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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 29 novembre 2023, n° 21/06863

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Moda (SARL)

Défendeur :

Kaporal Collections (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Vignes, Me Boccon Gibod, Me Liccioni

T. com. Marseille, du 26 janv. 2021, n° …

26 janvier 2021

FAITS ET PROCÉDURE

La SAS Kaporal Collections, anciennement dénommée McLEM, exerce une activité principale de fabrication et de vente de vêtements et accessoires de mode pour hommes, femmes et enfants commercialisés sous la marque « Kaporal ».

Elle a entretenu avec la SARL Moda, filiale du groupe Succar qui exploite un fonds de commerce de vente de prêt-à-porter en Guadeloupe, des relations commerciales encadrées par un contrat de « concession d'enseigne et d'approvisionnement exclusif » ayant pour objet la vente des produits de prêt-à-porter de la marque « Kaporal » en Guadeloupe. Conclu le 25 juin 2008 pour une durée de trois ans, il stipulait la faculté pour chaque partie de le renouveler pour une même durée par notification adressée moins de 60 jours avant son terme par lettre recommandée avec accusé de réception, toute tacite reconduction étant en revanche exclue (article VII). Les relations entre les parties se poursuivaient au-delà du terme sans notification préalable.

Par ailleurs, la SAS Kaporal Collections a conclu en avril 2011 trois contrats de même objet pour une durée de quatre ans renouvelables par tacite reconduction par tranches annuelles avec d'autres sociétés du groupe Succar, les sociétés TGRJ, Nexs et Gia respectivement situées à [Localité 6], à [Localité 5] et à [Localité 7].

Par courrier recommandé du 22 novembre 2016, la SAS Kaporal Collections a notifié à la SARL Moda la résiliation du contrat les liant à compter du 24 juin 2017, soit avec un préavis de sept mois, les trois autres conventions étant par ailleurs résiliées par courriers des 12 mai et 3 octobre 2016 notifiant des préavis de six mois.

Des relations commerciales perduraient néanmoins entre la SAS Kaporal Collections et la SARL Moda jusqu'au 3 août 2018, la première adressant alors à la seconde une mise en demeure de déposer son enseigne Kaporal.

Par courrier du 16 avril 2019, la SARL Moda mettait en demeure la SAS Kaporal Collections de lui payer la somme de 660 318 euros en réparation du préjudice causé par la rupture brutale des relations commerciales établies, outre celle de 383.151,31 euros au titre du rachat de son stock.

C'est dans ces circonstances que la SARL Moda a, par acte d'huissier signifié le 13 mai 2019, assigné la SAS Kaporal Collections devant le tribunal de commerce de Marseille sur le fondement de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce.

Par jugement du 26 janvier 2021, le tribunal de commerce de Marseille a rejeté l'intégralité des demandes de la SARL Moda et l'a condamnée à payer à la SAS Kaporal Collections la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens de l'instance.

Par déclaration reçue au greffe le 8 avril 2021, la SARL Moda a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 14 décembre 2021, la SARL Moda demande à la cour, au visa de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce :

d'infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Marseille le 26 janvier 2021 en ce qu'il a :

débouté la SARL Moda de toutes ses demandes ;

condamné la SARL Moda à payer à la SAS Kaporal Collections la somme de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles occasionnés par la procédure en première instance ;

laissé à la charge de la SARL Moda les dépens toutes taxes comprises de la première instance ;

ordonné pour le tout l'exécution provisoire ;

et, statuant à nouveau, à titre principal, de :

condamner la SAS Kaporal Collections à payer la somme de 660 318 euros à la SARL Moda du fait de la brutalité de la rupture ;

condamner la SAS Kaporal Collections à rembourser la somme de 383 151,31 euros à la SARL Moda au titre du stock de marchandises ;

à titre subsidiaire, de :

condamner la SAS Kaporal Collections à payer la somme de 495 234 euros à la SARL Moda du fait de la brutalité de la rupture ;

condamner la SAS Kaporal Collections à rembourser la somme de 383 151,31 euros à la SARL Moda au titre du stock de marchandises ;

en tout état de cause, de :

débouter la SAS Kaporal Collections de l'ensemble de ses demandes ;

condamner la SAS Kaporal Collections à payer à la SARL Moda la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner la SAS Kaporal Collections aux entiers dépens.

En réponse, dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 10 mars 2022, la SAS Kaporal Collections demande à la cour, au visa des articles L 442-6 I 5° ancien du code de commerce et 144 du code de procédure civile, de :

confirmer le jugement rendu le 26 janvier 2021 par le tribunal de commerce de Marseille en ce qu'il a :

débouté la SARL Moda de toutes ses demandes ;

condamné la SARL Moda à payer à la SAS Kaporal Collections la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 et à supporter les entiers dépens de première instance ;

ordonné l'exécution provisoire pour le tout ;

rejeté toutes autres demandes ;

à titre subsidiaire, designer tel expert qu'il plaira à la cour, aux frais de la SARL Moda, ayant pour mission de : se faire communiquer par ou d'obtenir de la SARL Moda les documents comptables nécessaires à déterminer le chiffre d'affaires annuel, et la marge brute moyenne réalisée par cette dernière sur les ventes de produits de la marque « Kaporal », le montant de ses frais variables, à savoir, notamment, les frais de transport, d'entreposage des marchandises, les droits de douane, les frais d'assurance marchandise, ainsi que le risque crédit relatif aux clients de la SARL Moda, afin de déterminer le taux moyen annuel de marge brute sur frais variables réalisé sur la période comprise entre le 25 juin 2011 et le 22 novembre 2016 ;

juger que l'état informatique du stock produit par la SARL Moda n'est pas probant, car non vérifiable et incohérent ;

juger que la demande de la SARL Moda au titre du rachat du stock au 9 avril 2019 n'est pas fondée ;

débouter en conséquence la SARL Moda de sa demande de remboursement de son stock arrêté au 9 avril 2019 ;

à titre infiniment subsidiaire, designer tel expert qu'il plaira à la cour, aux frais de la SARL Moda, ayant pour mission de reconstituer le stock des produits de la marque « Kaporal » au sein de la SARL Modaau 24 juin 2017, soit au jour de la rupture des relations commerciales établies sous contrat de franchise, et d'appliquer à l'état du stock des produits de la marque « Kaporal » arrêté au 24 juin 2017 une décote de 70 % conformément aux usages applicables en pareille matière ;

en tout état de cause :

débouter la SARL Moda de l'intégralité de ses demandes ;

condamner la SARL Moda à payer à la SAS Kaporal Collections la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner la SARL Moda à supporter les entiers dépens de l'instance.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 septembre 2023. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l'arrêt sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.

MOTIVATION

1°) Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

Moyens des parties

Au soutien de ses prétentions, la SARL Moda expose que la relation commerciale nouée avec la SAS Kaporal Collections était établie au regard de l'importance du chiffre d'affaires qu'elle a permis de dégager en 2016 et 2017 (respectivement 629 969 euros et 576 318 euros) et de leur durée (10 ans au jour de la rupture effective). Sur ce dernier point, elle précise que l'absence de renouvellement par notification préalable du contrat du 25 juin 2008 n'ôte rien à la continuité de la relation qui fonde au contraire l'intégration de la période écoulée depuis sa conclusion dans la durée des relations commerciales. Elle ajoute que, durant l'exécution du préavis, seule une société tierce SCR Gestion était en pourparlers avec la SAS Kaporal Collections pour la conclusion d'un contrat de franchise et que des commandes portant sur la nouvelle collection ont été acceptées et pour partie honorées, comportement qui a entretenu sa croyance légitime en la poursuite des relations en dépit de la rupture annoncée. Elle explique ne pas avoir été un revendeur multimarques entre le 25 juin 2017 et le 6 août 2018, son bail commercial proscrivant l'usage d'une enseigne autre que Kaporal. Elle conteste toute défaillance dans l'exécution de ses obligations, les impayés opposés n'étant pas prouvés, aucun point de vente Kaporal n'ayant été fermé et les actes accomplis par les sociétés tierces JS Polo et TGRJ ne lui étant pas imputables. Elle estime ainsi que la rupture intervenue sans préavis le 6 août 2018 est brutale, le préavis éludé étant de 24 mois. Elle précise à ce titre que son chiffre d'affaires comprend les frais d'approche et les coefficients de marge et est ainsi supérieur à celui retenu par la SAS Kaporal Collections. Subsidiairement, dans l'hypothèse d'une rupture du contrat de franchise le 24 juin 2011 excluant la prise en compte de la durée antérieure, elle estime que les relations commerciales postérieures ont duré 7 ans et que le préavis éludé était de 18 mois.

