Cass. com., 6 décembre 2023, n° 22-11.071
COUR DE CASSATION
Autre
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Société Puma SE, Société Puma France
Défendeur :
Carrefour hypermarchés (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
Mme Bessaud
Avocat général :
Mme Texier
Avocats :
SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, SARL Delvolvé et Trichet
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 novembre 2021), la société Puma SE, venant aux droits de la société de droit allemand Puma AG, spécialisée dans la conception, la confection et la commercialisation d'articles de sport et de vêtements, est titulaire des marques figuratives internationales n° 426 712 et n° 439 162, ainsi que de l'Union européenne n° 12 697 066, constituées d'une bande courbe, dont la base évasée se prolonge en se rétrécissant, servant à distinguer, en classe 25, les vêtements et les chaussures.
2. La société Puma France bénéficie d'une licence d'exploitation sur la marque internationale n° 426 712.
3. Soutenant que la société Carrefour hypermarchés (la société Carrefour), qui exploite en France les magasins à l'enseigne Carrefour, commercialisait une chaussure de tennis reproduisant, sur sa partie latérale, un élément figuratif constituant, selon elles, l'imitation des trois marques figuratives précitées, la société Puma SE et la société Puma France (les sociétés Puma) ont obtenu, sur requête, une ordonnance rendue par le délégataire du président d'un tribunal judiciaire le 25 août 2017, autorisant une saisie-contrefaçon dans les locaux d'un magasin Carrefour.
4. A la suite de ces opérations, effectuées les 1er et 4 septembre 2017, les sociétés Puma ont assigné la société Carrefour pour atteinte aux marques renommées, contrefaçon de marques et concurrence déloyale.
5. La société Carrefour a soulevé la nullité des opérations de saisie-contrefaçon.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, et sur le second moyen
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Et sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. Les sociétés Puma font grief à l'arrêt de dire qu'elles ont engagé leur responsabilité en présentant de manière déloyale leur requête en saisie-contrefaçon, de les condamner in solidum à verser à la société Carrefour la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice subi et d'annuler les procès-verbaux, ainsi que le procès-verbal complémentaire de saisie-contrefaçon des 1er et 4 septembre 2017, alors « que le titulaire d'une marque justifiant de son titre, qui a qualité à agir en contrefaçon et qui présente des éléments de preuve raisonnablement accessibles pour étayer ses allégations selon lequel il a été porté atteinte à son droit de propriété intellectuelle ou qu'une telle atteinte est imminente, est en droit de faire procéder, en vertu d'une ordonnance rendue sur requête par la juridiction civile compétente, à la saisie descriptive ou réelle de "produits ou services prétendument contrefaisants ainsi que de tout document s'y rapportant" ; que les décisions prises dans le cadre d'une procédure d'opposition à l'enregistrement d'une marque nationale ou de l'Union européenne, qui ne lient pas le juge saisi d'une demande en contrefaçon, sont sans effet sur le droit du titulaire de la marque antérieure sur laquelle est fondée l'opposition à agir en contrefaçon et à solliciter une saisie descriptive ou réelle de produits sur lesquels est apposée la marque objet de la procédure d'opposition ainsi que de tous documents s'y rapportant ; que l'absence, dans la requête en saisie-contrefaçon, de référence à ladite marque adverse et à la procédure d'opposition dont elle a fait l'objet ne caractérise pas un manquement à la loyauté de la part du requérant titulaire de la marque antérieure dès lors qu'ont été soumis au juge des requêtes les produits portant le signe prétendument contrefaisant et partant des éléments de preuve étayant l'allégation d'atteinte à son droit de propriété intellectuelle ; qu'en jugeant, au contraire, qu'en ne portant pas à la connaissance du juge des requêtes les "informations dont elles disposaient sur des procédures d'opposition à l'enregistrement de marques mettant en cause les mêmes signes que ceux faisant l'objet du litige en contrefaçon, au terme desquelles il a été décidé, par les instances administratives compétentes, que le signe qu'elles contestaient ne constitue pas l'imitation des marques opposées et ne crée pas, avec ces marques, un risque de confusion", les sociétés Puma n'ont pas mis le juge des requêtes "en situation d'appréhender complètement les enjeux du procès en vue duquel lui était demandée l'autorisation de faire procéder à une saisie-contrefaçon ni de porter une appréciation éclairée sur l'intérêt légitime des requérants à recourir à une telle mesure" et ont ainsi manqué au devoir de loyauté qui préside à l'administration de la preuve en justice et s'impose aux parties au procès", la cour d'appel a violé l'article L. 716-7 du code de la propriété intellectuelle. »
Réponse de la Cour
8. Aux termes de l'article L. 716-7, devenu L. 716-4-7, alinéas 1 et 2, du code de la propriété intellectuelle, la contrefaçon peut être prouvée par tous moyens. A cet effet, toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon est en droit de faire procéder en tout lieu et par tous huissiers, le cas échéant assistés d'experts désignés par le demandeur, en vertu d'une ordonnance rendue sur requête par la juridiction civile compétente, soit à la description détaillée, avec ou sans prélèvement d'échantillons, soit à la saisie réelle des produits ou services prétendus contrefaisants ainsi que de tout document s'y rapportant. L'ordonnance peut autoriser la saisie réelle de tout document se rapportant aux produits et services prétendus contrefaisants en l'absence de ces derniers.
9. La Cour de cassation juge que ces dispositions permettent au titulaire d'un droit de propriété industrielle de bénéficier de cette procédure sans avoir à justifier de circonstances particulières nécessitant d'y recourir de manière non contradictoire, et sont à ce titre considérées comme exorbitantes du droit commun (Com., 22 mars 2023, pourvoi n° 21-21.467), le juge saisi ne pouvant refuser d'accueillir la demande dès lors qu'elle lui a été présentée dans les formes et avec les justifications prévues par la loi (Com., 29 juin 1999, pourvoi n° 97-12.699, Bull. 1999, IV, n° 138).
10. Selon l'article 3 de la directive 2004/48/CE du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, les procédures nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle mises en oeuvre par les Etats membres doivent être loyales et proportionnées.
11. En application de l'article 10 du code civil, les parties ont l'obligation, en vertu du principe de loyauté des débats, de produire et le cas échéant communiquer en temps utiles les éléments en leur possession, en particulier lorsqu'ils sont susceptibles de modifier l'opinion des juges (1re Civ., 7 juin 2005, pourvoi n° 05-60.044, Bull. 2005, I, n° 241).
12. Il en résulte que les dispositions précitées du code de la propriété intellectuelle, lues à la lumière de la directive, exigent du requérant qu'il fasse preuve de loyauté dans l'exposé des faits au soutien de sa requête en saisie-contrefaçon, afin de permettre au juge d'autoriser une mesure proportionnée.
13. L'arrêt relève que les sociétés Puma se sont abstenues, lors de la présentation de leur requête en saisie-contrefaçon, de faire connaître, d'une part, que la société Carrefour était titulaire de marques françaises et de l'Union européenne portant sur le signe figuratif incriminé, d'autre part, qu'elles-mêmes s'étaient opposées à l'enregistrement de ces marques auprès, respectivement, de l'Institut national de la propriété industrielle et de l'Office de l'Union Européenne pour la propriété intellectuelle, sur la base de leurs marques antérieures, invoquées dans le litige mais que ces instances administratives avaient exclu toute imitation des marques de la société Puma et donc tout risque de confusion, antérieurement à la présentation de la requête en saisie-contrefaçon.
14. Il ajoute que si la décision rendue par l'instance administrative, statuant en matière d'opposition à l'enregistrement d'une marque, ne lie pas le juge saisi d'une demande en contrefaçon, les éléments de preuve destinés à être produits dans une procédure judiciaire doivent néanmoins être recueillis dans des conditions exemptes de déloyauté.
15. Il en déduit que la partie qui sollicite l'autorisation de faire pratiquer une saisie-contrefaçon doit présenter, au soutien de sa requête, l'ensemble des faits objectifs de nature à permettre au juge d'appréhender complètement les enjeux du procès en vue duquel lui était demandée cette autorisation et ainsi d'exercer pleinement son pouvoir d'appréciation des circonstances de la cause.
16. En cet état, la cour d'appel a exactement retenu que, les sociétés Puma ayant manqué à leur devoir de loyauté à l'occasion de la présentation de la requête, les procès-verbaux de saisie-contrefaçon devaient être annulés.
17. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les sociétés Puma SE et Puma France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Puma SE et Puma France et les condamne à payer in solidum à la société Carrefour hypermarchés la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du six décembre deux mille vingt-trois.