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Décisions

CA Colmar, 1re ch. A, 22 novembre 2023, n° 22/00551

COLMAR

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Roederer (SAS)

Défendeur :

G2C Assur Pro (EURL), Willis Towers Watson France (SAS), Gras Savoye (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Walgenwitz

Conseillers :

M. Roublot, Mme Rhode

Avocats :

Me itou-Wolff, Me Levy, Me Wiesel, Me Renaud, Me Beaupre

TJ Strasbourg, du 28 janvier 2022

28 janvier 2022

FAITS PROCÉDURE PRÉTENTIONS DES PARTIES :

La SAS ROEDERER exploite une activité de courtage en assurance. En 2001, elle a racheté la clientèle d'un courtier, M. [Z] [N]. Le 4 octobre 2004, la société ROEDERER a conclu un contrat à durée indéterminée avec M. [Z] [N] - avec effet le 1er octobre 2004 - en qualité de directeur commercial du département assurance des biens et responsabilité.

Le 29 août 2014, M. [Z] [N] était convoqué dans les locaux de la société ROEDERER pour un entretien préalable à un éventuel licenciement : le licenciement pour cause réelle et sérieuse lui a été notifié par lettre recommandée avec un accusé de réception le 2 septembre 2014 et le 30 septembre 2014, il a quitté les effectifs de la société ROEDERER.

M. [Z] [N] a alors constitué une société de courtage en assurance, la société G2C ASSUR PRO EURL, laquelle a conclu avec la société ROEDERER, le 2 octobre 2014, à effet au 1er octobre 2014, un mandat d'intermédiaire en assurance. Ce mandat, conclu pour une durée de deux ans, a été prorogé jusqu'au 31 mars 2018 par avenant non daté.

Courant 2018, la société ROEDERER, se plaignant d'un détournement de sa clientèle par M. [Z] [N] au profit de la société GRAS SAVOYE, a adressé une mise en demeure à M. [Z] [N] le 17 octobre 2018, appelant son attention sur la violation de ses obligations contractuelles, avec copie à la société GRAS SAVOYE.

La société ROEDERER a obtenu, par requête, une ordonnance du 29 novembre 2019 l'autorisant à faire pratiquer par un huissier, des investigations de nature à caractériser les agissements de détournement de clientèle qu'elle reprochait à M. [N] et à sa société. Le 13 décembre 2014, l'huissier a exécuté ses opérations et établi un procès-verbal.

Par assignation du 22 janvier 2020, la SAS ROEDERER a saisi la chambre commerciale du Tribunal judiciaire de STRASBOURG, d'une action en indemnisation dirigée contre la société G2C ASSUR PRO EURL, M. [Z] [N] et la SAS GRAS SAVOYE (elle-même venant aux droits de la SAS GRAS SAVOYE BERGER SIMON, devenue SAS WILLIS TOWERS WATSON France).

Par jugement en date du 28 janvier 2022 le tribunal judiciaire de STRASBOURG a :

- Débouté la société ROEDERER de l'ensemble de ses demandes ;

- Condamné la société ROEDERER à payer à la société G2C ASSUR PRO une indemnité de 5.000 euros (cinq mille euros) en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné la société ROEDERER à payer à M. [Z] [N] une indemnité de 5.000 euros (cinq mille euros) en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné la société ROEDERER à payer à la société GRAS SAVOYE une indemnité de 5.000 euros (cinq mille euros) en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné la société ROEDERER aux dépens.

Les premiers juges ont retenu :

S'agissant de la demande dirigée contre la société G2C ASSUR PRO que :

*compte-tenu de l'ancienneté de son activité et de son expérience, M. [Z] [N] a nécessairement noué des relations commerciales fortes avec des clients dont il a assuré la gestion des affaires, de sorte que la société ROEDERER était légitime à se protéger de tout risque de perte de clientèle en cas de cessation du mandat conclu avec la dernière structure d'exercice de M. [Z] [N],

*néanmoins, la clause de non-concurrence dont se prévaut la société ROEDERER à l'encontre de la G2C ASSUR PRO ne répond pas à l'exigence de proportionnalité exigée, en ce sens que la zone interdite d'exercice n'est ni déterminée, ni déterminable et qu'elle ne contient aucune limitation expresse dans l'espace,

*la clause doit de ce fait être annulée.

