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Décisions

CA Poitiers, 2e ch., 5 décembre 2023, n° 22/00789

POITIERS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Ciman (SARL)

Défendeur :

BSI (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pascot

Conseillers :

M. Vetu, M. Lecler

Avocats :

Me Gallet, Me Rouquie, Me Clerc, Me Gaillard

T. com. Brive, du 9 nov. 2018

9 novembre 2018

EXPOSE DU LITIGE :

Par jugement en date du 26 juin 2015, le tribunal de commerce de Brive-la-Gaillarde a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société anonyme [P], ayant pour activité la création et la fabrication de machines et matériels industriels et agricoles pour le traitement des noix et autres fruits.

Le 2 novembre 2015, Monsieur [V] [L], ancien salarié (Directeur d'exploitation) de la société [P] a créé la SAS BSI, et en a été désigné président.

Monsieur [C], lui-même ancien dirigeant de la société [P], et Monsieur [L] se sont portés chacun candidat au rachat d'un ensemble de documents (plans, historiques d'affaires), brevets, nom commercial et logo de la société [P].

Par ordonnance en date du 13 novembre 2015, le juge-commissaire du tribunal de commerce de Brive-la-Gaillarde a autorisé le mandataire liquidateur de la société [P] à céder à Monsieur [C] l'ensemble de ces éléments pour la somme de 22.000 €.

Le 17 décembre 2015, Monsieur [C] a créé, avec d'anciens salariés de la société [P], la SARL Ciman, dont il a été désigné gérant.

Par ordonnance en date du 7 décembre 2016, le président du tribunal de commerce de Brive-la-Gaillarde a autorisé la société Ciman, suspectant des agissements déloyaux de la société BSI, à faire réaliser un constat d'huissier au domicile de Monsieur [L], au siège social de la société BSI et dans les locaux de la société MGB 3000, cette dernière fabriquant des machines pour la société BSI.
 
Cette mesure d'instruction a été réalisée le 19 janvier 2017.

Par acte en date du 26 janvier 2017, la société BSI a fait assigner en référé la société Ciman aux fins de voir procéder à la rétractation de l'ordonnance rendue par le tribunal de commerce de Brive-la-Gaillarde le 7 décembre 2016 et de voir ordonner l'annulation de tous les actes subséquents et leur destruction immédiate sans qu'il n'en soit conservé aucune copie.

Par ordonnance en date du 13 février 2017, le juge des référés du tribunal de commerce de Brive-la-Gaillarde a rejeté les demandes de la société BSI et donc refusé de faire droit à la demande de rétractation.

À la suite de l'appel interjeté par la société BSI, la cour d'appel de Limoges a, par arrêt en date du 31 mai 2017, infirmé l'ordonnance du juge des référés du tribunal de commerce de Brive-la-Gaillarde en date du 13 février 2017 et a ordonné la rétractation de l'ordonnance rendue sur requête le 7 décembre 2016.

Par acte en date du 30 mai 2017, la société Ciman a fait assigner la société BSI et Monsieur [L] devant le tribunal de commerce de Brive-la-Gaillarde pour voir reconnaître l'existence d'une concurrence déloyale et obtenir l'indemnisation de son préjudice.

Par jugement en date du 9 novembre 2018, le tribunal de commerce de Brive-la-Gaillarde a :

- débouté les sociétés Ciman et BSI de l'ensemble de leurs demandes ;

- dit que la société Ciman conserverait la charge des dépens ;

- taxé les frais du présent jugement à la somme de 77,08 euros.

La société Ciman a formé appel de ce jugement.

Par arrêt en date du 13 janvier 2020, la cour d'appel de Limoges a confirmé le jugement et a condamné la SARL Ciman à payer à la société BSI la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Ciman a formé un pourvoi en cassation.

Par arrêt en date du 16 février 2022, la Cour de cassation (chambre commerciale, financière et économique) a notamment statué ainsi :

- Casse et annule, sauf en ce qu'il rejette la demande de la société Ciman fondée sur la création d'une confusion par un logo quasi identique l'arrêt rendu 13 janvier 2020,

- Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers.

La Cour de cassation a reproché à la Cour d'appel de Limoges :

1) d'avoir écarté 3 procès-verbaux en raison de la rétractation de l'ordonnance du président du Tribunal de commerce de Brive la Gaillarde alors que l'un de ces procès-verbaux (pièce 18 de la société Ciman) avait été dressé au domicile de M. [J] sur requête, par ordonnance de la présidente d'un tribunal de grande instance qui n'avait pas été rétractée,

2) d'avoir considéré que la société Ciman ne justifiait pas d'un préjudice matériel, certain et direct, faute de justifier d'une perte financière ni d'une atteinte à son image, alors qu'il s'infère nécessairement un préjudice, fût-il seulement moral, d'un acte de concurrence déloyale ou de parasitisme, à supposer un tel acte caractérisé.

Par déclaration de saisine en date du 24 mars 2022, la société Ciman a saisi la cour d'appel de Poitiers.

Par conclusions d'incident du 26 juillet 2022, complétées le 9 septembre 2022, la société Ciman a sollicité la communication de pièces ainsi qu'une mesure d'expertise judiciaire.

Par conclusions d'incident responsives du 22 septembre 2022, la société BSI a sollicité du président de chambre qu'il déclare irrecevable la déclaration de saisi de la cour en qu'elle énonce que "l'appelante entend interjeter appel de l'arrêt rendu par la Cour de cassation de Paris le 16 février 2016".

