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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 11, 24 novembre 2023, n° 21/18520

PARIS

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

SNAKE INTERACTIVE (SASU)

Défendeur :

Syndicat CPA - COLLECTIF POUR LES ACTEURS DU MARKETING DIGITAL

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. ARDISSON

Conseillers :

Mme PRIMEVERT, Mme L'ELEU DE LA SIMONE

Avocats :

Me GUYONNET, Me COLLETTE, Me BOCCON GIBOD, Me DUMONT

TJ Paris, 21 sept. 2021, RG n° 21/03447

21 septembre 2021

La société Snake Interactive, créée en 2012, est une agence d'intermédiation et de marketing digital d'acquisition multi-canal. Elle gère les données de tiers pour les monétiser, en particulier auprès d'annonceurs. Ainsi, elle exploite des bases de données pour les proposer aux annonceurs afin de diffuser leur contenu commercial par la voie de l'emailing.

Le Collectif pour les Acteurs du Marketing Digital (CPA) est un syndicat professionnel créé en 2008 qui regroupe et défend les intérêts de certains professionnels de la communication publicitaire dans le secteur du numérique. Il mène des activités destinées à améliorer la qualité des services de ses adhérents en leur délivrant des formations notamment sur l'environnement réglementaire de leur activité.

Le CPA a ainsi élaboré des chartes d'autorégulation, afin de faire progresser par une démarche volontaire les pratiques de ses membres et améliorer l'image de la profession. Il a donc élaboré dès 2011 une charte de l'emailing pour faire en sorte que les bases de données utilisées pour les campagnes d'emailings menées par les signataires de la Charte soient correctement constituées et utilisées. L'emailing est en effet une technique de marketing direct qui consiste pour un annonceur à diffuser des messages publicitaires par courriels à des prospects, en utilisant des bases de données d'adresses emails, souvent détenues ou gérées par des tiers, les Emailers.

En septembre 2014, la société Snake Interactive est devenue membre en signant la Charte Email du CPA pour plusieurs bases de données et a acquitté des frais de souscription.

Elle a ensuite fait l'objet de plusieurs notifications d'anomalies dans le cadre de la Charte Email, les 21 et 24 juin 2019, 25 octobre 2019 et 8 juin 2020, griefs qu'elle a contestés par lettres des 25 septembre et 28 octobre 2019.

Par lettre du 23 juin 2020, le conseil de la société Snake Interactive a demandé au CPA de cesser toute procédure disciplinaire non liée à ses bases de données et toute diffusion de son listing de base de données.

En novembre 2020, la société Snake Interactive a renouvelé son inscription à la Charte Email pour neuf de ses bases de données.

Suivant lettre datée du 30 décembre 2020 mais reçue le 15 janvier 2021, le CPA a mis en demeure la société Snake Interactive de se conformer à la Charte Email, sous peine de perte de sa qualité de signataire de la Charte Email dans les trente jours.

Le conseil de la société Snake Interactive a ensuite averti le CPA par lettre du 4 février 2021 de la saisine prochaine des juridictions compétentes.

Suivant acte du 25 février 2021, la société Snake Interactive a fait assigner le CPA, selon la procédure à jour fixe, devant le tribunal judiciaire de Paris.

Par jugement du 21 septembre 2021, le tribunal judiciaire de Paris a :

ordonné l'annulation de la sanction disciplinaire prise par le Collectif pour les acteurs du marketing digital à l'égard de la société Snake Interactive ayant donné lieu à son retrait de la liste des signataires de la Charte Emails ;

ordonné au Collectif pour les acteurs du marketing digital de procéder à la réintégration des neuf bases de données régulièrement renouvelées par la société Snake Interactive en novembre 2020 ;

condamné le Collectif pour les acteurs du marketing digital à verser à la société Snake Interactive la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

débouté la société Snake Interactive pour le surplus et autres demandes ;

ordonné au Collectif pour les acteurs du marketing digital de permettre à l'ensemble de ses adhérents la lecture de l'intégralité du présent jugement par le moyen d'un lien hypertexte devant figurer sur la page d'accueil de son site Internet ainsi que sur celles de ses applications sur tablettes et téléphones pendant une durée de trois mois, ce lien hypertexte devant être mis en place sur ces pages d'accueil dans un délai d'un mois à compter de la signification de la présente décision ;

assorti les injonctions du dispositif d'une astreinte de 5.000 euros (cinq mille euros) par jour de retard à compter d'un délai de 15 jours à compter de la signification de ce jugement et ce pendant un délai de 60 jours ;

rappelé que l'exécution provisoire est de droit ;

condamné le Collectif pour les acteurs du marketing digital à verser à la société Snake Interactive la somme de 7.000 euros (sept mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné le Collectif pour les acteurs du marketing digital aux dépens qui seront recouvrés directement au profit de Maître Hugues Collette, Avocat au barreau de Paris.

La société a formé appel du jugement par déclaration du 22 octobre 2021 enregistrée le 26 octobre 2021.

Suivant ses dernières conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 31 mai 2023, la société Snake Interactive demande à la cour, au visa des articles L. 420-1 du code de commerce, 1240 du code civil, et de la loi du 1er juillet 1901 :

Au titre de l'appel principal

de déclarer Snake Interactive recevable en son appel et bien-fondé dans ses prétentions

de rejeter la demande du Collectif pour les acteurs du marketing digital visant à obtenir la confirmation partielle du jugement du 21 septembre 2021

d'infirmer le jugement du 21 septembre 2021 en ce qu'il a débouté la société Snake Interactive pour le surplus et autres demandes,

d'ordonner au Collectif pour les acteurs du marketing digital de cesser tout agissement visant à :

o émettre des consignes de boycott à l'encontre de Snake Interactive ;

o inciter les signataires de la Charte Email à ne conclure qu'avec d'autres cosignataires ;

o chercher à faire passer la Charte Email pour un rappel de la réglementation ;

o menacer Snake Interactive d'enclencher des poursuites disciplinaires pour non-conformité à la Charte Email, sur la base des anomalies notifiées entre juin 2019 et fin 2020 ;

o mettre en œuvre à l'égard de Snake Interactive toute mesure disciplinaire en non-conformité à la Charte Email, sur la base des anomalies notifiées entre juin 2019 et fin 202.

d'assortir l'ensemble de la mesure d'interdiction qui précède d'une mesure d'astreinte provisoire d'un montant de 15.000 euros par infraction constatée, cette mesure d'astreinte devant courir à l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de la signification de la décision à venir ;

de condamner le Collectif pour les acteurs du marketing à payer à la société Snake Interactive la somme de 206.852 euros à titre de dommages et intérêts ;

d'ordonner la publication du dispositif de la décision à intervenir sur la page d'accueil de cinq sites internet spécialisés dans le marketing digital, parmi la liste suivante frenchweb.fr ; usine-digitale.fr ; e-marketing.fr ; journaldunet.com ; bfmtv.com/economie/ ; lesechos.fr ; lefigaro.fr/economie/ ; capital.fr ; silicon.fr ; syntec-numerique.fr/actu-informatique ; lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/ ; Chefdentreprise.com ; Ecommercemag.fr, pendant 10 jours sans interruption, dans la limite de 10.000 euros par insertion, sous astreinte de 10.000 euros par infraction constatée et par jour de retard, dans le délai d'un mois à compter de la signification de la décision à intervenir ;

d'ordonner la publication de la décision à intervenir, accompagnée d'un lien hypertexte menant à l'intégralité de la décision à venir, sur la page d'accueil de son site internet et de sa page Linkedin du Collectif pour les acteurs du marketing digital pendant un mois, sous astreinte de 10.000 euros par infraction constatée et par jour de retard, dans le délai d'un mois à compter de la signification de la décision à intervenir ;

d'ordonner l'envoi par le Collectif pour les acteurs du marketing, sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir, à l'ensemble de ses adhérents d'un courrier circulaire reproduisant le dispositif de la décision à intervenir, dans le délai d'un mois à compter de la signification de la décision à intervenir ;

Au titre des demandes reconventionnelles

de rejeter la demande subsidiaire du Collectif pour les acteurs du marketing en diminution du montant de l'astreinte

Au titre de l'appel incident

de rejeter l'appel incident du Collectif pour les acteurs du marketing

de confirmer le jugement en ce qu'il a :

ordonné l'annulation de la sanction disciplinaire prise par le Collectif pour les acteurs du marketing digital à l'égard de la société Snake Interactive ayant donné lieu à son retrait de la liste des signataires de la Charte Emails ;

ordonné au Collectif pour les acteurs du marketing digital de procéder à la réintégration des neuf bases de données régulièrement renouvelées par la société Snake Interactive en novembre 2020 ;

condamné le Collectif pour les acteurs du marketing digital à verser à la société Snake Interactive la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

ordonné au Collectif pour les acteurs du marketing digital de permettre à l'ensemble de ses adhérents la lecture de l'intégralité du présent jugement par le moyen d'un lien hypertexte devant figurer sur la page d'accueil de son site Internet ainsi que sur celles de ses applications sur tablettes et téléphones pendant une durée de trois mois, ce lien hypertexte devant être mis en place sur ces pages d'accueil dans un délai d'un mois à compter de la signification de la présente décision ;

assorti les injonctions du dispositif d'une astreinte de 5 000 euros (cinq mille euros) par jour de retard à compter de 15 jours à compter de la signification de ce jugement et ce, pendant un délai de 60 jours ;

condamné le Collectif pour les acteurs du marketing digital à verser à la société Snake Interactive la somme de 7.000 euros (sept mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné le Collectif pour les acteurs du marketing digital aux dépens.

de condamner le Collectif pour les acteurs du marketing digital à payer à Snake Interactive la somme de 3.000 euros au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de sa résistance abusive.

En tout état de cause

de condamner le Collectif pour les acteurs du marketing digital à payer à la société Snake Interactive la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

de condamner le Collectif pour les acteurs du marketing digital aux entiers dépens d'appel, dont les frais de l'huissier instrumentaire, dont le recouvrement sera effectué par Maître Hugues Collette conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Suivant ses dernières conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 24 mai 2023, le Collectif pour les acteurs du marketing digital (CPA) demande à la cour, au visa des articles 34-5 du Code des postes et télécommunications, et des articles L.410-1 et L. 420-1 du code de commerce, 101§1 du TFUE et 1240 du code civil :

de confirmer le jugement du 21 septembre 2021 en ce qu'il a :

rejeté la demande de Snake Interactive relative à l'application du droit de la concurrence ;

jugé l'absence d'un prétendu boycott et de pratique restrictive de concurrence à l'encontre de Snake Interactive ;

débouté la société Snake Interactive pour le surplus et autres demandes ;

de l'infirmer en ce qu'il a :

ordonné l'annulation de la sanction disciplinaire prise par le Collectif pour les acteurs du marketing digital à l'égard de la société Snake Interactive ayant donné lie à son retrait de la liste des signataires de la Charte Emails ;

ordonné au Collectif pour les acteurs du marketing digital de procéder à la réintégration des neuf bases de données régulièrement renouvelées par la société Snake Interactive en novembre 2020 ;

condamné le Collectif pour les acteurs du marketing digital à verser à la société Snake Interactive la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour défaut de respect du contradictoire dans la procédure de mise en conformité ;

ordonné au Collectif pour les acteurs du marketing digital de permettre à l'ensemble de ses adhérents la lecture de l'intégralité du présent jugement par le moyen d'un lien hypertexte devant figurer sur la page d'accueil de son site Internet ainsi que sur celles de ses applications sur tablettes et téléphones pendant une durée de trois mois, ce lien hypertexte devant être mis en place sur ces pages d'accueil dans un délai d'un mois à compter de la signification de la présente décision ;

assorti les injonctions du dispositif d'une astreinte de 5 000 euros (cinq mille euros) par jour de retard à compter de 15 jours à compter de la signification de ce jugement et ce pendant un délai de 60 jours ;

condamné le Collectif pour les acteurs du marketing digital à verser à la société Snake Interactive la somme de 7 000 euros (sept mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné le Collectif pour les acteurs du marketing digital aux dépens.

Et ce faisant :

A titre principal, de débouter Snake Interactive de l'ensemble de ses prétentions ;

A titre subsidiaire, de ramener la demande de dommages et intérêts de Snake Interactive à l'euro symbolique ;

A titre très subsidiaire, de ramener les demandes de Snake Interactive à plus juste proportion notamment les montants des demandes d'astreintes journalières ;

de condamner Snake Interactive à verser au CPA la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

*

La clôture a été prononcée suivant ordonnance en date du 8 juin 2023.

SUR CE, LA COUR,

Sur l'applicabilité du droit de la concurrence

La société Snake Interactive soutient que le droit de la concurrence est applicable au CPA et fait valoir qu'elle a été victime d'une pratique anticoncurrentielle de sa part. Elle fait valoir que la Charte Email du CPA est pleinement appréhendable par le droit de la concurrence car elle est un outil dont se sert le CPA pour intervenir sur le marché. Le fait que le CPA ait refondu son fichier excel des signataires de la Charte Email en l'expurgeant des consignes litigieuses prouve selon l'appelante que le contenu dudit fichier excédait sa mission statutaire.

Le CPA soutient à l'inverse que le droit de la concurrence ne s'applique pas puisqu'il a agi dans le cadre de son objet social qui se situe en dehors de toute activité économique et qu'en tout état de cause il n'y a eu ni boycott ni pratique anticoncurrentiellle ou restrictive de concurrence.

Aux termes de l'article L. 420-1 du code de commerce :

« Sont prohibées même par l'intermédiaire direct ou indirect d'une société du groupe implantée hors de France, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à :

1° Limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ;

2° Faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ;

3° Limiter ou contrôler la production, les débouchés, les investissements ou le progrès technique ;

4° Répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement. »

En vertu de l'article L. 420-3 du même code :

« Est nul tout engagement, convention ou clause contractuelle se rapportant à une pratique prohibée par les articles L. 420-1, L. 420-2, L. 420-2-1 et L. 420-2-2. »

L'article L. 410-1 du code de commerce précise que « Les règles définies au présent livre s'appliquent aux entreprises entendues comme les entités, quelle que soit leur forme juridique et leur mode de financement qui exercent une activité de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public. ».

Le critère d'application du droit de la concurrence est donc la notion d'activités économiques que sont les activités de production, de distribution et de services.

Concernant un syndicat professionnel, celui-ci n'exerce pas par nature d'activité économique hormis le cas où il offre lui-même des biens ou services sur un marché. Un syndicat professionnel peut ainsi se livrer à une activité économique distincte de sa mission première de défense des intérêts de ses adhérents.

Si la société Snake impute au CPA des pratiques anticoncurrentielles, elle ne précise pas sur quel marché celles-ci interviendraient, sachant que c'est dans l'emailing que celui-ci agit.

Elle ne démontre pas non plus que l'édiction d'une charte professionnelle et sa mise en œuvre par le CPA relèveraient d'une activité économique distincte de sa mission d'information et de conseil de ses membres, lesquels sont des plate-formes d'affiliation et des Emailers.

Il en résulte que le CPA n'exerce pas d'activité économique au sens de l'article L. 410-1 du code de commerce.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a écarté l'application du droit de la concurrence au syndicat Collectif pour les Acteurs du Marketing Digital. Ce faisant, point n'est besoin d'examiner au fond les demandes relatives à un boycott et à des pratiques anticoncurrentielles du syndicat CPA dont se prévaut la société Snake Interactive puisque les dispositions relatives à ces infractions ne lui sont pas applicables. Le jugement sera également confirmé en ce qu'il a débouté la société Snake Interactive de ses demandes à ce titre.

Sur le sort de la « sanction disciplinaire » pour manquements à la Charte de l'emailing

La société Snake Interactive conteste les griefs formés par le CPA à son encontre et les sanctions qu'elle dit avoir été prises à son détriment. Elle reproche au CPA d'avoir diffusé en 2021 à certains de ses membres une mise à jour du fichier des signataires de la Charte Email dans lequel neuf bases de données lui appartenant ont été stigmatisées, et ce malgré un renouvellement des bases entériné en novembre 2020. Elle fait valoir que la Charte Email n'impose pas à ses signataires de déclarer l'ensemble de leurs bases de données au CPA et de payer pour chacune une souscription, le CPA ayant entendu organiser sa Charte avec des bases signataires et des bases non-signataires. La société Snake critique le rôle de « tiers de confiance » dévolu à la société Market Espace qui assure le « Trackup » pour le CPA, société Market Espace qui serait un concurrent direct de Snake.

Le CPA fait valoir que le but de la Charte Emails est d'améliorer les pratiques du secteur en matière de respect des données personnelles et faire progresser l'image de la profession. Il soutient que la procédure de mise en conformité a été paralysée à la suite de la saisine du tribunal par la société Snake. Il affirme en outre que celle-ci n'a pas été destinataire d'un courrier de suspension de sa qualité de signataire car le CPA n'a jamais prononcé une telle suspension. Il explique que le fait que les bases de Snake Interactive n'apparaissent plus dans le moteur de recherche des bases des signataires est le fait d'une panne informatique qui a également touché d'autres signataires de la Charte Emails et que les bases de Snake ont de nouveau pu être accessibles une fois cette difficulté technique résolue. Il conteste donc le prononcé même d'une « sanction ». Il fait valoir enfin qu'il n'a pas stigmatisé la société Snake Interactive auprès des acteurs du secteur de l'emailing mais a simplement relevé des anomalies issues de deux de ses bases de données au regard de la réglementation. Il sollicite ainsi l'infirmation du jugement en ce qu'il a retenu un manquement au principe du contradictoire dans la procédure de mise en conformité diligentée par ses soins et prononcé une astreinte journalière disproportionnée.

L'article 2 « Objet » énonce notamment que la Charte « a pour objet d'encadrer les activités des Emailers, afin d'éviter toute violation de la réglementation applicable en matière de protection des données à caractère personnel, et notamment du Règlement Général sur la Protection des Données n° 2016/679 dit « RGPD », de la Loi n° 78-17 dite « Informatique et Libertés » et de l'article L. 34-5 du Code des postes et des télécommunications. »

L'article 5 énonce que « Les Emailers Signataires de la présente Charte E-mails s'engagent à en respecter l'intégralité des dispositions pour toute campagne d'e-mailing dont ils assurent la diffusion dans le cadre ou en dehors des plateformes d'affiliation. En cas de violation de ses dispositions, l'Emailer s'expose aux sanctions prévues par ladite Charte. »

L'article 6 « Statut des Signataires de la Charte E-mails » précise que :

« a. Les Signataires de la Charte E-mails ont un rôle de régulateur : toute opération réalisée avec la Base d'un Emailer et/ou par une Plateforme d'affiliation devra respecter les engagements pris dans la Charte E-mails.

b. Seuls les Signataires de la présente Charte E-mails (et uniquement eux) pourront mettre en avant sur tous ses supports le logo « Signataire de la Charte E-mails du CPA » comme un faire-valoir de la qualité de ses Bases et prestations de service. Le logo sera disponible sur demande. »

L'article 7 précise le coût de l'adhésion à la Charte E-mails :

« b. S'il est propriétaire des Bases, l'Emailer paie un forfait annuel de 250 euros pour chaque Base Propriétaire enregistrée. Le paiement de ce forfait est annuel (date à date).

S'il est uniquement Gestionnaire de base(s), l'Emailer paie un forfait annuel de 250 euros. Le paiement de ce forfait est annuel (date à date).