Sur la demande dirigée contre M. [Z] [N], que :

*celle-ci est de nature délictuelle puisque ce dernier n'étant pas personnellement partie au mandat d'intermédiaire d'assurance n'était pas tenu par la clause de non-concurrence, laquelle a été précédemment annulée,

*la société ROEDERER n'apporte pas de précision concernant la/les fautes qu'elle reproche à M. [Z] [N], les attestations produites pour attester du comportement délictueux de l'intimé n'établissant pas la preuve d'une telle faute,

*la société G2C ASSUR PRO n'a commis aucune faute de nature contractuelle, de sorte que les griefs adressés à son dirigeant à ce titre sont sans fondement.

Sur la demande dirigée contre la société GRAS SAVOYE, qu'elle serait de nature délictuelle ; cependant, aucune situation juridique n'a pu être créée par la clause de non-concurrence - annulée - au sens de l'article 1200 du code civil et ne pouvait alors s'imposer à la société tierce à la clause qu'était la société GRAS SAVOYE.

Par une déclaration faite au greffe en date du 03 février 2022, la SAS ROEDERER a interjeté appel de cette décision.

Par une déclaration faite au greffe en date du 14 mars 2022, M. [Z] [N], l'EURL G2C ASSUR PRO et la SAS WILLIS TOWERS WATSON FRANCE, anciennement dénommée SAS GRAS SAVOYE, se sont constitués intimés dans la présente affaire.

Aux termes de ses dernières écritures datées du 18 juillet 2022 transmises par voie électronique le même jour, auxquelles a été joint le bordereau de communication de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, la SAS ROEDERER demande à la Cour de :

- Dire l'appel bien-fondé,

Y faisant droit,

- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- débouté de l'ensemble de ses demandes la société ROEDERER,

- condamné la société ROEDERER à payer 5.000 euros au titre de l'article 700 du CPC à la société G2C ASSUR PRO,

- condamné la société ROEDERER à payer 5.000 euros au titre de l'article 700 du CPC à Monsieur [N],

- condamné la société ROEDERER à payer 5.000 euros au titre de l'article 700 du CPC à la société GRAS SAVOYE,

- condamné la société ROEDERER aux dépens,

Et statuant à nouveau,

Vu les articles 1104 et 1231-I du code civil,

- Dire et juger que la société G2C ASSUR PRO EURL a violé son obligation contractuelle de non-sollicitation et de non-concurrence et que de plus elle s'est livrée à des pratiques supplémentaires de concurrence déloyale,

Vu les articles 1240 et suivants du code civil,

- Dire et juger que Monsieur [N] a commis des fautes distinctes et dissociables de ses simples fonctions de gérant, qui engagent sa responsabilité aux côtés de celle de son entreprise,

- Dire et juger que la société GRAS SAVOYE désormais WILLIS TOWERS WATSON France s'est rendue coupable de complicité de violation des obligations contractuelles, prévue par l'article 1200 du Code Civil, ainsi que de concurrence déloyale.

En conséquence,

- Condamner solidairement sinon in solidum la société G2C ASSUR PRO EURL, M. [Z] [N] et la société WILLIS TOWERS WATSON à payer à la société ROEDERER SAS la somme de 261 807 € au titre du préjudice résultant de la perte de clientèle détournée par les intimés,

- Condamner solidairement sinon in solidum la société G2C ASSUR PRO EURL, M. [Z] [N] et la société WILLIS TOWERS WATSON à payer à la société ROEDERER SAS la somme de 25 000 € au titre du préjudice moral, de la désorganisation de l'entreprise et du trouble commercial,

- Condamner solidairement sinon in solidum la société G2C ASSUR PRO EURL, M. [Z] [N] et la société WILLIS TOWERS WATSON à payer à la société ROEDERER SAS la somme de 15 000 € sur le fondement de l'article 700 du CPC,

- Condamner solidairement sinon in solidum la société G2C ASSUR PRO EURL, M. [Z] [N] et la société WILLIS TOWERS WATSON aux entiers frais et dépens, en ceux inclus les frais résultants de la requête et de l'ordonnance RG 19/02011 y compris les frais d'huissier, de serrurier et d'informaticien,

- Débouter la société G2C ASSUR PRO EURL, M. [Z] [N] et la société WILLIS TOWERS WATSON de toutes conclusions contraires ainsi que de l'intégralité de leurs fins, moyens, demandes et prétentions.