En réponse, la SAS Kaporal Collections expose que les relations commerciales sont découpées en quatre périodes et ne sont établies au sens de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce que pour la deuxième d'entre elles :

du 25 juin 2008 au 24 juin 2011, le contrat a été exécuté et a pris fin à son terme faute de notification de renouvellement au sens de son article VII, l'absence de faculté de renouvellement tacite précarisant la relation. Elle en déduit que cette durée ne peut être prise en compte pour calculer celle des relations commerciales établies ;

du 25 juin 2011 au 22 novembre 2016, les relations se sont poursuivies aux mêmes conditions : celles-ci sont les seules qui présentent selon elle un caractère stable et suivi ;

de janvier au 24 juin 2017, les parties ont exécuté le préavis et sont entrées en pourparlers pour la conclusion d'un nouveau contrat jusqu'au 6 juillet 2017, les commandes n'ayant été acceptées que pour la bonne exécution du préavis aux conditions habituelles ou dans la perspective de l'examen de la candidature déposée ;

du 25 juin 2017 au 30 mars 2018, la SARL Moda est intervenue, peu important les stipulations du bail commercial, en qualité de revendeur multimarques sans engagement d'exclusivité, le volume d'affaires étant faible et les commandes sporadiques.

Elle estime que le préavis de sept mois accordé était suffisant au regard de la durée des relations commerciales établies, et ce d'autant que le volume d'affaires diminuait depuis 2016 et que les défaillances de la SARL Moda se multipliaient (impayés récurrents, défaut de fourniture des garanties bancaires contractuellement requises). Subsidiairement, elle soutient que le chiffre d'affaires sur lequel s'appuie la SARL Moda est inexact et incohérent et que la marge qu'elle applique, injustifiée, n'est pas la marge sur coûts variables.

Réponse de la cour

En application de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce dans sa version applicable au litige, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

Sur le caractère établi des relations commerciales

Au sens de ce texte, la relation, notion propre du droit des pratiques restrictives de concurrence qui n'implique aucun contrat (en ce sens, Com., 9 mars 2010, n° 09-10.216) et n'est soumise à aucun formalisme quoiqu'une convention ou une succession d'accords poursuivant un objectif commun puisse la caractériser, peut se satisfaire d'un simple courant d'affaires, sa nature commerciale étant entendue plus largement que la commercialité des articles L 110-1 et suivants du code de commerce comme la fourniture d'un produit ou d'une prestation de service (en ce sens, Com., 23 avril 2003, n° 01-11.664). Elle est établie dès lors qu'elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu'elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l'avenir, une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial (en ce sens, Com., 15 septembre 2009, n° 08-19.200 qui évoque « la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation commerciale »).

La relation commerciale entre les parties s'est ainsi organisée :

elle a été initiée par un contrat de concession d'enseigne et d'approvisionnement exclusif conclu le 25 juin 2008 pour une durée de trois ans stipulant la faculté pour chaque partie de le renouveler pour une même durée par notification adressée moins de 60 jours avant son terme par lettre recommandée avec accusé de réception, toute tacite reconduction étant en revanche exclue (pièce 1 de la SARL Moda, article VII). Ce contrat prenait fin faute de notification préalable ;

elle se poursuivait néanmoins sans discontinuité et aux mêmes conditions en générant un flux d'affaires stable et significatif (pièce 19 de la SAS Kaporal Collections) en augmentation presque constante de 2012 à 2015 (7 366 euros de chiffre d'affaires HT en 2012 à 323 843 euros en 2015) puis en baisse à compter de l'année 2016 (187 978 euros). Par courrier du 22 novembre 2016, la SAS Kaporal Collections a notifié à la SARL Moda la rupture « du contrat de concession d'enseigne et d'approvisionnement », qu'elle estimait renouvelé par tranches trisannuelles depuis le 24 juin 2011, à la date du 24 juin 2017, soit avec un préavis de sept mois (pièce 3 de la SARL Moda).