Selon ordonnance du 7 novembre 2022, le président de chambre a déclaré les demandes des sociétés Ciman et BSI irrecevables, après avoir rappelé que les compétences du président de chambre sont limitées en matière de renvoi de cassation.

La société Ciman, par conclusions communiquées par voie électronique le 23 mai 2023, demande à la cour de :

Au visa de des articles 1240 et 1241 du code civil (1382 et 1383 anciens), des articles 74, 133 et suivants, 232 et suivants du code de procédure civile, de l'arrêt de cassation du 16 février 2022,

- Débouter la société BSI de sa demande d'irrecevabilité au motif que la Cour ne serait pas valablement saisie,

- Réformer le jugement du tribunal de commerce de BRIVE en date du 9 novembre 2018 en ce qu'il a débouté la SARL Ciman de ses demandes de condamnation de BSI pour concurrence déloyale délictuelle, confusion et parasitisme et d'indemnisation du préjudice en découlant, sauf concernant la création d'une confusion par un logo quasi-identique

Statuant à nouveau :

- Juger que la SAS BSI s'est rendue coupable d'une concurrence déloyale délictuelle au préjudice de la SARL Ciman par des actes de parasitisme et une confusion délibérée sur le fondement de l'article 1382 devenu 1240 du code civil,

- Condamner la SARL BSI à cesser la production des machines et du matériel de traitement des noix, châtaignes, tranchage de pommes et lavage de truffes pendant 3 ans, sous astreinte sous la forme d'une pénalité au profit de la SARL Ciman de 10 000 euros par infraction constatée,

- Ordonner la publication de la décision à intervenir dans un journal agricole diffusé dans les départements 16-19-24-26-38-46 aux frais de la SAS BSI dans la limite d'un montant de 5000 euros, le cas échéant avec mention d'un pourvoi si la décision n'était pas définitive,

- Condamner la SARL BSI à indemniser la SARL Ciman du préjudice matériel et moral subi

- La condamner à ce titre à une somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice matériel commercial subi et à 100 000 euros pour le préjudice moral de la SARL Ciman

- Subsidiairement et avant dire droit :

- Ordonner la production par BSI ou à défaut sur le fondement de l'article 138 code de procédure civile par M. [U] [O] demeurant [Adresse 4] (pièce adverse 11) la copie du protocole d'accord signé entre la société [P] et la société COMAROILD visé dans l'attestation de M. [U] [O] (pièce adverse 11), Extrait de l'attestation motivant la demande : « il était parfaitement entendu et convenu comme mentionné sur le protocole d'accord que nous avons mutuellement signé que ces machines, spécialement conçues pour l'activité de notre entreprise, nécessitaient des études spéciales et particulières que nous avons d'ailleurs accepter de payer à la condition que nous soyons propriétaires de celles-ci avec remise des plans d'ensemble et de détails ».

- Ordonner la production par BSI du devis avec offre commerciale, du bon de commande et de la facture d'achat de la meule et de la presse à huile au logo BSI vendues au Moulin de la Bâtie courant 2016/2017 tel que visibles sur les pièces 58 et 59, (si ces documents n'ont pas été produits à la suite de la sommation de communiquée qui a été faite), le tout sous astreinte de 500 euros par jour de retard 15 jours après le prononcé de l'ordonnance à intervenir

- Ordonner la production par BSI d'une copie des devis et factures émis par BSI entre le 23 octobre 2015 et le 21 avril 2016 (date du constat pièce 4) portant sur les machines neuves sous logo BSI et sous mêmes conditions d'astreinte :

- Presse à huile,

- Meule,

- 2 modèles de laveuse écaleuse Dia 1000 et Dia 1200,

- Une casseuse gros débit,

- Des vannes pour EDF,

- Une enceinte de protection pour des machines,

Sauf s'il a été déféré à la sommation de communiquer,

parallèlement signifiée,

- Ordonner une expertise technique confiée à un expert en fabrication métallique / chaudronnerie / machines agricoles avec mission :

- En présence d'un huissier de justice dans les locaux de [Adresse 5] aux fins que ceux-ci puissent :

o Accéder aux locaux de l'entreprise Moulin de la Bâtie où sont entreposées la meule et la presse à huile vendues par BSI courant 2016/2017 et portant le logo de BSI,

o Être autorisés à prendre photographies et mesures de la meule et de la presse à huile sur une durée maximale de 4 heures après avoir sollicité [Adresse 5] pour fixer le jour du constat et de l'expertise,

o Comparer les mesures prises avec celles du plan [P] de la presse à huile et la meule acquis par M. [C] selon ordonnance du 13 novembre 2015 apportés à la SARL Ciman,

o Indiquer le nombre d'heures d'étude qu'il estime nécessaires pour réaliser les plans de ces deux machines sans avoir en sa possession les plans [P],

o Dire s'il est techniquement possible, ayant la connaissance du processus technique et le savoir-faire, y compris en ayant travaillé chez [P], d'établir des plans de ces machines avec des cotes identiques aux plans [P] et dans l'affirmative sous quel délai,

o Dans l'hypothèse où ces pièces n'auraient pas été obtenues par le biais de la sommation de communiquer, autoriser l'huissier à prendre copie du devis, de la commande et de la facture des deux machines auprès de [Adresse 5],

o Autoriser l'huissier désigné à recueillir et consigner dans son constat les déclarations spontanées qui pourront être faites par les propriétaires du matériel,

o Prendre copie et dresser constat de tout ce qui peut se rapporter à l'achat la livraison et la conception des deux machines vendues par BSI à [Adresse 5],


