Cass. 3e civ., 7 décembre 2023, n° 22-18.665
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Teiller
Rapporteur :
Mme Djikpa
Avocat général :
M. Brun
Avocats :
SCP Alain Bénabent, SCP Piwnica et Molinié
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 19 mai 2022), une résidence comportant une centaine de maisons d'habitation, dénommée « [Adresse 6] », a été édifiée en 1958 autour du château de Castellaras et de ses dépendances. En 1964, un nouvel ensemble d'habitations a été créé, constituant « [Adresse 5] ».
2. La société civile immobilière Le Château de Castellaras (la SCI), constituée en 1959 pour une durée de soixante ans, est propriétaire du château et de ses dépendances.
3. M. [L] détient environ 30 % des 459 parts sociales de la SCI, dont 123 parts ayant appartenu à la société Compton Trading International Ltd, acquises en cours d'instance. Les autres parts appartiennent pour l'essentiel à la société Castellaras perennial qui réunit les copropriétaires du domaine de [Adresse 6], et à des copropriétaires de [Adresse 5].
4. Une assemblée générale des associés s'est réunie le 28 juillet 2016, lors de laquelle la résolution proposant la prorogation pour quatre-vingt-dix-neuf ans de la SCI a été rejetée.
5. La société Castellaras perennial, MM. [G], [O], [R], [S] et [X], M. et Mme [T], Mme [W], ainsi que l'association Castellaras charges particulières, tous associés de la SCI, ont assigné M. [L] et la société Compton Trading International Ltd, afin que soit constaté un abus de minorité de leur part et que soit désigné un mandataire ad hoc pour voter en leur lieu et place lors de toute nouvelle assemblée générale convoquée pour proroger le terme de la société.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. M. [L] fait grief à l'arrêt de retenir que son refus et celui de la société Compton Trading International Ltd, lors de l'assemblée générale du 28 juillet 2016, de proroger le terme de la société, constitue un abus de minorité, alors :
« 1°/ que nul ne peut exiger le renouvellement d'un contrat à durée déterminée de sorte que le refus de proroger un contrat arrivé à son terme ne saurait être abusif ; que cette règle générale du droit des contrats s'applique au contrat de société ; qu'en appliquant les critères traditionnels de l'abus de minorité sans prendre en compte la spécificité de la délibération soumise à l'assemblée qui portait sur le renouvellement du contrat de société, pour en déduire qu'en l'espèce le vote contre la prorogation de la société constituait un abus de minorité, la cour d'appel a violé les articles 1103 et 1844-7 du code civil ;
2°/ que, subsidiairement, l'abus de minorité suppose que soit caractérisée une attitude qui, tout à la fois, est contraire à l'intérêt général de la société, en ce qu'elle interdit la réalisation d'une opération essentielle pour celle-ci, et est motivée, de la part du minoritaire, par l'unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment des autres associés ; qu'en retenant pour caractériser la seconde condition que « le choix de M. [L] n'est pas motivé par la nécessité de mettre fin à une société affectée de dysfonctionnements, mais uniquement par un intérêt spéculatif fondé sur la dissolution escomptée de la société », alors que ce choix ne créait aucune rupture d'égalité entre les associés, au détriment des autres associés de la SCI le Château de Castellaras, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1833 et 1240 du code civil ;
3°/ que, subsidiairement, l'abus de minorité suppose que soit caractérisée une attitude qui, tout à la fois, est contraire à l'intérêt général de la société, en ce qu'elle empêche la réalisation d'une opération essentielle pour celle-ci, et est motivée, de la part du minoritaire, par l'unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment des autres associés ; qu'en jugeant que M. [L] et la société Compton Trading International Ltd avaient commis un abus de minorité, sans démontrer en quoi la société Compton Trading International Ltd, seul associé à posséder la minorité de blocage, avait agi dans l'unique dessein de favoriser ses intérêts personnels au détriment de ceux des autres associés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1833 et 1240 du code civil ;
4°/ que subsidiairement, l'abus de minorité suppose que le minoritaire ait agi contre l'intérêt général de la société en empêchant la réalisation d'une opération essentielle pour celle-ci ; que le fait de proroger une société dont l'activité est structurellement déficitaire conduit à obérer son patrimoine et constitue une opération qui loin d'être essentielle est contraire à son intérêt général ; qu'en retenant que le refus de M. [L] de voter une telle prorogation était contraire à l'intérêt général de la société au motif que « compte tenu de l'objet et de la spécificité de la SCI Le Château Castellaras, soit la mise à disposition des lieux en priorité aux associés, il est de son intérêt général que son terme soit prorogé », la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1833 et 1240 du code civil ;
5°/ qu'en tout état de cause, l'abus de minorité suppose que le minoritaire ait agi contre l'intérêt général de la société en empêchant la réalisation d'une opération essentielle pour celle-ci ; que l'opération n'est pas essentielle à partir du moment où d'autres alternatives, moins contraignantes pour les minoritaires, permettent d'assurer la pérennité de la société ; que l'exposante faisait valoir dans ses écritures que son opposition à la prorogation ne tenait pas tant au principe de la prorogation qu'à la durée de 99 ans qui avait été retenue et qu'il était tout à fait possible de « sauver » la société tout en prévoyant une durée de prorogation plus courte ; qu'en retenant néanmoins que M. [L] et la société Compton Trading International avaient commis un abus de minorité en votant contre cette décision consistant à proroger la société SCI château de Castellaras pour une durée de 99 ans, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1833 et 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
7. En premier lieu, la cour d'appel a exactement retenu que le refus de prorogation du terme de la société était susceptible de constituer un abus de minorité, lorsque le vote de l'associé minoritaire était contraire à l'intérêt général de la société et avait pour unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de ceux de l'ensemble des autres associés.
8. En deuxième lieu, par motifs propres et adoptés, elle a caractérisé la rupture dans la recherche de l'intérêt commun, en retenant que M. [L], qui depuis des années refusait de payer sa quote-part de charges, avait cherché à obtenir par son vote ce à quoi il n'était pas parvenu en plusieurs années de conflit judiciaire, à savoir une gestion plus profitable financièrement à laquelle s'opposaient les autres associés, et que, loin d'exercer son droit de retrait, il avait au contraire acquis des parts sociales, ce dont elle a souverainement déduit que son choix était motivé uniquement par un intérêt spéculatif fondé sur la dissolution escomptée de la société.
9. En troisième lieu, la cour d'appel a retenu l'existence de liens étroits entre M. [L] et la société Compton Trading International Ltd, après avoir relevé que lorsqu'avait été prononcée sa faillite personnelle en 2005, il lui avait cédé 123 parts à faible prix, avant de les racheter au même prix en 2018, en cours de procédure, ce dont elle a souverainement déduit que M. [L] avait été suivi dans son vote contre la prorogation de la SCI par la société Compton Trading International Ltd, dans l'unique dessein de favoriser ses intérêts personnels au détriment de ceux des autres associés, faisant ressortir la communauté d'intérêt entre l'un et l'autre.
10. En outre, après avoir rappelé que la SCI avait été créée afin que ses associés profitent de façon préférentielle et protégée du site exceptionnel que constituent le château et ses dépendances, non en vue de dégager des bénéfices, et que, d'ailleurs, des appels de fonds prévus aux statuts étaient adressés tous les ans aux associés afin de couvrir les frais d'entretien, la cour d'appel a pu retenir que, compte tenu de sa spécificité et de son objet tenant à la mise à disposition des lieux en priorité aux associés, il était de son intérêt général que son terme soit prorogé.
11. Enfin, ayant retenu que M. [L] avait refusé la prorogation, dans le but d'obtenir la dissolution de la société et de percevoir un boni de liquidation, elle a nécessairement écarté l'argumentation selon laquelle il aurait pu admettre une durée de prorogation plus courte que celle de quatre-vingt-dix-neuf ans.
12. La cour d'appel a ainsi légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.