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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 29 novembre 2023, n° 21/19556

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Tolix Steel Design (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Douillet

Conseillers :

Mme Barutel, Mme Bohée

Avocats :

Me Boccon Gibod, Me Bouttier, Me Bellichach, Me Chatraoui

TJ Paris, 3e ch. section 3, du 2 nov. 20…

2 novembre 2023

EXPOSE DU LITIGE

La société Tolix Steel Design (ci-après « Tolix ») conçoit et fabrique en France du mobilier qu'elle commercialise dans le monde entier à travers un réseau de distributeur agréés, parmi lesquels la chaise « A » et les tabourets « H » et « HPD ».

La société Tolix est par ailleurs titulaire :

des marques verbales françaises et de l'Union européenne « Tolix » déposées en classe 20 pour les sièges, fauteuils, tabourets et meubles métalliques, respectivement le 1er juin 1987 sous le numéro 1411496 et le 5 juillet 2007 sous le numéro 6097604, régulièrement renouvelées ;

de la marque française figurative n° 4413907, déposée le 18 décembre 2017 en classe 20 pour désigner des chaises métalliques, représentant en pratique la chaise A :

la marque française tridimensionnelle n° 4413078, déposée le 14 décembre 2017 en classe 20 pour désigner des tabourets métalliques, et représentant en pratique le tabouret H :

Quant au tabouret HPD conçu en 2006, la société Tolix en communique l'image suivante :

Les 21 et 29 octobre 2020, l'administration des douanes a avisé la société Tolix et M. [D] d'une retenue douanière sur les marchandises que celui-ci avait importées de Chine, achetées à la société Xinxiang Jinhui Machinery Manufacturing, et consistant en 910 chaises présumées contrefaire la marque n° 4413907, 112 tabourets présumés contrefaire la marque n° 4413078 et 102 tabourets présumés contrefaire le tabouret HPD. 

Avisée de l'identité du destinataire des marchandises les 27 octobre et 2 novembre 2020, la société Tolix a fait constater sur le site internet https://manouvelledeco.com l'emploi d'une adresse url employant le mot « tolix » : https://manouvelledeco.com/collections/chaise-Tolix/products/chaise-Tolix-blanche, ainsi que l'offre à la vente de modèles de chaises et tabourets contrefaisant selon elle ses propres modèles.

Le 3 novembre 2020, la société Tolix a fait assigner M. [D], exerçant sous l'enseigne « Ma Nouvelle Déco.com » devant le tribunal judiciaire de Paris lui reprochant de contrefaire les marques figurative et tridimensionnelle représentant deux de ses meubles, respectivement la « chaise A » et le « tabouret H », ses droits d'auteurs sur un troisième meuble, le « tabouret HPD », et sa marque verbale « Tolix » ainsi que des actes de concurrence déloyale et de parasitisme.

Par un jugement du 2 novembre 2021 dont appel, le tribunal judiciaire de Paris a :

Sur les marques figuratives et les droits d'auteur :

Annulé :

la marque française figurative n° 4413907 déposée le 18 décembre 2017 pour désigner des chaises métalliques ;

la marque française tridimensionnelle n° 4413078 déposée le 14 décembre 2017 pour désigner des tabourets métalliques ;

Ordonné la transmission à l'INPI de la présente décision, une fois passée en force de chose jugée, à l'initiative de la partie la plus diligente aux fins de transcription au registre des marques ;

Rejeté les demandes de la société Tolix Steel Design fondées sur la contrefaçon des marques annulées, et la contrefaçon de droits d'auteur au titre du tabouret HPD ;

Mais, sur la contrefaçon de la marque verbale « Tolix » :

Ordonné à M. [D] de communiquer à la société Tolix Steel Design les documents comptables (comptes et documents justificatifs tels que factures), certifiés exacts par un expert-comptable, relatifs à l'acquisition et à la vente (depuis la création du site internet et jusqu'à la date du présent jugement) du produit intitulé, sur le site manouvelledeco.com « chaise industrielle blanche et bois », apparaissant en page 15 du constat d'huissier du 2 novembre 2020, et ce dans un délai de 60 jours passés la signification de la décision, puis sous astreinte de 100 euros par jour de retard, qui courra au maximum pendant 180 jours ;

Condamné M. [D] à payer à la société Tolix Steel Design la somme provisionnelle de 5.000 euros en réparation du préjudice causé par la contrefaçon des marques verbales « Tolix » ;

Ordonné à M. [D] de cesser l'emploi de la marque verbale « Tolix » dans l'URL de son site internet et lui interdit de faire usage de cette marque dans la vie des affaires, le tout dans un délai de 10 jours suivant la signification du jugement, puis sous astreinte de 500 euros par jour qui courra pendant 180 jours maximum ;

Rejeté la demande de la société Tolix Steel Design en publication du jugement ;

Sur les autres demandes,

Rejeté les demandes de la société Tolix Steel Design fondées sur la concurrence déloyale et parasitaire ;

Ordonné à la société Tolix Steel Design de permettre, en tant que de besoin, et dans les formes utiles, la mainlevée des saisies douanières pratiquées contre M. [D], référencées sous les numéros 20083 D00942, 20083D00943 et 20083D00973, et

Dit que les frais afférents à ces saisies incombent à la société Tolix Steel Design;

Rejeté la demande de M. [D] en dommages et intérêts au titre « de la procédure » ;

Laissé à chaque partie la charges des dépens qu'elle aura exposés et Rejeté leur demande respective formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

Écarté l'exécution provisoire de la présente décision, mais uniquement en ce qui concerne sa transcription au registre des marques, et la maintient pour tout le reste.

Le 10 novembre 2021, la société Tolix a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions récapitulatives numérotées 5, notifiées par RPVA le 4 juillet 2023, la société Tolix, appelante, demande à la cour de :

Vu les articles L. 112-1, L. 112-2 10°, L. 121-1, L. 122-4, L. 335-2, L. 711-2 et suivants, L. 713-1, L. 713-2, L. 713-3 et suivants et L. 716-7-1 a du code de la propriété intellectuelle,

Vu l'article 1240 du Code civil,

Vu l'article 51 du règlement n° 40/94

Vu les pièces versées aux débats,

Vu la jurisprudence susvisée,

Infirmer le jugement rendu le 2 novembre 2021 par le tribunal judiciaire de Paris en ce qu'il a :

Annulé :

la marque française figurative n° 4413907 déposée le 18 décembre 2017 pour désigner des chaises métalliques

la marque française tridimensionnelle n° 4413078 déposée le 14 décembre 2017 pour désigner des tabourets métalliques

Ordonné la transmission à l'INPI de la présente décision, une fois passée en force de chose jugée, à l'initiative de la partie la plus diligente aux fins de transcription au registre des marques ;

Rejeté les demandes de la société Tolix Steel Design fondées sur la contrefaçon des marques annulées, et de la contrefaçon de droits d'auteur au titre du tabouret HPD ;

Rejeté la demande de la société Tolix Steel Design en publication du jugement ;

Rejeté les demandes de la société Tolix Steel Design fondées sur la concurrence déloyale et parasitaire ;

Dit que les frais afférents à ces saisies incombent à la société Tolix Steel Design;

Laissé à chaque partie la charges des dépens qu'elle aura exposés et

Rejeté leur demande respective formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Et statuant à nouveau,

Juger l'ensemble des demandes de la société Tolix Steel Design recevables ;