- Dire que l'expert désigné devra, indépendamment des machines vendues à [Adresse 5], prendre connaissance des pièces produites par BSI dont il est demandé production sous astreinte (c'est-à-dire copie des devis et factures émis par BSI entre le 23 octobre 2015 et le 21 avril 2016 portant sur les machines neuves sous logo BSI listées ci-dessus),

- Donner pour mission à l'expert désigné de se prononcer sur la faisabilité de mettre en fabrication de mémoire sur la base de son savoir-faire, entre le 23 octobre 2015 et le 21 avril 2016, les machines précitées visibles sur le constat d'huissier pièce 4, y compris une gamme complète d'élévateurs, séchoirs et calibreurs, sans disposer des plans [P], de dire si les machines commandées et vendues par BSI, au vu des pièces produites, sur la période du 23 octobre 2015 au 21 avril 2016, pouvaient être mises en fabrication sans disposer des plans [P],

- Juger que les frais d'expertise et de constat seront avancés par la SARL Ciman,

- Rejetant l'appel incident de la société BSI,

- Débouter la société BSI de l'intégralité de ses demandes de dommages intérêts de 100 000 euros pour préjudice moral, 150 000 euros pour préjudice commercial, 10 000 euros pour dénigrement,

- La débouter de ses demandes visant à la publication de la décision dans un journal agricole aux frais de la SARL Ciman,

- La condamner à la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 CPC ainsi qu'aux dépens qui comprendront la totalité des frais de constats d'huissier sur site internet et du constat chez M. [J].

La société BSI, par conclusions communiquées par voie électronique le 18 avril 2023, demande à la cour de :

Vu les articles 562, 901 et suivants du code de procédure civile, vu la résolution législative du Parlement européen du 14 avril 2016, sur la proposition de directive, datant de 2013, du Parlement européen et du Conseil sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués, la jurisprudence antérieure et les dispositions issues de la Loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires,

- Juger l'absence d'effet dévolutif et qu'en conséquence la Cour n'est pas saisie,

- Débouter la société Ciman de toutes ses demandes,

- Confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a débouté la société Ciman de l'ensemble de ses demandes.

- Le préjudice subi par la société B.S.I., la recevabilité et le bien-fondé de son appel incident.

- Infirmer la décision déférée en ce qu'elle a débouté la société B.S.I. de ses demandes et statuant à nouveau :

- Condamner la société Ciman à payer à la Société B.S.I. la somme de 100 000 euros au titre de son préjudice moral,

- Condamner spécifiquement la société Ciman à la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour dénigrement de la société B.S.I. et de son dirigeant, Monsieur [L].

- Condamner la Société Ciman à payer à la Société B.S.I. la somme de 150 000 euros au titre de son préjudice commercial,

- Ordonner la publication de la décision dans un journal agricole diffusé dans les départements 16-19-24-26-38-46 aux frais de la société Ciman dans la limite d'un total de 10 000 euros à compter de sa signification,

- Condamner la société Ciman à payer à la société B.S.I. la somme de 15 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner la société Ciman aux entiers dépens d'appel en ce compris les frais de signification et d'exécution de la décision à intervenir.

La société BSI, par conclusions communiquées par voie électronique le 31 mai 2023, demande à la cour de :

-Juger qu'il y a violation du contradictoire par la signification tardive des conclusions de l'appelante, en date du 23 mai 2023 empêchant la société BSI de les examiner et d'y répondre avant l'ordonnance de clôture ;

-Ordonner le rejet des nouvelles pièces et conclusions communiquées le 23 mai 2023 par la société Ciman,

-Condamner la Société Ciman aux entiers dépens.

La société Ciman, par conclusions communiquées par voie électronique le 6 juin 2023, demande à la cour de :

Sur la seule demande de rejet des conclusions et pièces produites par la SARL Ciman le 23 mai 2023 :

- Débouter la SAS BSI de sa demande de rejet des pièces et conclusions du 23 mai 2023

- Subsidiairement reporter l'audience fixée au 05 juin 2023 à une date ultérieure et fixer un calendrier d'échange ultime de conclusions.

Pour le reste, la société Ciman a reproduit ses prétentions initiales.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 juin 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Au préalable, s'agissant des conclusions de la société BSI déposées le 31 mai 2023 tendant à déclarer irrecevables les écritures et pièces communiquées par la société Ciman le 23 mai 2023, la cour constate que l'ordonnance de clôture initialement prévue au 9 mai 2023 a été reportée. Elle a été prise le 5 juin 2023. La société BSI avait la possibilité de répliquer aux conclusions du 23 mai 2023. Sa demande tendant à l'irrecevabilité des conclusions et pièces communiquées par la société Ciman le 23 mai 2023 sera rejetée.