À compter du 22 novembre 2016, des relations juridiquement distinctes se superposaient, le préavis s'exécutant parallèlement à des discussions ayant pour objet la formalisation d'un nouveau contrat entre les parties.

En effet, s'il est exact que le courriel du 30 mai 2017 concerne la candidature de la SARL SCR Gestion (pièce 5 de la SAS Kaporal Collections), distincte de la SARL Moda en dépit des liens familiaux unissant leurs associés et gérants, celui du 18 janvier 2017, qui lui est antérieur et ne peut ainsi s'y référer, évoque clairement des négociations en cours avec cette dernière relatives à l'établissement de « nouveaux contrats » (pièce 4 de la SARL Moda). L'existence de ces pourparlers, comme leur caractère infructueux, est confirmée par le courriel du 14 avril 2017 soulignant l'impossibilité de commander la collection hiver 2017 à défaut d'accord formalisé (pièce 4 de la SAS Kaporal Collections) et celui du 14 juin 2017 qui, relatif à « l'arrêt des 3 franchises des sociétés TGRJ, Gia et Moda », évoque les conditions de la reprise des marchandises consécutive à la résiliation puis le « dossier de candidature renouvellement Moda » et ses insuffisances (pièce 8 de la SAS Kaporal Collections).

Dans le même temps, la SAS Kaporal Collections a accepté, en se soumettant aux contraintes inhérentes à la saisonnalité du secteur, des commandes pour la collection été 2017 les 12 janvier et 27 février 2017 (pièces 4-1 et 4-2 de la SARL Moda) et envisagé une prise d'ordre pour la collection hiver 2017 en février 2017 (pièce 4 de la SARL Moda déjà citée). Le préavis devant être exécuté aux conditions antérieures pour être effectif, ce comportement traduit le respect par la SAS Kaporal Collections de ses obligations légales et non l'annonce de la poursuite du contrat à l'expiration du préavis, aucune ambiguïté ne pouvant lui être reprochée à ce titre.

Confirmant sans équivoque cette dualité, le courriel du 14 juin 2017 s'achève en ces termes :

Si vous souhaitez continuer l'aventure Kaporal en tant que Franchisé il nous faut obtenir des réponses et des engagements. Vous pouvez cependant continuer cette aventure en tant que multimarques. Dans ce cas-là il convient également de nous dire quelle garantie bancaire vous allez mettre en place.

Ainsi, tout en exécutant le préavis, les parties débattaient des modalités de la poursuite éventuelle des relations commerciales, soit dans le cadre d'un contrat de franchise, soit en exécution d'un contrat d'approvisionnement et de distribution non exclusif. Or, le premier n'ayant pas été conclu, c'est nécessairement en exécution du second, verbal, que les commandes des 31 août 2017 et 20 novembre 2017 (pièces 4-3 et 4-4 de la SARL Moda) ont été acceptées, ce que la SARL Moda ne pouvait ignorer au regard des termes clairs du courriel du 14 juin 2017. Le fait que son bail commercial (sa pièce 17) interdise, sauf accord du bailleur, l'exercice d'une activité multimarque est indifférent en droit car ses stipulations, dont la prévision n'implique quoi qu'il en soit pas le respect, ne sont pas opposables à la SAS Kaporal Collections au sens de l'article 1165 du code civil dans sa version applicable.

Ces éléments combinés établissent que la relation initiée par contrat du 25 juin 2008 a pris fin à l'expiration du préavis le 24 juin 2017 et que, à compter cette date, un partenariat, radicalement distinct à raison notamment de l'absence de toute exclusivité et de conditions financières préférentielles, a débuté et s'est achevé le 30 mars 2018. Sur cette période, les commandes ont été de faible importance, en valeur absolue et relativement à la relation antérieure (pièce 17 de la SAS Kaporal Collections : 21 133,80 euros en 2017 et 65 339, 71 euros en 2018). Cette seconde relation, qui n'était ainsi pas la continuation de la première, n'était pas établie au sens de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce au regard de sa courte durée, du peu d'importance du flux d'affaires qu'elle a généré et des insuffisances plusieurs fois soulignées du dossier de candidature, la collaboration commerciale étant par nature précaire à défaut d'acceptation définitive. Sa rupture était libre et aucune faute ne peut être imputée à la SAS Kaporal Collections de ce chef.

La relation initiale était en revanche établie, ce que ne conteste pas la SAS Kaporal Collections qui n'argumente que sur sa durée exacte. Sur ce point, la brutalité de la rupture étant appréciée en considération des anticipations légitimes et des projections raisonnables de la partie qui la subit, le caractère établi de la relation commerciale s'analyse globalement au jour de la notification de la rupture, date à laquelle les prévisions du partenaire victime ont pu à la fois être constituées, puis déjouées. Aussi, le découpage rétrospectif auquel se livre la SAS Kaporal Collections n'est pas pertinent : il est indifférent que le contrat du 25 juin 2008 n'ait pas été renouvelé par tacite reconduction puisque la relation s'est poursuivie en fait sans la moindre interruption et à des conditions strictement identiques jusqu'à la notification du 22 novembre 2016. De fait, s'il est exact que l'absence de clause de renouvellement tacite stipulée dans des contrats à durée déterminée successifs est un facteur d'instabilité de la relation commerciale (en ce sens, Com. 21 juin 2017, n° 15-20.101), la reconduction systématique des relations à des conditions identiques et sans mise en concurrence pendant plus de huit ans permettait objectivement à la SARL Moda d'anticiper raisonnablement leur poursuite lors de la notification de la rupture (pour une relation constituée de contrats à durée déterminée successifs sans clause de renouvellement tacite, Com., 5 avril 2018, n° 16-26.568). Cette continuité, désormais contestée, a d'ailleurs été reconnue par la SAS Kaporal Collections dans son courrier du 22 novembre 2016 puisqu'elle envisageait, à tort juridiquement mais à raison factuellement et économiquement, un renouvellement successif du contrat initial et sa rupture à l'issue d'une période trois ans, soit selon le terme qu'elle estimait reporté.

Aussi, l'unique relation commerciale établie nouée entre la SAS Kaporal Collections et la SARL Moda a débuté le 25 juin 2008 et sa rupture a été notifiée le 22 novembre 2016, sa durée avoisinant huit ans et cinq mois.

Sur l'imputabilité et la brutalité de la rupture

L'article L 442-6 I 5° du code de commerce sanctionne non la rupture, qui doit néanmoins être imputable à l'agent économique à qui elle est reprochée, mais sa brutalité qui résulte de l'absence de préavis écrit ou de préavis suffisant. Ce dernier, qui s'apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, soit pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement. Les critères pertinents sont notamment l'ancienneté des relations et les usages commerciaux, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, l'éventuelle exclusivité des relations et la spécificité du marché et des produits et services en cause ainsi que tout obstacle économique ou juridique à la reconversion. La rupture peut être totale ou partielle, la relation commerciale devant dans ce dernier cas être modifiée substantiellement (en ce sens, Com. 31 mars 2016, n° 14-11.329 ; Com 20 novembre 2019, n° 18-11.966, qui précise qu'une modification contractuelle négociable et non imposée n'est pas la marque d'une rupture partielle brutale).

Au regard de la fonction du préavis, période nécessaire à l'entreprise subissant la rupture pour aménager la poursuite de son activité malgré la perte de son partenaire commercial en bénéficiant, sauf circonstances particulières, d'un maintien des conditions antérieures (en ce sens, Com., 10 février 2015, n° 13-26.414), la date d'appréciation de la durée du préavis suffisant est celle de la notification de la rupture qui correspond à l'annonce faite par un cocontractant à l'autre de sa volonté univoque de cesser la relation à une date déterminée, seule information qui peut permettre au second de se projeter et d'organiser son redéploiement ou sa reconversion en disposant de la visibilité indispensable à toute anticipation.

Ainsi qu'il a été dit, la rupture a été notifiée par la SAS Kaporal Collections le 22 novembre 2016 avec un préavis de sept mois. Elle lui est de ce fait imputable.

Au regard de la durée de la relation et de l'exclusivité à laquelle s'obligeait la SARL Moda mais de l'absence de dépendance économique prouvée, d'investissement spécifique démontré, les charges d'exploitation étant sur ce point insuffisantes (pièces 12 et 13 de la SARL Moda), ainsi que d'éléments sur la structure du marché et la possibilité de remplacer la SAS Kaporal Collections dont la notoriété de la marque n'apparaît pas telle qu'elle ne soit pas substituable, le préavis accordé, qui tient compte des spécificités du secteur de l'habillement et des délais de commande impliqués par la saisonnalité des collections, était suffisant.

En conséquence, sans qu'il soit nécessaire d'examiner la réalité des fautes imputées à la SARL Moda, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de la SARL Moda au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies.

2°) Sur le stock

Moyens des parties

Au soutien de sa demande, la SARL Moda expose que son stock, identifié à partir de ses propres références, ne peut être affecté d'une décote de 70 % au regard des conditions de la rupture qui l'ont empêchée de l'écouler.

En réponse, la SAS Kaporal Collections précise que la SARL Moda ne lui a jamais communiqué son état des stocks au jour de la rupture, le seul élément désormais produit, qui comporte de nombreuses incohérences (quantités stockées et facturées, références et prix), étant daté du 9 avril 2019 et n'étant pas pertinent faute d'obligation de reprise des stocks postérieurs au 24 juin 2017 et de distinction entre les achats sous franchise et ceux réalisés en qualité de revendeur multimarques. Elle ajoute que l'indemnisation au titre de l'insuffisance du préavis et le paiement des stocks aboutissent à la double réparation d'un préjudice unique.

Réponse de la cour

Conformément à l'article 1134 du code civil (devenu 1103 et 1194), les conventions légalement formées, qui tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise, doivent être exécutées de bonne foi. Et, en vertu des dispositions des articles 1147, 1149 et 1150 du code civil (devenus 1231-1 à 3), le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part, les dommages et intérêts dus au créancier étant, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé et le débiteur n'étant tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n'est point par son dol que l'obligation n'est point exécutée.

Aux termes de l'article IX.3§3 du contrat du 25 juin 2008 dont personne ne conteste qu'il s'appliquait au jour de la rupture, la SAS Kaporal Collections s'engage à reprendre, à l'extinction du contrat, les stocks des produits marqués, en bon état de conservation et de qualité marchande, détenus et payés par la SARL Moda, au prix alors en vigueur.

Alors que le stock objet de l'obligation est celui détenu lors de la rupture, soit le 24 juin 2017, et que la SAS Kaporal Collections l'a relancée pour obtenir communication d'un état des stocks au jour de la résiliation (sa pièce 8), la SARL Moda produit un tableau généré le 9 avril 2019 par son logiciel de gestion, soit un document purement interne non certifié et de ce fait dépourvu de valeur probante (sa pièce 16). Outre le fait que la valorisation de ce stock ne repose sur aucun élément sérieux et que les achats réalisés pendant la période d'activité multimarques ne sont pas distingués quoiqu'ils ne soient concernés par aucune obligation de rachat, il n'est pas celui visé par l'article IX.3§3.

En conséquence, le jugement entrepris, dont les motifs seront adoptés, sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de la SARL Moda au titre du stock.

3°) Sur les frais irrépétibles et les dépens

Les dispositions du jugement entrepris relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront confirmées.

Succombant, la SARL Moda, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamnée à supporter les entiers dépens d'appel ainsi qu'à payer à la SAS Kaporal Collections la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la Cour ;

Y AJOUTANT,

REJETTE la demande de la SARL Moda au titre des frais irrépétibles ;

CONDAMNE la SARL Moda à payer à la SAS Kaporal Collections la somme de

5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SARL Moda à supporter les entiers dépens d'appel.