Au soutien de ses prétentions, concernant le fondement de ses actions, la société ROEDERER soutient que :

*la société G2C ASSUR PRO EURL aurait violé son obligation contractuelle de non-sollicitation, conformément aux articles 1104 et 1231-1 du code civil ; la société G2C ASSUR PRO EURL se serait livrée à des pratiques supplémentaires de concurrence déloyale, en se servant des renseignements obtenus tout spécialement par son mandat avec la société ROEDERER pour débaucher systématiquement les clients confiés par celle-ci et figurant sur la liste annexe au profit de la société GRAS SAVOYE,

*M. [Z] [N], seul propriétaire et dirigeant de la société G2C ASSUR PRO, aurait commis des fautes distinctes de ses fonctions de gérant, qui permettraient d'engager sa responsabilité aux côtés de celle de son entreprise ; malgré la lettre recommandée AR lui demandant de cesser ses manœuvres, celui-ci aurait continué de violer l'obligation de non-concurrence et se serait livré à de la concurrence déloyale ; il résulterait des témoignages de deux salariés que M. [Z] [N] aurait débauché la clientèle de la société ROEDERER ce qui aurait causé un trouble direct à celle-ci,

*la société GRAS SAVOYE (devenue WILLIS TOWERS WATSON France), se serait rendue coupable de complicité dans le cadre de la violation de l'obligation contractuelle visée à l'article 1200 du code civil ; alors que ce comportement se doublerait de sa complicité avec les manœuvres de concurrence déloyale, il serait aggravé par la circonstance que la société GRAS SAVOYE a été dûment avertie par lettre de la société ROEDERER du 17 octobre 2018, de l'engagement de sa responsabilité si elle continuait ses agissements à son encontre ; la société GRAS SAVOYE, en contractant avec la société G2C ASSUR PRO immédiatement après la fin de son mandat avec la société ROEDERER, et en la commissionnant pour le détournement d'une clientèle qui serait exclusivement composée d'anciens clients de la société ROEDERER, aurait parfaitement connaissance des manœuvres auxquelles elle participait délibérément et dont elle percevait les fruits.

S'agissant du préjudice, la société ROEDERER soutient :

*sur la perte de clientèle, que l'usage de la profession dans l'hypothèse d'une cession de clientèle est de valoriser celle-ci en appliquant un coefficient de 2,5 au chiffre d'affaires,

*sur le préjudice moral, que la désorganisation de l'entreprise et le trouble commercial entraînés l'auraient mise en difficulté.

Aux termes de ses dernières écritures datées du 14 juin 2022 transmises par voie électronique le même jour, auxquelles a été joint le bordereau de communication de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, M. [Z] [N] et la société G2C ASSUR PRO EURL demandent à la Cour de :

- Déclarer la société ROEDERER mal fondée en son appel,

- L'en débouter,

- Confirmer en conséquence le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- Condamner la société ROEDERER aux entiers dépens de la procédure ainsi qu'au paiement de la somme de 3.000 € d'une part au profit de la société G2C ASSUR PRO EURL et d'autre part au profit de M. [Z] [N].

Au soutien de ses prétentions, M. [Z] [N] et la société G2C ASSUR PRO EURL soutiennent l'analyse retenue par les premiers juges, qui ont qualifié la clause litigieuse de clause de non-concurrence et l'ont considérée non valable.

Sur la somme demandée par la société ROEDERER au titre des dommages et intérêts, M. [Z] [N] et la société G2C ASSUR PRO EURL considèrent que la somme de 261.807 euros réclamée au titre du préjudice de la perte de clientèle détournée par ces derniers, et la somme de 25.000 euros sollicitée au titre du préjudice moral, de la désorganisation de l'entreprise et du trouble commercial revendiqués par la SAS ROEDERER, ne sont nullement justifiées.

Aux termes de ses dernières écritures datées du 24 novembre 2022 transmises par voie électronique le même jour, auxquelles a été joint le bordereau de communication de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, la SAS WILLIS TOWERS WATSON FRANCE, venant aux droits de la société GRAS SAVOYE, elle-même venant aux droits de la SAS GRAS SAVOYE BERGER SIMON, demande à la Cour de :

- Rejeter l'appel comme non fondé,

En conséquence,

- Confirmer le jugement du tribunal Judiciaire de Strasbourg du 28 janvier 2022 dans toutes ses dispositions ;

- Y ajoutant,

- Condamner la Société la société ROEDERER à payer à la Société GRAS SAVOYE BERGER SIMON la somme de 15.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la Société la société ROEDERER aux entiers frais et dépens.

Au soutien de ses prétentions, sur la clause de non-concurrence figurant dans le contrat de mandat conclu entre la société G2C ASSUR PRO EURL et la société SAS ROEDERER, la société WILLIS TOWERS WATSON France :

*soutient n'avoir pu, ni deviner, ni présumer que ce contrat de mandat contenait une telle clause,

*soutient avoir découvert l'existence de cette clause à la réception du courrier de la société ROEDERER le 17 octobre 2018, et l'étendue de la clause de non-concurrence uniquement à l'occasion de la présente instance ; elle estime que la durée d'interdiction de 36 mois prévue par cette clause litigieuse est "très longue", voire "trop vaste" et qu'aucun autre élément n'a été apporté par la société ROEDERER à hauteur de Cour pour la justifier,

*dénonce la partie appelante en ce qu'elle soutient à hauteur de Cour, que la clause litigieuse est en réalité une clause de non-sollicitation - alors qu'en première instance elle soutenait qu'il s'agissait d'une clause de non-concurrence.

Concernant la concurrence déloyale, en rappelant la liberté de commerce et de la concurrence, la société WILLIS TOWERS WATSON France considère que :

*la société ROEDERER ne démontre aucunement l'existence d'actes de concurrence déloyale supplémentaires et distincts de la violation de la clause litigieuse de la part de la société GRAS SAVOYE à hauteur de Cour,

*la première rencontre entre les sociétés GRAS SAVOYE et G2C ASSUR PRO EURL en vue d'une éventuelle collaboration a eu lieu le 13 avril 2018, et à ce moment-là, le contrat entre la société G2C ASSUR PRO EURL et la société ROEDERER était déjà achevé,

*elle ignorait, avant la fin octobre 2018, l'existence de la clause de non-concurrence liant la société G2C ASSUR PRO et la société ROEDERER postérieurement à la fin de leurs relations contractuelles,

*la société ROEDERER méconnaîtrait le principe de la liberté de commerce.

A titre subsidiaire, sur l'évaluation du préjudice de perte de clientèle, la société WILLIS TOWERS WATSON FRANCE remet en cause la méthode de calcul d'évaluation du préjudice de la société ROEDERER. Pour le préjudice moral de désorganisation et de trouble commercial allégué, la société WILLIS TOWERS WATSON FRANCE indique que la société ROEDERER ne démontre pas comment elle aurait été désorganisée par la perte de quelques entreprises clients sur les 10.000 entreprises clients qu'elle compte ; dès lors, la demande d'indemnisation forfaitaire de la société ROEDERER ne serait ni justifiée, ni sérieuse, aucun nouvel élément n'ayant été apporté à hauteur de Cour selon la société WILLIS TOWERS WATSON FRANCE.

La Cour se référera aux dernières écritures des parties pour plus ample exposé des faits, de la procédure et de leurs prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile.

Par une ordonnance en date du 8 février 2023, Madame le magistrat chargé de la mise en état près la Cour d'appel de COLMAR a ordonné la clôture de la procédure et a renvoyé l'affaire à l'audience de plaidoirie du 27 février 2023, date à laquelle elle a été renvoyée au 25 septembre 2023.