I Sur la régularité de la saisine de la cour de renvoi :

L'objet de la déclaration de la saisine de la cour d'appel de Poitiers est ainsi libellé :

L'objet de la demande du présent appel est : faire droit à toutes exceptions de procédure, annuler, sinon infirmer et à tout le moins réformer la décision déférée. L'appelante entend interjeter appel de l'arrêt rendu par la Cour de cassation de Paris le 16 février 2016 en ce qu'il a : Débouté la société CimanT de ses demandes de voir dire et juger que :

- Juger que la SAS BSI s'est rendue coupable d'une concurrence déloyale à son préjudice par des actes de parasitisme une confusion délibérée ;

- Condamner la SARL BSI à cesser la production des machines du matériel de traitement des noix, châtaignes, tranchage de pommes et lavage de truffes pendant trois ans sous astreinte sous la forme d'une pénalité à son profit de 10 000 € par infraction constatée :

- Ordonner la publication de la décision à intervenir dans un journal agricole diffusé dans les départements 16 19 24 26 38 46 aux frais de la SAS BSI dans la limite d'un montant de 5000 €,

le cas échéant avec mention d'un appel si la décision n'était pas définitive ;

- Condamner la SARL BSI à l'indemniser du préjudice subi ;

- La condamner à ce titre à une somme de 200 000 €, sauf à parfaire, à titre de dommages-intérêts ;

- Débouter la société BSI de l'intégralité de ses demandes dans son appel incident ;

- La condamner à la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux dépens qui comprendront la totalité des frais de constat d'huissier sur site Internet et sur place le 19 janvier 2017.

La société BSI conclut au défaut de saisine de la cour par absence d'effet dévolutif au motif :

- que la déclaration de saisine de la cour d'appel de Poitiers comme cour de renvoi ne remplit pas les conditions de la déclaration d'appel telles que prévues à l'article 901 du code de procédure. civile,

- qu'est visé non pas l'arrêt rendu par la cour d'appel de Limoges mais celui rendu par la Cour de cassation et dont la date est en outre erronée,

- qu'il n'y a aucune lisibilité sur les chefs de jugement critiqués au travers une décision visée qui n'est pas la bonne.

La société Ciman répond :

- qu'il ne faut pas confondre déclaration de saisine et déclaration d'appel, comme la Cour de cassation a eu plusieurs fois l'occasion de le rappeler,

- que l'erreur qui affecte la déclaration de saisine est une erreur purement matérielle qui n'a causé aucun grief,

- que dans l'encadré de la déclaration de saisine, il est spécifié que la cour d'appel de Poitiers est saisie sur renvoi de cassation de l'arrêt de la cour d'appel de Limoges,

- que cette erreur matérielle résulte d'une anomalie de fusion informatique générée par le logiciel métier 'avocat' couplé au RPVA sur lequel le déclarant n'a aucune visibilité.

Ces moyens appellent les observation suivantes.

L'article 1033 du code de procédure civile dispose « La déclaration contient les mentions exigées pour l'acte introductif d'instance devant cette juridiction ; une copie de l'arrêt de cassation y est annexée. » Cet article renvoie donc à l'article 901 dont le 4° mentionne 'Les chefs du jugement expressément critiqués auquel l'appel est limité (...)'.

La question qui se pose est celle de la sanction du défaut des chefs de jugement expressément critiqués dans une déclaration de saisine. Il convient à cet égard d'observer que la déclaration d'appel est déjà intervenue et l'effet dévolutif a opéré au profit de la cour de [Localité 7]. La cour d'appel de Poitiers, cour de renvoi est saisie au regard de ce que la Cour de cassation a tranché.

C'est ainsi que par arrêt en date du 19 octobre 2017, la 2ème chambre civile de la Cour de cassation (n° 16-11.266) a affirmé qu'affectant le contenu de l'acte de saisine de la juridiction et non le mode de saisine de celle-ci, l'irrégularité des mentions de la déclaration de saisine de la juridiction de renvoi après cassation, ne constitue pas une cause d'irrecevabilité de celle-ci mais relève des nullités pour vice de forme. Cette position de la deuxième chambre a été confirmée par deux arrêts postérieurs. En effet, par arrêt du 15 avril 2021 (n° 19-20.416), elle a rappelé que la déclaration de saisine après cassation, même lorsque la cassation est partielle, doit contenir le ou les chefs de jugement dont appel, à peine de nullité, pour vice de forme, à charge pour la partie de justifier d'un grief. Par arrêt en date du 29 septembre 2022 (n° 20-19.291), elle a rappelé que sur renvoi après cassation, la cour d'appel est saisie du litige par la déclaration d'appel et le dispositif de l'arrêt de cassation.

En l'espèce, la société BSI se défend en prétendant que la cour de renvoi ne serait pas saisie, mais ne démontre pas, ni même allègue, que l'absence de mention des chefs expressément critiqués et la mention erronée de la date de l'arrêt de cassation lui causeraient un grief. La cour observe au demeurant que cette société a pu se défendre et même faire appel incident. L'absence de grief est manifeste et il n'y a pas lieu de prononcer la nullité de l'acte de saisine pour vice de forme.

Il convient dès lors de rejeter le moyen soulevé par la société BSI tirée du prétendu défaut de saisine de la cour de céans.

II Au fond :

En droit, la théorie de la concurrence déloyale a été développée par la jurisprudence sur les bases du droit commun de la responsabilité civile (C. civ., art. 1240 et 1241). Elle s'applique entre opérateurs économiques.

Trois conditions doivent être réunies : une faute, qui vise tout procédé contraire aux usages du commerce et à l'honnêteté professionnelle, indépendamment de l'intention de nuire ; un préjudice, qui concerne tout dommage subi, générateur d'un trouble commercial ; un lien de causalité, généralement induit de la faute et du dommage.