Juger que les marques n° 4413907 et n° 4413078 de la société Tolix Steel Design ont acquis un caractère distinctif intrinsèque, et en tout état de cause, ont acquis un caractère distinctif par l'usage ;

Juger que les marques n° 4413907 et n° 4413078 de la société Tolix Steel Design sont valides ;

Juger que le Tabouret HPD de la société Tolix Steel Design bénéficie toujours de la protection au titre des droits d'auteur ;

Faire injonction a M. [D] de communiquer :

La liste intégrale des factures émises concernant la commercialisation des contrefaçons de la chaise « A » et des tabourets « H » et « HPD » de la société TOLIX, certifiée exacte par un expert-comptable;

Les documents comptables certifiés exacts par un expert-comptable, contractuels et commerciaux afin de déterminer les quantités de produits commercialisés et vendus des contrefaçons de la chaise « A » et des tabourets « H » et « HPD » de la société Tolix ;

Assortir cette injonction de communication d'une astreinte de 1 000 euros par jours de retard à compter de la signification de la décision à intervenir ;

Réserver le droit à indemnisation de la société Tolix Steel Design;

Juger que M. [D] a commis des actes de contrefaçon des marques de la société Tolix Steel Design enregistrées sous les n° 4413907 et n° 4413078 ;

Condamner M. [D] a payer a la société Tolix Steel Design la somme de 100 000 euros, sauf a parfaire, a titre de dommages-inte're'ts en réparation des actes de contrefaçon commis a son encontre ;

Condamner M. [D] à payer la somme de 20 000,00 euros à la société Tolix Steel Design au titre de la contrefaçon de la marque verbale TOLIX, sauf à parfaire selon le nombre de produits vendus ;

Juger que M. [D] a commis des actes de contrefaçon des droits d'auteur du Tabouret HPD de la société Tolix Steel Design;

Condamner M. [D] à payer a la société Tolix Steel Design la somme de 50 000 euros, sauf a parfaire, a titre de dommages-intérêts en réparation des actes de contrefaçon de droits d'auteur commis a son encontre ;

Condamner M. [D] a payer a la société Tolix Steel Design, la somme de 10 000 euros au titre de l'atteinte des droits moraux de la société Tolix Steel Design;

A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où il ne serait pas retenu la contrefac'on,

Condamner M. [D] a payer a la société Tolix Steel Design la somme de 150 000 euros, sauf a parfaire, en réparation du préjudice cause' par ses actes de concurrence de'loyale ;

Condamner M. [D] a payer a la société Tolix Steel Design la somme de 150 000 euros, sauf a parfaire, a titre de dommages-inte're'ts au titre du préjudice résultant des faits distincts de concurrence de'loyale et de parasitisme ;

Interdire a M. [D] toute offre, mise sur le marché, importation, exportation, utilisation, ou détention de produits portant atteinte aux marques n° 4413907 et n° 4413078 dont la société Tolix Steel Design est bénéficiaire, ainsi qu'a ses droits d'auteur, ce sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée, a compter de la signification de la décision a intervenir ;

Ordonner la destruction sous constat d'huissier de l'ensemble des meubles litigieux aux frais de M. [D], dans un délai de huit jours a compter de la signification de la décision a intervenir et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;

Ordonner la publication du dispositif et/ou d'un extrait de la décision a intervenir dans trois journaux ou revues au choix de la demanderesse et aux frais de M. [D] dans la limite de 5 000 euros HT par publication ;

Autoriser la société Tolix Steel Design a faire publier la décision a intervenir a compter de sa signification durant un mois sur son site Internet accessible a l'adresse www.tolix.fr ;

Juger que les frais afférents aux saisies pratiquées devront être supportés par M. [D] qui a commis des actes de contrefaçon, concurrence déloyale et parasitaires ;

Condamner M. [D] a payer a la société Tolix Steel Design la somme de 20 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

En tout état de cause,

Confirmer le jugement rendu le 2 novembre 2021 par le tribunal judiciaire de Paris en ce qu'il a:

Ordonné à M. [D] de communiquer à la société Tolix Steel Design les documents comptables (comptes et documents justificatifs tels que factures), certifiés exacts par un expert-comptable, relatifs à l'acquisition et à la vente (depuis la création du site internet et jusqu'à la date du présent jugement) du produit intitulé, sur le site manouvelledeco.com « chaise industrielle blanche et bois », apparaissant en page 15 du constat d'huissier du 2 novembre 2020, et ce dans un délai de 60 jours passés la signification de la décision, puis sous astreinte de 100 euros par jour de retard, qui courra au maximum pendant 180 jours ;

Condamné M. [D] à payer à la société Tolix Steel Design la somme provisionnelle de 5 000 euros en réparation du préjudice causé par la contrefaçon des marques verbales « Tolix » ;

Ordonné à M. [D] de cesser l'emploi de la marque verbale « Tolix » dans l'URL de son site internet et lui interdit de faire usage de cette marque dans la vie des affaires, le tout dans un délai de 10 jours suivant la signification du jugement, puis sous astreinte de 500 euros par jour qui courra pendant 180 jours maximum ;

Rejeté la demande de M. [D] en dommages et intérêts au titre « de la procédure»;

Écarté l'exécution provisoire de la présente décision, mais uniquement en ce qui concerne sa transcription au registre des marques, et la maintient pour tout le reste ;

Débouter M. [D] de toutes ses demandes, fins et prétentions ;

Condamner M. [D] a payer a la société Tolix Steel Design la somme de 20 000 euros a titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre le remboursement des frais de saisie- contrefaçon ;

Condamner M. [D] aux dépens, qui seront recouvres conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions récapitulatives, numérotées 2, notifiées par RPVA le 12 mai 2023, M. [D], intimé et appelant incident, demande à la cour de :

Vu les articles L. 711-2, L. 714-3 et L. 123-1 du code de la propriété intellectuelle

Vu l'article 1240 du code civil,

Vu la jurisprudence citée,

Confirmer le jugement dans toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a condamné M. [D] à payer à la société Tolix Steel Design la somme provisionnelle de 5 000 euros en réparation du préjudice causé par la contrefaçon de la marque verbale TOLIX et sauf en qu'il a rejeté la demande de M. [Z] [D] en dommages et intérêts,

Infirmer le jugement dont appel pour ces chefs critiqués,

Statuant à nouveau

A titre principal, rejeter les demandes de la société Tolix Steel Design au titre de la contrefaçon de la marque verbale TOLIX

A titre subsidiaire, si par extraordinaire la Cour devait confirmer le jugement dont appel en considérant que M. [D] a contrefait la marque verbale TOLIX, limiter l'indemnisation à la somme de 150 euros,

En tout état de cause,

Condamner la société Tolix Steel Design à verser à M. [Z] [D] la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral causé par la présente procédure,

Condamner la société Tolix Steel Design à verser à M. [Z] [D] la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamner la société Tolix Steel Design aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 septembre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur la validité des marques françaises semi-figuratives n° 4413907 (chaise) et n° 4413078 (tabouret).

