ADLC, 11 décembre 2023, n° 23-D-12
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des thés de luxe*
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré à la suite de l’instruction de Mme Sarah Cassan et Mme Carlotta Frascoli, rapporteures, sur le rapport oral de Mme Carlotta Frascoli, rapporteure, et l’intervention de Mme Gwenaëlle Nouët, rapporteure générale adjointe, par Mme Fabienne Siredey-Garnier, vice-présidente, présidente de séance, Mme Béatrice Bourgeois-Machureaux, Mme Valérie Bros, Mme Julie Burguburu et M. Jean-Yves Mano, membres.
L’Autorité de la concurrence (section II),
Vu la décision n° 19-SO-22 du 29 octobre 2019 enregistrée sous le numéro 19/0069 F, par laquelle l’Autorité de la concurrence s’est saisie d’office de pratiques mises en oeuvre dans le secteur des thés de luxe ;
Vu le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, et notamment son article 101 ;
Vu le livre IV du code de commerce, et notamment son article L. 420-1 ;
Vu le courrier du 17 janvier 2023 par lequel le rapporteur général a informé les parties que l’affaire serait examinée par l’Autorité de la concurrence sans établissement préalable de rapport ;
Vu la lettre du 6 mars 2023 par laquelle le conseil des sociétés Mariage Frères SAS et Mariage Frères International SAS a saisi le conseiller auditeur ;
Vu l’avis du 21 mars 2023 rendu par le conseiller auditeur ;
Vu les observations présentées par les sociétés Mariage Frères SAS et Mariage Frères International SAS et le commissaire du Gouvernement ;
Vu la note en délibéré des sociétés Mariage Frères SAS et Mariage Frères International SAS du 26 juin 2023 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Mariage Frères SAS et Mariage Frères International SAS entendus lors de la séance de l’Autorité de la concurrence du 19 juin 2023 ;
Adopte la décision suivante :
Résumé1
Aux termes de la présente décision, l’Autorité de la concurrence (ci-après « l’Autorité ») sanctionne le groupe Mariage Frères pour des pratiques d’entente dans le secteur des thés de luxe.
À partir de juillet 2008, la société Mariage Frères International SAS, qui gère l’activité de vente en gros du groupe, a interdit à ses distributeurs, d’une part, de vendre en ligne les produits Mariage Frères, et, d’autre part, de revendre ces produits à d’autres distributeurs. Ces interdictions figuraient dans les conditions générales de vente applicables au réseau de distribution de Mariage Frères. Elles ont conduit à restreindre la concurrence dans un secteur déjà concentré et caractérisé par un fort développement de la vente en ligne. Les pratiques ont persisté au moins jusqu’au 24 janvier 2023, date de l’envoi d’une notification de griefs au groupe Mariage Frères.
En conséquence, l’Autorité a infligé conjointement et solidairement une sanction pécuniaire de 4 millions d’euros à Mariage Frères International SAS ainsi qu’à sa société mère, Mariage Frères SAS.
I. Constatations
1. Seront successivement présentés la procédure (A), le secteur d’activité (B), les entreprises concernées (C) et les pratiques relevées (D).
A. LA PROCEDURE
2. Le 14 juin 2019, la directrice générale de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (ci-après, « DGCCRF ») a transmis à l’Autorité de la concurrence (ci-après, « l’Autorité »), en application de l’article D. 450-3 du code de commerce, un rapport administratif d’enquête du 16 mai 2019 (ci-après, le « RAE »), réalisé par la Brigade Interrégionale d’Enquête de Concurrence de Nantes, relatif à la situation de la concurrence dans le secteur des thés de luxe2.
3. Par une décision n° 19-SO-22 du 29 octobre 2019, enregistrée sous le numéro 19/0069 F, l’Autorité s’est saisie d’office de pratiques mises en oeuvre dans le secteur des thés de luxe3.
4. Le 17 janvier 2023, le rapporteur général de l’Autorité a informé les parties et le commissaire du Gouvernement de sa décision de faire examiner l’affaire par l’Autorité sans établissement préalable d’un rapport, en application de l’article L. 463-3 du code de commerce4.
5. Le 24 janvier 2023, le rapporteur général de l’Autorité a adressé aux sociétés Mariage Frères SAS et Mariage Frères International SAS une notification de griefs portant sur des pratiques prohibées au titre de l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après, « TFUE ») et de l’article L. 420-1 du code de commerce.
B. LE SECTEUR D’ACTIVITE
6. Dans sa décision n° 20-D-20 du 3 décembre 2020 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des thés haut de gamme5, l’Autorité a distingué deux catégories de thés : le thé « standard », vendu essentiellement en grandes et moyennes surfaces, et le thé « haut de gamme », vendu principalement en magasins spécialisés ou en épiceries.
7. Les produits de thé haut de gamme se différencient par la qualité des feuilles de thé utilisées, la diversité des variétés proposées et leurs techniques d’aromatisation, ainsi que l’ont indiqué aux services d’instruction les distributeurs des produits Mariage Frères interrogés6.
8. En France, les principaux producteurs de thés « haut de gamme » (tels que Mariage Frères, Kusmi Tea, le Palais des thés, Dammann Frères) sont également présents sur le marché de la distribution, soit par le biais de boutiques au nom de l’enseigne, soit via leurs sites de vente en ligne. Dans certains cas, les produits sont également commercialisés dans les grandes surfaces alimentaires, les grands magasins, ou encore les places de marché en ligne.
9. Les ventes en ligne occupent une place croissante dans le chiffre d’affaires du secteur. Ce phénomène s’est accentué en 2021 lors de la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-197. Ainsi, entre 2013 et 2021, la part relative des ventes réalisées en ligne par Mariage Frères (pour l’essentiel, via son site ou via la marketplace [place de marché] Amazon) a plus que triplé8.
C. LES ENTREPRISES CONCERNEES
1. LE GROUPE MARIAGE FRERES
10. Le groupe Mariage Frères (ci-après, « Mariage Frères ») a pour principales activités la production et la distribution de thés haut de gamme. Il a réalisé un chiffre d’affaires mondial consolidé de [50-70] millions d’euros en 2021, dont environ [20-40] millions d’euros hors de France9.
11. De 2003 à mars 2018, la société holding Mariage Frères détenait 100 % du capital des entités :
− Mariage Frères International (qui gérait l’activité de vente en gros) ;
− Maisons de Thé Mariage Frères (qui gérait l'activité de vente au détail, y compris la vente en ligne)10.
12. Le 31 mars 2018, le groupe a été restructuré : la société Maisons de Thé Mariage Frères a été scindée en plusieurs entités et a changé de nom11. La société holding Mariage Frères SAS détient depuis lors 100 % du capital des entités :
− Mariage Frères International (qui gère toujours l’activité de vente en gros)12 ;
− French Tea Emporium Mariage Frères (qui gère l’activité de vente au détail dans les magasins physiques n’assurant pas une activité de restauration)13 ;
− Salons de thé Mariage Frères (qui gère l’activité de cinq fonds de commerce de restauration et la vente au détail qui s’y effectue)14 ;
− Mariage Frères Vente à distance (qui gère l’activité de vente au détail à distance, notamment la vente en ligne)15 ; et
− Mariage Frères Dix (qui gère les fonctions support du groupe telles que la comptabilité, les ressources humaines, le service informatique).
2. L’ORGANISATION DU RESEAU DE DISTRIBUTION DE MARIAGE FRERES
13. Mariage Frères distribue ses produits aux consommateurs finaux via son réseau détenu en propre et via son réseau de distributeurs.
14. S’agissant de son réseau en propre, Mariage Frères disposait au 26 août 2022, outre son site internet, de 43 points de vente au détail dans le monde, dont 22 situés en France16. Selon Mariage Frères, la politique du groupe est essentiellement tournée vers le développement de ce canal de vente. Le directeur général du groupe déclarait ainsi lors de son audition par les services de la DGCCRF en 2018 : « [e]n tout état de cause, on ne cherche pas à développer les ventes hors du groupe ; quand un distributeur arrête, on ne cherche pas à le remplacer. On ne fait que répondre à des demandes de personnes souhaitant vendre nos produits. Nous n’avons pas de commerciaux se déplaçant en France »17.
15. S’agissant de son réseau de distributeurs, ce dernier était organisé en 2018 autour d’environ 1 500 revendeurs situés dans environ 70 pays18. Ce nombre de revendeurs a depuis fortement diminué19. Ces revendeurs sont généralement des salons de thé, des épiceries fines ou des magasins spécialisés20.
16. Les relations entre Mariage Frères et ses distributeurs sont régies par des conditions générales de vente (ci-après, « CGV »), transmises par Mariage Frères aux distributeurs à l’ouverture de leur compte client. Si le directeur général du groupe indiquait lors de son audition par les services de la DGCCRF en 2018 que leur « réseau relève de la distribution sélective » et que leurs distributeurs étaient choisis selon des critères de sélection tels que « l’esthétique du point de vente, la capacité à conseiller sur nos produits »21, il ressort de l’instruction que les relations entre Mariage Frères et ses revendeurs ne sont pas régies par un contrat de distribution sélective22. À cet égard, si, lors de l’audition précitée, le directeur général du groupe a déclaré que Mariage Frères avait lancé un travail « pour revoir nos conditions générales de vente et globalement notre contrat de distribution »23, il apparaît qu’à ce jour, aucun contrat de distribution sélective n’a été conclu par les distributeurs de produits Mariage Frères, ces derniers restant tenus par les CGV précitées24.
17. Plusieurs revendeurs ont confirmé avoir signé les CGV transmises, ainsi que l’indiquent les déclarations récapitulées dans le tableau suivant.
D. LES PRATIQUES CONSTATEES
18. Seront abordées successivement ci-dessous l’interdiction faite aux distributeurs de vendre en ligne des produits Mariage Frères (1.) puis l’interdiction faite à ces distributeurs de revendre des produits Mariage Frères à d’autres revendeurs (2.).
1. L’INTERDICTION FAITE AUX DISTRIBUTEURS DE VENDRE EN LIGNE DES PRODUITS MARIAGE FRERES
a) Les stipulations des CGV
19. Il ressort des déclarations du directeur financier de Mariage Frères que, de juillet 2008 à décembre 2018, les CGV applicables au réseau de distribution de Mariage Frères sont restées quasi inchangées30.
20. S’agissant des stipulations relatives à la « revente des produits MARIAGE FRERES », celles-ci ont évolué de la manière suivante :
− de juillet 2008 à mai 2013 (ci-après, les « CGV 2008–2013 »), elles sont restées identiques – comme l’a confirmé le directeur financier du groupe31. Elles énonçaient : « C’est pour cela que Mariage Frères International souhaite rappeler qu’elle seule est à même de distribuer au prix de gros et demi-gros et de vendre par correspondance par le biais d’Internet ou autre, ses articles de la gamme de thés, d’épicerie et d’accessoires, et que ces produits doivent être destinés uniquement à la revente au détail en magasin, à l’attention de clients particuliers »32 ;
− de juin 2013 à décembre 2018 (ci-après, les « CGV 2013–2018 »), une phrase supplémentaire a été intégrée : « [l]es droits de vente à distance et de vente sur Internet appartiennent exclusivement à MAISONS DE THE MARIAGE FRERES S.A. »33. Pendant cette période, la DGCCRF a adressé à Mariage Frères, le 8 juin 2015, un avertissement règlementaire à la suite d’une enquête ayant mis en évidence l’existence de l’interdiction de vente en ligne au sein de son réseau de distribution ;
− à compter de janvier 2019 (ci-après, les « CGV 2019 »), et à la suite des auditions par les services de la DGCCRF, Mariage Frères a modifié ces stipulations, qui énoncent désormais : « [c]’est pour cela que Mariage Frères international souhaite rappeler qu’elle seule est à même de distribuer au prix de gros et demi-gros et de vendre ses articles de l’offre des thés, d’épicerie et d’accessoires, et que ces produits doivent être destinés uniquement à la revente au détail en magasin physique, à l’attention de clients particuliers. INTERNET et autres réseaux de revente : La revente de produits Mariage Frères sur Internet et sur d’autres réseaux fait l’objet d’un contrat séparé qui s’inscrit dans la logique de gestion d’un réseau de revendeurs sélectifs. Un site de vente sur Internet est considéré comme un point de vente individuel. L’obtention d’un accord de revente de produits Mariage Frères sur un point de vente individuel ne donne pas droit à la mise en place et à la revente de ces mêmes produits dans un autre point de vente individuel. Chaque point de vente faisant l’objet d’une demande spécifique et d’une étude par Mariage Frères pour valider ou non l’intégration de ce point de vente supplémentaire dans son réseau de revendeurs sélectifs »34.
21. S’agissant des stipulations relatives aux « droits de reproduction & image », celles-ci n’ont jamais été modifiées et prévoient, dans les différentes versions des CGV : « [t]oute reproduction totale ou partielle de ces éléments sur tout support, y compris Internet, à titre gratuit comme onéreux, sans l’accord préalable et exprès de Mariage Frères®, constitue un délit passible de poursuites pénales »35.
22. Il ressort des clauses détaillées ci-dessus que les CGV de Mariage Frères en application de juillet 2008 à décembre 2018 prévoyaient une interdiction pour les revendeurs de « vendre par correspondance par le biais d’Internet ou autre » et accordaient ainsi une exclusivité des droits de vente à distance et de vente sur Internet à Mariage Frères.
23. Mariage Frères a modifié ses CGV à compter de 2019 (postérieurement à l’enquête de la DGCCRF intervenue en 2018), en supprimant l’exclusivité accordée à Mariage Frères. Toutefois cette modification n’a pas mis un terme à l’interdiction de vente en ligne pour les revendeurs : si un revendeur Mariage Frères souhaite vendre les produits en ligne, il doit faire une demande distincte afin d’obtenir l’autorisation qui se fera par contrat séparé (« La revente de produits Mariage Frères sur Internet et sur d’autres réseaux fait l’objet d’un contrat séparé (…). L’obtention d’un accord de revente de produits Mariage Frères sur un point de vente individuel ne donne pas droit à la mise en place et à la revente de ces mêmes produits dans un autre point de vente individuel »).
24. Depuis l’entrée en application de cette clause, « aucun contrat dédié à la vente en ligne tel que prévu par les CGV depuis 2019 n’a été conclu »36, ainsi que l’a indiqué Mariage Frères. Le distributeur « Les Thés Duval » a en outre indiqué qu’en dépit d’une manifestation d’intérêt de sa part pour vendre en ligne des produits Mariage Frères, son fournisseur ne lui avait pas proposé de contrat ad hoc dédié à la vente en ligne37.
b) Les déclarations de Mariage Frères relatives à l’interdiction de vente en ligne
25. Le tableau ci-dessous recense les déclarations de Mariage Frères relatives à l’interdiction de vente en ligne.
c) L’application par les distributeurs des clauses relatives à l’interdiction de vente en ligne et aux droits de reproduction et d’image
26. Le tableau ci-dessous recense les différentes déclarations des revendeurs de Mariage Frères relatives à l’interdiction de vente en ligne et aux droits de reproduction et d’image, ainsi qu’aux actions entreprises par Mariage Frères pour contraindre leurs revendeurs à retirer ses produits de leurs sites.
2. L’INTERDICTION FAITE AUX DISTRIBUTEURS DE REVENDRE DES PRODUITS MARIAGE FRERES A D’AUTRES REVENDEURS
a) Les stipulations des CGV
27. L’article premier des CGV de Mariage Frères diffusées auprès de ses distributeurs et signées par ces derniers octroie à Mariage Frères une exclusivité sur la vente en gros et n’autorise la revente de ses produits qu’aux particuliers : « (…) Mariage Frères International souhaite rappeler qu’elle seule est à même de distribuer au prix de gros et demi-gros et de vendre par correspondance par le biais d’Internet ou autre, ses articles de la gamme de thés, d’épicerie et d’accessoires, et que ces produits doivent être destinés uniquement à la revente au détail en magasin, à l’attention de clients particuliers »57.
28. La clause telle qu’appliquée dans les CGV communiquées aux revendeurs de Mariage Frères en juillet 200858 est restée quasi inchangée dans leurs différentes versions. Elle est toujours en vigueur dans les CGV 202159.
29. Il sera rappelé que les CGV sont transmises par Mariage Frères aux distributeurs à l’ouverture de leur compte client (voir le paragraphe 16 ci-avant).
b) L’application par les distributeurs de la clause relative à l’interdiction de revendre des produits Mariage Frères à d’autres revendeurs
30. Les distributeurs de Mariage Frères interrogés par les services d’instruction ont tous confirmé qu’ils ne revendaient pas de produits de thés haut de gamme à d’autres revendeurs60.
31. Le tableau ci-dessous recense leurs réponses à la question « Précisez si votre société vend des thés haut de gamme à d’autres revendeurs », ainsi que leurs déclarations relatives à l’interdiction de revendre des produits Mariage Frères à d’autres revendeurs, imposée par Mariage Frères.
E. LES GRIEFS NOTIFIES
32. Le 24 janvier 2023, le rapporteur général de l’Autorité a notifié aux sociétés Mariage Frères International SAS et Mariage Frères SAS les griefs suivants :
« GRIEF N°1 :
Il est fait grief à la société Mariage Frères International SAS (RCS Paris n° 351 648 795), en sa qualité d’auteure de la pratique, et à la société Mariage Frères SAS (RCS Paris n° 672 000 049), en sa qualité de société mère de la société Mariage Frères International SAS, d’avoir pris part à une entente verticale sur le marché français des thés haut de gamme, visant à interdire la vente en ligne par ses distributeurs de produits de sa marque. Cette pratique a été mise en oeuvre à partir de juillet 2008 et se poursuit à la date de la présente notification de griefs.
Cette pratique, qui a pour objet de fausser et de restreindre la concurrence, est prohibée par les articles 101, paragraphe 1, du TFUE et L. 420-1 du code de commerce.
GRIEF N°2 :
Il est fait grief à la société Mariage Frères International SAS (RCS Paris n° 351 648 795), en sa qualité d’auteure de la pratique, et à la société Mariage Frères SAS (RCS Paris n° 672 000 049), en sa qualité de société mère de la société Mariage Frères International SAS, d’avoir pris part à une entente verticale sur le marché français des thés haut de gamme, visant à interdire à ses distributeurs la revente de produits Mariage Frères à d’autres revendeurs. Cette pratique a été mise en oeuvre à partir de juillet 2008 et se poursuit à la date de la présente notification de griefs.
Cette pratique, qui a pour objet de fausser et de restreindre la concurrence, est prohibée par les articles 101, paragraphe 1, du TFUE et L. 420-1 du code de commerce. »
II. Discussion
A. SUR LA PROCEDURE
1. EN CE QUI CONCERNE LA PRESCRIPTION
33. Mariage Frères soutient que la prescription serait acquise pour les pratiques antérieures au 22 juin 2017, dès lors que celles-ci se seraient matérialisées plus de cinq ans avant le premier acte d’instruction dont elle aurait eu connaissance, à savoir la convocation pour audition de ses représentants le 22 juin 2022.
a) Principes applicables
34. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, une infraction continue est caractérisée lorsque « l’état délictuel se prolonge dans le temps par la réitération constante ou par la persistance de la volonté anticoncurrentielle après l’acte initial sans qu’un acte matériel ait nécessairement à la renouveler dans le temps »78. Le point de départ de la prescription se situe alors le lendemain du jour où le comportement infractionnel a cessé79. L’insertion de clauses litigieuses dans différents contrats de distribution constitue une infraction unique et continue dès lors que celles-ci n’ont pas fait l’objet de modifications80.
b) Application au cas d’espèce
35. En l’espèce, les pratiques reprochées ont été mises en oeuvre à partir de juillet 2008 par la diffusion de CGV auprès des distributeurs de Mariage Frères et ont perduré au moins jusqu’à l’envoi de la notification de griefs du 24 janvier 2023, sans que les clauses litigieuses aient fait entretemps l’objet de modifications mettant fin à ces pratiques. Compte tenu du caractère continu des infractions en cause, Mariage Frères n’est pas fondée à soutenir que les pratiques mises en oeuvre avant le 22 juin 2017 seraient prescrites.
2. EN CE QUI CONCERNE LA SAISINE D’OFFICE
a) Principes applicables
36. Aux termes du II de l’article D. 450-3 du code de commerce : « Le ministre chargé de l'économie informe le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence du résultat des investigations auxquelles il aura fait procéder et lui transmet l'ensemble des pièces de la procédure. / Le rapporteur général peut proposer à l'Autorité de la concurrence de se saisir d'office des résultats de l'enquête ; l'Autorité dispose d'un délai de deux mois pour se prononcer à compter de la réception par le rapporteur général des pièces de la procédure. (…) ».
37. Les juridictions administratives considèrent avec constance que les délais impartis à l’administration par des dispositions législatives ou réglementaires pour rendre une décision ne sont pas, en principe, impartis à peine d’illégalité81, sauf en présence d’une garantie82.
38. La pratique décisionnelle retient que « les délais prévus par l’article D. 450-3 du code de commerce ne sont pas prescrits à peine de dessaisissement ou d’irrégularité de la procédure et ne sauraient priver les entreprises mises en cause d’une quelconque garantie » et dès lors, que « les entreprises mises en cause ne sont pas fondées à se prévaloir du dépassement des délais prévus par l’article D. 450-3 du code de commerce »83.
b) Application au cas d’espèce
39. Mariage Frères soutient que la procédure est irrégulière dès lors que la décision de saisine d’office du 29 octobre 2019 est postérieure de plus de deux mois à la transmission des pièces de la procédure à l’Autorité par la DGCCRF, intervenue le 13 juin 2019, en méconnaissance du délai prévu par l’article D. 450-3 du code de commerce. Mariage Frères fait valoir que la méconnaissance de ce délai a porté atteinte à ses droits de la défense.
40. Toutefois, les délais qui figurent à l’article D. 450-3 – à savoir, deux mois entre la réception des pièces de la procédure et la décision de saisine d’office et 65 jours entre la transmission des pièces de la procédure et la notification, par le rapporteur général, de la décision de saisine d’office au ministre de l’économie – n’ont pas de portée impérative. En conséquence, le dépassement de ces deux délais ne fait naître aucune garantie dont les entreprises mises en cause pourraient utilement se prévaloir.
41. En effet, s’agissant du respect d’une disposition analogue, le Conseil d’État a jugé, dans sa décision du 31 mars 2017, Altice Luxembourg, que le délai imparti à l’Autorité pour sanctionner l’inexécution des injonctions, prescriptions et engagements en matière de concentrations, prévu par le IV de l’article L. 430-8 du code de commerce84, n’était pas prescrit à peine de dessaisissement ou d’irrégularité de la procédure. Cette solution est parfaitement transposable au cas d’espèce.
42. Mariage Frères n’est donc pas fondée à se prévaloir de la méconnaissance de l’article D. 450-3 précité et son moyen doit par suite être rejeté comme inopérant.
3. EN CE QUI CONCERNE LA LOYAUTE ET L’IMPARTIALITE DE L’INSTRUCTION
a) Principes applicables
43. Il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation que « le rapporteur n'est pas tenu de procéder à des auditions s'il s'estime suffisamment informé pour déterminer les griefs susceptibles d'être notifiés et que l'audition des personnes intéressées est une faculté laissée à son appréciation, eu égard au contenu du dossier »85.
44. En outre, la cour d’appel de Paris retient que, dès lors que les entreprises mises en cause ont pu exercer toutes les prérogatives qui leur sont reconnues dans le cadre de la procédure contradictoire, « il ne peut être reproché aux rapporteurs d'avoir retenu les éléments “à charge” des entreprises et écarté les éléments que celles-ci invoquaient à leur décharge, dès lors qu'ils ont pour fonction d'instruire et de décrire dans la notification de griefs, puis dans le rapport, ce qui à leurs yeux doit conduire à la qualification et à la sanction de pratiques anticoncurrentielles, l'Autorité ayant en charge d'examiner le bien-fondé des éléments ainsi retenus. À ce titre, seule la déloyauté dans l'interprétation ou la présentation des pièces, ou encore dans la façon d'interroger les personnes en cause ou les tiers, peut conduire à constater une atteinte aux droits de la défense des parties »86.
45. Dans un arrêt du 17 mai 2018, Umicore, la cour d’appel de Paris a jugé que « le fait que la notification des griefs ne cite pas tous les faits et indices qui n’ont pas été retenus […] pour qualifier des pratiques anticoncurrentielles ne peut faire grief aux entreprises, dès lors que celles-ci ont eu accès à l’ensemble de la procédure et ont eu toute latitude pour apporter les éléments qui paraissaient utiles à leur défense »87.
46. Enfin, la faculté de recourir à la procédure d'engagements, prévue par les articles L. 464-2 et R. 464-2 du code de commerce, relève d’une appréciation en opportunité et constitue une décision discrétionnaire, qui n’a pas à être formalisée ni motivée auprès des parties88.
b) Application au cas d’espèce
47. En premier lieu, Mariage Frères soutient que les services d’instruction ont porté atteinte au principe de loyauté, faute d’avoir interrogé les représentants de la société au sujet du second grief antérieurement à la notification de celui-ci.
48. Toutefois, il résulte des principes rappelés ci-avant (voir paragraphe 43) que les services d’instruction n’étaient pas tenus de procéder à une telle audition.
49. Par ailleurs, et en tout état de cause, les représentants de Mariage Frères ne pouvaient ignorer, lors de leur audition le 6 septembre 2022, le cadre juridique dans lequel intervenaient les services d’instruction et le secteur d’activité visé par les investigations. En effet, la convocation à audition adressée à la société indiquait que « l’Autorité de la concurrence s’est saisie d’office de pratiques mises en oeuvre dans le secteur des thés de luxe »89, et le procès-verbal résultant de cette audition faisait mention de ce que les rapporteures étaient « habilitées par la décision du 6 mars 2017 du rapporteur général de l’Autorité de la concurrence, à procéder à toute enquête nécessaire à l’application des dispositions des titres II et III du livre IV du code de commerce », et de ce qu’elle s’étaient « présentées, [avaient] justifié de [leur] qualité et indiqué l'objet de l’instruction et le but de la présente audition »90.
50. En deuxième lieu, Mariage Frères conteste la pertinence de l’utilisation, par les services d’instruction, du procès-verbal de déclaration du directeur financier du groupe Mariage Frères, établi le 18 novembre 2014 par la DGCCRF91. Selon la mise en cause, le procès-verbal ne fait pas apparaître les questions qui ont été posées, de sorte qu’il n’est pas possible de comprendre le contexte spécifique dans lequel cette déclaration a été recueillie. Elle soutient par ailleurs que l’intéressé n’était pas chargé de la politique commerciale de l’entreprise et des interactions avec les revendeurs individuels, si bien qu’il n’était pas en mesure de fournir des informations fiables et pertinentes sur la gestion d’une relation commerciale spécifique. Elle relève enfin que la situation évoquée par le directeur financier dans le procès-verbal remonte aux années 2009-2010.
51. Toutefois le procès-verbal recueillant les déclarations de l’entreprise n’est pas un procès-verbal d’interrogatoire ou d’audition au sens de l’article 429 du code de procédure pénale, qui prévoit que tout procès-verbal d’audition doit comporter les questions posées aux personnes entendues. En effet, les agents de la DGCCRF agissent dans le cadre de leurs pouvoirs propres fixés par le code de commerce et, comme le confirment une jurisprudence et une pratique décisionnelle constantes92, aucune disposition spécifique du code de commerce n’impose aux enquêteurs la transcription des questions posées à l’occasion d’un recueil des déclarations.
52. Par ailleurs, il ne ressort d’aucune mention du procès-verbal que le directeur financier du groupe Mariage Frères a objecté être incompétent pour s’exprimer sur la vente en ligne des revendeurs de Mariage Frères. Il a, au contraire, fait des déclarations précises à cet égard. En outre, l’argument selon lequel la situation évoquée dans le procès-verbal remonte aux années 2009-2010 n’est pas pertinent, cette fourchette de deux ans s’inscrivant dans la période d'infraction qui débute en 2008.
53. Mariage Frères n’est donc pas fondée à soutenir que l’utilisation de ce procès-verbal dans le cadre de l’instruction constituerait une atteinte au principe de loyauté.
54. En troisième lieu, Mariage Frères soutient que l’instruction n’a pas été conduite de manière impartiale. Elle reproche d’abord aux services d’instruction de lui avoir adressé, antérieurement à l’audition du 6 septembre 2022, une demande d’informations visant à collecter les éléments nécessaires à la détermination de la sanction financière. Elle conteste également le contenu des questionnaires transmis aux revendeurs et le choix même de cet outil. Mariage Frères soutient enfin que les services d’instruction se sont abstenus de prendre en compte les éléments à décharge du dossier et de tenir compte de ses propositions d’engagements.
55. Le moyen est infondé. En effet, contrairement à ce que soutient Mariage Frères, il ressort de l’article L. 463-3 du code de commerce que « lorsque le rapporteur général décide de ne pas établir de rapport », comme c’est le cas en l’espèce, « la notification des griefs doit mentionner les déterminants de la sanction encourue ». Dans un tel cas de figure, les services d’instruction sont dans l’obligation de faire état des déterminants de la sanction dans la notification de griefs simplifiée, ce qui implique qu’ils doivent préalablement, pour ce faire, récolter les informations pertinentes auprès des parties mises en cause.
56. En outre, il résulte des principes rappelés aux paragraphes 43 à 45 ci-dessus que les services d’instruction étaient fondés à déterminer eux-mêmes les outils d’instruction appropriés à mettre en oeuvre, parmi ceux prévus par la loi. Ils étaient en outre fondés à ne retenir, au soutien de leur analyse, que les éléments leur paraissant les plus pertinents, Mariage Frères ayant en tout état de cause accès à l’ensemble des éléments retenus à son encontre et ayant, du fait du caractère pleinement contradictoire de la procédure, été mise en mesure d’apporter les éléments paraissant utiles à sa défense (voir l’article L. 463-1 du code de commerce). Par ailleurs, l’Autorité relève que Mariage Frères est d’autant moins fondée à remettre en cause l’impartialité de la procédure que la notification de griefs qui lui a été adressée prend soin de relever certains éléments à décharge, tels que les informations obtenues auprès de revendeurs permettant de constater l’autorisation implicite de vente en ligne accordée à certains d’entre eux.
57. Enfin, ainsi qu’il résulte des principes mentionnés au paragraphe 46 ci-dessus, la décision implicite de refus de la procédure d’engagements, qui se déduit de l’envoi de la notification de griefs du 24 janvier 2023 à Mariage Frères, n’avait pas à être formalisée ni motivée. Mariage Frères ne saurait donc utilement reprocher aux services d’instruction de s’être abstenus de tenir compte de ses propositions d’engagements, au demeurant inopportunes en l’espèce.
58. Il résulte de tout ce qui précède que Mariage Frères n’est pas fondée à contester la loyauté et l’impartialité de l’instruction.
4. EN CE QUI CONCERNE L’ACCES AU DOSSIER
a) Principes applicables
59. Selon la cour d’appel de Paris, l’omission du rapporteur d’établir un procès-verbal d’une réunion intervenue au cours d’une instruction ne saurait avoir vicié la procédure lorsque, comme en l’espèce, la partie requérante n’invoque « aucun indice susceptible d’accréditer sa thèse selon laquelle des éléments à décharge utiles à sa défense n’auraient pas été versés au dossier de la procédure » et que les échanges en cause ne peuvent avoir donné lieu à des « éléments à charge ou décharge qui n’auraient pas déjà été contenus dans [des] réponses écrites »93.
60. En outre, aux termes du 1° de l’article L. 311-5 du code des relations entre le public et l’administration, ne sont pas communicables entre autres « les documents élaborés ou détenus par l'Autorité de la concurrence dans le cadre de l'exercice de ses pouvoirs d'enquête, d'instruction et de décision ».
b) Application au cas d’espèce
61. En premier lieu, Mariage Frères soutient que le dossier qui lui a été transmis le 24 janvier 2023 par les services d’instruction était incomplet. À l’appui de sa critique, elle prétend que le dossier aurait été coté de manière incorrecte, dès lors que certaines cotes (cotes 482, 517 à 522, 1536 à 1542, 1802 à 1841, 2843 à 2860 et 3846) qui apparaissaient dans le sommaire énumérant les pièces présentes au dossier n’ont finalement pas été communiquées dans le dossier effectivement transmis.
62. Toutefois, s’agissant tout d’abord des cotes autres que la cote 482, le sommaire fait apparaître sans ambiguïté que celles-ci sont inaccessibles car il s’agit de cotes se référant à des éléments inexistants en raison de suppressions ou d’erreurs matérielles lors de la numérisation dans l’applicatif interne. Ces éléments sont ainsi inaccessibles aux parties, aux services d’instruction, ou au collège, de sorte que Mariage Frères ne saurait en tirer argument pour soutenir qu’elle n’a pas été en mesure d’accéder à l’entier dossier.
63. S’agissant par ailleurs de la cote 482, celle-ci était couverte par le secret des affaires. Sa version non confidentielle figurait à la cote 490 et elle a été en tout état de cause rendue accessible à Mariage Frères par une décision n° 23-DECR-113 du 23 février 2023 relative à l’utilisation de pièces confidentielles94.
64. Il résulte de ce qui précède que contrairement à ce qu’elle allègue, Mariage Frères a pu accéder à l’entier dossier, de sorte qu’elle est infondée à prétendre qu’il aurait été porté atteinte à ses droits de la défense pour ce motif.
65. En deuxième lieu, Mariage Frères soutient que les services d’instruction ont commis un manquement procédural, d’une part en s’abstenant de retranscrire au dossier plusieurs échanges téléphoniques intervenus avec des revendeurs et, d’autre part, en s’abstenant de communiquer la liste exhaustive des revendeurs contactés dans le cadre de leur instruction.
66. Toutefois Mariage Frères n’apporte aucun indice susceptible d’accréditer ses allégations selon lesquelles ces prétendus manquements auraient conduit à l’occultation d’éléments à décharge utiles à sa défense. Par suite, en application de la jurisprudence de la cour d’appel de Paris rappelée au paragraphe 59 ci-avant, le moyen soulevé doit être écarté.
67. En troisième lieu, Mariage Frères reproche aux services d’instruction d’avoir refusé de lui communiquer un « certain nombre de cotes et documents en possession de l’Autorité »95. Les cotes concernées figurent dans un dossier relatif à une autre affaire – à laquelle Mariage Frères n’était pas partie – qui a donné lieu à la décision n° 20-D-20 du 3 décembre 2020 dans laquelle l’Autorité a sanctionné la société Dammann Frères, qui est l’un de ses concurrents sur le marché du thé haut de gamme.
68. Toutefois les documents concernés, en tant qu’éléments d’un autre dossier d’instruction, figuraient parmi ceux « élaborés ou détenus par l'Autorité de la concurrence dans le cadre de l'exercice de ses pouvoirs (…) d'instruction » visés au 1° de l’article L. 311-5 du code des relations entre le public et l’administration, cité au paragraphe 60 ci-avant. Mariage Frères n’était donc pas fondée à demander leur communication à l’Autorité.
69. Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que Mariage Frères n’est pas fondée à se prévaloir d’une méconnaissance par l’Autorité de son droit d’accès au dossier.
5. EN CE QUI CONCERNE LE PRINCIPE DU CONTRADICTOIRE
a) Principes applicables
70. Aux termes du dernier aliéna de l’article L. 463-2 du code de commerce, « [l]orsque des circonstances exceptionnelles le justifient, le rapporteur général de l'Autorité peut, par une décision non susceptible de recours, accorder un délai supplémentaire d'un mois pour la consultation du dossier et la production des observations des parties. »
b) Application au cas d’espèce
71. Mariage Frères soutient que le rejet, par les services d’instruction, de sa demande d’extension de délai, formulée le 24 février 202396, constitue une violation du principe du contradictoire.
72. Toutefois, l’article L. 463-2 du code de commerce ne prévoit la possibilité pour le rapporteur général de l’Autorité d’octroyer un tel délai qu’en présence de circonstances exceptionnelles, ce dont Mariage Frères ne justifie pas en l’espèce. Le moyen soulevé doit par suite être rejeté comme infondé.
B. SUR L’APPLICABILITE DU DROIT DE L’UNION EUROPEENNE
1. PRINCIPES APPLICABLES
73. Ainsi que l’expose la Commission européenne (ci-après, la « Commission ») dans ses lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après, « TFUE »), il ressort du libellé de ces articles, ainsi que de la jurisprudence des juridictions de l’Union, que la démonstration de l’affectation sensible du commerce impose la réunion de trois éléments : l’existence d’un courant d’échanges entre États membres portant sur les produits en cause, l’existence de pratiques susceptibles d’affecter ces échanges et, enfin, le caractère sensible de cette affectation97.
74. S’agissant du premier élément, le point 19 des lignes directrices précise que : « [l]a notion de « commerce » n’est pas limitée aux échanges transfrontaliers traditionnels de produits et de services, mais a une portée plus large qui recouvre toute activité économique internationale, y compris l’établissement »98.
75. S’agissant du deuxième élément, le Tribunal de première instance des Communautés européennes (devenu Tribunal de l’Union européenne, ci-après, le « Tribunal ») a jugé, dans le cas d’ententes s’étendant à l’intégralité ou à la vaste majorité du territoire d’un État membre, « qu’il existe, à tout le moins, une forte présomption qu’une pratique restrictive de la concurrence appliquée à l’ensemble du territoire d’un État membre soit susceptible de contribuer au cloisonnement des marchés et à affecter les échanges intracommunautaires. Cette présomption ne peut être écartée que si l’analyse des caractéristiques de l’accord et du contexte économique dans lequel il s’insère démontre le contraire »99. Sur pourvoi, la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après, la « Cour de justice ») a précisé à ce propos : « le fait qu’une entente n’ait pour objet que la commercialisation des produits dans un seul État membre ne suffit pas pour exclure que le commerce entre États membres puisse être affecté. En effet, une entente s’étendant à l’ensemble du territoire d’un État membre a, par sa nature même, pour effet de consolider des cloisonnements de caractère national, entravant ainsi l’interpénétration économique voulue par le [TFUE] »100.
76. La circonstance que des pratiques d’ententes ou d’abus de position dominante ne soient commises que sur le territoire d’un seul État membre ne fait donc pas obstacle à ce que les deux premières conditions soient remplies. À cet égard, la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 31 janvier 2012, que les termes « susceptibles d’affecter », énoncés par les articles 101 et 102 TFUE, « supposent que l’accord ou la pratique abusive en cause permette, sur la base d’un ensemble d’éléments objectifs de droit ou de fait, d’envisager avec un degré de probabilité suffisant qu’il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d’échanges entre États membres, sans que soit exigée la constatation d’un effet réalisé sur le commerce [entre États membres] »101.
77. S’agissant du troisième élément, la Cour de cassation a jugé, dans ce même arrêt, que « le caractère sensible de l’affectation directe ou indirecte, potentielle ou actuelle, du commerce intracommunautaire résulte d’un ensemble de critères, parmi lesquels la nature des pratiques, la nature des produits concernés et la position de marché des entreprises en cause »102.
78. En outre, le paragraphe 53 des lignes directrices précitées indique que si un accord ou une pratique sont, par leur nature même, susceptibles d’affecter le commerce entre États membres, il est présumé que l’affectation du commerce est sensible lorsque la part de marché des parties sur le marché affecté par l’accord est supérieure au seuil de 5 %, ou lorsque le chiffre d'affaires réalisé par les parties avec les produits concernés par l'accord excède 40 millions d'euros103. Dans le cadre de cette présomption positive, il suffit qu’une seule des deux conditions alternatives soit réunie pour prouver le caractère sensible de l’affectation du commerce entre États membres104.
79. Sur ce point, la cour d’appel de Paris a relevé, dans un arrêt du 16 mai 2003, Kontiki, qu’un ensemble d’accords portant sur la commercialisation et, en particulier, les prix de vente au détail des produits, ainsi que sur certaines modalités d’entrée ou de sortie des revendeurs dans le réseau de partenaires commerciaux d’un fabricant sur le territoire français était, eu égard à sa nature, à son ampleur géographique et à son économie, susceptible d’affecter sensiblement les échanges entre États membres105.
80. Enfin, conformément à la pratique décisionnelle de l’Autorité et à la jurisprudence constante, si une partie conteste le calcul des parts de marché, c’est à elle qu’incombe la charge de la preuve et, donc, d’« apport[er des] élément[s], chiffré[s] ou non, permettant d’infirmer l’analyse de sa part de marché telle qu’elle a été présentée »106.
2. APPLICATION AU CAS D’ESPECE
81. Mariage Frères conteste la capacité des pratiques à affecter les échanges entre États membres de manière sensible, dès lors que, selon elle, les consommateurs situés dans d’autres États membres que la France ne sont pas en mesure d’acheter ses produits sur les sites internet des revendeurs individuels, notamment en raison de la faible notoriété de ces sites et des frais de livraison associés. Mariage Frères fait valoir en outre que sa part de marché a été surévaluée, et que l’Autorité était tenue de démontrer si le seuil alternatif de 40 millions d’euros de chiffre d’affaires réalisé par les parties à la prétendue entente, prévu au paragraphe 53 des lignes directrices de la Commission, était atteint en l’espèce.
82. Toutefois, la capacité des pratiques visées par les griefs notifiés à affecter les échanges entre États membres, et ce de manière sensible, ne peut être utilement contestée en l’espèce. En effet, ces pratiques restreignent nécessairement la capacité des distributeurs, répartis sur l’ensemble du territoire national, à, d’une part, toucher une clientèle située en dehors de leur zone de chalandise physique, notamment dans d’autres États membres, et d’autre part, s’approvisionner en produits Mariage Frères entre distributeurs situés notamment dans d’autres États membres. Mariage Frères est en effet présente dans plusieurs États, dont plusieurs États membres de l’Union européenne107, cette présence lui permettant de réaliser environ [40-50] % de son chiffre d’affaires global en dehors de France.
83. À cet égard, il sera rappelé que Mariage Frères est l’un des principaux fabricants de thés haut de gamme en France (voir le paragraphe 8 ci-avant). Sa part de marché sur le marché affecté peut ainsi légitimement être estimée comme étant supérieure au seuil de 5 % prévu par le point 53 des lignes directrices108. Cette condition étant remplie, la condition alternative relative au seuil de 40 millions d’euros de chiffre d’affaires n’a pas à être examinée en application du principe jurisprudentiel rappelé au paragraphe 78 ci-avant. En tout état de cause, Mariage Frères, à qui incombe la charge de la preuve en application des principes rappelés au paragraphe 80 ci-dessus, n’apporte aucun élément permettant d’infirmer cette analyse.
84. Il résulte de ce qui précède qu’eu égard à leur nature et à leur ampleur géographique, les pratiques en cause dans la présente affaire sont susceptibles d’avoir affecté de manière sensible le commerce entre États membres. Elles doivent, par conséquent, être analysées tant au regard des règles de concurrence de l’Union que des règles nationales.
C. SUR LE MARCHE PERTINENT
1. PRINCIPES APPLICABLES
85. Il résulte de la jurisprudence du Tribunal que « [...] l’obligation d’opérer une délimitation du marché en cause dans une décision adoptée en application de l’article 81 CE [devenu 101 du TFUE] s’impose à la Commission uniquement lorsque, sans une telle délimitation, il n’est pas possible de déterminer si l’accord, la décision d’association d’entreprises ou la pratique concertée en cause est susceptible d’affecter le commerce entre États membres et a pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun »109.
86. Ainsi, le Conseil, puis l’Autorité, estiment qu’« [...] il n’est pas nécessaire de définir le marché avec précision, comme en matière d’abus de position dominante, dès lors que le secteur et les marchés ont été suffisamment identifiés pour permettre de qualifier les pratiques qui y ont été constatées et de les imputer aux opérateurs qui les ont mises en oeuvre »110.
87. Dans sa communication sur la définition du marché en cause, la Commission rappelle qu’« un marché de produits en cause comprend tous les produits et/ou services que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l’usage auquel ils sont destinés »111.
88. L’Autorité estime que « [l]e marché, au sens où l'entend le droit de la concurrence, est défini comme le lieu sur lequel se rencontrent l’offre et la demande pour un produit ou un service spécifique. [...]. Une substituabilité parfaite entre produits ou services s’observant rarement, le Conseil [dans son rapport annuel de 2001] regarde comme substituables et comme se trouvant sur un même marché les produits ou services dont on peut raisonnablement penser que les demandeurs les considèrent comme des moyens alternatifs entre lesquels ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande »112.
2. APPLICATION AU CAS D’ESPECE
89. En l’espèce, la dimension nationale du marché n’est pas contestée par Mariage Frères, qui soutient, en revanche, que les thés standards et hauts de gamme doivent être regardés comme substituables et partant, appartiennent au même marché pertinent.
90. Mariage Frères entend appuyer son argumentation sur la pratique décisionnelle de l’Autorité, notamment la décision n° 20-D-20 précitée, sur l’étude Xerfi d’avril 2022 relative au marché du thé et du café annexée à la notification des griefs, laquelle s’abstiendrait de considérer que les deux catégories précitées ne seraient pas substituables, et enfin sur la convergence croissante des prix entre ces deux catégories de thés.
91. Toutefois, et contrairement à ce que soutient Mariage Frères, la pratique décisionnelle de l’Autorité retient que les différences constatées entre les thés hauts de gamme et les thés standards en ce qui concerne leurs modalités de fabrication, leurs qualités respectives, leurs modes de distribution ainsi que leurs prix permettent de conclure à l’absence de substituabilité entre les produits appartenant respectivement à ces deux catégories de thés, et donc à l’existence de deux marchés distincts113. À cet égard, une éventuelle convergence des prix entre les thés standards et les thés hauts de gamme – qui par ailleurs n’est pas étayée à suffisance – ne saurait suffire à remettre en cause la définition de marché retenue dans la notification de griefs, le prix n’étant pas le seul élément pris en considération dans la définition de marché.
92. L’Autorité relève par ailleurs, à titre subsidiaire, que le directeur général du groupe Mariage Frères a lui-même déclaré que si « tous les vendeurs de thés sont potentiellement [des] concurrents », le produit Mariage Frères est « positionné sur le luxe »114. De même, les distributeurs des produits Mariage Frères interrogés par les services d’instruction, tels que « Le Rameau d’Olivier »115, « La Grande Épicerie »116, « Roi de Bretagne »117, « Objectif Zen »118 ou encore « Comptoir Nourisson »119, confirment que le marché du thé haut de gamme se distingue du marché du thé standard. Enfin, l’étude Xerfi dont entend se prévaloir Mariage Frères reconnaît explicitement l’existence de fabricants qui, à l’instar de Mariage Frères, « se positionne[nt] sur le marché haut de gamme du thé »120.
93. En tout état de cause, au regard de la jurisprudence et de la pratique décisionnelle citées aux paragraphes 85 et 86 ci-avant, lorsque les pratiques en cause sont examinées au titre de la prohibition des ententes, comme c’est le cas en l’espèce, il suffit que le secteur soit déterminé avec assez de précision pour permettre d’apprécier l’incidence des pratiques en cause sur la concurrence et les imputer aux opérateurs concernés.
94. En l’espèce, les pratiques seront examinées sur le marché national des thés haut de gamme.
D. SUR LE BIEN-FONDE DES GRIEFS NOTIFIES
1. EN CE QUI CONCERNE LA PRATIQUE VISEE PAR LE GRIEF N° 1
95. Sera abordée ci-après l’existence d’un accord de volontés (a) et d’une restriction de concurrence (b).
a) S’agissant de la démonstration de l’accord de volontés
Principes applicables
96. Il ressort d’une jurisprudence constante, tant en droit de l’Union qu’en droit français, que, pour qu’il y ait accord au sens de l’article 101, paragraphe 1 du TFUE, il suffit que les entreprises en cause aient exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d’une manière déterminée121.
97. Selon le Tribunal, la preuve d’un tel accord « doit reposer sur la constatation directe ou indirecte de l’élément subjectif qui caractérise la notion même d’accord, c’est-à-dire d’une concordance de volontés entre opérateurs économiques sur la mise en pratique d’une politique, de la recherche d’un objectif ou de l’adoption d’un comportement déterminé sur le marché, abstraction faite de la manière dont est exprimée la volonté des parties de se comporter sur le marché conformément aux termes dudit accord »122.
98. La démonstration de l’accord de volontés peut ainsi se faire par tout moyen, étant rappelé que le Tribunal considère qu’il n’est pas nécessaire, en présence de preuves documentaires ou contractuelles, de procéder à l’examen de preuves additionnelles de nature comportementale123. Sur ce point, la Cour de justice a qualifié de « preuves documentaires directes » des éléments suffisamment explicites, tels que des contrats, des notes internes, des déclarations, des comptes rendus de réunion, des projets d’ordre du jour ou encore des notes prises lors de réunions124.
99. Le Tribunal considère les « conditions générales de vente systématiquement reproduites au verso des factures, au dos des commandes et sur les listes de prix » comme des « accords entre entreprises »125. Au niveau national, le Conseil126 puis l’Autorité ont établi que les CGV, « diffusées à l’ensemble [des] distributeurs »127, « constituent des preuves documentaires directes démontrant explicitement l’existence d’un accord de volontés »128.
100. La cour d’appel de Paris, dans ses arrêts du 16 mai 2013, Kontiki, et du 16 janvier 2020, Société Canna France, a rappelé le principe selon lequel « en présence de preuves documentaires ou contractuelles, il n’est pas besoin de recourir, au surplus, à l'étude de preuve de nature comportementale »129.
101. L’Autorité retient que les contrats incluant des stipulations relatives à l’interdiction de vente en ligne « constituent des preuves directes » suffisant à établir la réalité d’une entente pour interdire aux revendeurs la vente en ligne130, et que « lorsqu’il est démontré qu’un fournisseur a conclu avec l’ensemble de ses distributeurs des contrats-types dont certaines clauses revêtent un caractère anticoncurrentiel, la signature postérieure, par ce fournisseur et certains de ses distributeurs, de nouveaux contrats-types ne comportant pas lesdites clauses ne saurait suffire à mettre un terme à l’infraction. Seule la signature des nouveaux contrats par le fournisseur et la grande majorité, voire la totalité de ses distributeurs, est en effet susceptible de matérialiser la fin d’une telle entente »131.
102. S’agissant plus spécifiquement de l’appartenance à un réseau de distribution, les juridictions européennes et nationales ont, par ailleurs, clairement précisé, d’une part, qu’elle ne pouvait, à elle seule, laisser présumer l’existence d’un concours de volontés, d’autre part, que la démonstration de l’existence d'un tel accord pouvait être constituée tant par des preuves directes (clauses d’un contrat, par exemple) qu’indirectes (déclarations des intéressés ou acquiescement tacite)132. À ce dernier titre, la cour d’appel de Paris a rappelé que « le standard de la preuve en matière d'entente verticale tel que défini aussi bien par le droit communautaire que le droit interne, n'exige pas la preuve individualisée d’une entente entre un fournisseur et la multitude de ses distributeurs dès lors que la mise en place du système d'entente par le fournisseur peut être démontrée de manière claire et que l'accord de volonté des distributeurs peut être déduit du contexte dans lequel ces pratiques interviennent »133.
Application au cas d’espèce
103. L’accord de volontés établissant l’entente verticale entre Mariage Frères et ses distributeurs, relatif à l’interdiction de vente en ligne prévue par les CGV, résulte de l’invitation de Mariage Frères à mettre en oeuvre la pratique litigieuse et de l’acquiescement des distributeurs à la pratique proposée.
104. L’invitation de Mariage Frères résulte, d’abord, d’éléments documentaires. Il a ainsi été constaté que le fabricant a diffusé des CGV comportant une clause d’interdiction de vente en ligne auprès de l’intégralité de ses distributeurs. Il ressort des éléments du dossier que lesdites CGV étaient renouvelées tacitement à travers leur diffusion systématique par Mariage Frères, auprès de l’intégralité de ses revendeurs, en janvier et en septembre de chaque année134.
105. Contrairement à ce que soutient Mariage Frères, les modifications apportées à ces CGV à compter de 2019 n’ont pas permis de mettre un terme à cette interdiction. En effet, si les stipulations relatives à l’exclusivité accordée à Mariage Frères de la vente en ligne de ses produits ont été supprimées des CGV, celles-ci prévoient désormais que « [l]a revente de produits Mariage Frères sur Internet et sur d’autres réseaux » fasse « l’objet d’un contrat séparé qui s’inscrit dans la logique de gestion d’un réseau de revendeurs sélectifs »135. Une telle clause ne peut être considérée comme s’inscrivant dans le cadre d’un système de distribution sélective, Mariage Frères ayant déclaré à plusieurs reprises, dans ses observations, ne pas avoir mis en place un tel système136. La même clause ne peut davantage être assimilée à une clause d’autorisation préalable, puisqu’elle n’octroie pas aux revendeurs le droit de vendre en ligne les produits Mariage Frères, ni ne subordonne ledit droit au respect de certaines conditions spécifiques. Ainsi, les CGV n’accordent toujours pas aux distributeurs, au jour de la présente décision, le droit de vendre en ligne les produits Mariage Frères.
106. Si, depuis 2019, les CGV prévoient que les distributeurs qui souhaiteraient distribuer les produits en ligne doivent solliciter de Mariage Frères la conclusion d’un contrat séparé dédié à la vente en ligne, il a été constaté, et confirmé par le fabricant, qu’aucun contrat de ce type n’a été conclu à ce jour137.
107. Il résulte de ce qui précède que Mariage Frères a explicitement interdit à ses revendeurs, par le biais des stipulations relatives à la « revente des produits MARIAGE FRÈRES » des CGV, l’utilisation du canal de distribution de vente en ligne.
108. Contrairement à ce que Mariage Frères fait valoir dans ses observations, les CGV permettent à elles seules de caractériser une invitation anticoncurrentielle, même en l’absence d’autres documents contractuels, en application des principes rappelés aux paragraphes 96 et suivants.
109. La circonstance selon laquelle Mariage Frères n’aurait pas eu conscience du caractère anticoncurrentiel des CGV antérieurement à 2018 est sans incidence sur le caractère illicite de l’entente. En effet, ainsi que l’a rappelé la Cour de justice dans son arrêt du 27 juillet 2005, Aff. T-49/02 à T-51/02, Brasserie nationale SA, « [i]l est de jurisprudence constante que, pour qu’une infraction aux règles de concurrence du traité CE puisse être considérée comme ayant été commise de propos délibéré, il n’est pas nécessaire que l’entreprise ait eu conscience de restreindre la concurrence, mais il suffit qu’elle n’ait pu ignorer que la conduite incriminée avait pour objet de restreindre la concurrence, et il importe peu de savoir si l’entreprise avait ou non conscience d’enfreindre l’article 81 CE (arrêt Miller/Commission, précité, point 18, et arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Ferriere Nord/Commission, T‑143/89, Rec. p. II‑917, point 41, et la jurisprudence citée) »138. Dans le même sens, la pratique décisionnelle de l’Autorité retient qu’« il importe donc peu que les parties mises en cause n’aient pas eu conscience de porter atteinte au principe de la libre concurrence. Un tel argument ne saurait suffire à écarter le caractère illicite de l’entente »139.
110. De surcroît, il ressort des pièces du dossier que Mariage Frères a surveillé les distributeurs pour s’assurer du respect de la clause litigieuse et est intervenue directement auprès de certains d’entre eux (notamment, « Objectif Zen » et « Galeries Lafayette ») afin de leur rappeler l’existence de l’interdiction de vente en ligne et de leur demander de « retirer » les produits repérés sur Internet140.
111. S’agissant de l’acceptation par les distributeurs, celle-ci ressort également, au premier chef, d’éléments de nature documentaire. Les relations entre les distributeurs et le fournisseur Mariage Frères résultent de la prise de connaissance des CGV par les distributeurs et de leur acceptation via l’ouverture de leur compte client. Ainsi, tout distributeur de Mariage Frères ayant ouvert un compte client a, par principe, accepté les CGV, et de fait, admis l’interdiction de vente en ligne de ces produits.
112. L’acquiescement des revendeurs est par ailleurs également établi par l’acceptation explicite des CGV. En effet, il ressort des déclarations des représentants de Mariage Frères que les CGV sont également signées par les revendeurs141. Ces déclarations sont corroborées par les CGV standard de Mariage Frères elles-mêmes, qui comportent un volet de signature142 ; par des exemples de CGV signées par des revendeurs figurant au dossier143 ; enfin par des déclarations de revendeurs144. Parmi celles-ci peuvent être relevées celle de « Jocelyn Coffee » selon laquelle « J’ai lu et signé les CGV avant toutes transactions »145 ; celle de « Épicerie SO Fine » selon laquelle « Avant de pouvoir disposer des produits j’ai accepté et signé leur condition générale de vente »146 ; celle de « SARL Crescendo - La Corrida » selon laquelle « nous avons signé les CGV après en avoir pris connaissance »147 ; celle de « Un été à Marseille » selon laquelle « Mes premières relations professionnelles ont été de prendre connaissance les conditions générales de vente de Mariage Frères. […] nous avons finalisé et signé celle[s]-ci »148 ; enfin celle de « Autour du thé » selon laquelle « oui, j’ai bien pris connaissance des CGV lors de la signature de mon contrat avec Maison Mariage Frères »149.
113. De plus, contrairement à ce que soutient Mariage Frères, l’Autorité constate que les CGV recueillies au cours de l’instruction sont toutes similaires et ne comprennent aucune différenciation, de sorte qu’il ne peut être utilement soutenu qu’elles sont négociées par les revendeurs150.
114. À titre surabondant, l’existence d’un accord de volontés en l’espèce ressort également d’un faisceau d’indices comprenant des éléments de nature comportementale résultant tant des interventions directes de Mariage Frères auprès de ses distributeurs, qui visaient à obtenir le retrait de produits vendus en ligne, que de l’abstention explicite des distributeurs de vendre en ligne des produits Mariage Frères.
115. En effet, ainsi qu’il résulte des éléments mentionnés au paragraphe 26, plusieurs distributeurs ont également confirmé l’existence et l’acceptation, en pratique, de l’interdiction de vente en ligne, puisqu’une majorité des distributeurs a indiqué ne pas vendre en ligne de produits Mariage Frères en raison de l’interdiction imposée par le fournisseur. Sur ce point, le distributeur « L’Envie Gourmande » a déclaré lors de l’instruction, s’agissant de l’interdiction de vente en ligne par Mariage Frères : « Ils me l’ont dit explicitement lors de la mise en place de notre relation commerciale, pour répondre à ma question sur ce sujet. L'échange était oral et s'est déroulé début octobre 2016 »151.
116. Plusieurs distributeurs ont même précisé qu’ils ne vendaient pas en ligne de produits Mariage Frères à la suite du refus opposé par cette dernière à leur demande. À cet égard, la boutique « Le Rameau d’Olivier » a précisé, pour sa part, avoir demandé l’autorisation de vendre les produits Mariage Frères en ligne et s’être heurtée à un « refus catégorique » de Mariage Frères152. Dans le même sens, le représentant de la boutique « Les Thés Duval » a déclaré : « Lors du lancement de mon site, j’ai moi-même contacté un commercial Mariage Frères qui m’a stipulé que je ne pouvais pas vendre en ligne leurs produits »153. « Objectif Zen » a indiqué avoir ouvert en 2013 une boutique en ligne vendant notamment des produits Mariage Frères et avoir « reçu très rapidement un appel téléphonique de leur part m’expliquant que vendre leurs produits sur internet était contraire aux conditions générales de vente que j’avais signées avec eux au début de notre relation commerciale », en précisant toutefois « Depuis 2 ans nous vendons leur produit sur notre site, il semblerait que nous ayons une tolérance sans plus d’information »154. Enfin, « Roi de Bretagne » a confirmé avoir « obtenu implicitement l'autorisation par téléphone en Avril 2020 durant la période du Covid 19 »155.
117. En tout état de cause, comme rappelé au paragraphe 101 ci-avant, en présence d’une pratique anticoncurrentielle insérée dans un ensemble de relations commerciales continues, il n’est pas nécessaire de rapporter la preuve individualisée d’un acquiescement de chacun des distributeurs aux pratiques dénoncées. La jurisprudence, s’agissant du caractère généralisé d’une entente, admet traditionnellement que celui-ci est établi même si l’entente n’est pas mise en oeuvre par l’ensemble des distributeurs, les éléments du faisceau d’indices pouvant ne concerner qu’un nombre « significatif » de revendeurs la mettant en oeuvre156. Par conséquent, le fait qu’une minorité de distributeurs interrogés par les services d’instruction (seulement quatre sur treize), ait obtenu une autorisation implicite de vendre en ligne les produits Mariage Frères ne peut être considéré comme suffisant à démontrer que la quasi-totalité des distributeurs n’ont pas acquiescé aux stipulations litigieuses. Cette circonstance ne suffit pas davantage à remettre en cause l’existence même de l’accord et son caractère restrictif de concurrence.
118. Il résulte de ce qui précède que l’accord de volontés entre Mariage Frères et ses distributeurs est établi par des preuves documentaires directes corroborées par des éléments de nature comportementale.
b) S’agissant de la démonstration de l’existence d’une restriction de concurrence
Principes applicables
119. L’article 101 du TFUE prévoit que « [s]ont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, […] qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur, et notamment ceux qui consistent à (...) c) répartir les marchés ou les sources d’approvisionnement ».
120. De même, l’article L. 420-1 du code de commerce dispose que « [s]ont prohibées même par l’intermédiaire direct ou indirect d’une société du groupe implantée hors de France, lorsqu’elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu’ elles tendent à : (...) 4° Répartir les marchés ou les sources d’approvisionnement ».
121. Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice, la notion de restriction de concurrence par objet doit être interprétée de manière restrictive. Elle ne peut être appliquée qu’à certains types de coordination entre entreprises révélant un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire157. Cependant, ceci n’implique nullement que l’autorité ou la juridiction compétente ne puisse procéder à un tel examen lorsqu’elle l’estime opportun158. En effet, l’article 101, paragraphe 1, TFUE ne s’oppose pas à ce qu’un même comportement anticoncurrentiel soit considéré comme ayant à la fois pour objet et pour effet de restreindre le jeu de la concurrence, au sens de cette disposition159.
122. Afin d’apprécier si un accord entre entreprises ou une décision d’association d’entreprises présente un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour être considéré comme une restriction de concurrence par objet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, il convient de s’attacher à la teneur de ses dispositions, aux objectifs qu’il vise à atteindre ainsi qu’au contexte économique et juridique dans lequel il s’insère. Dans le cadre de l’appréciation dudit contexte, il y a lieu également de prendre en considération la nature des biens ou des services affectés ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du ou des marchés en question160.
123. S’agissant de la prise en compte des objectifs poursuivis par une mesure faisant l’objet d’une appréciation au titre de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, la Cour de justice a jugé que le fait qu’une mesure soit considérée comme poursuivant un objectif légitime n’exclut pas que, eu égard à l’existence d’un autre objectif poursuivi par celle-ci et devant être regardé, quant à lui, comme illégitime, compte tenu également de la teneur des dispositions de cette mesure et du contexte dans lequel elle s’inscrit, ladite mesure puisse être considérée comme ayant un objet restrictif de la concurrence161.
124. Par ailleurs, aux termes des lignes directrices de la Commission sur les restrictions verticales de 2000, 2010 et 2022, ainsi que du règlement (UE) n°2022/720, constitue un accord vertical « un accord ou une pratique concertée entre deux ou plusieurs entreprises opérant chacune, aux fins de l'accord ou de la pratique concertée, à un niveau différent de la chaîne de production ou de distribution, et relatif aux conditions auxquelles les parties peuvent acheter, vendre ou revendre certains biens ou services »162. Les lignes directrices de 2000 et 2010 mentionnent, notamment, que « [l]a restriction caractérisée visée à l’article 4, point b), du règlement d’exemption par catégorie concerne les accords et pratiques concertées qui ont directement ou indirectement pour objet de restreindre les ventes réalisées par un acheteur partie à l’accord ou par ses clients, pour autant que la restriction porte sur le territoire sur lequel, ou sur la clientèle à laquelle, l’acheteur ou ses clients peuvent vendre les biens ou services contractuelles. Cette restriction caractérisée est liée au partage du marché en territoires et en clientèle »163.
125. S’agissant de la revente sur internet, les lignes directrices de 2000 et 2010 précisent « [qu’]Internet est un instrument puissant qui permet d'atteindre un plus grand nombre et une plus grande variété de clients que par les seules méthodes de vente plus traditionnelles » et « [qu’]en principe, tout distributeur doit être autorisé à utiliser internet pour vendre ses produits »164 et que « quoi qu’il en soit le fournisseur ne peut se réserver les ventes ou la publicité sur internet »165. Ainsi, constitue en particulier une restriction caractérisée contraire à l’article 4, point b), du règlement (UE) n° 330/2010166 tout accord consistant à convenir, d’une part, que « le distributeur (exclusif) empêche les clients situés sur un autre territoire (exclusif) de consulter son site internet ou les renvoie automatiquement vers les sites du fabricant ou d'autres distributeurs (exclusifs) », d’autre part, que « le distributeur limite la part de ses ventes réalisées par internet »167. Par ailleurs, le nouveau règlement (UE) n° 2022/720 qualifie de restriction caractérisée l’interdiction d’utilisation effective d’internet par l’acheteur ou ses clients pour vendre les biens ou services contractuels, car cela restreint le territoire sur lequel, ou la clientèle à laquelle, les biens ou services contractuels peuvent être vendus168. Les lignes directrices sur les restrictions verticales de 2022 précisent également « [qu’u]n accord vertical contenant une ou plusieurs restrictions des ventes en ligne ou de la publicité en ligne qui interdisent de facto à l’acheteur d’utiliser l’internet pour vendre les biens ou services contractuels a, à tout le moins, pour objet de restreindre les ventes passives aux utilisateurs finals désireux d’acheter en ligne et situés en dehors de la zone de chalandise physique de l’acheteur. Par conséquent, de tels accords relèvent de l’article 4, point e), du règlement (UE) 2022/720 »169.
126. S’agissant spécifiquement de la clause d’un contrat de distribution ayant pour conséquence une interdiction de vente en ligne, la Cour de justice a jugé, dans son arrêt du 13 octobre 2011, Pierre Fabre, qu’une telle clause constitue une restriction par objet si, « à la suite d’un examen individuel et concret de la teneur et de l’objectif de cette clause contractuelle et du contexte juridique et économique dans lequel elle s’inscrit, il apparaît que, eu égard aux propriétés des produits en cause, cette clause n’est pas objectivement justifiée »170. Par ailleurs, la Cour de justice a également précisé, à cette occasion, que la clause « interdisant de facto Internet comme mode de commercialisation ne saurait être considérée comme une clause interdisant aux membres du système de distribution sélective concerné d’opérer à partir d’un lieu d’établissement non autorisé au sens de l’article 4, sous c), du règlement n° 2790/1999 »171.
127. L’Autorité, comme les juridictions nationales, se sont prononcées à plusieurs reprises sur la question des restrictions de vente en ligne. Ainsi, dans l’affaire Pierre Fabre, à la suite de l’arrêt de la Cour de justice, précité, la cour d’appel de Paris a jugé, dans son arrêt du 31 janvier 2013, que « la clause contractuelle interdisant de facto toutes formes de vente par Internet pour les produits en cause n’apparaît [...] pas justifiée par un objectif légitime [...] [et] constitue une restriction de concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE »172.
128. Dans sa décision n° 19-D-14 du 1er juillet 2019 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la distribution des cycles haut de gamme, l’Autorité a considéré que l’objectif de préservation d’un modèle économique à forte valeur ajoutée, fondé sur l’image de marque, la qualité du service et une relation personnalisée avec le client « pouvait être atteint autrement qu’en neutralisant le canal de distribution par Internet, notamment en imposant des obligations de service aux revendeurs, comme par exemple celle de fournir les conseils nécessaires pour bien choisir un vélo ou utiliser de manière optimale un cycle, via un service d’assistance spécialisé en ligne (« hotline » ou « live chat ») »173. Elle a alors conclu que « |l]’interdiction ainsi posée constitue partant, de par sa nocivité, une restriction de concurrence par objet au sens des articles 101, paragraphe 1 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce »174. De même, dans sa décision n° 21-D-20 du 22 juillet 2021 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des lunettes et montures de lunettes, l’Autorité a considéré que, n’étant justifiées par aucun objectif légitime, des clauses interdisant la vente en ligne de lunettes solaires et des montures de lunettes de vue incluses dans les contrats conclus entre les marques et fabricants de lunettes et les opticiens étaient restrictives de concurrence par objet175.
129. De plus, dans la décision n° 19-D-14 précitée, l’Autorité a relevé que « l’existence de ventes sur Internet (...) à l’époque des faits, potentiellement réalisées en violation de dispositions contractuelles, ne démontre pas l’absence d’une interdiction (...) de telles ventes par les distributeurs pendant la même période »176.
Application au cas d’espèce
Sur la teneur et les objectifs de l’accord
130. Les clauses des CGV – qui constituent l’unique fondement des relations contractuelles de Mariage Frères avec ses revendeurs – prévoient l’interdiction de la vente en ligne aux distributeurs de Mariage Frères. Elles octroient ainsi au seul fabricant l’exclusivité de la vente en ligne de ses produits.
131. S’agissant des CGV 2008–2013, leur article 1 prévoyait que « Mariage Frères International souhaite rappeler qu’elle seule est à même de […] vendre par correspondance par le biais d’Internet ou autre, ses articles de la gamme de thés, d’épicerie et d’accessoires »177.
132. S’agissant des CGV 2013–2018, l’interdiction résulte non seulement de la stipulation susmentionnée, mais également d’une stipulation à portée impérative introduite par Mariage Frères, qui énonce que « |l]es droits de vente à distance et de vente sur Internet appartiennent exclusivement à MAISONS DE THE MARIAGE FRERES SA »178.
133. S’agissant des CGV 2019, la stipulation concernant les ventes en ligne (introduite à la suite de l’ouverture de l’enquête par la DGCCRF) – aux termes de laquelle « |l]a revente de produits Mariage Frères sur Internet et sur d’autres réseaux fait l’objet d’un contrat séparé […] Un site de vente sur Internet est considéré comme un point de vente individuel. L’obtention d’un accord de revente de produits Mariage Frères sur un point de vente individuel ne donne pas droit à la mise en place et à la revente de ces mêmes produits dans un autre point de vente individuel. Chaque point de vente faisant l’objet d’une demande spécifique et d’une étude par Mariage Frères pour valider ou non l’intégration de ce point de vente supplémentaire dans son réseau de revendeurs sélectifs »179 – interdit, en réalité, l’utilisation de ce canal de vente, en assimilant le site internet des distributeurs à un point de vente individuel distinct, pour lequel une autorisation ad hoc doit être obtenue.
134. Mariage Frères entend se prévaloir des Lignes directrices sur les restrictions verticales de 2010 et de 2022, ainsi que de l’arrêt Pierre Fabre pour soutenir « [qu’]il est interdit de totalement d’interdire [sic] la vente en ligne dans le cadre d’un réseau de distribution sélective. »180. Elle fait ainsi valoir « [qu’]il ne saurait être déduit de [l’arrêt Pierre Fabre] que les clauses présentes dans des CGV qui auraient […] pour objectif d’inviter […] les revendeurs souhaitant revendre les produits Mariage Frères en ligne à préalablement en informer per se [sic] le fournisseur, soient constitutives d’une restriction par objet »181.
135. Mariage Frères fait encore valoir qu’aucune pression ou mesure de surveillance n’étant exercée, les revendeurs qui le souhaitent sont libres de vendre en ligne les produits Mariage Frères. La circonstance que certains revendeurs choisissent de ne pas employer ce canal est, selon elle, uniquement liée à leur propre stratégie commerciale, ou à des motifs relatifs à la logistique et aux coûts trop élevés engendrés. Enfin, Mariage Frères soutient que la vente en ligne n’aurait aucun effet positif en termes de conquête de potentiels nouveaux clients situés en dehors de la zone de chalandise des revendeurs. À l’appui de ces arguments, Mariage Frères invoque dans ses observations les nouvelles déclarations recueillies par ses soins postérieurement à la notification des griefs du 24 janvier 2023.
136. En tout état de cause, Mariage Frères soutient n’imposer « aucune « interdiction absolue de vente par internet » à ses revendeurs individuels. ». Elle fait valoir que « les CGV se contentent de prévoir que le recours à la vente en ligne par les revendeurs devra faire l’objet d’une autorisation préalable de Mariage Frères ».
137. Il ressort de la jurisprudence de l’Union rappelée aux paragraphes 127 et suivants que l’interdiction de vente sur internet n’équivaut pas à l’interdiction d’opérer à partir d’un lieu d’établissement non autorisé. Ainsi, dans son arrêt Pierre Fabre précité, la Cour a considéré « [qu’]une clause contractuelle […] interdisant de facto Internet comme mode de commercialisation ne saurait être considérée comme une clause interdisant aux membres du système de distribution sélective concerné d’opérer à partir d’un lieu d’établissement non autorisé au sens de l’article 4, sous c), du règlement n° 2790/1999 »182.
138. C’est à tort que Mariage Frères se prévaut des Lignes directrices sur les restrictions verticales de 2010183 et de 2022184, ainsi que de l’arrêt Pierre Fabre, pour soutenir que l’interdiction des ventes en ligne ne serait illégale que dans un système de distribution sélective. En effet, les lignes directrices sur les restrictions verticales de 2000 précisent « [qu’]en principe, tout distributeur doit être autorisé à utiliser internet pour vendre ses produits »185. Ainsi, constitue une restriction caractérisée contraire à l’article 4, sous (b), des règlements (UE) n° 330/2010 et (CE) n° 270/1999186 tout accord consistant à « convenir que le distributeur limite la part de ses ventes réalisées par internet »187 quel que soit le modèle de distribution adopté par le fournisseur. En outre, les principes dégagés par les juridictions de l’Union s’agissant de l’application de cette disposition aux restrictions à la vente en ligne ont été rassemblés dans le nouvel article 4, sous e), du règlement (UE) n° 2022/720, qui qualifie de restriction caractérisée l’interdiction d’utilisation effective de l’internet par l’acheteur ou ses clients pour vendre les biens ou services contractuels, sans aucune distinction ou référence à la nature du système de distribution dans lequel le fournisseur opère188.
139. Par ailleurs, et contrairement à ce que soutient Mariage Frères, si les CGV 2019 ont, effectivement, été modifiées après l’intervention de la DGCCRF189, leur version amendée – toujours en vigueur – continue, de manière indirecte, sous couvert d’un mécanisme d’autorisation ad hoc qui n’est subordonné à aucun critère objectif de nature quantitative, à interdire le recours à ce canal de vente.
140. Dans sa décision du 17 décembre 2018, Guess, la Commission a considéré que l’exigence d’autorisation écrite de la part du fournisseur pour la vente en ligne de ses produits constituait une restriction de concurrence par objet, dès lors qu’elle n’était liée à aucun critère qualitatif. Selon la Commission, cette exigence, loin de garantir le respect de critères objectifs de nature qualitative, avait donné au fournisseur « la plus grande discrétion possible s’agissant de la décision d’autoriser ou non les détaillants agréés à vendre en ligne » (traduction libre)190. Dans le même sens, la cour d’appel de Paris a également considéré que « [l]e fait d'interdire par principe la vente sur internet, sauf accord de la tête de réseau, revient à prohiber les ventes passives, ce qui est illégal »191.
141. Il en ressort qu’en l’espèce, la clause concernée, en assimilant le site internet des revendeurs à un point de vente individuel distinct, pour lequel une autorisation ad hoc doit être obtenue et qui doit donner lieu à la conclusion d’un contrat séparé, constitue bien une restriction de concurrence comparable à une interdiction absolue de nature explicite. L’Autorité relève, de surcroît, que Mariage Frères n’a conclu aucun contrat de distribution distinct et dédié à la vente en ligne avec aucun de ses distributeurs, alors même que plusieurs d’entre eux ont déclaré avoir fait part à Mariage Frères de leur souhait de vendre en ligne. À cet égard, la société « Les Thés Duval » a déclaré qu’il est pour elle « essentiel de donner la possibilité à la clientèle de pouvoir commander en ligne » et a souligné que l’interdiction imposée par Mariage Frères constitue un « réel frein à [son] activité »192.
142. Contrairement à ce que soutient Mariage Frères, le caractère anticoncurrentiel de l’accord n’est pas remis en cause par le fait que certains distributeurs ont déclaré vendre des thés Mariage Frères en ligne, sans autorisation du fabricant, ou avoir obtenu son autorisation implicite (tels que « Roi de Bretagne », « Objectif Zen » ou encore « La Grande Épicerie – Le Bon Marché » ou « Galeries Lafayette »).
143. En effet, d’une part, il est constant que l’existence d’une entente ne saurait être remise en cause par l’existence de déviations ponctuelles. Par ailleurs, et d’autre part, il ressort de la pratique décisionnelle précitée au paragraphe 101 ci-avant que la signature postérieure, par un fournisseur et certains de ses distributeurs, de nouveaux contrats-types ne comportant pas lesdites clauses ne saurait suffire à mettre un terme à l’infraction. Seule la signature des nouveaux contrats par le fournisseur et la grande majorité, voire la totalité de ses distributeurs, est en effet susceptible de matérialiser la fin d’une telle entente193. Ainsi, seule la signature d’un nouveau contrat de distribution de Mariage Frères appliqué à tous ses distributeurs et leur permettant de vendre en ligne des produits de la marque serait susceptible de mettre fin aux pratiques en cause. Or, au cas d’espèce, les relations commerciales avec les distributeurs sont toujours régies par les seules CGV contenant des clauses interdisant la vente en ligne des produits Mariage Frères.
144. Enfin, contrairement à ce que prétend Mariage Frères, les éléments qu’elle a recueillis auprès de certains de ses distributeurs après l’envoi de la notification des griefs n’infirment pas le caractère anticoncurrentiel de la pratique en cause. En effet, à supposer que les déclarations concernées, en ce qu’elles sont recueillies par la tête d’un réseau de distribution auprès de revendeurs qui réalisent avec les produits concernés une part importante, sinon prépondérante, de leur chiffre d’affaires, puissent être considérées comme suffisamment fiables, crédibles et objectives (quod non) 194, force est de constater qu’elles ne revêtent pas la portée alléguée par Mariage Frères. Les nouvelles déclarations des revendeurs « L’Envie Gourmande » et « Roi de Bretagne » attestent uniquement qu’ils disposent actuellement d’un site internet marchand ou vitrine195. Toutefois, ces revendeurs ne contestent pas les déclarations faites précédemment, notamment le fait que Mariage Frères leur avait refusé à plusieurs reprises la vente en ligne196. Quant aux revendeurs « Le Thé Duval »197 et « Impacteam (Le Rameau d’Olivier) »198, ils ne reviennent nullement sur leurs déclarations antérieures relatives aux refus – « catégorique » selon « Impacteam (Le Rameau d’Olivier) »199 – de vendre en ligne. En particulier, dans ces nouvelles déclarations, le revendeur « Les Thé Duval » se limite à préciser le pourcentage du chiffre d’affaires lié aux ventes en ligne200 alors que « Impacteam (Le Rameau d’Olivier) » indique avoir cessé de vendre en ligne en 2017201.
145. Il résulte de ce qui précède qu’il ressort de la teneur et des objectifs des stipulations des CGV de Mariage Frères que celles-ci visent à empêcher la vente de ses produits en ligne, au détriment de la liberté commerciale de ses distributeurs.
Sur le contexte économique et juridique de la pratique en cause
146. Les interdictions de vendre sur Internet ont pour effet d’éliminer un moyen de distribution, qui permettrait aux clients d’acheter ces produits en dehors de la zone de chalandise de leur magasin de proximité, au détriment de la concurrence intra-marque. Celle-ci pourrait aussi être améliorée en raison de l’accroissement de la transparence des prix et des possibilités de comparaison des prix et des produits liés à la vente par Internet, lorsqu’elle est suffisamment développée.
147. En s’appuyant sur sa double qualité de fournisseur et de concurrent des revendeurs sur la vente au détail, Mariage Frères a pu piloter ses débouchés commerciaux, via son système centralisé de vente en ligne, tout en conservant un avantage concurrentiel considérable sur ces derniers et a, ainsi, faussé le contexte concurrentiel de la vente de ses produits sur le marché.
148. La circonstance que le fournisseur soit libre d’organiser son réseau de distribution comme il l’entend impose que la répartition des tâches, qui résulterait de cette organisation, n’engendre pas de pratiques anticoncurrentielles. Ainsi, l’organisation par Mariage Frères de son réseau de distribution, consistant à disposer de revendeurs indépendants tout en intervenant directement sur le marché de détail pour commercialiser ses produits, n’est pas, en elle-même, prohibée par le droit de la concurrence. En revanche, le principe de libre organisation du réseau ne peut autoriser Mariage Frères, au travers de son système centralisé de vente en ligne, à restreindre la liberté commerciale de ses revendeurs. Ce dispositif aboutit à fausser la concurrence que doivent normalement se livrer les revendeurs, non seulement entre eux, mais surtout à l’égard de Mariage Frères sur le canal de distribution de la vente en ligne.
149. Par ailleurs, l’interdiction de vendre sur Internet prive les revendeurs de retombées indirectes de la vente en ligne sur l’activité des magasins.
Sur le caractère nécessaire et proportionné de la restriction de vente en ligne
150. Il ressort des pièces du dossier que Mariage Frères entend s’opposer à la vente en ligne de ses distributeurs afin de préserver l’image de prestige de ses produits. Cet objectif ressort nettement des déclarations faites en 2018 et 2022 : « Certains de nos distributeurs ont eu envie de vendre par internet, mais nous souhaitons conserver le contrôle [de] la diffusion de nos produit[s] »202 et « maitriser la façon dont nos produits seraient commercialisés, la qualité du site internet »203.
151. Or, et comme indiqué ci-avant, de tels objectifs ne sauraient constituer ni une mesure objectivement justifiée, ni une mesure proportionnée, acceptable au regard du droit de la concurrence. En effet, il ressort de la jurisprudence qu’est compatible avec le droit de la concurrence le contrôle, par un fabricant, de la commercialisation de ses produits en ligne reposant sur des critères qualitatifs spécifiques que les sites de vente en ligne des distributeurs doivent respecter. Dans une telle hypothèse, le fournisseur peut conserver le contrôle de la diffusion de ses produits, sans neutraliser de manière absolue le canal de distribution de la vente en ligne. Ainsi, il ressort de l’arrêt de la Cour de Justice du 6 décembre 2017, Coty, que la clause contractuelle conférant au fournisseur la possibilité d’encadrer la vente en ligne de ses produits doit avoir une justification objective204 et proportionnée au regard de l’objectif poursuivi, telle que « préserver l’image de luxe et de prestige des produits concernés »205 dans le cadre d’un système de distribution sélective, et doit être appliquée d’une façon non discriminatoire, sans toutefois interdire « de manière absolue aux distributeurs agréés de vendre sur Internet les produits contractuels »206.
152. En l’espèce, les critères jurisprudentiels rappelés au paragraphe 151 ne sont pas réunis, en l’absence notamment de système de distribution sélective. Dès lors, les objectifs allégués par Mariage Frères ne peuvent constituer des justifications objectives de l’interdiction absolue de vente par Internet prévue par les CGV.
*
153. Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que les clauses des CGV 2008–2013, des CGV 2013–2018 et des CGV 2019, interdisant aux distributeurs la vente en ligne des thés haut de gamme Mariage Frères, constituent, par leur nocivité, une restriction de concurrence par objet au sens des articles 101, paragraphe 1, du TFUE et L. 420 1 du code de commerce.
154. En vertu d’une jurisprudence constante, dès lors que l’objet anticoncurrentiel d’un accord est démontré, il n’est pas nécessaire d’établir l’existence des effets qu’il est à même d’engendrer207.
Sur l’octroi d’une exemption par catégorie
155. En l’espèce, le système de distribution mis en oeuvre par Mariage Frères repose notamment sur l’impossibilité pour les distributeurs – prévue par toutes les versions des CGV – d’utiliser la vente en ligne afin d’élargir leur zone de chalandise.
156. En outre, comme il a été démontré, l’objectif poursuivi par Mariage Frères est de contrôler la commercialisation de ses produits sur le canal de vente en ligne, et ainsi de concentrer les ventes en ligne de ses produits sur son propre site marchand.
157. Il est constant que la présomption de légalité prévue à l’article 2 des règlements précités ne peut être invoquée, indépendamment de la part de marché du fournisseur et des distributeurs, dès lors que l’on est en présence d’un accord qui a pour objet d’interdire la vente en ligne de produits Mariage Frères et qui intègre une restriction caractérisée au sens de l’article 4, sous b) du règlement (CE) n° 2790/1999 et du règlement (UE) n° 330/2010, ainsi que de l’article 4, sous e) du règlement (UE) n° 2022/720, tels qu’interprétés par la jurisprudence européenne et nationale citée aux paragraphes 125 et suivants.
158. En conséquence, Mariage Frères ne peut prétendre à l’application de l’exemption catégorielle prévue par lesdits règlements, indépendamment de sa part de marché. Par ailleurs, dans la mesure où aucune demande en ce sens n’a été formulée par l’entreprise mise en cause, il n’y a pas lieu d’examiner si la pratique en cause peut faire l’objet d’une exemption individuelle, sur le fondement des articles 101, paragraphe 3, TFUE et L. 420-4 du code de commerce.
2. EN CE QUI CONCERNE LA PRATIQUE VISEE PAR LE GRIEF N° 2
159. Sera abordée ci-après l’existence d’un accord de volontés (a) et d’une restriction de concurrence (b).
a) S’agissant de la démonstration de l’accord de volontés
160. Ainsi qu’il a été relevé aux paragraphes 27 à 29, l’article premier des CGV de Mariage Frères diffusées auprès de ses distributeurs à l’ouverture de leur compte client et signées par ces derniers octroie à Mariage Frères une exclusivité sur la vente en gros et n’autorise la revente de ses produits qu’aux particuliers : « (…) Mariage Frères International souhaite rappeler qu’elle seule est à même de distribuer au prix de gros et demi-gros et de vendre par correspondance par le biais d’Internet ou autre, ses articles de la gamme de thés, d’épicerie et d’accessoires, et que ces produits doivent être destinés uniquement à la revente au détail en magasin, à l’attention de clients particuliers »208. Cette clause, restée quasi inchangée depuis juillet 2008209 figure toujours dans les CGV 2021210.
161. L’accord de volontés établissant l’entente verticale entre Mariage Frères et ses distributeurs visant à interdire à ceux-ci, aux termes des CGV, la revente de produits Mariage Frères à d’autres revendeurs, résulte de l’invitation de Mariage Frères à mettre en oeuvre la pratique litigieuse et de l’acquiescement des distributeurs à la pratique proposée, en application des principes cités aux paragraphes 96 à 102 de la présente décision, et compte tenu des éléments mentionnés aux paragraphes 103 à 118, relatifs à l’accord de volonté relatif à la restriction de vente en ligne.
b) S’agissant de la démonstration de l’existence d’une restriction de concurrence
Principes applicables
162. S’agissant de la restriction de fournitures croisées, la pratique décisionnelle européenne, conformément à la jurisprudence européenne, considère qu’une telle restriction au sein d’un réseau de distribution sélective constitue « une restriction de concurrence par objet au sens de l'article 101, paragraphe 1, du traité »211.
163. En outre, cette pratique est considérée, en droit de l’Union, comme une restriction caractérisée par les règlements concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du TFUE à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées qui se sont suivis au fil du temps (i.e., le règlement (CE) n° 2790/1999, le règlement (UE) n° 330/2010 et le règlement (UE) n° 2022/720)212.
164. En particulier, le point 58 des lignes directrices sur les restrictions verticales (dans leur version de 2010) précise que les distributeurs désignés à l’intérieur d’un système de distribution sélective « doivent rester libres d’acheter des produits contractuels aux autres distributeurs désignés, membres du réseau, qui agissent au même stade commercial ou à un stade différent. Il en résulte que la distribution sélective ne peut être combinée avec des restrictions verticales visant à contraindre les distributeurs à s’approvisionner en produits contractuels exclusivement auprès d’un fournisseur donné. Cela signifie également qu'à l'intérieur d'un réseau de distribution sélective, aucune restriction ne peut être imposée aux grossistes désignés en ce qui concerne leurs ventes du produit contractuel aux détaillants désignés ». Le même principe est réitéré dans les nouvelles lignes directrices entrées en vigueur le 1er juin 2022, au point 237.
165. Par ailleurs, pour ce qui concerne un fournisseur qui n’a mis en place ni un système de distribution exclusive ni un système de distribution sélective, est considérée comme une restriction caractérisée une restriction de clientèle en vertu de l'article 4, sous d) du règlement (UE) n° 2022/720, ainsi que de l'article 4, sous b), des règlements (UE) n° 330/2010 et (CE) n° 2790/1999.
166. Ainsi que l’a souligné la cour d’appel de Paris, les clauses incriminées, « en ce qu'elles tendent à restreindre la liberté des acheteurs de revendre, ont un objet anticoncurrentiel, prohibé en soi ; que l'infraction à cette interdiction est constituée par la seule présence de la clause, indépendamment de ses effets, lesquels, théoriquement certains, sont cependant impossibles à mesurer exactement puisqu'il est logiquement impossible d'attribuer avec certitude l'éventuelle absence des reventes proscrites à l'obéissance aux clauses incriminées plutôt qu'à d'autres motifs ; qu'il serait au demeurant hasardeux d'affirmer que tous les adhérents du réseau […] , ayant accepté ces clauses, se seraient néanmoins regardés comme libres de revendre sans restriction à qui bon leur semblerait, seule condition qui permettrait de prétendre que la clause litigieuse n'aurait eu aucun effet »213. Dans le même sens, la pratique décisionnelle retient que « les pratiques qui restreignent la clientèle à laquelle l’acheteur peut vendre les biens ou services contractuels ont nécessairement un objet anticoncurrentiel, sans qu’il soit besoin de mesurer leurs effets concrets »214.
167. L’article 4, sous b), des règlements (CE) n° 2790/1999, (UE) n° 330/2010 et sous d) du règlement (UE) n° 2022/720 exclut du bénéfice de l’exemption par catégorie prévue par ces règlements les accords verticaux qui, directement ou indirectement, isolément ou cumulés avec d’autres facteurs sur lesquels les parties peuvent influer, ont pour objet de restreindre « le territoire sur lequel, ou de la clientèle à laquelle, un acheteur peut vendre activement ou passivement les biens ou services contractuels ».
168. En outre, les nouvelles lignes directrices sur les restrictions verticales entrées en vigueur le 1er juin 2022 ont cristallisé au point 238 le principe selon lequel « La restriction caractérisée énoncée à l’article 4, point d), du règlement (UE) 2022/720 concerne les accords ou pratiques concertées qui, directement ou indirectement, ont pour objet la restriction du territoire sur lequel ou des clients auxquels un acheteur peut activement ou passivement vendre les biens ou services contractuels dans un système de libre distribution ».
Application au cas d’espèce
169. Les clauses des CGV 2008–2013, ainsi que celles des CGV 2013–2018 et des CGV 2019 ont pour objet d’interdire aux distributeurs la revente de produits de thés haut de gamme à d’autres distributeurs au sein du réseau de distribution Mariage Frères. Cette restriction a pour finalité de permettre à Mariage Frères d’empêcher l’approvisionnement de produits Mariage Frères entre distributeurs et ainsi de lui octroyer une exclusivité sur la vente en gros. La circonstance selon laquelle les revendeurs choisiraient de ne pas recourir à la vente en gros en raison de considérations objectives, telles que les investissements matériels, financiers et logistiques nécessaires, est sans incidence sur l’illicéité de la pratique.
170. Ainsi qu’il a été relevé aux paragraphes 16 et 104, Mariage Frères n’exerce pas son activité dans le cadre d’un système de distribution sélective ou de distribution exclusive. Dès lors, en application des principes cités aux paragraphes 165 et 166, la restriction de clientèle imposée par lesdites clauses litigieuses constitue, de par la seule présence de celles-ci parmi les CGV, une restriction caractérisée.
171. Il résulte de ce qui précède que, compte tenu de l’objectif qu’elle vise et du contexte économique et juridique dans lequel elle s’insère, la pratique mise en oeuvre par Mariage Frères et ses distributeurs révèle un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour être qualifiée de restriction par objet au sens des articles 101, paragraphe 1, du TFUE et L. 420 1 du code de commerce.
172. Par ailleurs, et bien que l’examen de ses effets ne soit pas nécessaire, il convient de souligner que la restriction visée au titre du second grief a eu pour effet de cloisonner le marché national du thé haut de gamme. En effet, en s’octroyant une exclusivité sur la vente en gros, Mariage Frères a fait obstacle à une éventuelle concurrence intra-marque sur la vente en gros et a sciemment limité les sources d’approvisionnements de son réseau de distribution.
173. Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que les clauses des CGV 2008–2013, 2013–2018 et 2019, interdisant la revente de produits de thés haut de gamme à d’autres distributeurs, ont un objet anticoncurrentiel et constituent une restriction caractérisée au sens de l’article 4 sous b) et d) du règlement (CE) n° 2790/1999, du règlement (UE) n° 330/2010, ainsi de l’article 4 sous c) et d) du nouveau règlement (UE) n° 2022/720. Elles ne peuvent, partant, faire l’objet d’une exemption sur le fondement de l’article 2 de ce même texte. Par ailleurs, dans la mesure où aucune demande en ce sens n’a été formulée par l’entreprise mise en cause, il n’y a pas lieu d’examiner si la pratique en cause peut faire l’objet d’une exemption individuelle, sur le fondement des articles 101, paragraphe 3, TFUE et L. 420-4 du code de commerce.
3. EN CE QUI CONCERNE LA DUREE DES PRATIQUES
a) Principes applicables
174. Il ressort de la jurisprudence de l’Union européenne que la durée d’une infraction aux règles de la concurrence est déterminée au regard de la période qui s’est écoulée entre la date de la conclusion de l’accord et la date à laquelle il y a été mis fin215.
175. Il est ainsi exigé « [qu’]en l'absence d'éléments de preuve susceptibles d'établir directement la durée d'une infraction », il est nécessaire de démontrer « au moins, des éléments de preuve se rapportant à des faits suffisamment rapprochés dans le temps, de façon qu'il puisse être raisonnablement admis que cette infraction s'est poursuivie de façon ininterrompue entre deux dates précises »216. Une infraction continue peut ainsi être caractérisée sur une période donnée sans que ne soit démontrée l’existence d’actes matériels tout au long de cette période.
176. Cette jurisprudence est reprise par les juridictions nationales qui précisent « qu'une pratique anticoncurrentielle revêt un caractère instantané lorsqu'elle est réalisée en un trait de temps, dès la commission des faits qui la constituent et qu'elle revêt au contraire un caractère continu lorsque l'état délictuel se prolonge dans le temps par la réitération constante ou par la persistance de la volonté anticoncurrentielle après l'acte initial sans qu'un acte matériel ait nécessairement à la renouveler dans le temps »217.
b) Application au cas d’espèce
177. Les clauses relatives aux pratiques visées par les griefs notifiés figurent dans les CGV de Mariage Frères sans discontinuité depuis, à tout le moins, la diffusion par Mariage Frères de celles de juillet 2008 auprès des distributeurs, jusqu’à ce jour. En effet, il ressort que les CGV de janvier 2021 sont toujours en vigueur aujourd’hui.
178. S’agissant de la pratique visée par le grief n° 1, Mariage Frères, en l’absence de réseau de distribution sélective, ne saurait utilement se prévaloir d’une quelconque incertitude juridique concernant les règles applicables aux restrictions des ventes en ligne jusqu’à l’arrêt Pierre Fabre de la cour d’appel de Paris du 31 janvier 2013. Mariage Frères n’est pas davantage fondée à se prévaloir de l’indication du RAE de la DGCCRF selon laquelle l’« interdiction générale de revente des produits MARIAGE FRÈRES sur Internet […] a cessé […] en janvier 2019 », dès lors que l’Autorité, se saisissant in rem, n’est pas liée par cette analyse.
179. S’agissant de la pratique visée par le grief n° 2, Mariage Frères n’est pas davantage fondée à se prévaloir d’une quelconque incertitude juridique antérieure à la décision de la Commission rendue dans l’affaire Guess le 17 décembre 2018, de telles restrictions ayant été considérées sans discontinuité comme des restrictions caractérisées depuis le règlement (CE) n° 2790/1999.
180. Enfin, la circonstance selon laquelle l’avertissement de la DGCCRF du 8 juin 2015 ne mentionnait pas la clause relative à la pratique visée par le grief n° 2 est sans incidence sur l’illicéité de cette clause depuis sa diffusion à partir de juillet 2008, et donc sur la durée des pratiques retenue.
181. Compte tenu de ce qui précède, les pratiques visées par les griefs notifiés ont été mises en oeuvre à partir de juillet 2008 pour se prolonger jusqu’à la date de la notification de griefs, soit le 24 janvier 2023.
E. SUR L’IMPUTABILITE
182. Il résulte d’une jurisprudence constante que les articles L. 420-1 du code de commerce et 101 TFUE visent les infractions commises par des entreprises, comprises comme désignant des entités exerçant une activité économique. Le juge de l’Union a précisé que la notion d’entreprise doit être comprise comme désignant une unité économique, même si, du point de vue juridique, celle-ci est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales.
183. En droit interne comme en droit de l’Union, au sein d’un groupe de sociétés, le comportement d’une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques. Ces solutions jurisprudentielles cohérentes sont fondées sur le fait qu’en l’absence d’autonomie de la société filiale par rapport à la société mère, ces deux sociétés font partie d’une même unité économique et, partant, forment une seule entreprise au sens du droit de la concurrence.
184. Dans le cas particulier où une société mère détient, directement ou indirectement, la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale auteur d’un comportement infractionnel, il existe une présomption réfragable selon laquelle cette société mère exerce effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale. Dans ce cas, l’autorité de concurrence sera en mesure de considérer la société mère comme tenue solidairement au paiement de l’amende infligée à sa filiale, à moins que cette société mère, à laquelle il incombe de renverser cette présomption, n’apporte des éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que sa filiale se comporte de façon autonome sur le marché218.
185. En l’espèce, les pratiques en cause ont été mises en oeuvre par la société Mariage Frères International SAS, qui doit se voir imputer l’ensemble des deux griefs en tant qu’auteure des pratiques. De plus, en vertu des principes rappelés au paragraphe précédent, la société Mariage Frères SAS, société mère détenant à 100 % la société auteure des pratiques, ainsi qu’indiqué aux paragraphes 11 et 12, doit quant à elle se voir imputer l’ensemble des deux griefs en cette qualité.
F. SUR LA SANCTION
186. Aux termes du I de l’article L. 464-2 du code de commerce : « L'Autorité de la concurrence peut (…) infliger une sanction pécuniaire lorsqu'une entreprise ou association d'entreprises a commis des pratiques anticoncurrentielles (…). Les sanctions pécuniaires sont appréciées au regard de la gravité et de la durée de l'infraction, de la situation de l'association d'entreprises ou de l'entreprise sanctionnée ou du groupe auquel l'entreprise appartient et de l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. (…) Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en oeuvre. (…) ».
187. Lorsqu’elle détermine les sanctions pécuniaires qu’elle impose en application du I de l’article L. 464-2 du code de commerce, l’Autorité applique les modalités décrites dans son communiqué du 30 juillet 2021 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires (ci-après, « le communiqué sanctions ») sauf à ce qu’elle décide de s’en écarter, « notamment au regard des caractéristiques des pratiques en cause, de l’activité des parties concernées et du contexte économique et juridique de l’affaire, ou pour des raisons d’intérêt général » (point 6 du communiqué sanctions), en motivant ce choix.
188. En l’espèce, l’Autorité considère que des circonstances particulières, tenant notamment à la nécessité de prononcer une sanction adaptée à l’activité de l’entreprise, justifient qu’elle s’écarte de la méthodologie décrite dans le communiqué.
189. L’Autorité est ainsi fondée à s’écarter de la méthode décrite dans le communiqué sanctions et à retenir un mode de fixation forfaitaire de la sanction pécuniaire. Elle est par ailleurs fondée à appliquer une sanction unique pour les deux griefs, eu égard à l’identité des marchés en cause et à l’objet général des pratiques. Seront analysées successivement la gravité des pratiques reprochées (1.), la durée de l’infraction (2.) et la situation individuelle de l’entreprise sanctionnée (3.) afin de déterminer le montant de la sanction (4.).
1. EN CE QUI CONCERNE LA GRAVITE DES PRATIQUES
a) Principes applicables
190. Selon une jurisprudence et une pratique décisionnelle constantes, les ententes verticales impliquant des entreprises actives à des stades différents de la chaîne de production sont considérées avec moins de sévérité que les ententes horizontales entre concurrents219. Ce constat n’exclut pas, toutefois, que ce type de pratiques puisse être analysé comme présentant un caractère certain de gravité, en ce qu’elles tendent non seulement à limiter la concurrence intra-marque sur le marché français, mais aussi à cloisonner les marchés220. Ces principes ont été rappelés, entre autres, dans les décisions n° 06-D-04 bis du 13 mars 2006 relative à des pratiques relevées dans le secteur de la parfumerie de luxe et n° 11-D-19 du 15 décembre 2011 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la distribution de gadgets et articles de fantaisie221.
191. Par ailleurs, l’Autorité considère que le nombre, le cumul et l’interaction des comportements anticoncurrentiels mis en oeuvre en même temps constituent un facteur qui doit être pris en compte au titre de la gravité des faits222. Les caractéristiques des pratiques visées par les griefs notifiés procédant toutes à un cloisonnement du marché, leur combinaison et leurs interactions renforcent d’autant leur gravité.
b) Application au cas d’espèce
S’agissant de la pratique visée par le grief n° 1
192. Mariage Frères soutient que la pratique ne présente pas un degré certain de gravité. Elle fait valoir que ses distributeurs se répartissent entre ceux pratiquant déjà de facto la vente en ligne, et ceux ne revendant pas en ligne en raison de leur propre manque de moyens ou de volonté – la vente en ligne n’étant pas, selon elle, un outil essentiel dans le secteur de vente au détail du thé. Mariage Frères fait encore valoir que la pratique n’était ni sophistiquée ni secrète, que ses distributeurs n’étaient pas tenus d’accepter formellement les CGV et qu’elle n’a pas mis en place de mesures de contrôle ou de représailles à leur égard. En outre, selon Mariage Frères, les services d’instruction auraient surestimé son dimensionnement et l’importance du réseau de distributeurs, ainsi que la proportion de son chiffre d’affaires réalisée au travers de ses ventes aux revendeurs. Enfin, Mariage Frères allègue qu’une incertitude juridique relative à l’interdiction des ventes en ligne devrait être prise en compte pour atténuer la gravité de la pratique.
193. Toutefois, la gravité de la pratique est bien établie en l’espèce.
194. En premier lieu, ainsi qu’il a été indiqué au paragraphe 190, la restriction de ventes en ligne est considérée de manière constante comme présentant un caractère certain de gravité. En outre, Mariage Frères ne saurait utilement se référer à l’arrêt Pierre Fabre, rendu le 31 janvier 2013 par la cour d’appel de Paris, pour se prévaloir d’une quelconque incertitude juridique, dès lors que cet arrêt traitait de la question de la restriction de vente en ligne dans le cadre d’un réseau de distribution sélective et qu’il est constant que Mariage Frères ne disposait pas, en l’espèce, d’un tel réseau.
195. En deuxième lieu, la mise en oeuvre de la pratique au moyen de documents contractuels constitue un élément de nature à en accroître la gravité. À cet égard, est inopérant l’argument de Mariage Frères selon lequel ses distributeurs ne sont pas tenus d’accepter formellement les CGV, dès lors qu’elles étaient transmises à l’ouverture de leur compte client et qu’ils étaient tenus de les respecter, ainsi que mentionné au paragraphe 16 ci-avant.
196. En troisième lieu, s’il est constant que la pratique n’était ni sophistiquée ni secrète, et que Mariage Frères n’a pas mis en place de mesures de représailles à l’égard de ses revendeurs, il a été établi que la société mise en cause a émis « un refus catégorique » aux distributeurs désireux de vendre ses produits en ligne223, et en a directement contacté afin de leur rappeler que « vendre leurs produits sur internet était contraire aux conditions générales de vente »224. Mariage Frères s’est donc assuré de la bonne application par ses distributeurs de l’interdiction de vente en ligne de ses produits.
197. En dernier lieu, la pratique mise en oeuvre a affecté des distributeurs qui constituent des petites, voire de très petites entreprises. Si Mariage Frères fait valoir qu’une part importante de ces distributeurs ne considère pas la vente en ligne comme essentielle, elle n’en demeure pas moins un outil pour leur développement et, partant, pour celui de la dynamique concurrentielle dans ce secteur. À cet égard, il sera relevé que la vente en ligne des thés haut de gamme est en pleine croissance. Ainsi, entre 2013 et 2021, la part relative du chiffre d’affaires lié aux ventes en ligne dans le chiffre d’affaires total de Mariage Frères, a plus que triplé225.
198. De surcroît, la pratique en cause a également affecté les consommateurs finaux. En effet, ceux-ci ont été privés de la possibilité de faire pleinement jouer la concurrence entre les distributeurs, d’une part, et entre les distributeurs et Mariage Frères, d’autre part. Or la pratique est intervenue dans un secteur concentré et dans un contexte de concurrence inter-marque limitée, au regard de la notoriété de Mariage Frères. Ainsi, les effets négatifs de la restriction de la concurrence intra-marque sur les consommateurs finaux sont d’autant plus importants.
S’agissant de la pratique visée par le grief n° 2
199. Mariage Frères soutient là encore que la pratique ne présente pas un degré certain de gravité. Elle affirme que ses distributeurs n’ont ni l’intention ni la capacité de revendre ses produits en gros. Elle fait valoir enfin qu’elle n’a pas mis en place de mesures de surveillance et de contrôle à l’encontre de ceux-ci.
200. Si ce dernier point n’est pas contesté, la pratique n’en conserve pas moins sa gravité intrinsèque.
201. En premier lieu, la restriction de clientèle est considérée comme une restriction caractérisée par le règlement (CE) n° 2790/1999, le règlement (UE) n° 330/2010 et le règlement (UE) n° 2022/720. Le Conseil de la concurrence avait déjà considéré que des restrictions de la clientèle similaires à celle relevée en l’espèce avaient un caractère certain de gravité : « les autres pratiques sont relatives à l’insertion, dans les contrats de distribution des fournisseurs ou dans les conditions d’agrément des fournisseurs posées par le réseau Master Cycle, de clauses "noires", au sens du règlement communautaire de 1999, […] prohibant les ventes entre distributeurs. L’adoption de telles clauses, dont l’effet a été de renforcer l’action anticoncurrentielle des deux réseaux, et d’accentuer le verrouillage entre les différentes formes de distribution, revêt un caractère certain de gravité »226. La cour d’appel de Paris a confirmé cette analyse lors du rejet du recours formé contre cette décision227. En outre, selon le Conseil de la concurrence, « la réservation d’une clientèle de détaillants attribués exclusivement aux revendeurs autorisés constitue une atteinte au libre jeu de la concurrence pour les revendeurs autorisés qui ne peuvent pas faire jouer la concurrence entre eux, et pour les détaillants qui ne peuvent pas bénéficier de tarifs moins élevés du fait de l'absence de concurrence entre les revendeurs qui les approvisionnent »228.
202. En second lieu, la pratique a ôté toute capacité et incitation aux distributeurs d’être actifs sur la vente en gros, au détriment de ces distributeurs, lesquels constituent des petites ou très petites entreprises, ainsi que relevé au paragraphe 197 ci-avant. La pratique a également pu porter préjudice aux consommateurs finaux, lesquels auraient pu être en mesure de bénéficier de meilleurs prix si les distributeurs de produits Mariage Frères avaient eu la possibilité de se faire concurrence sur la vente en gros.
203. Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que les pratiques en cause, au titre des griefs n° 1 et n° 2, revêtent une gravité certaine.
2. EN CE QUI CONCERNE LA DUREE DE L’INFRACTION
204. Les pratiques visées par les griefs notifiés ont été mises en oeuvre sur une période particulièrement longue de 14 ans et six mois qui a débuté en juillet 2008, date à laquelle les CGV 2008 ont été diffusées auprès des distributeurs de Mariage Frères, et qui a duré au moins jusqu’à la date de la notification de griefs, soit le 24 janvier 2023.
3. EN CE QUI CONCERNE LA SITUATION INDIVIDUELLE DE LA SOCIETE EN CAUSE
205. En application de l’article L. 464-2 du code de commerce, les sanctions « sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné ».
206. En fonction des éléments propres à chaque cas d’espèce, l’Autorité peut prendre en considération l’existence de différentes circonstances atténuantes ou aggravantes caractérisant le comportement de chaque entreprise dans le cadre de sa participation à l’infraction, ainsi que d’autres éléments d’individualisation pertinents tenant à la situation de chaque entreprise ou association d’entreprises. Cette prise en considération peut conduire à ajuster la sanction tant à la hausse qu’à la baisse.
207. Mariage Frères se prévaut en l’espèce de sa coopération avec l’Autorité et du caractère non-intentionnel des pratiques. Elle fait encore valoir qu’elle est une entreprise de dimension limitée, ne disposant pas notamment de direction juridique, marketing ou commerciale, que ses deux actionnaires majoritaires sont deux personnes physiques qui seraient directement affectées par une sanction, et enfin qu’elle a un caractère mono-produit.
208. En premier lieu, toutefois, le comportement de Mariage Frères au cours de la procédure ne traduit pas une coopération allant au-delà des obligations auxquelles elle était juridiquement tenue. À ce titre, l’élaboration par ses soins d’un simple projet de CGV nouvelles ne constitue pas un élément suffisant.
209. En deuxième lieu, l’argumentaire relatif au caractère mono-produit de Mariage Frères, inopérant en présence d’un mode de fixation forfaitaire de la sanction, doit en tout état de cause être rejeté dès lors que l’appréciation du caractère mono-produit de l’activité de la partie mise en cause repose sur la comparaison entre la valeur des ventes en relation avec l’infraction et le chiffre d’affaires consolidé du groupe. En l’espèce, les ventes en relation avec l’infraction considérée représentent une part minoritaire du chiffre d’affaires consolidé du groupe Mariage Frères229.
210. En troisième lieu, la pratique décisionnelle de l’Autorité retient que l’absence d’intention de commettre une infraction au droit de la concurrence n’est pas de nature à exonérer ni même atténuer la responsabilité de l’auteur de pratiques anticoncurrentielles230. Mariage Frères n’est donc pas fondée à se prévaloir du caractère non-intentionnel des pratiques concernées.
211. En dernier lieu, la taille limitée de l’entreprise, l’absence de direction juridique, marketing ou commerciale, ou la circonstance que les deux actionnaires majoritaires de la société sont deux personnes physiques ne constituent pas, par elles-mêmes, des circonstances atténuantes. En tout état de cause, Mariage Frères n’établit pas que des difficultés financières particulières affecteraient sa capacité contributive.
212. Aucun élément d’individualisation de la situation de Mariage Frères ne peut donc être retenu.
4. EN CE QUI CONCERNE LE MONTANT DE LA SANCTION
213. En considération des éléments qui ont été exposés ci-dessus, qui font obstacle à ce qu’une sanction symbolique soit infligée à la partie en cause, comme demandé par celle-ci, il convient d’infliger conjointement et solidairement à Mariage Frères International SAS et à Mariage Frères SAS une sanction de 4 millions d’euros. Ce montant est inférieur au plafond légal de sanction prévu par le I de l’article L. 464-2 du code de commerce.
DÉCISION
Article 1er : Il est établi que la société Mariage Frères International SAS a enfreint les dispositions des articles L. 420-1 du code de commerce et 101, paragraphe 1, du TFUE en interdisant à ses distributeurs de vendre en ligne les produits de sa marque.
Article 2 : Il est établi que la société Mariage Frères International SAS a enfreint les dispositions des articles L. 420-1 du code de commerce et 101, paragraphe 1, du TFUE en interdisant à ses distributeurs de revendre les produits de sa marque à d’autres distributeurs.
Article 3 : Il est infligé conjointement et solidairement à la société Mariage Frères International SAS, en qualité d’auteure des pratiques, et à la société Mariage Frères SAS, en qualité de société mère, une sanction de 4 millions d’euros au titre des pratiques visées aux articles 1er et 2.
NOTES DE BAS DE PAGE :
* version publique
1 Ce résumé a un caractère strictement informatif. Seuls font foi les motifs de la décision numérotés ci-après.
2 Cotes 3 à 46.
3 Cotes 1 à 2.
4 Cotes 3877 à 3883.
5 Décision n° 20-D-20 du 3 décembre 2020 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des thés haut de gamme.
6 Cotes 1352, 1380, 1390, 1437, 1480, 1485, 1494, 1549, 1661, 1785, 1844, 1881 et 1924.
7 Voir l’étude Xerfi « Le marché du thé et du café » publiée en avril 2022 - cote 3349.
8 Cote 3079.
9 Cotes 1933 (VC) 2778 (VNC).
10 Cotes 54, 1934 (VC) 2779 (VNC) et 2800.
11 Cotes 54 à 55 et 2798 à 2799.
12 Cote 2798.
13 Cotes 54, 84 à 86, 1935 et 2798.
14 Cotes 54 et 55, 89 à 91, 1934 et 2798.
15 Cotes 55, 87 à 88, 1935 et 2798.
16 Cotes 1935 et 1936 (VC) ; 2780 et 2781 (VNC).
17 Cotes 19 et 55.
18 Cotes 94 à 156.
19 Cotes 1937 à 1943 (VC) ; 2780 et 2781 (VNC).
20 Cote 51.
21 Cote 55.
22 Cotes 52, 1943 (VC) 2781 (VNC) et 2803.
23 Cote 56.
24 Cote 1943.
25 Cote 6352.
26 Cote 6382.
27 Cote 6383.
28 Cote 6387.
29 Cote 6397.
30 Cotes 23 et 449.
31 Cotes 23 et 449.
32 Cote 453.
33 Cote 1948.
34 Cotes 448, 1529 et 1534.
35 Voir les CGV de juillet 2008 (cote 453) ; celles de juin 2013 (cote 1948) ; celles de janvier 2014 (cote 1950) ; celles de janvier 2016 (cotes 459 et 486) ; celles de janvier 2017 (cote 452) ; celles de janvier 2018 (cote 1956) ; celles de janvier 2019 (cote 448) ; celles de janvier 2020 (cote 1958) ; et celles de janvier 2021 (cotes 1382 et 1395).
36 Cote 2807.
37 Cote 1440.
38 Cote 52.
39 Cote 56.
40 Cote 2806.
41 Cotes 483 et 484.
42 Cotes 1352 à 1353.
43 Cote 456.
44 Cote 1496.
45 Cote 1496.
46 Cote 1521.
47 Cote 1503.
48 Cote 1500.
49 Cote 1786.
50 Cote 1786. Voir également la réponse à la question n° 22 (cote 1788).
51 Cote 1788.
52 Cote 1788.
53 Cote 492.
54 Cote 1482.
55 Cote 1482.
56 Cotes 1439 à 1441.
57 Voir par exemple les CGV communiquées par Mariage Frères – cotes 452 et 453 ; les CGV communiquées par les distributeurs – cotes 477 et 478, 486, 504, 1382, 1395, 1401, 1522, 1529, 1534, 1593, 1696, 1801, 1849 et 1886.
58 Cote 453.
59 Dans les CGV 2019 (et ses versions postérieures), ladite clause a été modifiée comme suit (cette modification n’en affectant pas la substance) : « C’est pour cela que Mariage Frères International souhaite rappeler qu’elle seule est à même de distribuer au prix de gros et demi-gros et de vendre ses articles de l’offre de thés, d’épicerie et d’accessoires, et que ces produits doivent être destinés uniquement à la revente au détail en magasin physique, à l’attention de clients particuliers ». À cet égard, voir par exemple cote 448.
60 Voir les réponses des revendeurs à la question n° 5 de la demande d’informations transmise par les services d’instruction – cotes 1351, 1380, 1390, 1437, 1480, 1485, 1493, 1661, 1785, 1844, 1881 et 1924. Voir également les réponses complémentaires fournies par les revendeurs aux services d’instruction en septembre 2022 – cotes 2840, 2880, 2884, 2898, 2900 et 2904.
61 Cote 1485.
62 Cote 2904.
63 Cote 1351.
64 Cote 2880.
65 Cote 1661
66 Cote 1390.
67 Cote 1785.
68 Cote 1437.
69 Cote 1380.
70 Cote 1480.
71 Cote 2840.
72 Cote 1493.
73 Cote 1881.
74 Cote 2900.
75 Cote 1844.
76 Cote 2884.
77 Cote 2898.
78 Cass. Com., 15 mars 2011, n° 09-17.055.
79 Cass. Com., 15 mars 2011, n° 09-17.055.
80 Décision n° 08-D-25 du 29 octobre 2008 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la distribution de produits cosmétiques et d’hygiène corporelle vendus sur conseils pharmaceutiques, paragraphe 91, confirmée par l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 31 janvier 2013, Société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, RG n° 2008/23812.
81 CE, 15 novembre 2006, Syndicat des membres de l’inspection générale des affaires sociales, n° 294420 ; CE section, 27 avril 2011, M. J…, n° 335370.
82 CE section, 27 avril 2011, M. J…, n° 335370.
83 Décisions n° 21-D-26 du 8 novembre 2021 relative à des pratiques mises en oeuvre au sein du réseau de distribution des produits de marque Mobotix, §§ 112 à 117 (décision qui fait l’objet d’un recours pendant devant la cour d’appel) et n° 20-D-20 du 3 décembre 2020 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des thés haut de gamme, §§ 140 à 151.
84 CE, 31 mars 2017, Société Altice Luxembourg et Numericable-SFR, n° 401059, points 4 et 5.
85 Cass. Com., 8 novembre 2016, Farines, n° 14-28.234.
86 Cour d’appel de Paris, 17 mai 2018, Umicore, n° 2016/16621, p. 18 ; voir également cour d’appel de Paris, 21 décembre 2017, La Banque Postale e.a., n° 2015/17638, p. 31-32.
87 Décisions n°16-D-09 du 12 mai 2016 relative à des pratiques mises en oeuvre dans les secteurs des armatures métalliques et des treillis soudés sur l’île de la Réunion, § 277 ; n° 10-D-13 du 15 avril 2010 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la manutention pour le transport de conteneurs au port du Havre, §198, confirmée par l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 20 janvier 2011, société Perrigault, RG n° 10/08165, page 14 ; arrêt de la cour d’appel de Paris, 24 janvier 2006, Ordre des avocats au barreau de Marseille, page 4 ; décision n° 06-D-03 bis du 9 mars 2006 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des appareils de chauffage, sanitaires, plomberie, climatisation, §§ 610 et 611.
88 Cour d’appel de Paris, 17 mai 2018, Umicore et a., RG n° 16/16621, §§ 62 et suivants ; cour d’appel de Paris, 16 novembre 2023, Edenred et a., RG n° 20/03434, § 173 ; décision n° 19-D-25 du 17 décembre 2019 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des titres-restaurant, §§ 353 et suivants.
89 Cote 1406.
90 Cote 2794.
91 Cotes 51 et suivantes.
92 Cass. crim., 14 novembre 2000 n° 00-81.084, D ; cour d’appel de Paris, 16 décembre 1994, Ste Kangourou déménagements ; cour d’appel de Paris, 23 mai 2000, EDF c/Climespace ; cour d’appel de Paris, 25 novembre 2003, SAS Prefall e.a. ; cour d’appel de Paris, 19 juin 2007, Produits électroniques grand public ; décisions n° 01-D-41 du 11 juillet 2001 relative aux titres restaurant et de titres emploi-service , n° 02-D-57 du 19 septembre 2002 relative aux roulements à billes ; n° 03-D-36 du 29 juillet 2003 relative aux fraises dans le Sud-Ouest ; n° 06-D-03 du 9 mars 2006, n° 06-D-13 du 6 juin 2006, n° 10-D-28 du 20 septembre 2010 relative aux chèques remis aux fins d’encaissement.
93 Cour d’appel de Paris, 16 février 2023, Roche S.A.S., Roche Holding S.A. et Genentech Inc., RG n° 20/14632, §§ 172 à 183.
94 Cotes 4013 à 4014.
95 Cotes 4019 à 4026.
96 Cotes 4028 à 4030.
97 Lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité, JO C 101 du 27 avril 2004, p. 0081-0096, point 18.
98 Lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité, JO C 101 du 27 avril 2004, p. 0081-0096, point 19.
99 Arrêt du Tribunal du 14 décembre 2006, Osterreichische Volksbanken et Niederosterreichische Landesbank-Hypothekenbank/Commission, T-259/02 à T-264/02 et T-271/02, EU:T:2006:396, point 181.
100 Arrêts de la Cour de justice 24 septembre 2009, Erste Group Bank/ Commission, C-125/07 P, C-133/07 P, C-135/07 P et C-137/07 P, EU:C:2009:576, point 38 et du 4 septembre 2014, API e.a., C-184/13 à C-187/13, C-194/13, C-195/13 et C-208/13, EU:C:2014:2147, point 44 et CASS. Com., 7 octobre 2014, Kontiki, n° 13-19.476.
101 Cass. Com., 31 janvier 2012, Orange Caraïbe e.a., n° 10-25.772, page 6.
102 Cass. Com., 31 janvier 2012, Orange Caraïbe e.a., n° 10-25.772, page 6, et 20 janvier 2015, Société Chevron Products Company e. a., n° 13-16.745 et cour d’appel de Paris, 28 mars 2013, Société des pétroles Shell e.a., RG n° 11/18245.
103 Lignes directrices relatives à la notion d'affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité, JO C 101 du 27 avril 2004, point 53.
104 Arrêt du Tribunal du 16 juin 2011, aff. T‑199/08, Ziegler SA, point 73.
105 Décision n° 11-D-19 du 15 décembre 2011 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la distribution de gadgets et articles de fantaisie, paragraphes 91 et suivants ; cour d’appel de Paris, 16 mai 2013, RG n° 2012/01227, page 4 ; Cass. Com., 7 octobre 2014, n° 13-19.476, page 3.
106 Décision n° 14-D-06 du 8 juillet 2014 relative à des pratiques mises en oeuvre par la société Cegedim dans le secteur des bases de données d’informations médicales, § 111. À cet égard, il est précisé que le principe relatif à la charge de la preuve qui incombe à la partie mise en cause a été confirmé à la fois par la cour d’appel de Paris (arrêt du 24 septembre 2015, Cegedim, R.G. n° 2014/17586, page 10 : « La société Cegedim reproche à l’Autorité de ne pas avoir accompli de recherches supplémentaires pour obtenir des données relatives aux parts de marché […]. Elle ne soutient cependant pas que la part cumulée de ces concurrents serait supérieure aux 6 % qu’elle a elle-même communiqués et retenus par la décision et ne produit aucun élément qui permettrait à la cour de vérifier ce point ») et par la Cour de cassation (arrêt du 21 juin 2017, n° 926 F-D, n° H 15-25.941, page 6).
107 Tels que l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Croatie, le Danemark, l’Espagne, la Grèce, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Portugal et la Suède.
108 À cet égard, la DGCCRF a estimé que : « Le groupe MARIAGE FRERES détient environ 29 % de part de marché sur le segment du thé haut de gamme, soit une part de marché supérieure au seuil de sensibilité de 5 % » – cote 39.
109 Arrêt du Tribunal du 19 mars 2003, CMA CGM et autres/Commission (FETTCSA), T-213/00, point 206.
110 Décision du Conseil de la concurrence n° 05-D-27 du 15 juin 2005 relative à des pratiques relevées dans le secteur du thon blanc, point 28, et décisions de l’Autorité n° 10-D-13, précitée, paragraphe 221 et n° 11-D-02 du 26 janvier 2011 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la restauration des monuments historiques, paragraphe 364.
111 Communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence (97/C 372/03) du 9 décembre 1997, paragraphe 7.
112 Voir les décisions n° 10-D-13 du 15 avril 2010 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la manutention pour le transport de conteneurs au port du Havre, paragraphe 220 et n° 10-D-19 du 24 juin 2010 relative à des pratiques mises en oeuvre sur les marchés de la fourniture de gaz, des installations de chauffage et de la gestion de réseaux de chaleur et de chaufferies collectives, paragraphes 158 à 159.
113 Décision n° 20-D-20 du 3 décembre 2020 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des thés haut de gamme, paragraphe 168.
114 Cote 55
115 Cote 1785.
116 Cote 1549.
117 Cote 1494.
118 Cote 1480.
119 Cote 1881.
120 Cotes 3389 et 3392.
121 Arrêt de la Cour de justice du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma / Commission, C-41/69, EU:C:1970:71, point 112 et arrêt du Tribunal du 26 octobre 2000, Bayer / Commission, T-41/96, EU:T:2000:242, point 67 ; cour d’appel de Paris, 28 janvier 2009, Epsé Joué Club, RG n° 08/00255, page 9, devenu définitif après les arrêts de rejet de la Cour de cassation du 7 avril 2010.
122 Arrêt du Tribunal du 26 octobre 2000, Bayer / Commission, T-41/96, EU:T:2000:242, points 69 et 173.
123 Arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, GlaxoSmithKline Services / Commission, T-168/01, EU:T:2006:265, points 83 et 84, non remis en cause par l’arrêt de la Cour de justice du 6 octobre 2009, GlaxoSmithKline Services / Commission, C-501/06 P e.a., Rec. p. 1-9291 ; voir également décisions n° 12-D-10 du 20 mars 2012 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de l’alimentation pour chiens et chats, paragraphe 157 et n° 13-D-21 du 18 décembre 2013 relative à des pratiques mises en oeuvre sur le marché français de la buprénorphine haut dosage commercialisée en ville, paragraphe 425.
124 Arrêt de la Cour de justice du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a. / Commission, C-204/00, EU:C:2004:6, point 237.
125 Arrêt du Tribunal du 27 février 1992, aff. T-19/91, Vichy, points 15 et 16.
126 Décision n° 06-D-37 du 7 décembre 2006 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la distribution des cycles et produits pour cyclistes, § 309.
127 Décision n° 20-D-20 du 3 décembre 2020 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des thés haut de gamme, § 295.
128 Décisions n° 18-D-26 du 20 décembre 2018 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la commercialisation des fertilisants liquides pour la production hors-sol dédiés à la culture domestique, § 252 ; n° 19-D-14 du 1er juillet 2019 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la distribution des cycles haut de gamme, §§ 96 et suivants ; ainsi que § 119 (« il apparaît que l’interdiction de vente en ligne des produits Trek par les distributeurs a bel et bien fait l’objet d’un accord de volontés, résultant aussi bien des termes des CGV que des éléments factuels issus de l’instruction […] En l’espèce, les CGV régissant les relations entre Bikeurope B.V. et chaque distributeur, combinées avec les conditions commerciales revendeurs et les contrats portant clause de réserve de propriété, tiennent lieu d’accord de distribution »).
129 Arrêts de la cour d’appel de Paris du 16 mai 2013, Kontiki, RG n° 12/01227, page 5 et du 16 janvier 2020, Société Canna France, RG n° 19/03410, page 8.
130 Décision n° 21-D-20 du 22 juillet 2021 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des lunettes et montures de lunettes, paragraphe 844 (appel en cours).
131 Décision n° 21-D-20 du 22 juillet 2021 précitée, paragraphe 851, et dans le même sens, les décisions de la Commission du 17 décembre 2018, AT.40428 Guess, C(2018) 8455 final, point 170 et du 30 janvier 2020, AT.40433 Film merchandise, C(2020) 359 final, points 120 à 123.
132 Voir arrêts de la Cour de justice du 13 juillet 2006, Volkswagen, C-74/04, points 37- 39 et de la cour d’appel de Paris du 13 mars 2014, Société Bang & Olufsen, n° 2013/00714, pages 5, 6 et 9.
133 Cour d’appel de Paris, 26 juin 2007, RG n° 2006/07821, page 32, non remis en cause sur ce point par l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 26 janvier 2012, RG n° 2010/23945, pages 42-43.
134 Cote 2085.
135 Cotes 448, 1958 et 1382.
136 Voir par exemple les cotes 4143 (paragraphe 60), 4150 (paragraphe 67), 4200 (paragraphe 297), 4201 (paragraphe 302), 4203 (paragraphe 312).
137 Cote 2807.
138 Arrêt de la Cour de Justice du 27 juillet 2005, Aff. T-49/02 à T-51/02, Brasserie nationale SA, paragraphe 155.
139 Décision n° 10-D-22 du 22 juillet 2010 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des transports sanitaires en Seine-Maritime, paragraphes 78 et 79.
140 Cote 52.
141 Cotes 52 et 449.
142 Par exemple cotes 92, 448, 1523, 1696, 1698 et 1849.
143 Notamment aux cotes 452 (CGV du revendeur Hôtelière Opéra Liège signées le 7 mai 2018), 453 (CGV du revendeur Le Beaujolais d’Auteuil signées en avril 2013), 1395 (CGV du revendeur Boutique du Thé signées le 1er janvier 2022) 1401 (CGV du revendeur « L’Envie Gourmande » signées le 4 octobre 2016), 1522 (CGV du revendeur « Roi De Bretagne » signées le 22 mars 2017), 1529 (CGV du revendeur Art et Saveurs signées le 9 mars 2020), 1534 (CGV du revendeur « Les Thé Duval » signées le 1er juin 2021), 1667 (contrat avec Galeries Lafayette signé le 22 février 2022, qui précise que : « Les Conditions générales de vente du Fournisseur telles que communiquées s’appliquent dès lors qu’elles ne contredisent pas les dispositions figurant dans la présente Convention » - cote 1670), 1849 (CGV du revendeur Chocolaterie de Puyricard signées le 12 mai 2017), 1886 (CGV du revendeur Comptoir Nourisson).
144 Cotes 6352, 6382, 6383, 6387 et 6397.
145 Cote 6352.
146 Cote 6382.
147 Cote 6383.
148 Cote 6387.
149 Cote 6397.
150 Par exemple cotes 1401, 1522, 1534, 1849 et 1886.
151 Cotes 483 et 484.
152 Cote 1503.
153 Cote 1440.
154 Cote 1482.
155 Cote 1521.
156 Cour d’appel de Paris, 4 avril 2006, Truffaut, RG n° 2005/14057, p. 15.
157 Arrêt de la Cour de Justice du 2 avril 2020, Budapest Bank e.a., C-228/18, point 54.
158 Arrêt de la Cour de Justice du 2 avril 2020, Budapest Bank e.a., C-228/18, point 40.
159 Arrêt de la Cour de Justice du 2 avril 2020, Budapest Bank e.a., C-228/18, point 44.
160 Arrêt de la Cour de Justice du 2 avril 2020, Budapest Bank e.a., C-228/18, point 51 et jurisprudence citée.
161 Arrêt de la Cour de Justice du 2 avril 2020, Budapest Bank e.a., C-228/18, point 52 et jurisprudence citée.
162 Lignes directrices sur les restrictions verticales, JO C 291 du 13 octobre 2000, point 23 ; lignes directrices sur les restrictions verticales, JO C 130 du 19 mai 2010, point 24 ; lignes directrices sur les restrictions verticales, JO C 248 du 30 juin 2022, point 51 ; article 1er, paragraphe 1, point a) du règlement (UE) n° 2022/720 de la Commission du 10 mai 2022 concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3 TFUE à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées (en vigueur à partir du 1er juin 2022).
163 Article 1er, paragraphe 1, point a) du règlement (UE) n°2022/720 de la Commission du 10 mai 2022 concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3 TFUE à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées (en vigueur à partir du 1er juin 2022).
164 Lignes directrices sur les restrictions verticales, JO C 291 du 13 octobre 2000, point 51 et lignes directrices sur les restrictions verticales, JO C 130 du 19 mai 2010, point 52.
165 Lignes directrices sur les restrictions verticales, JO C 291 du 13 octobre 2000, point 51.
166 Règlement (UE) n° 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010 concernant l'application de l'article 101, § 3, du TFUE à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées, JO L 102 du 23 avril 2010, pages 1-7.
167 Lignes directrices sur les restrictions verticales, JO C 130 du 19 mai 2010, point 52 (a) ; voir, dans le même sens, lignes directrices sur les restrictions verticales, JO C 291 du 13 octobre 2000, point 49.
168 Article 4 sous e) du nouveau règlement (UE) n° 2022/720.
169 Lignes directrices sur les restrictions verticales JO C 248 du 30 juin 2022, point 203.
170 Arrêt de la Cour de justice, du 13 octobre 2011, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique SAS, C-439/09, Rec. 2011 1-09419, point 47 et dispositif.
171 Arrêt de la Cour de justice, du 13 octobre 2011, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique SAS, C-439/09, Rec. 2011 1-09419, point 58.
172 Cour d’appel de Paris, 31 janvier 2013, Pierre Fabre, 08/23812, page 15.
173 Décision n° 19-D-14 du 1er juillet 2019 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la distribution des cycles haut de gamme, paragraphes 132 et 133.
174 Décision n° 19-D-14 du 1er juillet 2019 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la distribution des cycles haut de gamme, paragraphe 151.
175 Décision n° 21-D-20 du 22 juillet 2021 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des lunettes et montures de lunettes, paragraphe 857. Cette décision fait l’objet d’un recours devant la cour d’appel de Paris.
176 Décision n° 19-D-14 du 1 er juillet 2019 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la distribution des cycles haut de gamme, paragraphe 118.
177 Cote 453.
178 Cotes 452, 459, 477 et 486.
179 Cotes 448, 1958 et 1382.
180 Cote 4228.
181 Cote 4228.
182 Arrêt de la Cour de justice du 13 octobre 2011, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, C-439/09, point 58.
183 « Dans le cadre du règlement d’exemption par catégorie, le fournisseur peut imposer des normes de qualité pour l’utilisation du site internet aux fins de la vente de ses produits, comme il le ferait pour un magasin, un catalogue, une annonce publicitaire ou une action de promotion en général » (lignes directrices sur les restrictions verticales, JO C 130 du 19 mai 2010, point 384).
184 « [l]es restrictions liées à l’utilisation de canaux de vente en ligne spécifiques, tels que (…) l’imposition de normes de qualité pour les ventes en ligne peuvent généralement bénéficier de l’exemption prévue à l’article 2 » (Lignes directrices sur les restrictions verticales JO C 248 du 30 juin 2022, point 208).
185 Lignes directrices sur les restrictions verticales, JO C 291 du 13 octobre 2000, page 1, point 47 et lignes directrices sur les restrictions verticales, JO C 130 du 19 mai 2010, page 1, point 52.
186 Cette disposition concerne notamment les restrictions portant sur le territoire sur lequel, ou sur la clientèle à laquelle, l’acheteur ou ses clients peuvent vendre les biens ou services contractuels.
187 Lignes directrices sur les restrictions verticales, JO C 291 du 13 octobre 2000, page 1, point 47 et lignes directrices sur les restrictions verticales, JO C 130 du 19 mai 2010, page 1, point 52 (c). À cet égard, voir également décision n° 21-D-26 du 8 novembre 2021 relative à des pratiques mises en oeuvre au sein du réseau de distribution des produits de marque Mobotix, § 233.
188 Article 4 (« Restrictions retirant le bénéfice de l’exemption par catégorie - restrictions caractérisées »), sous e), du nouveau règlement (UE) n° 2022/720 : « L’exemption prévue à l’article 2 ne s’applique pas aux accords verticaux qui, directement ou indirectement, isolément ou cumulés avec d’autres facteurs sur lesquels les parties peuvent influer, ont pour objet: […] (e) d’empêcher l’utilisation effective de l’internet par l’acheteur ou ses clients pour vendre les biens ou services contractuels, étant donné que cela restreint le territoire sur lequel, ou la clientèle à laquelle, les biens ou services contractuels peuvent être vendus au sens des points b), c) ou d) du présent article, sans préjudice de la possibilité d’imposer à l’acheteur: i) d’autres restrictions des ventes en ligne; ou ii) des restrictions de la publicité en ligne qui n’ont pas pour objet d’empêcher entièrement l’utilisation d’un canal de publicité en ligne ».
189 « C’est pour cela que Mariage Frères international souhaite rappeler qu’elle seule est à même de distribuer au prix de gros et demi-gros et de vendre ses articles de l’offre des thés, d’épicerie et d’accessoires, et que ces produits doivent être destinés uniquement à la revente au détail en magasin physique, à l’attention de clients particuliers. INTERNET et autres réseaux de revente : La revente de produits Mariage Frères sur Internet et sur d’autres réseaux fait l’objet d’un contrat séparé qui s’inscrit dans la logique de gestion d’un réseau de revendeurs sélectifs. Un site de vente sur Internet est considéré comme un point de vente individuel. L’obtention d’un accord de revente de produits Mariage Frères sur un point de vente individuel ne donne pas droit à la mise en place et à la revente de ces mêmes produits dans un autre point de vente individuel. Chaque point de vente faisant l’objet d’une demande spécifique et d’une étude par Mariage Frères pour valider ou non l’intégration de ce point de vente supplémentaire dans son réseau de revendeurs sélectifs » (CGV 2019, cotes 448, 1529 et 1534, soulignements ajoutés).
190 Décision n° 21-D-20 du 22 juillet 2021 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des lunettes et montures de lunettes, § 807. Voir également la décision de la Commission du 17 décembre 2018, AT.40428 Guess, C(2018) 8455 final, points 61 à 63 et 127 à 131. La clause sanctionnée par la Commission dans l'affaire Guess est la suivante : « La longue liste de normes et d'exigences concernant les activités de vente au détail hors ligne exclut explicitement les ventes en ligne au point 5.1(o) : « (o) ne pas vendre de produits par l'intermédiaire d'Internet ou tout autre système électronique ou informatique, sans l'accord écrit préalable de GUESS [...] » […] La même approche est reflétée dans les conditions générales de vente utilisées avec les détaillants multimarques. Selon le point 10 : « [...] L'Acheteur s'engage également à ne pas vendre les vêtements par le biais d'Internet ou de tout autre système informatisé ou électronique, sans l'autorisation écrite préalable de GUESS EUROPE » » (soulignement ajouté et traduction libre – §§ 59 et 60). En particulier, il est important de rappeler que : « la décision d'accorder l'autorisation n'était pas fondée sur une liste de critères de qualité définis. Guess Europe ne disposait d'aucun document contenant une liste écrite de critères de qualité pour les sites web, car elle n'a jamais officiellement adopté de tels critères pour les activités de vente en ligne » (traduction libre – § 62).
191 Cour d’appel de Paris, 15 septembre 2020, RG n° 18/06869, page 17.
192 Cote 1439.
193 Décision n° 21-D-20 du 22 juillet 2021 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des lunettes et montures de lunettes, paragraphe 851, et dans le même sens, les décisions de la Commission du 17 décembre 2018, AT.40428 Guess, C(2018) 8455 final, point 170 et du 30 janvier 2020, AT.40433 Film merchandise, C(2020) 359 final, points 120 à 123.
194 Voir en ce sens l’arrêt du Tribunal du 12 juillet 2011, aff. T-112/07, Hitachi Ltd, points 69 et suivants. Voir également cour d’appel de Paris, 26 janvier 2012, n° RG 2010/23945, page 46. Il en ressort que s’agissant de « la valeur probante des différents éléments de preuve, le seul critère pertinent pour apprécier les preuves produites réside dans leur crédibilité […] Selon les règles générales en matière de preuve, la crédibilité et, partant, la valeur probante d’un document dépend de son origine, des circonstances de son élaboration, de son destinataire et de son contenu […] Quant aux déclarations, une valeur probante particulièrement élevée peut par ailleurs être reconnue à celles qui, premièrement, sont fiables, deuxièmement, sont faites au nom d’une entreprise, troisièmement, proviennent d’une personne tenue de l’obligation professionnelle d’agir dans l’intérêt de cette entreprise, quatrièmement, vont à l’encontre des intérêts du déclarant, cinquièmement, proviennent d’un témoin direct des circonstances qu’elles rapportent et, sixièmement, ont été fournies par écrit, de manière délibérée et après mûre réflexion » (soulignements ajoutés).
195 Cote 4352 : « j’ai actuellement un site internet marchand » (soulignement ajouté). Cote 6344 : « Concernant notre site marchand, il s’agit d’un site d’E-commerce mais aussi un site vitrine afin que les clients puissent se renseigner sur la disponibilité d’un produit avant de se déplacer en magasin ».
196 Cotes 483 à 484 : « J’ai créé un site de vente en ligne en novembre 2017 sur lequel Mariage Frères m’autorise à indiquer que je commercialise leurs produits dans ma boutique, mais, en revanche, m’interdit de les vendre par ce moyen. Ils me l’ont dit explicitement lors de la mise en place de notre relation commerciale, pour répondre à ma question sur ce sujet. L'échange était oral et s'est déroulé début octobre 2016. Mariage Frères n’indique pas la liste de ses revendeurs sur son site internet, ce qui est un frein pour le développement des ventes. C’est donc important pour moi de pouvoir faire savoir sur mon site internet que je commercialise cette marque » ; cotes 1352 à 1353 : « Mariage Frères refuse la vente en ligne de ses thés par les revendeurs » ; cote 456 : « Pour ce qui concerne la politique de distribution, Mariage Frères refuse que nous vendions en ligne, ce n’est pas une clause écrite, mais ils nous l’interdisent en pratique » ; cote 1496 : « nous avons demandé l’autorisation pendant la période du COVID 19 de vendre leur produit en ligne il n’y avait pas d’autorisation avant cela » ; cote 1521 : « Concernant cette vente en ligne vous pouvez remarquer les CGV en 2019 concernant celle-ci, c'est pourquoi nous n'avions pas l'autorisation de vendre en ligne ».
197 Cotes 1439 à 1441 : « Un accord verbal avait été fait avec l’ancienne propriétaire sur une exclusivité de distribution local. À ce jour je ne sais pas si cela tient toujours. Mon contrat stipule que je peux vendre leurs produits seulement en boutique (pas en ligne ce qui est un réel frein à mon activité). Je ne peux pas non plus reproduire leurs logos sur mes supports malgré le fait que je sois distributeur officiel […] Lors du lancement de mon site, j’ai moi-même contacté un commercial Mariage Frères qui m’a stipulé que je ne pouvais pas vendre en ligne leurs produits. Je les ai donc mis en click and collect ainsi que sur le site vitrine, ce qui est à double tranchant. La clientèle sait qu’on a les produits mais ne comprend pas qu’on ne puisse pas leurs envoyés ».
198 Cote 1503 : « En ce qui concerne, les ventes sur internet, nous ne sommes pas autorisés à vendre en ligne. J’ai essayé, dossier à l’appui, de les convaincre de nous autoriser à le faire. J’ai essuyé un refus catégorique sur ce point. La vente internet est réservée à la boutique TMF [Thés Mariage Frères] en ligne » ; cote 1500 : « je vous prie de trouver ci-joint le compte rendu établi par la DGCCRF à l’époque. Les informations de ce rapport sont toujours d’actualité » ; cotes 1786 et 1788 : « Pas de vente en ligne. Mariage Frères nous demandent de ne pas le faire » ; [Question n° 11 de la demande d’informations des services d’instruction : « Si non, veuillez préciser les raisons pour lesquelles votre société ne vend pas de thés haut de gamme en ligne »] : « pas d’autorisation de la part de M.F [Mariage Frères] ».
199 Cote 1503.
200 Cote 6487.
201 Cote 6402.
202 Cote 52.
203 Cote 56.
204 Arrêt de la Cour de justice du 13 octobre 2011, aff. C-439/09, Pierre Fabre, point 47.
205 Arrêt de la Cour de justice du 6 décembre 2017, aff. C-230/16, Coty, point 42.
206 Arrêt de la Cour de justice du 6 décembre 2017, aff. C-230/16, Coty, point 52.
207 Voir en ce sens, notamment les arrêts de la Cour de justice du 11 septembre 2014, Groupement des cartes bancaires, C-67/13, points 49 et 50 ; du 20 novembre 2008, BIDS, C-209/07, point 15 ; ainsi que du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a., C‑32/11, points 34 et 35.
208 Voir par exemple les CGV communiquées par Mariage Frères – cotes 452 et 453 ; les CGV communiquées par les distributeurs – cotes 477 et 478, 486, 504, 1382, 1395, 1401, 1522, 1529, 1534, 1593, 1696, 1801, 1849 et 1886.
209 Cote 453.
210 Dans les CGV 2019 (et ses versions postérieures), ladite clause a été modifiée comme suit (cette modification n’en affectant pas la substance) : « C’est pour cela que Mariage Frères International souhaite rappeler qu’elle seule est à même de distribuer au prix de gros et demi-gros et de vendre ses articles de l’offre de thés, d’épicerie et d’accessoires, et que ces produits doivent être destinés uniquement à la revente au détail en magasin physique, à l’attention de clients particuliers ». À cet égard, voir par exemple cote 448.
211 Décision de la Commission européenne du 17 décembre 2018, AT.40428, Guess, points 133 et 134 ; et dans le même sens, la décision du 16 juillet 2003, COMP/37.975, Yamaha, points 89-95 ; ainsi que l’arrêt du Tribunal du 7 juillet 1994, Dunlop Slazenger / Commission, T-43/92, paragraphe 52.
212 Voir l’article 4, sous d) du règlement (CE) n° 2790/1999 et du règlement (UE) n° 330/2010 ; ainsi que l’article 4, sous c) ii) du règlement (UE) n° 2022/720.
213 Cour d’appel de Paris du 4 mars 2008, Jose Alvarez SAS, RG n° 2007/00370, page 8.
214 Décision n° 07-D-24 du 24 juillet 2007 relative à des pratiques mises en oeuvre par le réseau Léonidas, § 56.
215 Voir, notamment, s’agissant d’un accord dont l’objet est restrictif de concurrence, les arrêts du Tribunal du 19 mars 2003, T-213/00, CMA CGM e.a. c./Commission, point 280, du 27 juillet 2005, T-49/02 à T-51/02, Brasserie nationale SA e.a. c./Commission, point 185 et du 5 décembre 2006, T-303/02, Westfalen Gassen Nederland BV c./Commission, point 138.
216 Arrêt du Tribunal du 16 novembre 2006, T-120/04, Perôxidos Orgânicos c./Commission, point 51, repris par l’arrêt du Tribunal du 7 juillet 1994, T-43/92, Dunlop Slazenger International Ltd c./Commission, point 79 et par l’arrêt du Tribunal du 5 avril 2006, T-279/02, Degussa AG c./Commission, point 153.
217 Cass. Com., 15 mars 2011, n° Z 09-17.055, confirmant l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 29 septembre 2009 (n°57) sur la décision du Conseil de la concurrence n° 08-D-12 rendue le 21 mai 2008 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la production du contreplaqué, pages 8 à 9.
218 Arrêt de la Cour de justice du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C-97/08 P, points 60 et 61, et arrêt de la cour d’appel de Paris du 29 mars 2012, Lacroix Signalisation e.a., n° 2011/01228, page 19.
219 Arrêt de la cour d’appel de Paris 28 janvier 2009, affaire des jouets, n°2008/00255, page 17.
220 Arrêt de la Cour de justice, du 21 septembre 2006, JCB / Commission, C-167/04, point 216 ; arrêt de la cour d’appel de Paris du 4 mars 2008, José Alvarez e.a. n° 2007/00370.
221 Décision n° 06-D-04 bis du 13 mars 2006 relative à des pratiques relevées dans le secteur de la parfumerie de luxe, paragraphes 777 et suivants, et décision n° 11-D-19 du 15 décembre 2011 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la distribution de gadgets et articles de fantaisie, paragraphes 138 et suivants.
222 Décision n° 09-D-36 du 9 décembre 2009 relative à des pratiques mises en oeuvre par Orange Caraïbe et France Télécom sur différents marchés de services de communications électroniques dans les départements de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane, paragraphe 449, confirmée par l’arrêt de la cour d’appel de Paris, 23 septembre 2010, RG n° 2010/00163.
223 Cote 1503. Voir également cotes 456, 1352 et 1353.
224 Cote 492. Voir également cote 1482.
225 Cotes 1964 (VC), 2790 (VNC) et 3079.
226 Décision n° 06-D-37 du 7 décembre 2006 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la distribution des cycles et produits pour cyclistes, § 642.
227 Cour d’appel de Paris, 4 mars 2004, n° RG 2007/00370.
228 Décision n° 07-D-24 du 24 juillet 2007 relative à des pratiques mises en oeuvre par le réseau Léonidas, § 67.
229 Pour le chiffre d’affaires à prendre en compte, il s’agit du « chiffre d’affaires de l’entreprise supportant la charge de l’amende ou de l’unité économique à qui est imputée la sanction, laquelle comprend son auteur et, le cas échéant, sa société mère » (décision n° 20-D-09 du 16 juillet 2020 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des achats et ventes des pièces de porc et de produits de charcuterie, § 898). S’agissant du groupe Mariage Frères, cotes 1964 et 3086 (VC), 2778 (VNC).
230 Décision n° 23-D-05 du 18 avril 2023 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la distribution de matériels de boulangerie, §§ 237 à 241.