A) Sur la faute :

La société Ciman fonde sa demande sur deux des modes de la concurrence déloyale : la confusion et le parasitisme économique.

En l'espèce, la société Ciman reproche à la société BSI :

- sur le terrain de la confusion :

- le choix du sigle BSI qui signifie [L] [P] Industrie, rendu possible par le fait que sur 1.000 actions, M. [P], allié de M. [L] en détient 100 et peut se prévaloir de son nom patronymique,

- le fait que M. [L] a déposé la marque "[P] Industries" à l'INPI, alors même que le recours exercé par le liquidateur contre ce dépôt n'a échoué que pour des raisons procédurales,

- sur le terrain du parasitisme économique :

- l'appréhension clandestine de documents commerciaux et techniques qui a permis à la SAS BSI de se les procurer et de les conserver alors même que M. [L] s'en était porté acquéreur et s'était vu préférer M. [C] par le juge commissaire,

- l'exploitation des données commerciales et techniques ainsi obtenues qui lui ont permis de démarrer son activité sans salariés, avec un gain de temps considérable et une rentabilité immédiate du fait de l'économie d'études préalables.

La SAS BSI se défend en faisant valoir :

- Sur les parties au procès :

- que la SAS SBI se trouve attraite devant la cour alors que la société Ciman ne cesse de stigmatiser le comportement de personnes physiques, en l'occurrence MM [L] et [J],

- Sur les fautes qui lui sont reprochées :

- que M. [L] a la paternité des plans de toutes les machines qui sont passées entre ses mains et que les dirigeants de la société [P] dont M. [C] n'ont pas souhaité protéger ces plans,

- que M. [L] a, lors de son licenciement, été libéré de sa clause de non concurrence,

- que M. [P] et M. [L] connaissaient par cœur toutes les données commerciales et techniques de la société en ce que notamment, ils ont étudié, monté, démonté, testé les machines de l'entreprise, M. [L] ayant restitué tout ce qui appartenait à la société mais en avait conservé le souvenir,

- que la marque "[P] Industries" a été régulièrement déposée et que l'opposition du liquidateur a été rejetée faute de notoriété suffisante du seul nom de M. [P],

-que la demande d'expertise est tardive, faute pour la société Ciman d'avoir initié un référé concurrence et en tout cas non justifiée en ce qu'une mesure d'instruction ne peut être ordonnée pour suppléer la carence d'une partie dans l'administration de la preuve.

Ces moyens appellent les observations suivantes de la cour.

Au préalable, si la SAS SBI reproche à la société Ciman de stigmatiser le comportement de personnes physiques, MM [L] et [J] en l'occurrence, alors qu'elle est seule attraite en justice, la cour rappelle que les agissements d'une personne morale ne s'incarnent jamais que dans ceux des personnes physiques qui l'animent et la société Ciman est légitime à se fonder sur les actes du représentant légal de la société BSI, M. [L] en l'espèce, et les relations que celui-ci a pu entretenir avec des tiers, M. [J] ou la société MGB, pour reprocher des agissements déloyaux imputables à la société BSI. En outre, et pour répondre à un moyen récurrent des conclusions de la société BSI, le fait que MM [L] et [J] ou la société MGB n'aient pas fait l'objet de poursuites individuelles, pénales ou civiles, ne prive pas la société appelante de la possibilité de se prévaloir de leurs agissements au profit de la SAS BSI pour tenter d'asseoir ses prétentions.

1) Sur le terrain de la confusion :

En droit, la confusion est le fait de créer dans l'esprit de la clientèle une assimilation ou une similitude entre des entreprises ou les produits de celles-ci. Elle peut résulter d'une imitation ou d'une ressemblance des signes distinctifs, des produits, des messages publicitaires. Il appartient au juge de prendre en compte la notoriété des signes distinctifs, le secteur d'activité, le rayonnement géographique, la servilité au modèle, l'originalité des produits. L'imitateur peut toutefois invoquer la nature, la banalité, les nécessités techniques ou fonctionnelles du produit et la compatibilité entre les produits. La concurrence déloyale peut venir ici en concurrence avec la contrefaçon.

Il convient tout d'abord de rappeler que la société Ciman reprochait à SAS BSI l'utilisation d'un logo susceptible d'entraîner la confusion avec celui de la société [P], que la cour d'appel de Limoges a estimé qu'il existait suffisamment de différences entre les deux logos pour ne pas créer de confusion dans l'esprit d'un public, même moyennement attentif. Ce point n'a pas fait l'objet de cassation par l'arrêt du 16 février 2022. Cet aspect du litige est donc définitivement tranché par la cour d'appel de Limoges et demeure hors débat devant la cour de céans. Il n'y a donc pas lieu de prendre en compte les développements de la société BSI en pages 21 à 23 (paragraphe A, a)) et de la société Ciman pages 5 à 6, étant entendu que la société appelante prend la précaution de préciser qu' « il ne sera plus argumenté sur le logo, mais cela est rappelé à la cour de Poitiers pour mémoire ».

En l'état actuel des choses, la société appelante fait valoir sur le terrain de la confusion deux griefs.

D'une part, la SARL Ciman reproche à la SAS BSI le choix de sa dénomination en ce que la lettre S du sigle BSI correspond au nom patronymique [P], choix rendu possible par le fait que M. [P] détient 100 actions de cette société. La cour constate cependant que la dénomination de la société intimée se limite à l'association de trois lettres capitales. Cette identification sommaire ne permet pas d'établir que les acheteurs potentiels aient conscience du fait que la lettre S correspond à l'initiale du patronyme [P].

