Cass. 1re civ., 6 décembre 2023, n° 22-19.372
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Champalaune
Rapporteur :
Mme de Cabarrus
Avocat général :
M. Aparisi
Avocat :
SCP Foussard et Froger
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 31 mai 2022), M. [T] et M. [O], avocats associés de la société civile professionnelle [O]-[T], ont constitué la société civile immobilière 2ADI (la SCI), ayant pour objet l'acquisition et l'entretien d'un immeuble dont le siège est situé à [Localité 3], afin de disposer d'un local professionnel pour exercer leur activité d'avocats.
2. Les deux associés se sont séparés et, le 18 janvier 2016, ils ont signé, sous l'égide du bâtonnier, un accord réglant les difficultés de la séparation des deux avocats et celles ayant trait à la vie sociale de la SCI et à l'immeuble dont elle est propriétaire. Ce protocole prévoyait notamment que « Tous différends relatifs à l'interprétation et/ou à l'exécution des présentes seront soumis au bâtonnier du barreau de Bordeaux conformément aux dispositions des articles 179-1 et suivants du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991. »
3. Par requête du 20 octobre 2021, après l'échec d'une tentative de conciliation, M. [T] a demandé au bâtonnier la dissolution de la SCI sur le fondement de l'article 1844-7, 5°, du code civil.
4. Le 6 décembre 2021, le bâtonnier s'est déclaré compétent pour statuer sur la requête. Un recours a été formé par M. [O]
Examen des moyens
Sur le troisième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. M. [T] fait grief à l'arrêt de juger que le bâtonnier est incompétent pour statuer sur sa demande de dissolution de la SCI et de le renvoyer à se pourvoir devant le tribunal judiciaire de Bordeaux, alors « que si l'article 1844-7, 5°, du code civil décide que la société prend fin "par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d'un associé pour juste motifs, notamment en cas d'inexécution de ses obligations par un associé, ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société", ce texte se borne à subordonner la dissolution anticipée à l'intervention d'une décision émanant d'une instance juridictionnelle et revêtue de l'autorité de chose jugée ; qu'il n'édicte aucune règle de compétence destinée à identifier celle des différentes autorités qui, dotées de pouvoirs juridictionnels, serait apte à se prononcer sur la dissolution anticipée de la société ; qu'en se fondant néanmoins sur ce texte pour juger que le bâtonnier ne pouvait connaître d'une demande de dissolution, ni sur le fondement des articles 179-1 et suivants du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, ni même sur celui de la clause compromissoire insérée au protocole d'accord du 18 janvier 2016, la cour d'appel a violé l'article 1844-7, 5°, du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1844-7, 5°, et 2061, dans sa rédaction issue de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, du code civil et l'article 21, alinéas 3 et 4, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011 :
6. Selon le premier de ces textes, la société prend fin par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d'un associé pour justes motifs, notamment en cas d'inexécution de ses obligations par un associé, ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société.
7. Selon le deuxième de ces textes, tout différend entre avocats à l'occasion de leur exercice professionnel est, en l'absence de conciliation, soumis à l'arbitrage du bâtonnier, qui exerce alors un pouvoir juridictionnel en rendant une décision qui peut être déférée à la cour d'appel par l'une des parties.
8. Aux termes du troisième, sous réserve des dispositions législatives particulières, la clause compromissoire est valable dans les contrats conclus à raison d'une activité professionnelle.
9. Il s'en déduit que l'article 1844-7, 5°, du code civil n'exclut la compétence du bâtonnier pour prononcer la dissolution d'une société civile ni sur le fondement de l'article 21 de la loi du 31 mai 1971 ni sur le fondement d'une clause compromissoire répondant aux conditions de l'article 2061 du code civil et ne comportant aucune renonciation ou restriction au droit de demander la dissolution de la société.
10. Pour juger que le bâtonnier est incompétent pour statuer sur la demande de dissolution de la SCI et renvoyer M. [T] à se pourvoir devant le tribunal judiciaire de Bordeaux, l'arrêt retient que l'article 1844-7, 5°, du code civil attribue compétence exclusive au juge pour statuer sur une demande de dissolution de société civile qui ne peut ainsi être soumise à l'arbitrage du bâtonnier, que ce soit dans le cadre d'un différend entre avocats, en application des dispositions des articles 179-1 et suivants du décret du 22 novembre 1991, ou par l'effet d'une clause compromissoire que l'article 2061 du code civil, dans sa version applicable au litige, antérieure à la loi du 18 novembre 2016, ne valide dans les contrats conclus à raison d'une activité professionnelle, que sous réserves des dispositions législatives particulières.
11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
12. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
13. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
14. La SCI ayant été créée par M. [T] et M. [O] pour acquérir et entretenir un immeuble afin de disposer d'un local professionnel pour exercer leur activité d'avocat, le désaccord qui les oppose au sujet de cette société constitue un différend survenu à l'occasion de leur exercice professionnel au sens de l'article 21 de la loi du 31 mai 1971, dont le protocole conclu entre les parties ne fait que reprendre les termes. Par conséquent, le bâtonnier est compétent pour statuer sur la demande de dissolution de la SCI formée par M. [T].
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 31 mai 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi.