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Décisions

CC, 18 juin 2021, n° 2021-918 QPC

CONSEIL CONSTITUTIONNEL

Décision

M. Emmanuel R. [Recours contre une ordonnance de refus d'homologation]

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT

CC n° 2021-918 QPC

17 juin 2021

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 9 avril 2021 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 574 du 7 avril 2021), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Emmanuel R. par Me Rosanna Lendom, avocate au barreau de Grasse. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2021-918 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 495-11-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par Me Lendom, enregistrées le 26 avril 2021 ;
- les observations en intervention présentées pour M. Bertrand G. par Me Laurent Pasquet-Marinacce, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 27 avril 2021 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 3 mai 2021 ;
- les observations en intervention présentées pour l'association des avocats pénalistes par la SCP Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le même jour ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Lendom, pour le requérant, Me Pasquet-Marinacce, pour M. Bertrand G., Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour l'association des avocats pénalistes, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 8 juin 2021 ;
Au vu des pièces suivantes :
- la note en délibéré présentée par le Premier ministre, enregistrée le 15 juin 2021 ;
- la note en délibéré présentée pour le requérant par Me Lendom, enregistrée le 16 juin 2021 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L'article 495-11-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi du 23 mars 2019 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Sans préjudice des cas dans lesquels les conditions prévues au premier alinéa de l'article 495-11 ne sont pas remplies, le président peut refuser l'homologation s'il estime que la nature des faits, la personnalité de l'intéressé, la situation de la victime ou les intérêts de la société justifient une audience correctionnelle ordinaire ou lorsque les déclarations de la victime entendue en application de l'article 495-13 apportent un éclairage nouveau sur les conditions dans lesquelles l'infraction a été commise ou sur la personnalité de son auteur ».

2. Le requérant, rejoint par les parties intervenantes, reproche à ces dispositions de ne prévoir aucun recours au fond contre la décision par laquelle, dans le cadre d'une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, le magistrat du siège refuse d'homologuer la peine proposée par le procureur de la République et acceptée par la personne poursuivie qui a reconnu sa culpabilité. Selon le requérant, il en résulterait une méconnaissance des droits de la défense dès lors que, à la suite de ce refus d'homologation, la personne est traduite devant une juridiction de jugement qui serait nécessairement informée de ce qu'elle a reconnu sa culpabilité. Selon les intervenants, il en résulterait également une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif. Il en résulterait enfin, selon l'un des intervenants, une méconnaissance du principe d'égalité devant la loi puisque, dans le cas où le magistrat du siège homologue la peine proposée par le procureur de la République et acceptée par le prévenu, ce dernier peut, en revanche, interjeter appel de cette ordonnance d'homologation.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « le président peut refuser l'homologation » figurant à l'article 495-11-1 du code de procédure pénale.
4. Aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Sont garantis par cette disposition le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif ainsi que le respect des droits de la défense.
5. En application de l'article 495-7 du code de procédure pénale, lorsqu'une personne poursuivie pour certains délits reconnaît les faits qui lui sont reprochés, le procureur de la République peut, d'office ou à la demande de l'intéressée, recourir à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Si la personne accepte la peine que le procureur de la République lui propose d'exécuter, le président du tribunal judiciaire, ou le juge délégué par lui, est saisi d'une requête en homologation de cette peine. Lorsque ce dernier décide d'homologuer cette peine, l'ordonnance d'homologation a les effets d'un jugement de condamnation et la personne condamnée peut en interjeter appel.
6. Les dispositions de l'article 495-11-1 du code de procédure pénale prévoient que le président du tribunal judiciaire, ou le juge délégué par lui, peut refuser l'homologation s'il estime que la nature des faits, la personnalité de l'intéressé, la situation de la victime ou les intérêts de la société justifient une audience correctionnelle ordinaire ou lorsque les déclarations de la victime apportent un éclairage nouveau sur les conditions dans lesquelles l'infraction a été commise ou sur la personnalité de son auteur. Dans ce cas, en dehors du pourvoi ouvert par une jurisprudence constante de la Cour de Cassation si l'examen de l'ordonnance de refus d'homologation fait apparaître un risque d'excès de pouvoir, ni les dispositions contestées de l'article 495-11-1 du code de procédure pénale ni aucune autre disposition législative ne prévoient un recours contre cette ordonnance.
7. En premier lieu, la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité est une procédure particulière de jugement de certains délits qui peut être librement mise en œuvre par le procureur de la République dès lors que la personne poursuivie a reconnu les faits. Ainsi, la personne poursuivie ne dispose pas d'un droit à être jugée selon cette procédure alors même qu'elle a reconnu les faits qui lui sont reprochés. Elle ne dispose pas davantage, lorsque le procureur de la République a décidé de recourir à cette procédure et qu'elle a accepté la peine qu'il lui a proposée, d'un droit à son homologation par le président du tribunal judiciaire. Par ailleurs, il résulte de l'article 495-12 du code de procédure pénale que l'ordonnance de refus d'homologation a pour seul effet que, sauf élément nouveau, le procureur de la République saisit, dans les conditions de droit commun, le tribunal correctionnel ou requiert l'ouverture une information judiciaire.
8. Dès lors, l'absence de voie de recours permettant de remettre en cause la décision de refus d'homologation ne méconnaît pas le droit à un recours juridictionnel effectif.
9. En second lieu, lorsque, à l'issue de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, le président du tribunal judiciaire, ou le juge délégué par lui, n'a pas homologué la proposition de peine, le deuxième alinéa de l'article 495-14 du code de procédure pénale prévoit que le procès-verbal de la procédure ne peut être transmis à la juridiction d'instruction ou de jugement et que ni le ministère public ni les parties ne peuvent faire état devant cette juridiction des déclarations faites ou des documents remis au cours de la procédure. Dès lors, les dispositions contestées ne portent pas atteinte au respect des droits de la défense.
10. Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus le principe d'égalité devant la loi ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Les mots « le président peut refuser l'homologation » figurant à l'article 495-11-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, sont conformes à la Constitution.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.