S'il est Propriétaire et Gestionnaire de bases, l'Emailer paie un forfait annuel de 250 euros pour chaque Base Propriétaire enregistrée, mais non pour les bases qu'il gère en régie. ('). »

Les articles 8 et suivants de la Charte E-mails prévoient une procédure de mise en conformité respectant le principe du contradictoire. Les manquements sont signalés au CPA par le tiers indépendant Market Espace utilisant la solution Trackup, constatations qui peuvent être confirmées par voie d'huissier. Un dossier de non-conformité est alors ouvert avec la possibilité pour l'Emailer de se mettre en conformité dans les cinq jours ouvrés ou d'apporter des explications ou des justifications, dossier examiné par la Commission Paritaire qui pourra établir un constat de non-conformité. Dans ce cas, l'Emailer disposera d'un délai de cinq jours pour mettre ses bases en conformité, délai prorogeable jusqu'à dix jours ouvrés. Après neuf mois suivant ce constat de non-conformité, la Commission paritaire peut soit classer le dossier soit suspendre l'emailer.

La société Market Espace a en effet développé la solution Track Up pour protéger les bases de données emails par des contrôles au moyen d'adresses emails pièges. Le Directeur Général de cette société atteste d'ailleurs « être régulièrement sollicité par certains des Emailers adhérents Charte du CPA à la suite de constats d'anomalies à la Charte, pour réaliser un nettoyage de leurs bases dans lesquelles les anomalies ont été constatées et/ou l'ensemble de leurs bases pour assurer leur conformité à la Charte Emails. »

Sans le démontrer, la société Snake affirme qu'il s'agirait d'une société concurrente dont la neutralité ne serait pas établie alors que les anomalies détectées par ce tiers sont la plupart du temps étayées par des constats d'huissiers de justice.

La suspension prive (article 8 IV) l'emailer « de son statut de signataire sur l'ensemble des plateformes d'affiliation signataires de la présente Charte E-mail, et il lui est interdit d'utiliser le logo « Signataire de la Charte E-mails » pour la base ou les bases qui se sont exclues. » Une procédure de réintégration est prévue.

Le CPA reproche à la société Snake Interactive une succession de manquements dont la chronologie des échanges entre les parties peut être ainsi relatée :

courrier du 20 mai 2016 du CPA informant Snake d'anomalies concernant deux bases de données dont il est gestionnaire « Mes Sports Extrêmes » et « Mobile Today »

après relance, Snake répond que ces deux bases ont été cédées

courriers des 21 et 24 juin 2019 du CPA adressés à Snake relatifs aux non-conformités des bases « Mes Sports Extrêmes » et « Mobile Today »,

Snake répond le 25 septembre 2019 que ces bases ne lui appartiennent plus depuis 2015

le 25 octobre 2019 le CPA relève que les bases ont été cédées à la société Ob Interactive dont M. [I] [Z], dirigeant de Snake Interactive, est le président, puis notifie à nouveau une non-conformité de ces deux bases litigieuses en invitant la société Snake Interactive à s'expliquer ou à se mettre en conformité avec la Charte

par lettre recommandée du 28 octobre 2019, Snake Interactive répond qu'il n'est pas prouvé que ces manquements lui sont imputables.

Notification d'anomalie du 8 juin 2020

courrier du conseil de Snake au CPA de juin 2020 lui demandant de cesser toute procédure disciplinaire et toute diffusion de son listing de base de données

en novembre 2020, Snake renouvelle son inscription à la Charte Email pour neuf de ses bases de données

par courrier du 30 décembre 2020 reçu le 15 janvier 2021 le CPA met en demeure Snake de se conformer à la Charte Email sous peine de la perte de sa qualité de signataire,

le 25 février 2021 le CPA aurait retiré unilatéralement Snake de la liste des signataire de la Charte Email apparaissant sur son site internet.

La société Snake Interactive a par la suite enjoint au CPA de cesser toute demande de mise en conformité.

Pour preuve des manquements contestés à sa charte Email, le CPA, outre les anomalies relevées par la société Market Espace via sa solution Track Up, a fait établir des procès-verbaux de constat par des commissaires de justice/huissiers de justice dont le premier daté du 24 novembre 2016.

Le CPA a également fait réaliser un procès-verbal de constat par un huissier de justice le 24 mai 2021, d'où il apparaissait que le moteur de recherche de bases de données du CPA dysfonctionnait à cette date, aucun résultat n'apparaissant. Le CPA justifie avoir fait intervenir un prestataire (factures datées des 28 janvier et 29 avril 2021) pour remédier aux défaillances de son site internet. Le CPA n'a donc jamais mis en œuvre la procédure de suspension décriée par la société Snake, l'assignation délivrée ayant arrêté la procédure de mise en conformité en cours. Il n'y a donc pas eu de « sanction disciplinaire » qu'il y aurait lieu d'annuler.

En outre, si la société Snake Interactive indique que la société Ob Interactive est propriétaire des bases de données litigieuses « Mes sports extrêmes » et « Mobile today » et que la société Ob Interactive n'a jamais été signataire de la Charte Email, la capture d'écran produite par le CPA et datée du 29 mars 2021 montre que la société Snake Interactive était toujours référencée à cette date comme détentrice de ces bases.

Ainsi, en considération des anomalies relevées quant à ces deux bases de données, c'est légitimement que le CPA a demandé à la société Snake Interactive de respecter les obligations de la Charte Emails.

La société Snake Interactive ne peut reprocher au CPA de soutenir qu'elle est responsable de la conformité à la Charte Email pour l'ensemble des bases de données pour lesquelles elle est amenée à travailler. En effet, en qualité de signataire de la charte, la société Snake doit se conformer aux obligations résultant de la Charte Email, les bases qu'elle gère ou détient lui étant soumises.

En 2022, la société Snake Interactive a renouvelé neuf bases en tant que gestionnaire en juin et une base « Snakeinteractive » en tant que propriétaire en octobre, preuve que lorsque les obligations découlant de la Charte Emails sont respectées, le CPA n'enclenche aucune procédure visant à la mise en conformité puis, le cas échéant, à la suspension de l'emailer.

La société Snake Interactive, tout en décidant d'adhérer à la Charte Emails et d'en régler le forfait, profite du « label » en résultant et peut ainsi utiliser cette adhésion vis-à-vis de ses interlocuteurs. Mais ce faisant, elle est soumise à des obligations dont le CPA se charge, par le biais notamment de son tiers de confiance, de vérifier le respect. Le sérieux des adhérents signataires de la Charte E-mails en découle. Ainsi, en ayant le statut soit de propriétaire soit de gestionnaire de différentes bases, la société Snake Interactive est soumise aux obligations de la Charte dont le non-respect a été amplement démontré et signifié à Snake par le CPA par le biais de son tiers de confiance, de constats d'huissier et de courriels d'avertissement.

Aucune « sanction disciplinaire » n'ayant été prononcée à l'encontre de la société Snake Interactive, seule une procédure de mise en conformité, qui n'a pas été menée jusqu'à son terme, ayant été diligentée, et un dysfonctionnement informatique auquel il a été remédié ayant été justifié par le CPA, le jugement sera infirmé en ce qu'il a prononcé l'annulation de la « sanction disciplinaire » et ses suites, y compris la condamnation à des dommages-intérêts.

La société Snake sera ainsi déboutée de toutes ses demandes.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La société Snake Interactive succombant à l'action, il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles. Il convient de condamner la société Snake Interactive aux dépens de première instance et d'appel. Il apparaît également équitable de condamner la société Snake Interactive à payer au syndicat Collectif pour les acteurs du marketing digital la somme de 7.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

CONFIRME le jugement en ce qu'il a écarté l'application du droit de la concurrence, débouté la société Snake Interactive de ses demandes relatives à un boycott et aux pratiques restrictives de concurrence et débouté la société Snake Interactive pour le surplus et autres demandes ;

L'INFIRME pour le surplus ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DEBOUTE la société Snake Interactive de toutes ses demandes ;

CONDAMNE la société Snake Interactive aux dépens de première instance et d'appel,

CONDAMNE la société Snake Interactive à payer au syndicat Collectif pour les acteurs du marketing digital la somme de 7.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT