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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 28 mars 2012, n° 10/14710

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

PHARMACIE SHLEIFER (SELARL), PHARMACIE SAMBRE ET MEUSE (SELAS)

Défendeur :

Société FAMILIALE D'INVESTISSEMENT PATRIMOINE

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme BARTHOLIN

Conseillers :

Mme REGHI, Mme BLUM

Avocats :

Me PEYTAVI, Me MARCHI, SCP FISSELIER & ASSOCIES, Me RAPAPORT

TGI Paris, du 6 juill. 2010

6 juillet 2010

La s.e.l.a.r.l. Pharmacie Shleifer est locataire à titre commercial de locaux situés [...] à destination d'officine de pharmacie. Le bail a été renouvelé pour une durée de neuf années à compter du 1er janvier 2003 par acte du 31 janvier 2005 renvoyant, comme l'avenant postérieur du 8 juillet 2008, au contrat de bail initial.
Le 23 février 2010, la s.e.l.a.r.l. Pharmacie Shleifer a assigné à jour fixe la société Familiale d'investissement patrimoine "s.c.i. Fip", sa bailleresse, pour voir déclarer abusive et mal fondée son opposition à la cession du fonds au bénéfice de la s.e.l.a.s. Pharmacie Sambre et Meuse, la voir déboutée de toute demande de résiliation et condamnée au paiement de diverses sommes. La s.e.l.a.s. Pharmacie Sambre et Meuse est intervenue volontairement à cette instance. Par jugement rendu le 6 juillet 2010, le tribunal de grande instance de Paris a :

- déclaré bien fondée l'opposition de la société Familiale d'investissement patrimoine "s.c.i. Fip" à la cession de fonds de commerce intervenue entre la s.e.l.a.r.l. Pharmacie Shleifer et la s.e.l.a.s. Pharmacie Sambre et Meuse, - déclaré la cession intervenue entre la s.e.l.a.r.l. Pharmacie Shleifer et la s.e.l.a.s. Pharmacie Sambre et Meuse le 10 décembre 2009 inopposable à la s.c.i. Fip,

- prononcé la résiliation du bail liant la s.c.i. Fip à la s.e.l.a.r.l. Pharmacie Shleifer,

- ordonné en conséquence l'expulsion de la s.e.l.a.r.l. Pharmacie Shleifer et la s.e.l.a.s. Pharmacie Sambre et Meuse et celle de tous occupants de leur chef, - ordonné la séquestration des meubles et objets mobiliers se trouvant dans les lieux dans tel garde-meubles qu'il plaira au bailleur de choisir et ce aux frais, risques et périls de la s.e.l.a.r.l. Pharmacie Shleifer et la s.e.l.a.s. Pharmacie Sambre et Meuse selon les modalités prévues aux articles 65 et 66 de la loi du 9 juillet 1991 ,

- fixé l'indemnité d'occupation due par

la s.e.l.a.r.l. Pharmacie Shleifer et la s.e.l.a.s. Pharmacie Sambre et Meuse au montant du loyer contractuel et des charges et les a condamnées à payer ces sommes jusqu'à restitution des lieux,

- dit n'y avoir lieu à application de l' article 700 du code de procédure civile ,

- condamné la s.e.l.a.r.l. Pharmacie Shleifer et la s.e.l.a.s. Pharmacie Sambre et Meuse aux entiers dépens. La s.e.l.a.r.l. Pharmacie Shleifer et la s.e.l.a.s. Pharmacie Sambre et Meuse ont relevé appel de cette décision le 16 juillet 2010 . Par leurs dernières conclusions du 10 novembre 2010, elles demandent à la cour d'infirmer le jugement et de :

- constater que la cession sous condition suspensive intervenue entre les sociétés Pharmacie Shleifer et Pharmacie Sambre et Meuse le 10 décembre 2009 a été interrompue avant sa réalisation fixée au 1er février 2010 et déclarer cette cession non avenue,

- en tout état de cause au cas où la cession serait déclarée parfaite, la déclarer inopposable à la s.c.i. Fip,

- constater que du fait de cette inopposabilité la Pharmacie Shleifer est restée titulaire du droit au bail qui lui a été consenti par la s.c.i. Fip, - constater qu'elle avait donc la possibilité de procéder à une nouvelle cession,

- en conséquence, déclarer régulière la cession sous condition suspensive intervenue entre les parties le 5 février 2010 et réalisée à la date du 16 mars 2010, - la déclarer opposable à la s.c.i. Fip,

- subsidiairement, dire que l'erreur commise dans la rédaction de l'acte de cession du 10 décembre 2009 n'est pas d'une gravité suffisante pour entraîner la résiliation du bail eu égard au comportement de mauvaise foi du bailleur qui n'a subi aucun préjudice,

- condamner la s.c.i. Fip au paiement d'une somme de 10.000 € au titre de l' article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

La société Familiale d'investissement patrimoine "s.c.i. Fip" (la s.c.i. Fip), par ses dernières conclusions du 18 février 2011, demande à la cour de :

- confirmer le jugement dans toutes ses dispositions,
- condamner conjointement et solidairement la société Pharmacie Shleifer et la société Pharmacie Sambre et Meuse à lui verser la somme de 3 000 € au titre de l' article 700 du code de procédure civile et les condamner aux dépens.

SUR CE, Considérant qu'il est constant :
- que le contrat de bail prévoit que "Toute cession ou apport à une société, même sous condition suspensive, devra être faite obligatoirement et de convention expresse par acte sous signatures privées, à peine d'inopposabilité envers le bailleur et de résiliation immédiate du présent bail et contenir engagement direct du cessionnaire envers le bailleur, en présence de celui-ci dûment appelé..." ;

- que par acte du 10 décembre 2009 auquel la bailleresse n'a pas été appelée, la s.e.l.a.r.l. Pharmacie Shleifer, locataire, a cédé son fonds de commerce d'officine de pharmacie à la s.e.l.a.s. Pharmacie Sambre et Meuse sous condition suspensive de l'enregistrement par l'autorité préfectorale de la déclaration d'exploitation du cessionnaire ; - que par arrêté du 14 janvier 2010 , la préfecture de Paris a enregistré la déclaration d'exploitation de Mme Shleifer en tant qu'unique titulaire, au sein de la société Pharmacie Sambre et Meuse, de l'officine de pharmacie à compter du 1er février 2010 ; - que par extrajudiciaire du 12 janvier 2010, la s.e.l.a.s. Pharmacie Sambre et Meuse a notifié à la s.c.i. Fip l'acte de cession sous condition suspensive du 10 décembre 2009 auquel elle n'avait pas été appelée ; - que par arrêté du 29 janvier 2010 , la préfecture a abrogé son arrêté du 14 janvier 2010 , à la demande du conseil de Mme Shleifer, au motif que les clauses du bail n'ont pas été

appliquées ;

- que par lettre recommandée avec avis de réception du 28 janvier 2010, le conseil de la s.e.l.a.r.l. Pharmacie Shleifer a invité la s.c.i. Fip à la signature, le 5 février suivant, de l'acte de cession du fonds au profit de la s.e.l.a.s. Pharmacie Sambre et Meuse ;

- que le 5 février 2010, la s.e.l.a.r.l. Pharmacie Shleifer et la s.e.l.a.s. Pharmacie Sambre et Meuse ont signé entre elles un nouvel acte de cession du fonds sous condition suspensive ; - que par lettre recommandée avec avis de réception du 16 février 2010, le conseil de la s.e.l.a.r.l. Pharmacie Shleifer en a avisé la s.c.i. Fip qui a été invitée à la signature d'un acte dit de réalisation de la cession du fonds devant intervenir le 23 février suivant - que le 23 février 2010, la s.e.l.a.r.l. Pharmacie Shleifer et la s.e.l.a.s. Pharmacie Sambre et Meuse ont signé entre elles l'acte dit de constatation de la réalisation de la condition suspensive ;

Considérant que les sociétés Pharmacie Shleifer et Pharmacie Sambre et Meuse estiment que c'est à tort que le tribunal a considéré que la vente du 10 décembre 2009 était parfaite dès le 14 janvier 2010 et que les parties ne pouvaient annuler l'acte sous seing privé du 10 décembre 2009 ; qu'elles soutiennent que l' article L 5125-17 du code de la santé publique dispose que le pharmacien doit être propriétaire de l'officine dont il est titulaire, que l'arrêté enregistrant la déclaration présentée par le cessionnaire n'a pris effet qu'à la date effective de la cession définitive et que la vente ne pouvait être parfaite qu'à compter du transfert de propriété prévu le 1er février 2010, le transfert de propriété n'étant pas rétroactif ; qu'en conséquence les parties ont pu interrompre le processus de réalisation de la cession qui est devenue non avenue et l'autorité préfectorale a pu valablement abroger l' arrêté du 14 janvier 2010 ;

Qu'elles soutiennent encore qu'à supposer la vente parfaite, cette vente est, du fait du non-respect des formalités imposées à la clause de cession, inopposable au bailleur et la Pharmacie Shleifer, restée locataire du bailleur, pouvait procéder à une nouvelle cession ce qu'elle a fait dans le respect des dispositions contractuelles, qu'il n'y a pas eu régularisation d'une cession irrégulière mais nouvelle cession entre les mêmes parties à la suite de l'annulation d'une première cession non menée à son terme ; qu'elles ajoutent que le bailleur n'avait aucune possibilité de s'opposer à la cession du fonds de commerce et que l'irrégularité tenant à ne pas avoir appelé le bailleur à l'acte ne constitue pas une infraction suffisamment grave pour entraîner la résiliation du bail ce d'autant que le bailleur est de mauvaise foi ;

Considérant que la s.c.i. Fip réplique que le non-respect de la clause du bail prévoyant l'obligation d'appeler le propriétaire à l'acte de cession selon une clause usuelle en matière de bail commercial, constitue une infraction grave aux clauses et conditions du bail et qu'il est de principe de sanctionner cette infraction par la résiliation sur le fondement de l' article 1184 du code civil , qu'au surplus la sanction particulière de la résiliation immédiate est prévue par le contrat de bail , que la cession était parfaite au 14 janvier 2010 et l'infraction, irréversible, cristallisée le 12 janvier 2010 à la date de la notification au bailleur, que la clause litigieuse a pour but de permettre au propriétaire de rentrer en contact avec un nouveau locataire qu'il n'a pas choisi et de s'y opposer éventuellement pour des motifs légitimes, qu'admettre qu'il ne s'agit que d'une clause de style insuffisamment grave pour entraîner la résiliation du bail serait admettre qu'il n'est jamais nécessaire de la respecter ;

Considérant, cela étant posé, qu'au vu des dispositions du contrat passé entre elles le 10 décembre 2009, les appelantes ne peuvent en l'espèce soutenir que la date de la formation de cession du fonds est celle du transfert de propriété qu'elle opère ; que la condition posée à la cession convenue le 10 décembre 2009 était accomplie le 14 janvier 2010, date de l'arrêté préfectoral d'enregistrement de la déclaration d'exploitation et la vente parfaite à cette date, peu important le fait que les parties aient entendu, pour des raisons tenant selon elles aux dispositions spécifiques régissant la cession des officines de pharmacies, retarder le transfert de propriété au jour fixé pour l'entrée en jouissance par l' arrêté préfectoral du 14 janvier 2010 soit le 1er février 2010 ;

Considérant que la vente étant parfaite, la s.e.l.a.r.l. Pharmacie Shleifer et la s.e.l.a.s. Pharmacie Sambre et Meuse n'ont pu, par des actes postérieurs, interrompre un "processus de réalisation de la cession" d'ores et déjà achevé le 14 janvier 2010 ; que l'abrogation, après la formation du contrat, à la demande de la société cessionnaire, de l' arrêté préfectoral du 14 janvier 2010 est sans incidence à cet égard ;

Mais considérant que si l'infraction aux dispositions contractuelles est caractérisée, la société bailleresse n'ayant pas été appelée à l' acte du 10 décembre 2009 , il demeure que la s.c.i. Fip n'a pas entendu mettre en oeuvre la clause résolutoire du contrat de bail laissant ainsi la sanction de la résiliation à l'appréciation du juge au regard de la gravité de la faute commise ;

Considérant que l'acte de cession du 10 décembre 2009, non conforme aux stipulations du bail , étant inopposable au bailleur, la s.e.l.a.r.l. Pharmacie Shleifer et la s.e.l.a.s. Pharmacie Sambre et Meuse ont pu signer entre elles le 5 février 2010 un nouvel acte de cession de fonds de commerce sous une nouvelle condition suspensive avec une date de prise de possession reportée au 20 février 2010, en respectant cette fois-ci les clauses du bail ; que c'est à tort que les premiers juges ont analysé le comportement des appelantes comme traduisant une volonté malicieuse alors qu'il ne reflète que leur réelle volonté de réparer au plus vite l'erreur précédemment commise et de restaurer le bailleur dans la plénitude de ses droits ; que l'infraction initialement commise n'a pas de ce fait la gravité suffisante pour entraîner la résiliation du bail ;

Considérant que le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu'il a prononcé la résiliation du bail avec toutes ses conséquences et la s.c.i. Fip déboutée de sa demande de résiliation du bail ; Considérant que la s.c.i. Fip qui succombe supportera les entiers dépens ; que vu l' article 700 du code de procédure civile , les demandes à ce titre seront rejetées ;

PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement sauf en ce qu'il a déclaré la cession intervenue entre la s.e.l.a.r.l. Pharmacie Shleifer et la s.e.l.a.s. Pharmacie Sambre et Meuse le 10 décembre 2009 inopposable à la s.c.i. Fip ;

Statuant à nouveau,

Déboute la s.c.i. Fip de sa demande de résiliation du bail ; Déboute les parties de leurs demandes au titre de l' article 700 du code de procédure civile ;
Rejette toute autre demande ;
Condamne la s.c.i. Fip aux dépens de première instance et d'appel ceux-ci pouvant être recouvrés conformément à l' article 699 du code de procédure civile .