M. [D] soutient que les deux marques en cause sont nulles, comme étant dépourvues de caractère distinctif intrinsèque, faisant valoir que, de par leur caractère fonctionnel et purement décoratif, elles n'ont jamais accompli leur fonction de marque, l'appelante ne démontrant pas que le public pertinent rattacherait ces modèles à la société Tolix et ce d'autant que ces produits sont largement répandus dans le commerce et vendus par de nombreux distributeurs en magasin et sur internet. Il ajoute que la société Tolix ne démontre pas davantage en quoi les formes de ces produits seraient perçues comme divergeant de manière significative de la norme et des habitudes du secteur. Il considère qu'il n'est pas davantage justifié de l'acquisition du caractère distinctif par l'usage, auprès du public pertinent, soit le grand public au vu des produits mentionnés à l'enregistrement. M. [D] plaide également que ces marques sont nulles car elles sont composées exclusivement d'éléments servant à les désigner, puisque l'une et l'autre représentent précisément les produits mentionnés au dépôt. Il estime aussi que ces marques sont nulles car elles sont constituées exclusivement par la forme qui leur confère une valeur substantielle, leur reconnaissance auprès du public résultant précisément de leur forme, ces marques ne contenant aucun élément non fonctionnel significatif. Enfin, il soutient que ces marques sont nulles car elles ont été déposées de mauvaise foi dans le but d'empêcher les autres opérateurs économiques de commercialiser des chaises et tabourets similaires.

La société Tolix soutient d'abord que ses marques sont intrinsèquement distinctives puisque le consommateur peut identifier les signes en cause au regard de leur origine comme le sondage qu'elle a fait réaliser le prouve selon elle, à savoir deux produits authentiques, de qualité, fabriqués en France, résultats d'un savoir-faire, qui présentent également, de par leur forme, une particularité mémorisable et divergent ainsi des autres produits du secteur. Elle estime qu'en tout état de cause, ses marques ont acquis un caractère distinctif par l'usage mettant en avant qu'aux yeux du public pertinent, qui n'est pas le grand public selon elle, s'agissant d'objets proposés à la vente à un prix relativement élevé, les marques permettent d'identifier l'origine de la chaise « A » et du tabouret « H », ce qui ressort selon elle de leur mise en avant dans la presse, de la reconnaissance de ces produits par les pouvoirs publics et par les professionnels qui proposent les mêmes produits à la vente en faisant référence directement ou indirectement à elle, outre les importants investissements consacrés pour les promouvoir, ce que le sondage qu'elle a fait réaliser confirme. Elle conteste de même les autres motifs de nullité invoqués, retenant que la nature des produits concernés n'impose nullement qu'ils aient les formes en cause, et que la valeur donnée à ces produits ne ressort pas que de leurs forme et caractère esthétique mais aussi du fait qu'ils sont le symbole de la qualité de fabrication « made in France » .

En vertu de l'article L. 711-2 dans sa rédaction applicable à la cause, le caractère distinctif d'une marque s'appréciant au regard de la loi en vigueur au moment de son dépôt, « le caractère distinctif d'un signe de nature à constituer une marque s'apprécie à l'égard des produits ou services désignés.

Sont dépourvus de caractère distinctif :

a) Les signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service ;

b) Les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service, et notamment l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l'époque de la production du bien ou de la prestation de service ;

c) Les signes constitués exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit, ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle.

Le caractère distinctif peut, sauf dans le cas prévu au c, être acquis par l'usage.»

Sur le caractère distinctif intrinsèque de ces marques,

La cour rappelle que le caractère distinctif d'une marque doit être apprécié, d'une part, par rapport aux produits et services pour lesquels son enregistrement a été demandé et, d'autre part, par rapport à la perception du public ciblé qui est constitué par le consommateur de ces produits et services.

Par ailleurs, la Cour de justice, (CJCE 7 octobre 2004 n° C-136/02 Mag-Instrument) après avoir rappelé que les critères d'appréciation du caractère distinctif des marques tridimensionnelles constituées par la forme du produit lui-même ne sont pas différents de ceux applicables aux autres catégories de marques, a toutefois rappelé que, dans le cadre de l'application de ces critères, «la perception du public pertinent n'est pas nécessairement la même dans le cas d'une telle marque que dans le cas de marque verbale ou figurative, qui consiste en un signe indépendant de l'aspect des produits qu'elle désigne. En effet, les consommateurs moyens n'ont pas pour habitude de présumer l'origine des produits en se fondant sur leur forme (...), en l'absence de tout élément graphique ou textuel, et il pourrait donc s'avérer plus difficile d'établir le caractère distinctif d'une telle marque tridimensionnelle que s'agissant d'une marque verbale ou figurative. (Voir arrêt [S] / OHMI point 29 avril 2004 (..). Dans ces conditions, plus la forme dont l'enregistrement est demandé en tant que marque se rapproche de la forme la plus probable que prendra le produit en cause, plus il est vraisemblable que ladite forme est dépourvue de caractère distinctif au sens de l'article 7 paragraphe 1 sous b) du règlement n° 40/94. Seule une marque qui, de manière significative, diverge de la norme ou des habitudes du secteur est, de ce fait, susceptible de remplir sa fonction essentielle d'origine1 n'est pas dépourvue de caractère distinctif au sens de ladite disposition.

Les deux marques déposées par la société Tolix sont deux marques tridimensionnelles représentant un exemplaire de sa chaise « A » déposé en classe 20 désignant « les chaises métalliques » et un exemplaire du tabouret « H » déposé en classe 20 désignant « les tabourets métalliques ».

En l'espèce, le public pertinent est le consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, désireux d'acquérir une ou plusieurs chaises ou un ou plusieurs tabourets, et donc le grand public, s'agissant de biens de consommation courante. À ce titre, la cour rappelle que la validité de la marque doit être appréciée au regard des produits mentionnés au dépôt, de sorte qu'il n'y a pas lieu, comme le soutient la société Tolix en mettant en avant le prix de vente plus élevé de ses produits, de cantonner le public ainsi concerné au consommateur ayant un niveau d'attention plus élevé ou aux seuls amateurs de produits d'ameublement inspiré du design industriel.

Par ailleurs, la société Tolix ne démontre pas que la marque figurative n° 4413907 déposée le 18 décembre 2017 pour désigner les « chaises métalliques », en ce qu'elle représente une chaise en métal, constituée d'une combinaison d'éléments typiques de ce genre de chaise, soit un piétement métal composé de 4 pieds, une assise et un dossier, se différencie de manière significative des formes de base de ce type de produit et de la norme et des habitudes du secteur en la matière.

De même, la société Tolix ne démontre pas que la marque figurative n° 4413078 déposée le 14 décembre 2017 en classe 20 pour désigner les « tabourets métalliques » en ce qu'elle représente un tabouret en métal composé de quatre pieds reliés deux par deux par une barre de soutien et d'une assise, se différencie de manière significative des formes de base de ce type de produits et de la norme et des habitudes du secteur.

La société Tolix estime cependant que les formes de ses produits déposés à titre de marque permettent au public de les rattacher à une origine déterminée et se base pour se faire sur un sondage qu'elle a fait réaliser en mars 2023.

Or, ce sondage destiné, selon elle, à établir le caractère distinctif de sa chaise « A » et de son tabouret « H », outre qu'il a été réalisé postérieurement au dépôt des marques en cause les 18 et 14 décembre 2017, a été établi sur un échantillon de 350 répondants urbains (villes de plus de 100.000 habitants) sur des « CSP plus », intéressées par les meubles et la décoration et avec une « forte fréquentation des enseignes de meubles », soit un public plus restreint que le public pertinent concerné.

En outre, s'il établit pour la chaise « A » que 31 % du public associent cette chaise à une marque spécifique, seulement 7 % des répondants l'associent spontanément à la marque TOLIX, ces résultats devant être mis en perspective avec les 62 % qui ne l'associent à aucune marque de mobiliers et, enfin, les 19,4 % l'associant à la marque TOLIX parmi 7 marques de mobilier « haut de gamme », orientant d'autant le choix du public concerné (32,3 % ne l'associant toujours à aucune marque). De même, s'agissant du tabouret « H », le sondage établit que 28 % du public interrogé associent ce tabouret à une marque spécifique, seuls 12 % l'associent spontanément à la société Tolix alors que 71 % ne l'associent à aucune marque et enfin, 21,4 % l'associent à la société Tolix parmi 7 marques citées, plus de 32 % ne l'associant à aucune d'entre elles.

Ce sondage ne permet donc nullement d'établir que la seule représentation de la chaise ou du tabouret garantit au grand public l'identité d'origine du produit, en lui permettant de la distinguer, sans confusion possible, de ceux ayant une autre provenance.

Au surplus, lorsque la société Tolix elle-même communique sur ces produits, elle les associe quasi-systématiquement, exclusivement à leurs noms, chaise « A » - tabouret « H », à leur créateur et à ses nom commercial et marques verbales Tolix.

Il convient de retenir que la société Tolix ne démontre pas que ses marques figuratives n° 4413907 et n° 4413078 sont à même de remplir leur fonction essentielle d'identification d'origine et que ces marques sont par conséquent dépourvues de caractère distinctif intrinsèque.

Sur la nullité des marques constituées exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit, ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle

Dans la mesure où l'article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle invoqué institue une restriction spécifique aux marques constituées par la forme du produit qui constitue un obstacle à l'acquisition du caractère distinctif par l'usage, il convient d'examiner, au préalable si les signes en cause sont constitués ou non exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction des produits, ou conférant à ces derniers leur valeur substantielle, comme le soutient M. [D], avant d'examiner ensuite et le cas échéant la réalité de cet usage.

Sur ce, dans son arrêt du 18 septembre 2014 ( Hauck c/Stokke chaise Trip Trapp -205/13), la CJUE, répondant à une question préjudicielle a dit pour droit que l'article 3 paragraphe 1 sous e) troisième tiret de la première directive 89/104 [soit les dispositions identiques aux dispositions françaises précitées] doit être interprété en ce sens «que le motif de refus d'enregistrement prévu à cette disposition peut s'appliquer à un signe constitué exclusivement par la forme d'un produit ayant plusieurs caractéristiques pouvant lui conférer une valeur substantielle. La perception de la forme du produit par le public ciblé ne constitue qu'un des éléments d'appréciation aux fins de déterminer l'applicabilité du motif du refus.»

Elle précise ainsi [ 19] « L'objectif immédiat de l'interdiction d'enregistrer les formes purement fonctionnelles prévue à l'article 3, paragraphe 1, sous e), deuxième tiret, de la directive sur les marques ou qui donnent une valeur substantielle au produit, au sens du troisième tiret de cette disposition, est d'éviter que le droit exclusif et permanent que confère une marque puisse servir à perpétuer, sans limitation dans le temps, d'autres droits que le législateur de l'Union a voulu soumettre à des délais de péremption1 (voir, en ce sens, arrêt Lego Juris/OHMI, EU:C:2010:516, point 45). (...)

[30] « À cet égard, le fait de considérer la forme comme donnant une valeur substantielle au produit n'exclut pas que d'autres caractéristiques du produit puissent conférer également une valeur importante à celui-ci.

[31] Ainsi, l'objectif d'éviter que le droit exclusif et permanent que confère une marque puisse servir à perpétuer, sans limitation dans le temps, d'autres droits que le législateur de l'Union a voulu soumettre à des délais de péremption exige, ainsi que M. l'avocat général l'a relevé au point 85 de ses conclusions, que l'application du troisième tiret de l'article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive sur les marques ne soit pas automatiquement exclue lorsque, en dehors de sa fonction esthétique, le produit concerné assure également d'autres fonctions essentielles.

[32] En effet, la notion de « forme qui donne une valeur substantielle au produit» ne saurait être uniquement limitée à la forme de produits ayant exclusivement une valeur artistique ou ornementale, au risque de ne pas couvrir les produits ayant, en sus d'un élément esthétique important, des caractéristiques fonctionnelles essentielles. Dans ce dernier cas, le droit conféré par la marque à son titulaire octroierait un monopole sur les caractéristiques essentielles des produits, ce qui empêcherait ledit motif de refus de remplir pleinement son objectif. (...)

[34] La perception présumée du signe par le consommateur moyen n'est pas un élément décisif dans le cadre de l'application du motif de refus énoncé au troisième tiret de cette dernière disposition, mais peut, tout au plus, constituer un élément d'appréciation utile pour l'autorité compétente lorsque celle-ci identifie les caractéristiques essentielles du signe (voir, en ce sens, Lego Juris/OHMI, EU:C:2010:516, point 76).

[35] À cet égard, ainsi que M. l'avocat général l'a indiqué au point 93 de ses conclusions, peuvent entrer en ligne de compte d'autres éléments d'appréciation tels que la nature de la catégorie concernée des produits, la valeur artistique de la forme en cause, la spécificité de cette forme par rapport à d'autres formes généralement présentes sur le marché concerné, la différence notable de prix par rapport à des produits similaires ou la mise au point d'une stratégie promotionnelle mettant principalement en avant les caractéristiques esthétiques du produit en cause.

[36] Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la deuxième question que l'article 3, paragraphe 1, sous e), troisième tiret, de la directive sur les marques doit être interprété en ce sens que le motif de refus d'enregistrement prévu à cette disposition peut s'appliquer à un signe constitué exclusivement par la forme d'un produit ayant plusieurs caractéristiques pouvant lui conférer différentes valeurs substantielles. La perception de la forme du produit par le public ciblé ne constitue qu'un seul des éléments d'appréciation aux fins de déterminer l'applicabilité du motif de refus en cause.

La Cour a également dit pour droit ( 20 septembre 2007 Benetton group n° C-371/06) que «l'article 3, paragraphe 1, sous e), troisième tiret, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doit être interprété en ce sens que la forme d'un produit qui donne une valeur substantielle à celui-ci ne peut constituer une marque en application de l'article 3, paragraphe 3, de cette directive, lorsque, avant la demande d'enregistrement, elle a acquis une force attractive du fait de sa notoriété en tant que signe distinctif, à la suite de campagnes publicitaires présentant les caractéristiques spécifiques du produit en cause.»

Enfin, la CJUE dans un arrêt du 23 avril 2020 (Gömböc n° C-237:19) a dit pour droit:

«[39] Conformément à l'article 3, paragraphe 1, sous e), iii), de la directive 2008/95, sont refusés à l'enregistrement ou sont susceptibles d'être déclarés nuls s'ils sont enregistrés les signes exclusivement constitués par la forme qui donne une valeur substantielle au produit.

[40] L'application de ce motif de refus d'enregistrement repose ainsi sur une analyse objective, destinée à démontrer que la forme en cause exerce, en raison de ses propres caractéristiques, une influence si importante sur l'attractivité du produit que le fait d'en réserver le bénéfice à une seule entreprise fausserait les conditions de concurrence sur le marché concerné.

[41] Par conséquent, pour que le motif de refus d'enregistrement, prévu à l'article 3, paragraphe 1, sous e), iii), de la directive 2008/95, puisse être appliqué, il faut qu'il résulte d'éléments objectifs et fiables que le choix des consommateurs d'acheter le produit en cause est, dans une très large mesure, déterminé par une ou plusieurs caractéristiques de la forme dont le signe est exclusivement constitué.»

La cour constate que la société Tolix verse, elle-même, de très nombreuses pièces antérieures au dépôt de la marque n°  4413907 démontrant l'importance de la forme de la chaise « A » dans sa présentation et dans sa perception par le public. Ainsi, les articles de presse mettent en avant « sa ligne esthétique, robuste et ultra-reconnaissable » représentant la «quintessence du design industriel», sa « ligne fuselée et son look industriel », sa grande légèreté notamment sur le plan visuel, la chaise « A » étant présentée parmi les 50 objets qui ont révolutionné le design, faisant l'objet de réinterprétations pour ses 80 ans en 2015 par des designers mais, toujours, sous la même forme, ou présentée encore comme « Une belle chaise vintage designée par [R] [U]  ». Les journalistes insistent au demeurant sur sa ligne « ultra-reconnaissable », ou encore « reconnue à travers le monde». À cet égard, elle est exposée dans plusieurs musées à travers le monde et, ce, bien avant le dépôt de la marque en cause.

La chaise « A » est pareillement présentée par la société Tolix sur son site internet ou dans sa communication auprès du public comme « une icône du design industriel », la stratégie promotionnelle adoptée mettant d'abord en avant les caractéristiques esthétiques et design du produit.

S'agissant de la marque n° 4413078 représentants le tabouret « H », la cour constate que sont produits également de nombreux articles de presse le présentant comme une « icône de l'esthétique industrielle » ou comme le « mythique tabouret « H » de Tolix, emblématique de l'esthétique industrielle » reconnu pour « son esthétique épurée et sa grande fonctionnalité ». Il est également très présent dans la communication de la société Tolix elle-même dans l'ensemble de ses catalogues ou dans des documents promotionnels.

Il résulte de l'ensemble de ces parutions ainsi que de la communication développée par l'appelante, soit autant d'éléments objectifs et fiables, que le choix des consommateurs d'acheter ces deux modèles est, dans une très large mesure, déterminé par la forme dont ces signes sont exclusivement constitués.

En outre, le sondage réalisé par la société TOLIX atteste de ce que le public, à la seule présentation de la forme de la chaise, telle que déposée, reconnaît l'avoir déjà vue à hauteur de 48 % ou indique qu'elle lui est familière à hauteur de 34 %, la société Tolix elle-même soulignant dans ses écritures que la marque ainsi déposée présente, de par sa forme, une particularité mémorisable pour le consommateur, ou «immédiatement identifiable» qui diverge des autres produits du même secteur.

Il en est de même du tabouret « H » que le public affirme avoir déjà vu à hauteur de 33% ou qu'il déclare comme lui étant familier à hauteur de 35 %.

Ces résultats qui attestent de la connaissance avérée de ces produits sont à mettre en perspective avec les pourcentages beaucoup plus faibles de reconnaissance de cette chaise et de ce tabouret en lien avec la société Tolix (7 % et 12  %) confirmant que ces signes en eux-mêmes ne constituent pas une garantie d'origine.

Si la revendication d'une fabrication de qualité « made in France » accompagnée d'investissements marketing est également mise en avant par la société Tolix, la cour rappelle, comme il a été dit ci-dessus, que ce motif de nullité invoqué peut s'appliquer à un signe constitué exclusivement par la forme du produit ayant, en outre, une ou plusieurs caractéristiques pouvant lui conférer différentes valeurs substantielles, de sorte que ce moyen est sans emport sur le constat objectif ainsi posé.

Ainsi, ces signes, constitués exclusivement par leur forme conférant à ces derniers leur valeur substantielle, sont dépourvus de caractère distinctif, de sorte que les marques ainsi déposées sont nulles, sans qu'il soit nécessaire d'examiner l'acquisition de leur caractère distinctif par l'usage, exclu dans ce cas par les dispositions précitées.

En conséquence, les marques n° 4413907 et 4413078 doivent être annulées et la société Tolix déboutée de ses demandes au titre de la contrefaçon de marques, le jugement déféré étant confirmé de ces chefs pour ces motifs.

Sur les faits de contrefaçon des marques verbales « Tolix »

M. [D] conteste les faits de contrefaçon de la marque verbale qui lui sont imputés retenant que l'utilisation du signe TOLIX dans l'URL d'une page de son site internet ne constitue pas un usage illicite de la marque puisque le signe protégé n'est pas repris de façon visible aux yeux du public et ne caractérise donc pas un usage dans la vie des affaires portant atteinte à sa fonction d'origine.

La société Tolix soutient que M. [D] a commis des actes de contrefaçon de sa marque verbale « TOLIX » en l'utilisant dans l'URL renvoyant à la commercialisation des produits contrefaisant la chaise « A ».

En vertu de l'article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle, « est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires pour des produits ou services : 1° d'un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée (..) »

C'est par de justes motifs approuvés par la cour que le tribunal, après avoir relevé qu'il avait été constaté par l'huissier de justice le 2 novembre 2020 que le site internet de M. [D] proposait à la vente des chaises et tabourets métalliques sur une page dont l'adresse contient les mots « Chaise-tolix » et « chaise-tolix-blanche », sans l'accord de la société Tolix, ce qui constituait un usage dans la vie des affaires, afin de permettre au consommateur qui effectue une recherche à partir de ces termes de trouver le site internet de M. [D] et d'y acquérir les produits en cause, termes en outre visibles pour le public dans l'adresse URL qui s'affiche en haut de la fenêtre du navigateur, a retenu l'existence d'actes de contrefaçon des marques verbales françaises et de l'Union européenne « Tolix » déposées en classe 20 pour désigner notamment les sièges et tabourets métalliques.

Le jugement déféré est en conséquence confirmé de ce chef.

Sur les faits de contrefaçon de droit d'auteur,

M. [D] estime que le tabouret « HPD », étant la reprise du tabouret « H » créé par M. [R] [U], décédé le 28 juin 1948, tombé dans le domaine du public, avec le seul ajout d'un dossier, ne traduit pas une création originale portant l'empreinte de la personnalité de son auteur et n'est donc pas, selon lui, éligible à la protection au titre du droit d'auteur.

La société Tolix soutient que son tabouret « HPD » est éligible à la protection au titre du droit d'auteur, au regard d'une combinaison de caractéristiques qu'elle met en avant, outre des décisions judiciaires qui lui ont reconnu le bénéfice de cette protection. Elle ajoute que ce tabouret ayant été créé en 2006, le modèle n'est pas tombé dans le domaine public, ayant en outre été conçu à une date où le tabouret « H » étant encore éligible à cette protection, de sorte qu'elle a ainsi créé un nouveau modèle tout aussi original et ainsi protégeable au titre du droit d'auteur. Procédant à la comparaison de son tabouret et des meubles de M. [D], elle estime que les faits de contrefaçon sont constitués.

L'article L.111-l du code de la propriété intellectuelle dispose que l'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous, comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial. Le droit de l'auteur est conféré, selon l'article L. 112-1 du même code, à l'auteur de toute œuvre de l'esprit, quels qu'en soit le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination.

Il se déduit de ces dispositions le principe de la protection d'une œuvre sans formalité et du seul fait de la création d'une forme originale.

Néanmoins, lorsque cette protection est contestée en défense, l'originalité d'une œuvre doit être explicitée par celui qui s'en prétend auteur, seul ce dernier étant à même d'identifier les éléments traduisant sa personnalité.

La notion d'antériorité est indifférente en droit d'auteur, celui qui se prévaut de cette protection devant plutôt justifier de ce que l'œuvre revendiquée présente une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique et reflétant l'empreinte de la personnalité de son auteur. Toutefois, l'originalité doit être appréciée au regard d'œuvres déjà connues afin de déterminer si la création revendiquée s'en dégage d'une manière suffisamment nette et significative, et si ces différences résultent d'un effort de création, marquant l'œuvre revendiquée de l'empreinte de la personnalité de son auteur.

En l'espèce, il n'est pas contesté par la société Tolix que la chaise « A » et le tabouret « H » créés par M. [R] [U] qui est décédé le 28 juin 1948 ne sont plus protégés par le droit d'auteur édicté à l'article L. 123-1 du code de la propriété intellectuelle, soit pour une durée de 70 années qui suivent le décès de l'auteur.

La société Tolix revendique comme suit la combinaison de caractéristiques qui rend, selon elle, le tabouret « HPD » créé en 2006 éligible à la protection du droit d'auteur :

« -L'apparence générale du tabouret : il est formé de trois (3) blocs : un constituant l'assise du tabouret, un autre donnant naissance aux quatre (4) pieds du tabouret, et un autre constituant le dossier ;

- L'assise du tabouret :

+ elle est de forme carrée, avec des angles arrondis ;

+ l'assise apparaît légèrement renfoncée en raison de son large pourtour, aux angles arrondis ;

+ elle est percée, en son centre, d'un trou de forme rectangulaire, semi ovale ;

- Les pieds du tabouret :

+ leur forme générale est évasée, la partie supérieure des pieds est plus large que la partie inférieure ;

+ les pieds ne sont pas parallèles, mais fuyant vers l'extérieur, décrivant la forme d'un trapèze ;

+ ils sont arrondis en façade, avec un angle à plus de 90°, mais creux au dos, tandis que les extrémités inférieures des pieds sont tubulaires ;

+ l'angle de la façade arrondie de chaque pied est embouti sur près de la moitié de la longueur des pieds ;

+ ils ont pour spécificité d'être reliés, par une barre tubulaire passant derrière le début de la façade arrondie de chaque pied ;

- Le dossier du tabouret ;

+ Il est composé d'une structure tubulaire délimitant le contour du dossier et d'une traverse verticale lisse et légèrement incurvée ;

+ La traverse verticale est égale ;

+ Le dossier est arrondi dans les angles et bas ;

+ Le dossier est fixé à la chaise en son centre et sur les côtés. »

Il ressort de cette description purement objective que le tabouret « HPD » a été conçu à partir du « tabouret « H », auquel a été ajouté un dossier constitué d'une barre verticale et d'un arc tubulaire, comme sur la chaise « A », qui, bien que moins haut et dans une forme un peu moins arrondie, en reprend les mêmes éléments constitutifs et visuels. Or, la société Tolix ne démontre nullement en quoi l'ajout de ce dossier directement inspiré d'un de ses modèles préexistants à une assise déjà existante, modèle tombé dans le domaine public, serait original, ni en quoi la combinaison de ces éléments déjà connus serait elle-même originale et porterait l'empreinte de la personnalité de son auteur.

Enfin, si la société Tolix fait état de deux décisions de justice ayant reconnu ses droits d'auteur sur ce produit, la cour constate que ces décisions ont été rendues alors que les droits d'auteur sur la chaise « A » et le tabouret « H » n'étaient pas encore expirés, outre que l'originalité des modèles n'était pas contestée en défense, de sorte qu'elles ne sont pas transposables au cas présent.

C'est en conséquence à juste titre que le tribunal a retenu que ce modèle n'est pas protégé par le droit d'auteur et qu'aucune contrefaçon ne peut être invoquée à ce titre, le jugement critiqué étant confirmé de ces chefs.

Sur les faits de concurrence déloyale et parasitaire,

La société Tolix invoque à l'encontre de M. [D] la commission d'actes de concurrence déloyale, d'une part, à titre subsidiaire, lui reprochant la commercialisation de modèles constituant des copies serviles de ses produits induisant une confusion chez les consommateurs et, à titre distinct, la commercialisation, à vil prix, de plusieurs de ses modèles créant un effet de gamme préjudiciable, permise par la reprise du nom TOLIX dans l'adresse URL. Elle dénonce également des faits de parasitisme, M. [D] ayant proposé à la vente ses produits emblématiques en s'épargnant tout investissement et en profitant des efforts qu'elle a consentis sans bourse délier pour s'inscrire dans son sillage.

M. [D] estime qu'il ne peut lui être reproché aucun comportement fautif sur le terrain de la concurrence déloyale et parasitaire puisque les produits en cause sont banals et largement répandus et commercialisés par d'autres sociétés que l'appelante, que les chaises et tabourets qu'il devait offrir à la vente ne portent pas la marque Tolix et qu'ils diffèrent notamment par leur assise en bois, outre que la société Tolix n'apporte pas la preuve des investissements spécifiques qu'elle allègue pour promouvoir ses produits.

Ceci étant exposé, la cour rappelle que sont sanctionnés au titre de la concurrence déloyale, sur le fondement de l'article 1240 du code civil, les comportements fautifs car contraires aux usages dans la vie des affaires, tels que ceux visant à créer un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit, ou ceux, parasitaires, qui tirent profit sans bourse délier une valeur économique d'autrui procurant à leur auteur, un avantage concurrentiel injustifié, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements.

Ces deux notions doivent être appréciées au regard du principe de la liberté du commerce qui implique qu'un produit qui ne fait pas ou ne fait plus l'objet de droits de propriété intellectuelle, puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant à l'absence de faute par la création d`un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit ou par l'existence d'une captation parasitaire, circonstances attentatoires à l'exercice paisible et loyal du commerce.

L'appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment, le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté d'usage, l'originalité, la notoriété du produit copié.

Sur les faits de concurrence déloyale,

La cour rappelle que si en l'absence de droits privatifs, une action en concurrence déloyale peut s'appuyer sur des faits matériellement identiques à ceux allégués au soutien d'une action en contrefaçon qui n'a pas prospéré, la seule reproduction de mobilier dont la protection par le droit d'auteur a expiré et dont la protection par une marque figurative a été invalidée, n'est pas en elle-même fautive, sauf à recréer un monopole illimité au bénéfice du titulaire des droits arrivés à échéance, en l'absence de tout autre comportement fautif démontré.

Or, le sondage produit à hauteur d'appel par la société Tolix, comme il a été vu, ne permet nullement d'établir que le public attache à la forme de la chaise « A » et du tabouret « H » une origine déterminée.

En outre, M. [D] démontre que les deux gammes de produits sont vendues sous des marques et des réseaux de distribution différents, la marque TOLIX étant toujours associée à la chaise et au tabouret et ses produits vendus par un réseau de distributeurs agréés, alors que ses produits sont commercialisés sans marque, sous son nom d'enseigne « ma nouvelledeco.com » et uniquement via son site internet. Par ailleurs, l'usage de la marque verbale « TOLIX » dans l'adresse URL a déjà été retenu dans le cadre de la contrefaçon. Enfin, M. [D] démontre également que de nombreuses autres chaises et tabourets très semblables sont commercialisés sur le marché par des tiers. Le risque de confusion ainsi allégué n'est donc pas caractérisé.

Par ailleurs, si la société Tolix démontre que M. [D] a offert à la vente sur son site à la fois des produits reproduisant les formes de la chaise « A » et des tabourets « H » et « HPG » à un prix moindre, il ne peut lui être reproché aucun comportement fautif par « effet de gamme », s'agissant de pièces de mobilier qui ne sont plus protégées par un droit privatif, outre que la plupart des sièges en cause comportent une structure métallique mais associée à une assise en bois, ce qui leur confère un aspect nettement différent.

Il convient en conséquence de retenir que les faits de concurrence déloyale dénoncés par la société Tolix ne sont pas établis et le jugement déféré doit être confirmé de ce chef.

Sur les faits de parasitisme,

S'agissant des faits de parasitisme, la charge de la preuve incombe à l'appelante qui doit donc démontrer, à la fois, que ses modèles de chaise et de tabourets représentent une valeur économique individualisée et que M. [D] s'en est inspiré à titre lucratif, afin de se procurer un avantage concurrentiel indu.

La société Tolix démontre produire et exploiter ses modèles de chaise et de tabourets depuis près d'un siècle, se présentant, de manière non démentie, comme une pionnière dans la création de ce type de mobilier industriel et robuste. Elle démontre en outre, par la production d'une revue de presse particulièrement dense, constituée d'articles issus de la presse régionale, nationale et internationale, s'étalant sur une période de plus de 10 ans, la notoriété de sa chaise «A» et de son tabouret « H » souvent associés, présentés comme des icônes du design industriel français, notoriété confirmée par l'exposition de la chaise « A » dans de grands musées de design en France et dans le monde et notamment au musée [4] à [Localité 3], au Vitra Design Muséum en Allemagne ou au MoMa à New-York.

La société Tolix justifie également engager chaque année des dépenses de communication et de marketing conséquentes, soit plus de 1,8 millions d'euros durant les dix dernières années, et également participer régulièrement à des événements de portée nationale ou internationale (participation à Masterchef ou Topchef, à des salons à Milan, Stockholm) ou encore avoir édité en 2018 une série de timbres à l'effigie de la chaise « A ». Elle justifie ainsi entretenir la notoriété de sa marque et de ses produits auprès du public comme le démontre la forte présence de ses mobiliers dans de nombreux articles de presse et magazines de décoration notamment, qui mettent en avant également leur qualité.

La chaise « A » et les tabourets « H » et « HPD » sont ainsi représentés à de très nombreuses reprises, associés par ailleurs au nom de la société Tolix, se présentant comme une entreprise française soucieuse de préserver son savoir-faire et défendant une fabrication française de grande qualité de ses produits, connus ainsi pour leur grande durabilité. De très nombreux articles relatent en outre que la société Tolix est victime de la contrefaçon de ses modèles, notamment de la chaise «A», par des produits fabriqués à l'étranger, à bas coût et à moindre qualité.

Ainsi, au-delà de la connaissance du produit lui-même par une partie du public, la société Tolix démontre avoir engagé, depuis de nombreuses années, une politique de communication et de marketing pour mettre en avant, auprès du public, le caractère qualitatif, durable et «made in France» de son produit, fruit d'un savoir-faire ancien.

A cet égard, pour mettre en valeur les conditions de production de ses produits, la société Tolix démontre être labelisée depuis 2006 «Entreprise du patrimoine vivant» distinguant les entreprises françaises aux savoir-faire artisanaux et industriels d'excellence mais, aussi, avoir entrepris de lourds investissements pour maintenir sa production en France, et modifié ses chaînes de production, de fabrication et de coloration permettant la pérennisation de plus de 50 emplois et ainsi de son savoir-faire spécifique. Cet engagement lui permet ainsi de revendiquer une production «made in France», amplement mise en avant dans sa communication auprès du public et, notamment, à l'occasion d'une rencontre avec le Président de la République en 2019. Elle se présente également comme une entreprise engagée, privilégiant les matériaux durables et réutilisant l'énergie thermique de ses machines pour chauffer ses ateliers, se dotant de nouveaux procédés de fabrication préservant l'environnement et est reconnue comme telle par la presse.

La société Tolix, par le biais de sa gérante, se montre également très active dans la presse pour rappeler l'histoire centenaire de la société qui a failli disparaître suite à une liquidation judiciaire et qu'elle a reprise avec certains des anciens salariés, et défendre les valeurs désormais portées par la fabrication artisanale de ses chaises en France, tout en faisant évoluer ses collections pour s'adapter au marché et aux goûts du public.

Si, comme le souligne M. [D], certaines des dépenses invoquées par la société Tolix ne sont pas toutes spécifiques aux trois modèles en cause, il n'en demeure pas moins que l'essentiel de la communication et du marketing développé concerne bien ces modèles qui constituent ses produits phares et emblématiques.

La cour retient, en conséquence, que l'ensemble de ces éléments atteste non seulement d'investissements conséquents consacrés par la société Tolix à la promotion de la chaise «A» et des tabourets « H » et « HPD », mais aussi d'un travail particulier, d'un ancrage sur le territoire français et d'un savoir-faire presque centenaire constamment revendiqués et entretenus, et ainsi caractérise une valeur économique individualisée.

Aussi, en proposant à la vente sur le marché français des copies serviles ou quasi-serviles des chaises «A» et des tabourets « H » et « HPD », M. [D] a entendu nécessairement se placer dans le sillage de la société Tolix et de ses produits au «design iconique» auréolés de leur qualités précitées, pour en capter les retombées, ce qui lui a permis de commercialiser ses produits en s'épargnant tout effort intellectuel, matériel et financier de conception, de promotion ou de commercialisation nécessaire au succès du lancement de ce type de produit d'équipement. Il a également profité, indûment et intentionnellement, de l'ensemble des investissements et du savoir-faire déployés par la société appelante pour mettre en valeur son produit «made in France» depuis de nombreuses années, alors qu'il ne conteste pas avoir importés ces produits à moindre coût de Chine, ces articles ayant été proposés à la vente au prix de 45 euros, alors que le prix de revient industriel de la chaise «A» est de plus de 58 euros et qu'elle est vendue aux consommateurs au prix moyen de 290€, lui permettant ainsi de générer des profits.

En conséquence, M. [D] s'est rendu coupable de concurrence parasitaire à l'égard de la société Tolix, le jugement dont appel étant infirmé de ce chef.

Sur les demandes indemnitaires et de réparation,

M. [D] plaide que les demandes indemnitaires formées à son encontre sont hors de proportions avec les quantités vendues, l'essentiel des produits en cause ayant fait l'objet d'une mesure de saisie douanière.

La société Tolix, se basant sur les exemplaires saisis par les douanes, formule des demandes indemnitaires visant à réparer les contrefaçons de ses marques et droit d'auteur, ainsi que le préjudice subi en lien avec les actes de concurrence déloyale et parasitaire.

Au titre de la contrefaçon des marques verbales,

Il convient d'abord de rappeler que seule la demande au titre de la contrefaçon des marques verbales « Tolix » doit être examinée, la cour ayant confirmé le jugement qui a annulé les marques figuratives et rejeté l'action sur le fondement du droit d'auteur.