D'autre part, la SARL Ciman reproche à M. [L] d'avoir déposé la marque "[P] Industries" à l'INPI. La cour constate que cette circonstance ne permet pas de faire naître une confusion dans l'esprit du public et plus particulièrement des acheteurs potentiels, non nécessairement informés du dépôt de cette marque.

Les fautes alléguées par la SARL Ciman sur le terrain de la confusion seront écartées.

2) Sur le terrain du parasitisme économique :

En droit, le parasitisme économique est l'ensemble des comportements par lesquels un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire.

Pour déterminer si des comportements susceptibles de tomber sous le coup de parasitisme sont caractérisés en l'espèce, il convient d'analyser, à la lumière des moyens échangés entre les parties les cinq points suivants :

- l'acquisition des documents '[P]' par la SARL Ciman,

- les agissements reprochés par la société Ciman à M. [J],

-  les similitudes entre les machines [P] et les machines BSI,

- les clauses figurant dans les contrats de travail,

- l'évolution des résultats nets des deux sociétés.

a) L'acquisition des documents '[P]' par la SARL Ciman :

Il résulte de l'ordonnance du juge commissaire du tribunal de commerce de Brive en date du 13 novembre 2015 (pièce Ciman n° 1) que le liquidateur a été saisi de deux propositions d'achat de documents appartenant à la société [P], les plans notamment, propositions émanant respectivement de MM [C] et [L]. Ce dernier a fait une première offre à hauteur de 14.000 € HT et une seconde à hauteur de 20.000 € HT. Au final, c'est M. [C] qui, parti d'une proposition initiale de 10.000 €, a emporté le marché en portant son offre à 22.000 € HT.

Par ses deux offres successives de 14.000 € HT et 20.000 € HT, M. [L] a montré un intérêt tout particulier pour l'acquisition de plans qui revêtaient manifestement pour lui une importance majeure. Devant la cour, la SCI BSI vient déclarer que sa motivation résidait en réalité dans le fait qu'il convenait d'éviter que les plans, vierges de toute protection, puissent être récupérés par des concurrents. La SARL Ciman en déduit qu'en affirmant cela, la SAS BSI reconnaît implicitement mais nécessairement qu'elle détenait bel et bien ces plans. La société intimée se défend en affirmant qu'elle ne les détenait pas matériellement, mais que son représentant légal en avait gardé la mémoire en ce que M. [L], ancien directeur d'exploitation de la société [P], avait une longue expérience des machines de cette entreprise.

La cour observe cependant, comme il sera vu ci-dessous, que la technicité et la précision des plans nécessaires à la fabrication des machines sont incompatibles avec le phénomène de simple mémorisation allégué. Cette analyse vient conforter l'hypothèse selon laquelle M. [L] a quitté l'entreprise [P] en organisant préalablement le relevé des plans des machines à des fins personnelles.

b) Les agissements reprochés par la société Ciman à M. [J] :

Il convient au préalable de préciser que M. [J] avait été employé par la société [P] en qualité de dessinateur. La SARL Ciman lui reproche en page 24 de ses écritures, de s'être rendu complice des agissements de M. [L] en capturant les plans sur son ordinateur ou en utilisant ceux capturés par M. [L] pour la future BSI.

La SARL Ciman produit en pièce n° 28 un document intitulé 'Extraits de constat [J]' dont il résulte que divers fichiers de la société [P] ont été modifiés entre le 4 décembre 2014 et le 7 juin 2015. Il convient de s'attarder sur les modifications apportées le 7 juin 2015.

Il s'agissait d'un dimanche et ces modifications sont intervenues aux horaires suivants :

- 10 h 09 mn 40 s,

- 11 h 21 mn 44 s,

- 15 h 14 mn 42 s,

- 15 h 34 mn 48 s,

- 15h 44 mn, 44 s,

soit tout au long d'un jour chômé, dans un souci manifeste de discrétion qui confine à la clandestinité.

Cette date du 7 juin 2015 s'inscrit dans une chronologie rappelée par la société Ciman en page 30 de ses conclusions dont la cour ne retiendra que les éléments constants suivants :

- 09 septembre 2014 : placement de la société [P] en redressement judiciaire,

- 26 juin 2015 : placement de la société [P] en liquidation judiciaire,

- 15 juillet 2015 : constat de l'absence d'offre de reprise,

- 28 juillet 2015 : licenciement de M. [L],

- 23 octobre 2015 : début de l'activité de la SAS BSI,

- 02 octobre 2015 : immatriculation de la AS BSI,

- 13 novembre 2015 : offre de rachat de documents [P] par M. [L].

La SARL Ciman produit en pièce n° 18 un procès-verbal de constat d'huissier dressé le 19 janvier 2017 par Maître [B] au domicile de M. [J] dont il résulte que les recherches effectuées sur son ordinateur ont permis d'identifier :

- un fichier comprenant un dessin 3D de la casseuse gros débit [P] (CGD500),

- 7 fichiers reprenant le dessin 3D de la laveuse-écaleuse [P] ([P] LE 1015),

- plusieurs fichiers comprenant les dessins 3D de la presse à huile d'argan [P] appelée également presse à huile MH1000,

- plusieurs fichiers contenant les plans 3D des laveuses et des presses à huile [P].

L'ensemble de ces éléments confirme l'hypothèse émise par la SARL Ciman d'une prélèvement des plans au sein de la société [P] aux fins de permettre le démarrage sans délai de l'activité de la SAS BSI.

c) Les similitudes entre les machines [P] et les machines BSI :

Il résulte des pièces n° 3, 4, 46, 47, 48, 49, 50, 51 de la SARL Ciman que les machines produites par la SAS BSI sont strictement identiques à celles initialement fabriquées par la société [P]. Seules les couleurs ont été modifiées. Les similitudes sont telles (motifs, détails, design) qu'elles ne peuvent pas être fortuites et ne peuvent s'expliquer comme l'affirme la SAS BSI, par le fait qu'elles ont la même utilité et sont soumises aux mêmes contraintes en ce qu'elles s'inscrivent dans un processus global impliquant un minimum de normes communes.

A cet égard, la SARL Ciman produit en pièces n° 5, 6 et 7 trois attestations conformes aux exigences légales, aux termes desquelles d'anciens salariés de l'entreprise [P] affirment avoir fabriqué, du temps de leur ancien employeur, une presse à huile et une casseuse écaleuse identiques à celles figurant sur les plans annexés à leurs attestations. De la même façon, en pièce n° 8, M. [H], président de la SA [P] jusqu'au 14 juillet 2015 affirme que les plans 3D annexés à son attestation « ont été dessinés par les salariés de la société [P] et que ces plans étaient la propriété de la société [P] au moment de sa liquidation ».

La cour ne méconnaît pas l'expérience acquise par M. [L] sur les machines litigieuses et la capacité qui était la sienne de les démonter et de les réparer. Pour autant, la parfaite identité entre les machines [P] et les machines BSI quant aux côtes et au positionnement des moindres détails, rend complètement invraisemblable que les plans aient pu être mémorisés par M. [L]. Il suffit pour s'en convaincre de se référer aux schémas 3D des différentes machines qui sont un assemblage minutieux de très nombreux éléments.

d) Les clauses figurant dans les contrats de travail :

Appelante et intimée ont débattu à partir de documents contractuels, notamment contrats de travail et pièces relatives au licenciement de M. [L] pour prétendre :

- en ce qui concerne la SARL Ciman, que tout salarié de la société [P] s'engageait à ne pas utiliser ou révéler des renseignements relatifs à la société,

-  en ce qui concerne la SAS BSI, que l'achat des documents [P] par M. [C] ne créait pas à son profit une exclusivité qui empêcherait M. [L] de tirer profit de l'expérience acquise sur ces machines pour les reproduire dans le cadre de sa propre activité.

La cour écartera l'ensemble des moyens échangés sur ce point. Il convient en effet de rappeler que le présent litige concerne la concurrence déloyale et s'inscrit dans le champ général de la responsabilité quasi délictuelle. La question n'est pas de déterminer si des salariés [P] étaient ou non autorisés à utiliser les informations recueillies, si M. [L] était ou non délié par la levée d'une clause de non concurrence ou si la société Ciman bénéficiait ou non d'une exclusivité suite à l'acquisition des documents [P].

La seule question soumise à la cour est en effet de déterminer si des agissements déloyaux sont caractérisés à l'encontre de la SAS BSI ayant pour objet de permettre à celle-ci de s'immiscer dans le sillage de la société Ciman et d'en tirer profit, sans rien dépenser. Et à cet égard, il a été démontré que la SAS BSI a, grâce à MM [L] et [J], prélevé par anticipation les plans litigieux, alors même que la société Ciman a ensuite engagé des dépenses pour se les procurer - ce que la société intimée ne pouvait ignorer puisqu'elle s'était portée elle aussi candidate à l'acquisition de ces mêmes plans, faisant monter le prix de 10.000 € initialement proposé par M. [C] à 22.000 €. Ainsi, la SAS BSI a pu être immédiatement concurrentielle sans avoir à financer des études préalables, alors même que la société Ciman, par le biais de M. [C], avait engagé des dépenses pour se procurer les plans des machines. En agissant de la sorte, la société intimée a agi de façon déloyale à l'encontre de la SARL Ciman, manifestant un manquement à l'honnêteté professionnelle la plus élémentaire.

e) L'évolution des résultats nets des deux sociétés :

La SARL Ciman a produit en pièces n° 79 et 80 des documents internet permettant de comparer l'état de la trésorerie des deux sociétés en litige. Pour l'année 2021, la société appelante affiche un résultat net de 27.800 € alors que la SAS BSI affiche un résultat net de 113.000 €. Les courbes de finances montrent une croissance constante chez BSI et une baisse très sensible chez Ciman.

Ces éléments confortent l'idée que la société intimée a pu démarrer sa production sans délai. La cour constate à cet égard que la société BSI n'est nullement en mesure de justifier de dépenses d'investissement (plans, études) pour le démarrage de son activité. Les quatre factures relevées par Maître [B] lors de son constat effectué à partir de l'ordinateur de M. [J], émises au nom de BSI et MGB 3000 demeurent tout à fait modestes puisqu'elles révèlent des montants de 645 €, 195 €, 1.365 € et 795 €. Cette circonstances conforte d'ailleurs l'idée évoquée ci-dessus selon laquelle M. [J] a été sollicité pour donner aux plans initiaux [P] une nouvelle apparence, notamment par la modification du logo et des couleurs, sans en modifier l'essence, son intervention n'ayant eu qu'un effet cosmétique.

***

La cour constate, au titre du parasitisme économique que les cinq points développés ci-dessus, pris ensemble, permettent de caractériser des agissements déloyaux de la société BSI à l'encontre de la société Ciman, sans qu'il soit besoin de faire droit aux demandes subsidiaires de la SARL Ciman en termes de communications de pièces et d'expertise.

B) Sur le lien de causalité :

La SAS BSI reproche à la société Ciman d'être défaillante dans la preuve de ce lien de causalité qui lui incombe.

Il suffit pour la cour de reprendre les termes de l'arrêt de cassation qui la saisit aux termes duquel 'il s'infère nécessairement un préjudice, fût-il seulement moral, d'un acte de concurrence déloyale ou de parasitisme, à supposer un tel acte caractérisé.'

C) Sur la réparation du préjudice :

En droit, le juge peut condamner l'auteur à des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, qui peut être matériel et résulter de la perte de clientèle ou de la perte de chance de la développer, ou moral et prendre la forme d'un trouble commercial. Il peut prononcer une injonction de cesser les agissements déloyaux, au besoin sous astreinte, et ordonner une publication ou une diffusion de la décision.

En l'espèce, la société Ciman sollicite :

- à titre de dommages les sommes de :

- 100.000 € pour préjudice matériel commercial,

- 100.000 € pour préjudice moral,

- la condamnation de la SAS BSI à cesser la production des machines pendant trois ans sous astreinte de 10.000 € par infraction constatée,

- la publication de la décision à intervenir dans un journal agricole diffusé dans les départements 16- 19-24-36-38-46.

La SAS BSI reproche à la société Ciman de solliciter la somme de 200.000 € à titre de réparation sans justifier la réalité de son préjudice, et sans produire ses bilans et comptes de résultats.

En ce qui concerne le préjudice matériel et commercial, il convient tout d'abord d'observer que c'est en pure perte que M. [C], pour le compte de la SARL Ciman à venir, a acquis les documents [P] pour la somme de 22.000 €. Il s'agit du montant plancher en dessous duquel il est impossible de descendre au titre de ce préjudice. Il convient ensuite d'observer que par les agissements de M. [L] évoqués ci-dessus (I A) la société BSI a pu se montrer immédiatement concurrentielle sur un secteur commercial extrêmement pointu permettant d'être qualifié de marché de niche, tant les machines vendues sont spécifiques et répondent à un besoin local. Le faible nombre de concurrents sur un tel marché a nécessairement conduit la SARL Ciman à souffrir d'une perte de clientèle au démarrage de la SAS BSI et dès lors d'un manque à gagner. Celui-ci touche plusieurs types de machines puisque les plans litigieux concernent aussi bien des presses à huile que des casseuses-écaleuses et des casseuses gros débit. La SARL Ciman n'est pas démentie quand elle affirme que les machines litigieuses se vendent à des prix qui varient de 15.000 à 60.000 €. C'est pourquoi, la cour évaluera le montant des dommages-intérêts à allouer au titre du préjudice matériel à la somme de 22.000 € + 60.000 € = 82.000 €.

En ce qui concerne le préjudice moral, celui-ci est incontestablement établi par le comportement particulièrement déloyal de la société BSI. Il sera réparé par l'allocation d'une indemnité que la cour fixera à la somme de 20.000 €.

En application du principe de réparation intégrale, il appartient au responsable de réparer le préjudice : tout le préjudice, rien que le préjudice.

La cour estime que l'allocation des sommes de 82.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel et de 20.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral répare l'intégralité du préjudice subi par la SARL Ciman, sans qu'il soit nécessaire d'assortir ces condamnations indemnitaires des mesures complémentaires que sont l'astreinte et la publication du présent arrêt dans la presse sollicitées par la société appelante. Ces demandes de réparation complémentaires seront rejetées.

La SAS BSI qui succombe sera déboutée de toutes ses demandes indemnitaires.

Le jugement déféré ne sera confirmé qu'en ce qu'il a débouté la SAS BSI de l'ensemble de ses demandes.

*****

La SAS BSI qui succombe sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel qui comprendront notamment la totalité des frais et constats d'huissier sur site internet . Elle sera dès lors déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamnée de ce chef à payer à la SARL Ciman la somme de 8.000 €.

PAR CES MOTIFS:

La Cour,

Vu le jugement du tribunal de commerce de Brive du 9 novembre 2018,

Vu l'arrêt de la cour d'appel de Limoges du 3 janvier 2020,

Vu l'arrêt de cassation du 16 février 2022,

Déboute la SAS BSI de sa demande tendant à voir déclarer la cour de céans non saisie,

Rejette la demande de la société BSI tendant à déclarer irrecevables comme tardives les conclusions et pièces communiquées par la SARL Ciman le 23 mai 2023,

Confirme le jugement du tribunal de commerce de Brive du 9 novembre 2018 en ce qu'il débouté la SAS BSI de ses demandes,

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la SAS BSI à payer à la SARL Ciman :

- la somme de 82.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice matériel,

- la somme de 20.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,

Rejette toute autre demande,

Déboute la SAS BSI de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SAS BSI à payer à la SARL Ciman la somme de 8.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SAS BSI aux entiers dépens de première instance et d'appel qui comprendront notamment la totalité des frais et constats d'huissier sur site internet.