MOTIFS DE LA DECISION :

1- Sur la validité de la clause stipulée par l'article 2 de la convention passée le 2 octobre 2014 entre la société ROEDERER et la société G2C ASSUR PRO EURL :

Selon l'ancien article 1134 du code civil (nouvel article 1103 du code civil), les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

Aux termes de l'article L.134-14 du code de commerce, une clause de non-concurrence - qui consiste à interdire à une ou plusieurs parties au contrat, pendant un certain temps et/ou dans un certain secteur géographique, d'exercer une activé professionnelle susceptible de concurrencer l'autre partie - pour être licite, doit satisfaire à un critère de proportionnalité au regard de l'objet du contrat (Com., C. cass., 16 décembre 1997, n° 96-10.859). La clause doit concerner un secteur géographique et n'être prévue que pour une période maximale de deux ans après la cessation du contrat (Com., C. cass., 23 septembre 2014, n° 13-21.285).

La clause de non-sollicitation a pour objectif d'empêcher une partie de solliciter les clients du co-contractant. Souvent cette clause s'apparente à la clause de non-concurrence néanmoins la Cour de cassation affirme l'autonomie de celle-ci par rapport à la clause de non-concurrence (Com., C. cass., 11 juillet 2006).

Cependant, depuis 2021, pour ces deux types de clause, il y a une exigence commune de proportionnalité, la Cour de cassation considérant que toutes clauses contractuelles, limitant la liberté de travail et la liberté d'entreprendre, peu important sa qualification, doivent être proportionnées aux intérêts légitimes à protéger (Com., C. cass., 27 mai 2021, n° 18-23.699 et 18-23.261).

En l'espèce, le contrat litigieux conclu le 2 octobre 2014 entre la société ROEDERER et la société G2C ASSUR PRO EURL - représentée par M. [Z] [N] - est génératrice d'une obligation post-contractuelle en son article 2 intitulé « Conséquences de la fin du mandat du IV. Durée et cession » qui stipulent que :

« Le mandataire s'interdit, pendant un délai de 36 mois à l'issue du mandat, de démarcher ou de traiter directement ou indirectement avec :

- La clientèle du Mandant et de toute société du GROUPE ROEDERER, y compris la clientèle que le Mandataire aura apportée lui-même,

- Celle que le Mandant aura indiquée au Mandataire » (pièce n° 1 de l'appelant).

Comme le convient l'ensemble des parties, compte tenu de l'expérience de courtier en assurance de M. [Z] [N], celui-ci a nécessairement noué une relation commerciale forte avec les clients dont il a traité les affaires, lorsqu'il exerçait à titre indépendant, puis quand la société ROEDERER a racheté son affaire et l'a embauché. Aussi, comme l'ont retenu les premiers juges, il était légitime pour la société ROEDERER de se protéger de tout risque de perte de clientèle en cas de cessation du mandat conclu avec la dernière structure d'exercice de M. [Z] [N].

Le litige porte sur la qualification de la clause mise en place. Les premiers juges ont retenu qu'il s'agissait d'une clause de non-concurrence - les deux parties la qualifiant comme telle lors des débats et échanges de conclusions réalisés au stade de la première instance - et qu'elle n'était pas valable et opposable aux défendeurs car elle ne répondait pas à l'exigence de proportionnalité. A hauteur de Cour, la SAS ROEDERER soutient dorénavant que la clause litigieuse susmentionnée est une clause de "non-sollicitation".

Même si en effet celle-ci peut s'apparenter à une clause de non-sollicitation, comme rappelé plus haut, pour qu'elle soit régulière, elle doit être proportionnée aux intérêts légitimes à protéger car elle peut porter atteinte aux principes généraux du droit que sont les libertés de travail et d'entreprendre. Or les obligations mises à la charge de M. [Z] [N] dans cette clause ne sont pas suffisamment précisées et cantonnées ; il aurait été nécessaire au minimum de lister le nom des clients avec lesquels le mandataire ne devait pas démarcher ou traiter directement ou indirectement pour qu'elle réponde à l'exigence de proportionnalité. En outre sa durée de trois ans paraît trop longue et de nature à entraver l'exercice des droits sus évoqués.

Aussi, la conclusion des premiers juges - en ce qu'ils ont décidé de l'annuler - sera confirmée. Les reproches formulés à la société gérée par M. [N], ou encore à la société GRAS SAVOYE (désormais WILLIS TOWERS WATSON FRANCE) en ce qu'elle se serait rendue coupable de « complicité de violation des obligations contractuelles » en ignorant une situation juridique créée par un contrat - tel que prévu par l'article 1200 du Code Civil - ne peuvent dès lors prospérer.

II- Sur les demandes fondées sur la concurrence déloyale de la société GRAS SAVOYE et la responsabilité de M. [Z] [N] :

L'appelante soutient que les premiers juges auraient omis de statuer sur la demande portant sur la concurrence déloyale reprochée à M. [N] avec la complicité de la société GRAS SAVOYE.

Cependant, l'appelante avait invoqué des actes de concurrence déloyale uniquement en soutien de sa demande formulée au titre de l'indemnisation, par l'allocation d'une somme unique (sans faire aucune distinction entre ce qui aurait pu relever de la violation de la clause de non-concurrence et d'éventuels actes de concurrence déloyale), de son préjudice résultant du détournement de clientèle allégué.

Aussi, à partir du moment où la clause litigieuse - de non-concurrence ou de non-sollicitation - signée entre les parties a été annulée, et que les premiers juges ont écarté l'existence même d'un détournement de clientèle (en précisant qu'au regard de l'ancienneté des relations professionnelles existant entre les clients et M. [N] il était logique que certains de ces premiers aient souhaité poursuivre leur relation avec ce dernier), ils ont pu à juste titre considérer implicitement qu'il ne pouvait y avoir d'agissements de concurrence déloyale de la part des intimés.

En tout état de cause, les événements à l'origine du litige - à savoir le fait que certaines sociétés clientes de la société la SAS ROEDERER se soient manifestées pour prendre attache avec la société de Monsieur [N] pour connaître leur droit de résiliation de leurs relations avec la société la SAS ROEDERER - ne sauraient constituer des faits de concurrence déloyale imputables soit à la société G2C ASSUR PRO, soit à son gérant à titre personnel, soit même à la société GRAS SAVOYE. La demande de l'appelante fondée sur la concurrence déloyale sera dès lors rejetée.

De même, la société G2C ASSUR PRO n'ayant commis aucune faute de nature contractuelle, les développements sur les griefs faits à son dirigeant à titre personnel, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, ne peuvent être accueillis et ce d'autant plus que l'appelante ne démontre pas en quoi M. [N] aurait commis des fautes distinctes et dissociables de ses fonctions de gérant, qui seraient de nature à engager sa responsabilité aux côtés de celle de son entreprise sur le fondement de l'article 1240 du Code civil.

III- Sur les demandes annexes :

La partie appelante, qui succombe au principal, sera condamnée aux dépens de la procédure d'appel et déboutée de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile, la décision de première instance étant confirmée sur ces points.

L'équité commande l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société G2C ASSUR PRO EURL et de M. [Z] [N], qui se verront verser 3.000 euros chacun, par l'appelante. La SAS WILLIS TOWERS WATSON France (venant aux droits de la SAS GRAS SAVOYE), se verra pour sa part accorder 3.000 euros, à hauteur de Cour, la décision de première instance étant confirmée de ces chefs.

P A R C E S M O T I F S

La Cour,

Confirme le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Strasbourg le 28 janvier 2022 en toutes ses dispositions,

Et y ajoutant,

Dit que la clause, insérée dans le contrat en date du 2 octobre 2014 est une clause de non-sollicitation,

Déclare la clause de non-sollicitation nulle,

Condamne la SAS ROEDERER aux dépens d'appel,

Condamne la SAS ROEDERER à verser la société G2C ASSUR PRO EURL la somme de 3.000 euros (trois mille) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,

Condamne la SAS ROEDERER à verser à M. [Z] [N] la somme de 3.000 euros (trois mille) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,

Condamne la SAS ROEDERER à verser la société SAS WILLIS TOWERS WATSON France (venant aux droits de la SAS GRAS SAVOYE) la somme de 3.000 euros (trois mille) euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,

Rejette la demande de la SAS ROEDERER fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, à hauteur de Cour.