Décisions
CA Douai, soc. c salle 2, 24 novembre 2023, n° 21/00476
DOUAI
Arrêt
Autre
ARRÊT DU
24 Novembre 2023
N° 1679/23
N° RG 21/00476 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TRJY
NSR/VDO
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LILLE
en date du
12 Mars 2021
(RG 18/00844 -section )
GROSSE :
Aux avocats
le 24 Novembre 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANT :
M. [D] [G]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Me Aurore SELLIER-SUTY, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉE :
Groupement [5] ([5])
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Bruno PLATEL, avocat au barreau de LILLE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Muriel LE BELLEC
: CONSEILLER faisant fonction de
PRESIDENT DE CHAMBRE
Gilles GUTIERREZ
: CONSEILLER
Nathalie RICHEZ-SAULE
: CONSEILLER
GREFFIER lors des débats : Valérie DOIZE
DÉBATS : à l'audience publique du 27 Septembre 2023
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 24 Novembre 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Muriel LE BELLEC, conseiller et par Serge LAWECKI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 06 septembre 2023
Monsieur [D] [G] a été engagé par le [5] ([5]), en qualité de chef de clinique assistant des hôpitaux à compter du 1er juin 1990, dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée à temps partiel par la suite converti en contrat à durée indéterminée temps plein.
Il est devenu responsable de l'unité soins intensifs de l'hôpital [7] et du service hémodynamique (salle de coronarographie).
Par avenant du 3 janvier 2008, il a été décidé que Monsieur [G] exercerait ses fonctions de praticien des hôpitaux selon une convention de forfait annuel en jours, moyennant un montant mensuel brut de 8907,86 euros, outre une indemnité de sujétion versée en contrepartie des gardes effectuées et calculées selon les modalités prévues dans l'article IV.2 du statut du corps médical.
En dernier lieu, la rémunération calculée sur la base du forfait jours fixée s'élevait à 9205.98 €.
À compter du 5 février 2018, Monsieur [D] [G] a été placé en arrêt maladie.
Par requête du 30 août 2018, Monsieur [D] [G] a saisi le Conseil de Prud'hommes de Lille aux fins de solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail. Estimant être victime de faits de harcèlement moral, de discrimination et d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, le salarié a demandé la condamnation de son employeur au paiement de diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis (6 mois de salaires), des congés payés afférents, d'indemnité conventionnelle de licenciement, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages et intérêts pour harcèlement moral et de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité.
Par jugement en date du 12 mars 2021 le conseil de prud'hommes a jugé :
- que Monsieur [D] [G] n'a été victime ni d'agissements constitutifs de harcèlement moral, ni de faits discriminatoires, et débouté, par conséquent, Monsieur [D] [G] de ses demandes indemnitaires associées,
- que le [5] ([5]) n'a pas manqué à ses obligations de sécurité, et débouté, par conséquent Monsieur [D] [G] de ses demandes indemnitaires associées,
- que le [5] n'a pas commis de faits suffisamment graves empêchant la poursuite du contrat de travail de Monsieur [D] [G], et débouté, par conséquent Monsieur [D] [G] de sa demande de résiliation judiciaire aux torts de l'employeur et de ses demandes indemnitaires associées,
- condamné Monsieur [D] [G] au paiement de 1500 € au [5] au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux éventuels frais et dépens de l'instance,
Et débouté Monsieur [D] [G] de toutes autres demandes différentes, plus amples ou contraires au présent dispositif.
Monsieur [D] [G] a interjeté appel de ce jugement en toutes ses dispositions.
Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 11 juin 2021, Monsieur [D] [G] demande à la cour de :
- réformer le jugement du conseil de prud'hommes de Lille en date du 12 mars 2021 expressément critiqué en ce que le conseil a (I) dit et jugé que Monsieur [D] [G] n'a été victime ni d'agissements constitutifs de harcèlement moral, ni de faits discriminatoires,(II) déboute, par conséquent, Monsieur [D] [G] de ses demandes indemnitaires associées, (III) dit et juge que le [5] ' [5]- n'a, par conséquent, pas manqué à ses obligations de sécurité, (IV) déboute, par conséquent Monsieur [D] [G] de ses demandes indemnitaires associées, (V) dit et juge que le [5] n'a pas commis de faits suffisamment graves empêchant la poursuite du contrat de travail de Monsieur [D] [G], (VI) déboute, par conséquent Monsieur [D] [G] de sa demande de résiliation judiciaire aux torts de l'employeur et de ses demandes indemnitaires associées,(VII) condamne Monsieur [D] [G] au paiement de 1500 € à [5] au titre de l'Art. 700 du code de procédure civile, (VIII) met les éventuels frais et dépens de l'instance à charge de Monsieur [D] [G] et (IX) déboute Monsieur [D] [G] de toutes autres demandes différentes, plus amples ou contraires au présent dispositif
STATUANT A NOUVEAU
- dire et juger que Monsieur [G] est victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral et de discrimination,
- dire et juger que le [5] a manqué à ses obligations de sécurité,
En conséquence, condamner le [5] au paiement de :
- 30 000 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait du harcèlement moral et mesures discriminatoires,
- 30 000 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice résultant de la violation de l'obligation de sécurité,
Pour le surplus,
- prononcer la résiliation judiciaire du contrat de Monsieur [G] aux torts et griefs du [5] ;
- dire et juger que la date d'effet de la résiliation judiciaire sera fixée au 26 avril 2021 date de notification ultérieure d'une mesure de licenciement,
En conséquence, condamner le [5] au paiement de :
- 67 503.42 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre celle de 6750.30 € au titre de l'incidence congé
- 199 624 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 270 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause ni réelle ni sérieuse,
- fixer les intérêts judiciaires sur l'indemnité de préavis et indemnité de licenciement à compter du 30.08.2018 date de la saisine du Conseil ; dire et juger que les intérêts échus d'une année porteront eux-mêmes intérêts.
- dire et juger que la somme de 165 707.64 euros versée au titre de l'indemnité de licenciement par suite du licenciement postérieurement intervenu le 27 avril 2021 viendra en déduction de l'indemnité conventionnelle de licenciement par imputation d'abord sur les intérêts puis sur le capital;
- ordonner l'établissement et la remise au Docteur [G] du certificat de travail, de l'attestation Pôle emploi, des bulletins de paie conformes à l'arrêt à intervenir et ce sous astreinte de 200 € par jour de retard par document manquant passé un délai de 15 jours à compter de la notification du jugement à intervenir.
- débouter le [5] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et, de même de toutes demandes fins et conclusions,
- condamner le [5] en tous les frais et dépens en ce compris la somme de 5000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 10 septembre 2021, le [5] ([5]) demande à la cour de :
Confirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes de Lille en date du 12 mars 2021,
Et ainsi :
débouter Monsieur [D] [G] de sa demande de condamnation du [5] au paiement :
de la somme de 30.000 € à titre de dommages et intérêts en raison du prétendu préjudice subi du fait du harcèlement moral et mesures discriminatoires,
de la somme de 30.000 € à titre de dommages et intérêts pour prétendu préjudice subi résultant de la violation de l'obligation de sécurité.
Débouter Monsieur [D] [G] de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts et griefs du [5],
En conséquence,
Débouter Monsieur [D] [G] du paiement des sommes suivantes :
o 67.503,42 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 6.750,30 € au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,
o 199.624 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement, compte tenu de ce que Monsieur [G] a perçu au titre de son licenciement une indemnité conventionnelle de licenciement égale à 18 mois de salaire de base, soit 165.707,64 € correspondant à l'intégralité de ses droits,
o 270.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Rejeter la demande de Monsieur [D] [G] de l'établissement d'un certificat de travail, d'une attestation Pôle Emploi et de bulletins de paie conformes à l'arrêt à intervenir et ce sous astreinte de 200 € par jour de retard passé un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir,
Débouter Monsieur [D] [G] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Reconventionnellement,
Condamner Monsieur [D] [G] au paiement d'une somme de 5.000 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Il convient de se référer aux dernières conclusions des parties régulièrement notifiées par le RPVA pour l'exposé de leurs moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile.
La clôture des débats a été prononcée par ordonnance du 6 septembre 2023.
L'affaire a été appelée à l'audience du 27 septembre 2023 et mise en délibéré au 24 novembre 2023.
MOTIFS
Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat pour des faits de harcèlement moral, manquement à l'obligation de sécurité et discrimination
Aux termes de l'article L1231-1 du code du travail, «'Le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié, ou d'un commun accord, dans les conditions prévues par les dispositions du présent titre'».
En application de ces dispositions, le juge, saisi d'une demande résiliation judiciaire, doit examiner l'ensemble des griefs invoqués au soutien de celle-ci, quelle que soit leur ancienneté, même si par la suite le salarié a été licencié.
La résiliation judiciaire est prononcée aux torts de l'employeur si les manquements de l'employeur à ses obligations sont suffisamment graves pour faire obstacle à la poursuite du contrat de travail.
Par ailleurs, l'article L1152-1 du code du travail dispose qu' «'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel'».
L'article 1152-4 du même code ajoute que': «'L'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral'».
En vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le salarié présente des éléments de fait qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement ; au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Enfin, en vertu de l'article 1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être licencié en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de son exercice d'un mandat électif, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français, de sa qualité de lanceur d'alerte, de facilitateur ou de personne en lien avec un lanceur d'alerte, au sens, respectivement, du I de l'article 6 et des 1° et 2° de l'article 6-1 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
S'agissant de la preuve de la discrimination, il appartient au juge du fond d'examiner la matérialité de tous les éléments invoqués par le salarié ; d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte ; et dans l'affirmative, d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
En l'espèce, au soutien de sa demande de résiliation judiciaire, Monsieur [G] soutient avoir été victime de faits de harcèlement moral et de mesures discriminatoires, ayant entraîné une dégradation de son état de santé.
Il affirme que son employeur l'a isolé sur le plan professionnel et a organisé sa mise à l'écart, notamment en insérant dans les contrats de travail proposés à de futurs collaborateurs du service et en particulier dans celui proposé au docteur [R] une clause prévoyant que «'la présence simultanée du docteur [B] et du docteur [G] sera dans la mesure du possible évitée'». Il ajoute que le [5] a ainsi organisé contractuellement sa mise à l'écart sans démontrer l'existence d'une cause objective la justifiant et qu'il a sensibilisé le docteur [R] qui ne le connaissait pas à des difficultés relationnelles qu'il pourrait rencontrer avec lui, lui indiquant qu'il avait fait son temps. Il précise que le [5] a élaboré un plan de sauvetage du laboratoire de cardiologie interventionnelle qui consistait à l'éliminer le plus rapidement possible, et que tout a été fait pour l'écarter de ses responsabilités, que ses collègues étaient incités pour «'avancer'» à le mettre à l'écart, qu'aucune réunion n'était organisée, et qu'il était convoquée seul par la direction. Il soutient que ce procédé constitue une atteinte à sa dignité et une mesure discriminatoire qui a provoqué une dégradation de son état de santé.
Il précise que du fait de sa mise à l'écart, il s'est trouvé placé dans une situation d'inquiétude personnelle et professionnelle constante, puisqu'il ne pouvait pas transmettre ou informer les praticiens des pathologies dont il avait connaissance et des traitements qu'il estimait nécessaires. Il affirme que de ce fait, il a dû signaler la situation au médecin du travail qui l'a reçu le 24 novembre 2017, et qu'il a été suivi régulièrement pour un épuisement professionnel avec réaction anxio dépressive sévère.
Au soutien de ces affirmations, Monsieur [G] verse aux débats :
- un modèle de contrat de travail conclu entre le [5] et Monsieur [J] contenant un article 11 -DISPOSITIONS SPECIFIQUES mentionnant notamment «'la présence simultanée du docteur [B] et du docteur [G] sera dans la mesure du possible évitée'»,
- une attestation du docteur [R], qui indique qu'il a été contacté par un cabinet de recrutement et qu'il a été reçu par le directeur du site hospitalier et par le docteur [X], un cardiologue de l'établissement qui remplaçait le chef de service, qu'ils lui ont tous deux «'exposés la vision déterminée de la direction du [5] ainsi que les plans de développement prévus pour l'hôpital [7] et le plan de sauvetage du service de cardiologie souffrant d'une maladie chronique représentée par le docteur [D] [G]'», (') que ses deux interlocuteurs «'détaillent le plan de sauvetage du laboratoire de cardiologie interventionnelle établi par la direction du [5] et qui consiste à éliminer le plus rapidement possible Monsieur [D] [G] personæ non grata après avoir recruté en urgence un ou deux coronarographistes mandatés pour construire une nouvelle équipe médicale de cathétérisme cardiaque'». Le docteur [R] affirme également qu'il a eu deux autres entretiens les 5 et 6 octobre 2017 avec le DRH et avec le chef de service du département de recherche médicale pendant lesquels «'les questions posées n'ont pas été professionnelles mais ciblées sur les différents scénarios possibles du sort réservé à monsieur [D] [G]'», et que «'la direction du [5] cherche un mercenaire qui a comme mission de liquider Monsieur [D] [G] et non pas un praticien apte à exercer son art en fusionnant avec une équipe médicale déjà opérationnelle qui a un chef mondialement connu'»,
- une attestation du docteur [E], dans laquelle il indique notamment que le travail a été rendu difficile par les conflits personnels opposant les responsables de services depuis de nombreuses années; qu'en 6 ans, il n'a assisté qu'à une seule réunion de service, qu'il lui semblait que plutôt qu'essayer de résoudre les problèmes en accord avec l'administration si besoin, tout était fait pour essayer d'écarter le Dr [G] de ses responsabilités. Il ajoute que par exemple, il a appris avec le docteur [G] et le docteur [S] lors d'un congrès que la direction essayait d'embaucher un nouveau cardiologue interventionnel, sans les avertir de ce choix alors qu'il aurait été logique qu'ils prennent part à cette décision, qu'il existait une volonté farouche et déterminée d'évincer le Docteur [G], que le directeur de l'hôpital [7] lui a d'ailleurs expliqué lors d'un entretien que s'il souhaitait «'avancer'» , il fallait qu'il s'oppose au Docteur [G] et se range à leur coté. Il précise encore: «'ne pouvant remettre en question ses compétences médicales, il était reproché au Dr [G] son caractère et son manque de travail en équipe (...) A plusieurs reprises le Dr [G] a été convoqué seul par la direction. A chaque fois, il a demandé auparavant à se faire assister de ses collègues pour pouvoir témoigner et contrebalancer l'accusation qui lui a été portée et cette demande lui a été systématiquement refusée. A chaque fois il est revenu abattu de ses réunions, et jamais nous n'avons pu, le Dr [S] ou moi apporter notre point de vue sur la situation. Cela semblait se faire à la façon d'un principal de collège qui convoque son élève après une faute grave, procédé pour le moins humiliant pour un homme de 60 ans au regard de sa carrière et de l'investissement dans son travail au sein du [5]'»,
-une attestation du docteur [S] dans lequel il relate notamment que le docteur [G] et lui ont appris par hasard qu'il avait été proposé par le professeur [P] à un autre cardiologue de les rejoindre pour dynamiser l'équipe, que ce candidat a d'ailleurs refusé la proposition compte du manque de transparence, qu'un conflit est alors apparu entre le docteur [P] et le docteur [G], et que Messieurs [V] et [C] directeur de site et directeur général ont «'morigéné le docteur [G] pour son attitude négative'»,
Monsieur [G] produit également':
- un courrier échangé entre le médecin du travail et le médecin traitant du 24 novembre 2017 dans lequel il constate que Monsieur [G] présente un syndrome dépressif net avec les troubles de l'humeur, perte de sommeil, irritabilité et tendance à des décharges émotionnelles inappropriées,
- un courrier adressé par le docteur [Y] le 13 octobre 2020 au médecin traitant qui mentionne que «'les troubles sont apparus progressivement fin 2017-début 2018 dans un contexte de réorganisation au travail avec ce qui semble avoir été un harcèlement moral de la part de l'administration hospitalière (décrédibilisation et déstabilisation) qui a profondément entamé l'intégrité psychique de Monsieur [G]. Monsieur [G] a alors manifesté un épuisement professionnel avec un épisode dépressif sévère que l'on peut aujourd'hui considéré comme chronique'».
Il ressort de ce même courrier que Monsieur [G] a été placé sous traitement médicamenteux, mais qu'en dépit d'une augmentation des posologies, la reprise d'activité au sein de l'hôpital n'était pas envisageable. Il est également établi que le docteur [G] est resté en arrêt de travail pendant trois ans, et qu'à l'occasion de la visite de reprise, le médecin du travail qui l'a déclaré inapte a mentionné «' l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi'».
Ces pièces sont suffisantes pour établir la matérialité des faits précis et concordants qu'il présente au soutien de ses allégations de harcèlement moral. En outre ces faits sont dans leur ensemble susceptibles de constituer des faits de harcèlement moral.
A ces griefs, l'employeur soutient que la mention contractuelle indiquant que «'la présence simultanée du praticien candidat avec le docteur [G] devait être évitée'» avait été insérée à la demande expresse du docteur [R], et qu'elle ne figurait que dans son contrat, et non dans tous les contrats proposés aux autres praticiens. Il ajoute qu'au surplus, cette clause a été supprimée lors du second projet de contrat proposé au docteur [R] de sorte qu'il ne peut être déduit de ce seul élément une volonté de décrédibiliser et de mettre à l'écart le docteur [G].
Cependant, il ne ressort nullement de l'attestation de Madame [A], présidente de la société ITHAQUE MEDICAL, et chargée du recrutement d'un cardiologue que le docteur [R] avait demandé l'insertion d'une telle clause dans son contrat puisque celle-ci indique seulement que le docteur [R] voulait avoir l'assurance qu'il ne serait pas «'dépendant de ce médecin'». Il ressort en outre de l'attestation du docteur [R] que celui-ci ne connaissait pas personnellement le docteur [G], le professeur [P] ayant d'ailleurs indiqué dans son témoignage qu'un jeune cardiologue issu de ce service «'aurait bien savonné la planche concernant le docteur [G]'». Enfin, il ne peut être déduit du seul courriel adressé par Monsieur [V] le 21 octobre 2017 à Monsieur [R] que le docteur [G] aurait accepté le principe de l'insertion dans les contrats de clauses visant à l'exclure et/ ou à le déposséder de ses prérogatives. Enfin quand bien même des candidats praticiens auraient demandé l'insertion de telles clauses dans leurs contrats, l'employeur ne pouvait accepter un tel procédé.
L'employeur soutient également que Monsieur [G] avait une personnalité difficile et qu'il entretenait des rapports très compliqués avec ses confrères ce qui était un obstacle au recrutement d'autres praticiens. Il verse aux débats notamment une attestation du docteur [O] qui indique qu'il avait eu des rapports houleux avec le docteur [G], mais conclut également que connaissant la réputation du service, il envisage de quitte le CH de [Localité 6] dans lequel il travaille actuellement, ce qui ne peut démontrer que la personnalité de Monsieur [G] était un obstacle au recrutement d'autres médecins. L'employeur produit également diverses attestations dont celle du docteur [N] et du docteur [X] desquelles il ressort que le docteur [G] aurait régulièrement des explications musclées avec les internes et jeunes praticiens. Cependant, le docteur [N] précise qu'il ne remet pas en cause les compétences du docteur [G] concernant la coronographie ni l'unité de soins mais qu'il existe un problème de communication manifeste avec le reste de l'équipe médicale.
Or, il ressort des attestations des docteurs [E] et [S] que Monsieur [G] était surtout très exigeant, tant avec lui-même qu'avec les autres, mais surtout qu'aucune réunion n'a jamais été organisée pour régler ces difficultés de communication, et les conflits de plus en plus prégnants entre les chefs de service, et qu'il existait une véritable volonté de la part de la direction de réorganiser les services et d'évincer le docteur [G] et le mettre à l'écart. Il est précisé qu'il était convoqué seul par les directeurs «'à la façon d'un principal de collège'», soit selon un procédé humiliant, et dégradant, les personnes travaillant directement avec lui étant exclues de ces entretiens, et que tout était fait pour l'écarter de ses responsabilités, après trente ans d'activité professionnelle. Il est également établi, notamment par les attestations des docteurs [E] et [R] que le docteur [G], bien que chef de service, était écarté du processus de recrutement d'autres praticiens, et de projets de réorganisation, le bureau de recrutement dans son courriel du 9 octobre 2017 indiquant à la direction que le docteur [R] était un bon clinicien, qu'il souhaitait une rencontre avec les thermodynamiciens, mais se demandant si c'était une bonne stratégie car le docteur [G] n'était pas au courant et risquait de "faire barrage".
Les éléments apportés par l'employeur sont donc insuffisants à établir que les agissements reprochés sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Dès lors, il y a lieu de considérer que Monsieur [G] a été victime d'un harcèlement moral.
Par ailleurs, il est établi que bien qu'ayant connaissance des difficultés de communication du docteur [G] et des conflits existant entre les chefs de service, l'employeur n'a pris aucune mesure propre à prévenir, et à remédier aux difficultés de communication dans le service et éviter la mise à l'écart du docteur [G]. Il n'a ainsi organisé aucune réunion de service avec tous les intervenants concernés, ni pris aucune mesure propre à assurer la concertation lors de la prise de décisions, laissant la situation progressivement s'aggraver jusqu'à ce que Monsieur [G] soit placé en arrêt de travail.
Il résulte des documents médicaux versés aux débats que Monsieur [G] a souffert d'un syndrome dépressif sévère , et que cette dépression résultait de la décrédibilisation et de sa mise à l'écart professionnelle, les médecins relevant que les faits de harcèlement dont il avait fait l'objet avaient entamé son intégrité physique et entraîné la dépression qui a justifié son arrêt de travail. Enfin, contrairement aux affirmations de l'employeur, il est établi que cette opération de mise à l'écart du docteur [G] ne résulte pas d'un seul événement datant du mois d'octobre 2017 et constitué par la tentative de recrutement du docteur [R] mais est intervenue de manière progressive et n'a cessé que lorsque Monsieur [G] a été placé en arrêt de travail.
En revanche, il ne résulte d'aucune pièce que Monsieur [G] aurait été victime de discrimination, Monsieur [G] ne précisant d'ailleurs pas la nature de la discrimination dont il aurait fait l'objet.
Sur les conséquences de la résiliation judiciaire pour des faits de harcèlement moral
Les faits de harcèlement et de manquement à l'obligation de sécurité étant établis, la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur sera prononcée, ces faits étant suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat et justifier sa rupture. Monsieur [G] ayant été licencié le 26 avril 2021, cette résiliation prendra effet à cette date.
En revanche, compte tenu des termes de la demande de Monsieur [G] fixant les termes du litige, la résiliation judiciaire prononcée produira les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur l'indemnité de licenciement et l'indemnité compensatrice de préavis
Sur l'indemnité de licenciement
L'article L1234-9 du code du travail dispose que «'Le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu'il compte 8 mois d'ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.
Les modalités de calcul de cette indemnité sont fonction de la rémunération brute dont le salarié bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail. Ce taux et ces modalités sont déterminés par voie réglementaire'».
En l'espèce, l'article VI. 3.2 intitulé «'indemnités de licenciement'» de l'accord collectif relatif aux statut du corps médical prévoit que «'Tout praticien du GH-ICL qui compte une ancienneté ininterrompue de 2 ans bénéficiera en cas de licenciement, sauf cas de faute grave ou lourde, d'une indemnité dont le montant sera égal à 1 mois de salaire par année de présence dans la limité de 18 mois . Le salaire de référence est le salaire de base moyen des trois derniers mois'».
Aux termes du contrat de travail de Monsieur [G], sa rémunération était composée d'un montant mensuel brut de 8907,86 euros, et d'une indemnité de sujétion versée en contrepartie des gardes effectuées et calculées selon les modalités prévues dans l'article IV.2 du statut du corps médical.
Dès lors que la convention collective prévoit le calcul de l'indemnité de licenciement sur une moyenne des trois derniers mois de salaires, l'assiette prend nécessairement en compte la totalité de la rémunération contractuelle, puisque le salaire de base est le même chaque mois.
En conséquence, il convient d'allouer à Monsieur [G] la somme de 199.264 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement, dont il conviendra de déduire les sommes d'un montant de 165.707,64 euros déjà versées par l'employeur à ce titre .
Sur l'indemnité de préavis
L'article L.1234-5 du même code dispose que « Lorsque le salarié n'exécute pas le préavis, il a droit, sauf s'il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice.
L'inexécution du préavis, notamment en cas de dispense par l'employeur, n'entraîne aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du préavis, indemnité de congés payés comprise.
L'indemnité compensatrice de préavis se cumule avec l'indemnité de licenciement et avec l'indemnité prévue à l'article L. 1235-2».
L'article VI.3 de l'accord collectif relatif aux statut du corps médical prévoit que la durée du préavis du contrat à durée indéterminée est dès l'issue de la période d'essai fixée à 6 mois en cas de licenciement, sauf cas de faute grave ou lourde.
En application de ces stipulations, et compte tenu du salaire moyen retenu, il y a lieu d'allouer à Monsieur [G] la somme de 67.503,42 euros à ce titre.
Sur la demande d'intérêts et de capitalisation de ces intérêts
Les créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter du 30 août 2018, date de réception par l'employeur de la convocation à comparaître à l'audience de conciliation.
Conformément à la demande de la salariée, il y a lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts, dus pour une année entière, dans les conditions de l'article 1343-2 du Code civil.
Enfin, la somme de 165 707.64 euros versée au titre de l'indemnité de licenciement par suite du licenciement postérieurement intervenu le 27 avril 2021 viendra en déduction de l'indemnité conventionnelle de licenciement par imputation d'abord sur les intérêts puis sur le capital.
Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
En application de l'article 1235-3 du code du travail , 'si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur dont le montant doit être fixé selon un barème tenant compte de l'ancienneté du salarié et la taille de l'entreprise.
Par ailleurs, lorsque le juge prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail d'un salarié aux torts de l'employeur et que la rupture produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, les dispositions issues de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relatives au montant de l'indemnité due à ce titre (article L1235-6 du code du travail) sont applicables dès lors que la résiliation judiciaire prend effet à une date postérieure à celle de la publication de l'ordonnance, comme en l'espèce.
Monsieur [G] avait, à la date de la rupture de son contrat une ancienneté de près de 31 ans. Âgé de plus de 60 ans,il ne dispose plus de perspective de retrouver un emploi. Au regard de ces éléments, il lui sera accordé une somme de 160.000 euros euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les dommages et intérêts pour harcèlement moral
Il résulte des développements qui précèdent que Monsieur [G] a bien été victime de faits de harcèlement moral, qui lui ont causé un préjudice distinct de la perte de son emploi, justifié par les éléments médicaux versés au dossier. Le préjudice résultant des faits de harcèlement moral sera réparé par une indemnité de 4.000 € de dommages-intérêts.
Sur les dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité
Comme exposé, ci-dessus, l'employeur a manqué à son obligation de sécurité en ne prenant aucune mesure de prévention, en n'organisant aucune réunion, aucune concertation, susceptible d'apaiser les conflits éventuels ou difficultés de communication, alors qu'il avait connaissance d'une difficulté dans le service dans lequel travaillait le docteur [G]. Il lui sera alloué une somme de 4.000 euros en réparation de son préjudice.
Sur la demande de remise du certificat de travail, de l'attestation Pôle emploi, des bulletins de paie conformes à l'arrêt à intervenir sous astreinte
Il convient d'ordonner la remise par l'employeur à Monsieur [G] des bulletins de paie, d'un certificat de travail, et d'une attestation Pôle emploi rectifiés, conformément à la présente décision, sans qu'il soit besoin d'assortir d'assortir cette condamnation de l'employeur d'une astreinte.
Sur les dépens et la demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile
En application de l'article 696 du code de procédure civile, le [5] ([5]), partie perdante, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, il n'est pas inéquitable de condamner le [5] ([5]) à payer à Monsieur [G] une somme globale de 3.000 €.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant après débats en audience publique par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement entrepris,
Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur [D] [G] aux torts et griefs du [5] ([5]) à la date du 26 avril 2021,
Condamne le [5] à payer à Monsieur [G] les sommes suivantes :
- 67 503.42 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre celle de 6750.30 euros au titre des congés payés,
- 199 624 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement en deniers ou quittances,
- dit que le paiement de ces sommes dues au titre de l'indemnité de préavis et l'indemnité de licenciement portera intérêts au taux légal à compter du 30 août 2018, date de saisine du conseil des prud'hommes,
-ordonne la capitalisation des intérêts échus pour une année entière,
- Dit que la somme de 165 707.64 euros versée par le [5] à titre de l'indemnité de licenciement par suite du licenciement postérieurement intervenu le 27 avril 2021 viendra en déduction de l'indemnité conventionnelle de licenciement par imputation d'abord sur les intérêts puis sur le capital ;
Condamne le [5] à payer à Monsieur [G] la somme de 160.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause ni réelle ni sérieuse,
Condamne le [5] à payer à Monsieur [G] la somme de 4.000 euros à titre de dommages et intérêt pour harcèlement moral,
Condamne le [5] à payer à Monsieur [G] la somme de 4.000 euros à titre de dommages et intérêt en réparation du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité,
Ordonne la remise à Monsieur [G] par le [5] des bulletins de paie, d'un certificat de travail et d'une attestation Pôle emploi rectifiés conformément au présent arrêt,
Condamne le [5] à payer à Monsieur [G] la somme de 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne le [5] aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER
Serge LAWECKI
Le conseiller désigné pour exercer les fonctions de président,
Muriel LE BELLEC
24 Novembre 2023
N° 1679/23
N° RG 21/00476 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TRJY
NSR/VDO
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LILLE
en date du
12 Mars 2021
(RG 18/00844 -section )
GROSSE :
Aux avocats
le 24 Novembre 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANT :
M. [D] [G]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Me Aurore SELLIER-SUTY, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉE :
Groupement [5] ([5])
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Bruno PLATEL, avocat au barreau de LILLE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Muriel LE BELLEC
: CONSEILLER faisant fonction de
PRESIDENT DE CHAMBRE
Gilles GUTIERREZ
: CONSEILLER
Nathalie RICHEZ-SAULE
: CONSEILLER
GREFFIER lors des débats : Valérie DOIZE
DÉBATS : à l'audience publique du 27 Septembre 2023
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 24 Novembre 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Muriel LE BELLEC, conseiller et par Serge LAWECKI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 06 septembre 2023
Monsieur [D] [G] a été engagé par le [5] ([5]), en qualité de chef de clinique assistant des hôpitaux à compter du 1er juin 1990, dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée à temps partiel par la suite converti en contrat à durée indéterminée temps plein.
Il est devenu responsable de l'unité soins intensifs de l'hôpital [7] et du service hémodynamique (salle de coronarographie).
Par avenant du 3 janvier 2008, il a été décidé que Monsieur [G] exercerait ses fonctions de praticien des hôpitaux selon une convention de forfait annuel en jours, moyennant un montant mensuel brut de 8907,86 euros, outre une indemnité de sujétion versée en contrepartie des gardes effectuées et calculées selon les modalités prévues dans l'article IV.2 du statut du corps médical.
En dernier lieu, la rémunération calculée sur la base du forfait jours fixée s'élevait à 9205.98 €.
À compter du 5 février 2018, Monsieur [D] [G] a été placé en arrêt maladie.
Par requête du 30 août 2018, Monsieur [D] [G] a saisi le Conseil de Prud'hommes de Lille aux fins de solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail. Estimant être victime de faits de harcèlement moral, de discrimination et d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, le salarié a demandé la condamnation de son employeur au paiement de diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis (6 mois de salaires), des congés payés afférents, d'indemnité conventionnelle de licenciement, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages et intérêts pour harcèlement moral et de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité.
Par jugement en date du 12 mars 2021 le conseil de prud'hommes a jugé :
- que Monsieur [D] [G] n'a été victime ni d'agissements constitutifs de harcèlement moral, ni de faits discriminatoires, et débouté, par conséquent, Monsieur [D] [G] de ses demandes indemnitaires associées,
- que le [5] ([5]) n'a pas manqué à ses obligations de sécurité, et débouté, par conséquent Monsieur [D] [G] de ses demandes indemnitaires associées,
- que le [5] n'a pas commis de faits suffisamment graves empêchant la poursuite du contrat de travail de Monsieur [D] [G], et débouté, par conséquent Monsieur [D] [G] de sa demande de résiliation judiciaire aux torts de l'employeur et de ses demandes indemnitaires associées,
- condamné Monsieur [D] [G] au paiement de 1500 € au [5] au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux éventuels frais et dépens de l'instance,
Et débouté Monsieur [D] [G] de toutes autres demandes différentes, plus amples ou contraires au présent dispositif.
Monsieur [D] [G] a interjeté appel de ce jugement en toutes ses dispositions.
Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 11 juin 2021, Monsieur [D] [G] demande à la cour de :
- réformer le jugement du conseil de prud'hommes de Lille en date du 12 mars 2021 expressément critiqué en ce que le conseil a (I) dit et jugé que Monsieur [D] [G] n'a été victime ni d'agissements constitutifs de harcèlement moral, ni de faits discriminatoires,(II) déboute, par conséquent, Monsieur [D] [G] de ses demandes indemnitaires associées, (III) dit et juge que le [5] ' [5]- n'a, par conséquent, pas manqué à ses obligations de sécurité, (IV) déboute, par conséquent Monsieur [D] [G] de ses demandes indemnitaires associées, (V) dit et juge que le [5] n'a pas commis de faits suffisamment graves empêchant la poursuite du contrat de travail de Monsieur [D] [G], (VI) déboute, par conséquent Monsieur [D] [G] de sa demande de résiliation judiciaire aux torts de l'employeur et de ses demandes indemnitaires associées,(VII) condamne Monsieur [D] [G] au paiement de 1500 € à [5] au titre de l'Art. 700 du code de procédure civile, (VIII) met les éventuels frais et dépens de l'instance à charge de Monsieur [D] [G] et (IX) déboute Monsieur [D] [G] de toutes autres demandes différentes, plus amples ou contraires au présent dispositif
STATUANT A NOUVEAU
- dire et juger que Monsieur [G] est victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral et de discrimination,
- dire et juger que le [5] a manqué à ses obligations de sécurité,
En conséquence, condamner le [5] au paiement de :
- 30 000 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait du harcèlement moral et mesures discriminatoires,
- 30 000 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice résultant de la violation de l'obligation de sécurité,
Pour le surplus,
- prononcer la résiliation judiciaire du contrat de Monsieur [G] aux torts et griefs du [5] ;
- dire et juger que la date d'effet de la résiliation judiciaire sera fixée au 26 avril 2021 date de notification ultérieure d'une mesure de licenciement,
En conséquence, condamner le [5] au paiement de :
- 67 503.42 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre celle de 6750.30 € au titre de l'incidence congé
- 199 624 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 270 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause ni réelle ni sérieuse,
- fixer les intérêts judiciaires sur l'indemnité de préavis et indemnité de licenciement à compter du 30.08.2018 date de la saisine du Conseil ; dire et juger que les intérêts échus d'une année porteront eux-mêmes intérêts.
- dire et juger que la somme de 165 707.64 euros versée au titre de l'indemnité de licenciement par suite du licenciement postérieurement intervenu le 27 avril 2021 viendra en déduction de l'indemnité conventionnelle de licenciement par imputation d'abord sur les intérêts puis sur le capital;
- ordonner l'établissement et la remise au Docteur [G] du certificat de travail, de l'attestation Pôle emploi, des bulletins de paie conformes à l'arrêt à intervenir et ce sous astreinte de 200 € par jour de retard par document manquant passé un délai de 15 jours à compter de la notification du jugement à intervenir.
- débouter le [5] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et, de même de toutes demandes fins et conclusions,
- condamner le [5] en tous les frais et dépens en ce compris la somme de 5000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 10 septembre 2021, le [5] ([5]) demande à la cour de :
Confirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes de Lille en date du 12 mars 2021,
Et ainsi :
débouter Monsieur [D] [G] de sa demande de condamnation du [5] au paiement :
de la somme de 30.000 € à titre de dommages et intérêts en raison du prétendu préjudice subi du fait du harcèlement moral et mesures discriminatoires,
de la somme de 30.000 € à titre de dommages et intérêts pour prétendu préjudice subi résultant de la violation de l'obligation de sécurité.
Débouter Monsieur [D] [G] de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts et griefs du [5],
En conséquence,
Débouter Monsieur [D] [G] du paiement des sommes suivantes :
o 67.503,42 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 6.750,30 € au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,
o 199.624 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement, compte tenu de ce que Monsieur [G] a perçu au titre de son licenciement une indemnité conventionnelle de licenciement égale à 18 mois de salaire de base, soit 165.707,64 € correspondant à l'intégralité de ses droits,
o 270.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Rejeter la demande de Monsieur [D] [G] de l'établissement d'un certificat de travail, d'une attestation Pôle Emploi et de bulletins de paie conformes à l'arrêt à intervenir et ce sous astreinte de 200 € par jour de retard passé un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir,
Débouter Monsieur [D] [G] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Reconventionnellement,
Condamner Monsieur [D] [G] au paiement d'une somme de 5.000 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Il convient de se référer aux dernières conclusions des parties régulièrement notifiées par le RPVA pour l'exposé de leurs moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile.
La clôture des débats a été prononcée par ordonnance du 6 septembre 2023.
L'affaire a été appelée à l'audience du 27 septembre 2023 et mise en délibéré au 24 novembre 2023.
MOTIFS
Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat pour des faits de harcèlement moral, manquement à l'obligation de sécurité et discrimination
Aux termes de l'article L1231-1 du code du travail, «'Le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié, ou d'un commun accord, dans les conditions prévues par les dispositions du présent titre'».
En application de ces dispositions, le juge, saisi d'une demande résiliation judiciaire, doit examiner l'ensemble des griefs invoqués au soutien de celle-ci, quelle que soit leur ancienneté, même si par la suite le salarié a été licencié.
La résiliation judiciaire est prononcée aux torts de l'employeur si les manquements de l'employeur à ses obligations sont suffisamment graves pour faire obstacle à la poursuite du contrat de travail.
Par ailleurs, l'article L1152-1 du code du travail dispose qu' «'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel'».
L'article 1152-4 du même code ajoute que': «'L'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral'».
En vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le salarié présente des éléments de fait qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement ; au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Enfin, en vertu de l'article 1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être licencié en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de son exercice d'un mandat électif, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français, de sa qualité de lanceur d'alerte, de facilitateur ou de personne en lien avec un lanceur d'alerte, au sens, respectivement, du I de l'article 6 et des 1° et 2° de l'article 6-1 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
S'agissant de la preuve de la discrimination, il appartient au juge du fond d'examiner la matérialité de tous les éléments invoqués par le salarié ; d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte ; et dans l'affirmative, d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
En l'espèce, au soutien de sa demande de résiliation judiciaire, Monsieur [G] soutient avoir été victime de faits de harcèlement moral et de mesures discriminatoires, ayant entraîné une dégradation de son état de santé.
Il affirme que son employeur l'a isolé sur le plan professionnel et a organisé sa mise à l'écart, notamment en insérant dans les contrats de travail proposés à de futurs collaborateurs du service et en particulier dans celui proposé au docteur [R] une clause prévoyant que «'la présence simultanée du docteur [B] et du docteur [G] sera dans la mesure du possible évitée'». Il ajoute que le [5] a ainsi organisé contractuellement sa mise à l'écart sans démontrer l'existence d'une cause objective la justifiant et qu'il a sensibilisé le docteur [R] qui ne le connaissait pas à des difficultés relationnelles qu'il pourrait rencontrer avec lui, lui indiquant qu'il avait fait son temps. Il précise que le [5] a élaboré un plan de sauvetage du laboratoire de cardiologie interventionnelle qui consistait à l'éliminer le plus rapidement possible, et que tout a été fait pour l'écarter de ses responsabilités, que ses collègues étaient incités pour «'avancer'» à le mettre à l'écart, qu'aucune réunion n'était organisée, et qu'il était convoquée seul par la direction. Il soutient que ce procédé constitue une atteinte à sa dignité et une mesure discriminatoire qui a provoqué une dégradation de son état de santé.
Il précise que du fait de sa mise à l'écart, il s'est trouvé placé dans une situation d'inquiétude personnelle et professionnelle constante, puisqu'il ne pouvait pas transmettre ou informer les praticiens des pathologies dont il avait connaissance et des traitements qu'il estimait nécessaires. Il affirme que de ce fait, il a dû signaler la situation au médecin du travail qui l'a reçu le 24 novembre 2017, et qu'il a été suivi régulièrement pour un épuisement professionnel avec réaction anxio dépressive sévère.
Au soutien de ces affirmations, Monsieur [G] verse aux débats :
- un modèle de contrat de travail conclu entre le [5] et Monsieur [J] contenant un article 11 -DISPOSITIONS SPECIFIQUES mentionnant notamment «'la présence simultanée du docteur [B] et du docteur [G] sera dans la mesure du possible évitée'»,
- une attestation du docteur [R], qui indique qu'il a été contacté par un cabinet de recrutement et qu'il a été reçu par le directeur du site hospitalier et par le docteur [X], un cardiologue de l'établissement qui remplaçait le chef de service, qu'ils lui ont tous deux «'exposés la vision déterminée de la direction du [5] ainsi que les plans de développement prévus pour l'hôpital [7] et le plan de sauvetage du service de cardiologie souffrant d'une maladie chronique représentée par le docteur [D] [G]'», (') que ses deux interlocuteurs «'détaillent le plan de sauvetage du laboratoire de cardiologie interventionnelle établi par la direction du [5] et qui consiste à éliminer le plus rapidement possible Monsieur [D] [G] personæ non grata après avoir recruté en urgence un ou deux coronarographistes mandatés pour construire une nouvelle équipe médicale de cathétérisme cardiaque'». Le docteur [R] affirme également qu'il a eu deux autres entretiens les 5 et 6 octobre 2017 avec le DRH et avec le chef de service du département de recherche médicale pendant lesquels «'les questions posées n'ont pas été professionnelles mais ciblées sur les différents scénarios possibles du sort réservé à monsieur [D] [G]'», et que «'la direction du [5] cherche un mercenaire qui a comme mission de liquider Monsieur [D] [G] et non pas un praticien apte à exercer son art en fusionnant avec une équipe médicale déjà opérationnelle qui a un chef mondialement connu'»,
- une attestation du docteur [E], dans laquelle il indique notamment que le travail a été rendu difficile par les conflits personnels opposant les responsables de services depuis de nombreuses années; qu'en 6 ans, il n'a assisté qu'à une seule réunion de service, qu'il lui semblait que plutôt qu'essayer de résoudre les problèmes en accord avec l'administration si besoin, tout était fait pour essayer d'écarter le Dr [G] de ses responsabilités. Il ajoute que par exemple, il a appris avec le docteur [G] et le docteur [S] lors d'un congrès que la direction essayait d'embaucher un nouveau cardiologue interventionnel, sans les avertir de ce choix alors qu'il aurait été logique qu'ils prennent part à cette décision, qu'il existait une volonté farouche et déterminée d'évincer le Docteur [G], que le directeur de l'hôpital [7] lui a d'ailleurs expliqué lors d'un entretien que s'il souhaitait «'avancer'» , il fallait qu'il s'oppose au Docteur [G] et se range à leur coté. Il précise encore: «'ne pouvant remettre en question ses compétences médicales, il était reproché au Dr [G] son caractère et son manque de travail en équipe (...) A plusieurs reprises le Dr [G] a été convoqué seul par la direction. A chaque fois, il a demandé auparavant à se faire assister de ses collègues pour pouvoir témoigner et contrebalancer l'accusation qui lui a été portée et cette demande lui a été systématiquement refusée. A chaque fois il est revenu abattu de ses réunions, et jamais nous n'avons pu, le Dr [S] ou moi apporter notre point de vue sur la situation. Cela semblait se faire à la façon d'un principal de collège qui convoque son élève après une faute grave, procédé pour le moins humiliant pour un homme de 60 ans au regard de sa carrière et de l'investissement dans son travail au sein du [5]'»,
-une attestation du docteur [S] dans lequel il relate notamment que le docteur [G] et lui ont appris par hasard qu'il avait été proposé par le professeur [P] à un autre cardiologue de les rejoindre pour dynamiser l'équipe, que ce candidat a d'ailleurs refusé la proposition compte du manque de transparence, qu'un conflit est alors apparu entre le docteur [P] et le docteur [G], et que Messieurs [V] et [C] directeur de site et directeur général ont «'morigéné le docteur [G] pour son attitude négative'»,
Monsieur [G] produit également':
- un courrier échangé entre le médecin du travail et le médecin traitant du 24 novembre 2017 dans lequel il constate que Monsieur [G] présente un syndrome dépressif net avec les troubles de l'humeur, perte de sommeil, irritabilité et tendance à des décharges émotionnelles inappropriées,
- un courrier adressé par le docteur [Y] le 13 octobre 2020 au médecin traitant qui mentionne que «'les troubles sont apparus progressivement fin 2017-début 2018 dans un contexte de réorganisation au travail avec ce qui semble avoir été un harcèlement moral de la part de l'administration hospitalière (décrédibilisation et déstabilisation) qui a profondément entamé l'intégrité psychique de Monsieur [G]. Monsieur [G] a alors manifesté un épuisement professionnel avec un épisode dépressif sévère que l'on peut aujourd'hui considéré comme chronique'».
Il ressort de ce même courrier que Monsieur [G] a été placé sous traitement médicamenteux, mais qu'en dépit d'une augmentation des posologies, la reprise d'activité au sein de l'hôpital n'était pas envisageable. Il est également établi que le docteur [G] est resté en arrêt de travail pendant trois ans, et qu'à l'occasion de la visite de reprise, le médecin du travail qui l'a déclaré inapte a mentionné «' l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi'».
Ces pièces sont suffisantes pour établir la matérialité des faits précis et concordants qu'il présente au soutien de ses allégations de harcèlement moral. En outre ces faits sont dans leur ensemble susceptibles de constituer des faits de harcèlement moral.
A ces griefs, l'employeur soutient que la mention contractuelle indiquant que «'la présence simultanée du praticien candidat avec le docteur [G] devait être évitée'» avait été insérée à la demande expresse du docteur [R], et qu'elle ne figurait que dans son contrat, et non dans tous les contrats proposés aux autres praticiens. Il ajoute qu'au surplus, cette clause a été supprimée lors du second projet de contrat proposé au docteur [R] de sorte qu'il ne peut être déduit de ce seul élément une volonté de décrédibiliser et de mettre à l'écart le docteur [G].
Cependant, il ne ressort nullement de l'attestation de Madame [A], présidente de la société ITHAQUE MEDICAL, et chargée du recrutement d'un cardiologue que le docteur [R] avait demandé l'insertion d'une telle clause dans son contrat puisque celle-ci indique seulement que le docteur [R] voulait avoir l'assurance qu'il ne serait pas «'dépendant de ce médecin'». Il ressort en outre de l'attestation du docteur [R] que celui-ci ne connaissait pas personnellement le docteur [G], le professeur [P] ayant d'ailleurs indiqué dans son témoignage qu'un jeune cardiologue issu de ce service «'aurait bien savonné la planche concernant le docteur [G]'». Enfin, il ne peut être déduit du seul courriel adressé par Monsieur [V] le 21 octobre 2017 à Monsieur [R] que le docteur [G] aurait accepté le principe de l'insertion dans les contrats de clauses visant à l'exclure et/ ou à le déposséder de ses prérogatives. Enfin quand bien même des candidats praticiens auraient demandé l'insertion de telles clauses dans leurs contrats, l'employeur ne pouvait accepter un tel procédé.
L'employeur soutient également que Monsieur [G] avait une personnalité difficile et qu'il entretenait des rapports très compliqués avec ses confrères ce qui était un obstacle au recrutement d'autres praticiens. Il verse aux débats notamment une attestation du docteur [O] qui indique qu'il avait eu des rapports houleux avec le docteur [G], mais conclut également que connaissant la réputation du service, il envisage de quitte le CH de [Localité 6] dans lequel il travaille actuellement, ce qui ne peut démontrer que la personnalité de Monsieur [G] était un obstacle au recrutement d'autres médecins. L'employeur produit également diverses attestations dont celle du docteur [N] et du docteur [X] desquelles il ressort que le docteur [G] aurait régulièrement des explications musclées avec les internes et jeunes praticiens. Cependant, le docteur [N] précise qu'il ne remet pas en cause les compétences du docteur [G] concernant la coronographie ni l'unité de soins mais qu'il existe un problème de communication manifeste avec le reste de l'équipe médicale.
Or, il ressort des attestations des docteurs [E] et [S] que Monsieur [G] était surtout très exigeant, tant avec lui-même qu'avec les autres, mais surtout qu'aucune réunion n'a jamais été organisée pour régler ces difficultés de communication, et les conflits de plus en plus prégnants entre les chefs de service, et qu'il existait une véritable volonté de la part de la direction de réorganiser les services et d'évincer le docteur [G] et le mettre à l'écart. Il est précisé qu'il était convoqué seul par les directeurs «'à la façon d'un principal de collège'», soit selon un procédé humiliant, et dégradant, les personnes travaillant directement avec lui étant exclues de ces entretiens, et que tout était fait pour l'écarter de ses responsabilités, après trente ans d'activité professionnelle. Il est également établi, notamment par les attestations des docteurs [E] et [R] que le docteur [G], bien que chef de service, était écarté du processus de recrutement d'autres praticiens, et de projets de réorganisation, le bureau de recrutement dans son courriel du 9 octobre 2017 indiquant à la direction que le docteur [R] était un bon clinicien, qu'il souhaitait une rencontre avec les thermodynamiciens, mais se demandant si c'était une bonne stratégie car le docteur [G] n'était pas au courant et risquait de "faire barrage".
Les éléments apportés par l'employeur sont donc insuffisants à établir que les agissements reprochés sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Dès lors, il y a lieu de considérer que Monsieur [G] a été victime d'un harcèlement moral.
Par ailleurs, il est établi que bien qu'ayant connaissance des difficultés de communication du docteur [G] et des conflits existant entre les chefs de service, l'employeur n'a pris aucune mesure propre à prévenir, et à remédier aux difficultés de communication dans le service et éviter la mise à l'écart du docteur [G]. Il n'a ainsi organisé aucune réunion de service avec tous les intervenants concernés, ni pris aucune mesure propre à assurer la concertation lors de la prise de décisions, laissant la situation progressivement s'aggraver jusqu'à ce que Monsieur [G] soit placé en arrêt de travail.
Il résulte des documents médicaux versés aux débats que Monsieur [G] a souffert d'un syndrome dépressif sévère , et que cette dépression résultait de la décrédibilisation et de sa mise à l'écart professionnelle, les médecins relevant que les faits de harcèlement dont il avait fait l'objet avaient entamé son intégrité physique et entraîné la dépression qui a justifié son arrêt de travail. Enfin, contrairement aux affirmations de l'employeur, il est établi que cette opération de mise à l'écart du docteur [G] ne résulte pas d'un seul événement datant du mois d'octobre 2017 et constitué par la tentative de recrutement du docteur [R] mais est intervenue de manière progressive et n'a cessé que lorsque Monsieur [G] a été placé en arrêt de travail.
En revanche, il ne résulte d'aucune pièce que Monsieur [G] aurait été victime de discrimination, Monsieur [G] ne précisant d'ailleurs pas la nature de la discrimination dont il aurait fait l'objet.
Sur les conséquences de la résiliation judiciaire pour des faits de harcèlement moral
Les faits de harcèlement et de manquement à l'obligation de sécurité étant établis, la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur sera prononcée, ces faits étant suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat et justifier sa rupture. Monsieur [G] ayant été licencié le 26 avril 2021, cette résiliation prendra effet à cette date.
En revanche, compte tenu des termes de la demande de Monsieur [G] fixant les termes du litige, la résiliation judiciaire prononcée produira les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur l'indemnité de licenciement et l'indemnité compensatrice de préavis
Sur l'indemnité de licenciement
L'article L1234-9 du code du travail dispose que «'Le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu'il compte 8 mois d'ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.
Les modalités de calcul de cette indemnité sont fonction de la rémunération brute dont le salarié bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail. Ce taux et ces modalités sont déterminés par voie réglementaire'».
En l'espèce, l'article VI. 3.2 intitulé «'indemnités de licenciement'» de l'accord collectif relatif aux statut du corps médical prévoit que «'Tout praticien du GH-ICL qui compte une ancienneté ininterrompue de 2 ans bénéficiera en cas de licenciement, sauf cas de faute grave ou lourde, d'une indemnité dont le montant sera égal à 1 mois de salaire par année de présence dans la limité de 18 mois . Le salaire de référence est le salaire de base moyen des trois derniers mois'».
Aux termes du contrat de travail de Monsieur [G], sa rémunération était composée d'un montant mensuel brut de 8907,86 euros, et d'une indemnité de sujétion versée en contrepartie des gardes effectuées et calculées selon les modalités prévues dans l'article IV.2 du statut du corps médical.
Dès lors que la convention collective prévoit le calcul de l'indemnité de licenciement sur une moyenne des trois derniers mois de salaires, l'assiette prend nécessairement en compte la totalité de la rémunération contractuelle, puisque le salaire de base est le même chaque mois.
En conséquence, il convient d'allouer à Monsieur [G] la somme de 199.264 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement, dont il conviendra de déduire les sommes d'un montant de 165.707,64 euros déjà versées par l'employeur à ce titre .
Sur l'indemnité de préavis
L'article L.1234-5 du même code dispose que « Lorsque le salarié n'exécute pas le préavis, il a droit, sauf s'il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice.
L'inexécution du préavis, notamment en cas de dispense par l'employeur, n'entraîne aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du préavis, indemnité de congés payés comprise.
L'indemnité compensatrice de préavis se cumule avec l'indemnité de licenciement et avec l'indemnité prévue à l'article L. 1235-2».
L'article VI.3 de l'accord collectif relatif aux statut du corps médical prévoit que la durée du préavis du contrat à durée indéterminée est dès l'issue de la période d'essai fixée à 6 mois en cas de licenciement, sauf cas de faute grave ou lourde.
En application de ces stipulations, et compte tenu du salaire moyen retenu, il y a lieu d'allouer à Monsieur [G] la somme de 67.503,42 euros à ce titre.
Sur la demande d'intérêts et de capitalisation de ces intérêts
Les créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter du 30 août 2018, date de réception par l'employeur de la convocation à comparaître à l'audience de conciliation.
Conformément à la demande de la salariée, il y a lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts, dus pour une année entière, dans les conditions de l'article 1343-2 du Code civil.
Enfin, la somme de 165 707.64 euros versée au titre de l'indemnité de licenciement par suite du licenciement postérieurement intervenu le 27 avril 2021 viendra en déduction de l'indemnité conventionnelle de licenciement par imputation d'abord sur les intérêts puis sur le capital.
Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
En application de l'article 1235-3 du code du travail , 'si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur dont le montant doit être fixé selon un barème tenant compte de l'ancienneté du salarié et la taille de l'entreprise.
Par ailleurs, lorsque le juge prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail d'un salarié aux torts de l'employeur et que la rupture produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, les dispositions issues de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relatives au montant de l'indemnité due à ce titre (article L1235-6 du code du travail) sont applicables dès lors que la résiliation judiciaire prend effet à une date postérieure à celle de la publication de l'ordonnance, comme en l'espèce.
Monsieur [G] avait, à la date de la rupture de son contrat une ancienneté de près de 31 ans. Âgé de plus de 60 ans,il ne dispose plus de perspective de retrouver un emploi. Au regard de ces éléments, il lui sera accordé une somme de 160.000 euros euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les dommages et intérêts pour harcèlement moral
Il résulte des développements qui précèdent que Monsieur [G] a bien été victime de faits de harcèlement moral, qui lui ont causé un préjudice distinct de la perte de son emploi, justifié par les éléments médicaux versés au dossier. Le préjudice résultant des faits de harcèlement moral sera réparé par une indemnité de 4.000 € de dommages-intérêts.
Sur les dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité
Comme exposé, ci-dessus, l'employeur a manqué à son obligation de sécurité en ne prenant aucune mesure de prévention, en n'organisant aucune réunion, aucune concertation, susceptible d'apaiser les conflits éventuels ou difficultés de communication, alors qu'il avait connaissance d'une difficulté dans le service dans lequel travaillait le docteur [G]. Il lui sera alloué une somme de 4.000 euros en réparation de son préjudice.
Sur la demande de remise du certificat de travail, de l'attestation Pôle emploi, des bulletins de paie conformes à l'arrêt à intervenir sous astreinte
Il convient d'ordonner la remise par l'employeur à Monsieur [G] des bulletins de paie, d'un certificat de travail, et d'une attestation Pôle emploi rectifiés, conformément à la présente décision, sans qu'il soit besoin d'assortir d'assortir cette condamnation de l'employeur d'une astreinte.
Sur les dépens et la demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile
En application de l'article 696 du code de procédure civile, le [5] ([5]), partie perdante, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, il n'est pas inéquitable de condamner le [5] ([5]) à payer à Monsieur [G] une somme globale de 3.000 €.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant après débats en audience publique par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement entrepris,
Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur [D] [G] aux torts et griefs du [5] ([5]) à la date du 26 avril 2021,
Condamne le [5] à payer à Monsieur [G] les sommes suivantes :
- 67 503.42 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre celle de 6750.30 euros au titre des congés payés,
- 199 624 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement en deniers ou quittances,
- dit que le paiement de ces sommes dues au titre de l'indemnité de préavis et l'indemnité de licenciement portera intérêts au taux légal à compter du 30 août 2018, date de saisine du conseil des prud'hommes,
-ordonne la capitalisation des intérêts échus pour une année entière,
- Dit que la somme de 165 707.64 euros versée par le [5] à titre de l'indemnité de licenciement par suite du licenciement postérieurement intervenu le 27 avril 2021 viendra en déduction de l'indemnité conventionnelle de licenciement par imputation d'abord sur les intérêts puis sur le capital ;
Condamne le [5] à payer à Monsieur [G] la somme de 160.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause ni réelle ni sérieuse,
Condamne le [5] à payer à Monsieur [G] la somme de 4.000 euros à titre de dommages et intérêt pour harcèlement moral,
Condamne le [5] à payer à Monsieur [G] la somme de 4.000 euros à titre de dommages et intérêt en réparation du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité,
Ordonne la remise à Monsieur [G] par le [5] des bulletins de paie, d'un certificat de travail et d'une attestation Pôle emploi rectifiés conformément au présent arrêt,
Condamne le [5] à payer à Monsieur [G] la somme de 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne le [5] aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER
Serge LAWECKI
Le conseiller désigné pour exercer les fonctions de président,
Muriel LE BELLEC