En vertu de l'article L. 716-4-10 du code de la propriété intellectuelle, « Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :

1° Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;

2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;

3° Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.

Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée. »

Comme l'a relevé le tribunal, dans un contexte où plusieurs acteurs proposent à la vente des chaises ou tabourets très inspirés des modèles créés par la société Tolix caractérisant une situation de concurrence forte, l'usage illicite de la marque Tolix à des fins de référencement sur internet est de nature à faire perdre du chiffre d'affaires au détenteur de la marque, lui causant ainsi un préjudice avéré, sauf pour la cour à ajouter que cet usage n'a été constaté que sur cette seule adresse URL, le 2 novembre 2020, usage qui a été limité dans le temps, une assignation au fond étant délivrée à l'encontre de M. [D] dès le lendemain.

Les opérations de constat ont permis d'établir que l'URL en cause renvoyait à une page du site internet exploité par M. [D] offrant à la vente des chaises blanches très similaires à la chaise « A », à l'exception de l'assise en bois. Il ressort d'une attestation de l'expert-comptable de M. [D] qu'il a été vendu 14 exemplaires de ce modèle de chaise au prix de 45 euros soit pour une somme totale de 630 euros. Si, effectivement d'autres modèles de ce type de chaise ont été commandés par M. [D] auprès de son fournisseur chinois, ces produits ont été saisis par les douanes.

En outre, les autres factures versées au débat par M. [D] suite à la mesure de communication ordonnée par le tribunal permettent d'établir qu'il avait commandé en décembre 2019, 330 modèles inspirés des produits Tolix auprès du fournisseur chinois, dont 32 chaises blanches et bois, comme figurant sur la page incriminée.

Ainsi, la cour dispose de suffisamment d'éléments, sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle mesure de communication de pièces, en tenant compte des conséquences négatives de la contrefaçon pour la société Tolix titulaire de la marque éponyme, et des bénéfices réalisés par le contrefacteur, pour dire que le préjudice subi en conséquence par la société Tolix sera justement réparé par l'octroi d'une somme de 3.000 €, le jugement querellé étant infirmé de ce chef.

Le jugement doit cependant être confirmé en ce qu'il a ordonné le retrait de la marque de l'adresse URL et a rejeté la demande de publication présentée par la société Tolix, nullement proportionnée aux faits de l'espèce.

Au titre des agissements parasitaires,

La cour rappelle que lorsque les effets préjudiciables d'actes de concurrence parasitaire sont particulièrement difficiles à quantifier, ce qui est le cas de ceux consistant à parasiter les efforts et les investissements, intellectuels, matériels ou promotionnels, d'un concurrent, tous actes qui, en ce qu'ils permettent à l'auteur des pratiques de s'épargner une dépense en principe obligatoire, induisent pour celui-ci un avantage concurrentiel, il y a lieu d'admettre que la réparation du préjudice peut être évaluée en prenant en considération l'avantage indu que s'est octroyé l'auteur de ces actes au détriment de ses concurrents, modulé à proportion des volumes d'affaires respectifs des parties affectés par ces actes (Cass com 12 février 2020 pourvoi 17-31.614)

La société Tolix justifie, comme il a été dit, avoir engagé des frais de communication conséquents sur 10 ans pour plus de 1,8 millions d'euros, dont 325.000 euros en honoraires d'agence de presse et de plateforme de référencement, outre des investissements directs dans sa chaîne de production en France, et avoir généré au 31 décembre 2019 un chiffre d'affaires de 616.800,10€ pour la chaise « A » uniquement (contre 1.164.560,50 € au 31 décembre 2016). Sur la période 2020-2021, la société Tolix a commercialisé 4840 modèles de tabouret et 4077 chaises « A » . Le prix de vente moyen par le réseau de distributeurs agrées est de 290 € pour d'une chaise « A », de 200 € pour un tabouret « H » et de 260 € pour un tabouret « HPD ».

Par ailleurs, comme il a été vu et indépendamment des produits ayant fait l'objet de la saisie douanière en octobre 2020, M. [D] avait commandé 330 modèles de chaises et tabourets auprès de son fournisseur chinois en décembre 2019 pour une somme de 5200 $, qui ont ensuite été proposés à la vente exclusivement sur son site internet pour un prix de 45 € l'unité, sur une durée nécessairement limitée, eu égard au délai de livraison, les premiers produits étant facturés à compter du mois d'avril 2020, étant précisé qu'une grande partie de ces produits a une assise en bois et diffère des modèles revendiqués par la société Tolix dans la présente instance, outre que les produits saisis par les douanes n'ont pas été commercialisés.

En conséquence, la cour dispose d'éléments suffisants, sans qu'il soit besoin d'ordonner une mesure de communication supplémentaire, pour retenir que le préjudice subi par la société TOLIX au vu des agissements parasitaires constatés sera justement réparé par l'octroi d'une somme de 10000€ et pour interdire, en tant que de besoin, la poursuite de ceux-ci dans les conditions précisées au dispositif du présent arrêt.

Au titre des frais de saisie,

C'est par de justes motifs approuvés par la cour que le tribunal a retenu que la contrefaçon des marques figuratives en vertu de laquelle la saisie a été pratiquée et maintenue n'étant pas caractérisée, la saisie devait être levée, ce à quoi la société Tolix ne s'oppose au demeurant pas en cause d'appel.

La cour approuve également les premiers juges qui ont dit que les frais de la saisie incombent intégralement au titulaire qui revendiquait des droits sur des marques qui sont désormais annulées.

Le jugement déféré est en conséquence confirmé de ce chef.

Sur les demandes reconventionnelles,

M. [D] estime que la société Tolix a abusé de son droit d'agir en justice en agissant en contrefaçon pour des produits tombés dans le domaine public et en déposant de mauvaise foi ces marques pour des produits aujourd'hui devenus banals et largement répandus dans le commerce, comportement fautif qui lui a causé un préjudice et notamment un état d'anxiété réactionnelle.

Le sens de la présente décision qui a fait droit à une partie des demandes de la société Tolix conduit à rejeter les demandes présentées au titre de la procédure abusive par M. [D], le jugement qui a rejeté également cette demande étant confirmé de ce chef.

Sur les autres demandes,

M. [D], succombant, sera condamné aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés par Maître Boccon Gibod, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'il a exposés à l'occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant confirmées.

Enfin, l'équité et la situation des parties commandent de dire n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile s'agissant de la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a :

Rejeté les demandes de la société Tolix Steel Design fondées sur la concurrence parasitaire;

Condamné M. [D] à payer à la société Tolix Steel Design la somme provisionnelle de 5.000 euros en réparation du préjudice causé par la contrefaçon des marques verbales « Tolix » ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne M. [D] à verser à la société Tolix une somme de 3.000 euros en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon marques verbales françaises et de l'Union européenne « Tolix » n° 1411496 et n° 6097604,

Dit que M. [D] a commis des actes de concurrence parasitaire à l'encontre de la société Tolix ;

Fait défense à M. [D] de poursuivre ces agissements, sous astreinte de 100 euros par infraction constatée, courant à l'expiration d'un délai de 15 jours suivant la signification du présent arrêt et pendant six mois ;

Condamne M. [D] à verser à la société Tolix une somme de 10 000 € en réparation du préjudice subi du fait de ces actes de concurrence parasitaire,

Déboute la société Tolix de ses autres demandes,

Condamne M. [D] aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés par Maître Boccon Gibod conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

Dit n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile.