Sur les demandes accessoires :

- Sur les intérêts au taux légal :

Le jugement déféré étant infirmé sur ce point.

Il sera dit que les condamnations au paiement de créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition du présent arrêt, et que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêts, sous réserve des règles propres aux procédures collectives, et notamment la suspension du cours des intérêts.

- Sur l'exécution provisoire :

L'article R.1454-28 du code du travail relatif à l'exécution provisoire n'étant pas applicable devant la cour d'appel, la demande est sans objet et sera en conséquence rejetée, le jugement déféré étant confirmé sur ce point.

- Sur les frais irrépétibles et les dépens :

Le jugement déféré sera confirmé sur ces points.

Les demandes des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées,

Chacune des parties supportera ses propres dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt réputé contradictoire,

CONFIRME le jugement rendu le 25 janvier 2022 par le conseil de prud'hommes de Chalon-sur-Saône sauf en ce qu'il a :

- jugé que M. [K] [R] n'a pas été victime de harcèlement et de dégradation de ses conditions de travail et rejeté la demande afférente à titre de dommages-intérêts,

- rejeté la demande de M. [K] [R] au titre des intérêts au taux légal,

Statuant à nouveau, et y ajoutant,

DIT que M. [K] [R] a été victime de harcèlement moral,

FIXE au passif du redressement judiciaire de M. [K] [I] la créance suivante de M. [K] [R] :

- 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral et dégradation des conditions de travail,

DIT que les condamnations au paiement de créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition du présent arrêt, et que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt, sous réserve des règles propres aux procédures collectives, et notamment la suspension du cours des intérêts,

RAPPELLE que la présente décision est nécessairement opposable à l'AGS CGEA de [Localité 5] et à la SCP BTSG, es qualité de mandataire judiciaire de M. [I],

REJETTE les autres demandes de l'AGS CGEA de [Localité 5],

REJETTE les demandes des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

LAISSE à chacune des parties la charge de ses propres dépens d'appel,

Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le 23 novembre 2023, signé par M. Olivier MANSION, président de chambre et Mme Jennifer VAL, greffier.

Le greffier Le président

Jennifer VAL Olivier MANSION