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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 1 décembre 2023, n° 21/08049

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Institut des Technologies Informatiques et des Services aux Entreprises (Sté)

Défendeur :

Institut Kalliope (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme L'Eleu de La Simone

Conseillers :

M. Perrot, Mme Picardat

Avocats :

Me Roiron, Me Vincent, Me Ohana, Me Mialet

T. com. Evry, du 3 mars 2021, n° 2019F00…

3 mars 2021

FAITS ET PROCEDURE

La société Institut Kalliope est un organisme de formation créé le 8 octobre 2013 situé à [Localité 3] puis à [Localité 4] depuis le 1er septembre 2022.

La société Ingetis est un organisme de formation et d'enseignement d'ingénierie informatique situé à [Localité 3].

La société Institut des Technologies Informatiques et des Services aux Entreprises (société ITIS) est un établissement de formation créé en 2006 et également situé à [Localité 3].

A la suite de la démission de deux de ses salariés en mai et juillet 2018 et le départ de quinze de ses étudiants au mois de septembre 2018, la société Institut Kalliope a, par requête en date du 18 octobre 2018, demandé ua président du tribunal de commerce d'Evry de désigner un huissier afin de constater :

pour se faire communiquer la liste des étudiants inscrits au sein de la société ITIS et vérifier si parmi cette liste figurent les étudiants listés par la société Institut Kalliope dont elle soupçonne un démarchage,

et pour vérifier la liste du personnel d'ITIS et vérifier si Mme [T] et M. [W] font partie du personnel de la société ITIS.

Maître Nam été désigné par ordonnance du 3 décembre 2018 et s'est rendu sur les lieux le 15 janvier 2019.
 
Suivant exploit du 7 mars 2019, la société Institut Kalliope a fait assigner la société Ingetis devant le tribunal de commerce d'Evry afin d'obtenir sa condamnation à lui payer la somme de 89.211,75 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice de perte d'exploitation subi en raison d'actes de concurrence déloyale commis par la défenderesse, à savoir le débauchage de deux de ses salariés et le démarchage de quinze de ses élèves.

La société Ingetis ayant soulevé l'irrecevabilité de la demande dirigée à son encontre alors que les prétentions concernaient la société ITIS, la société Institut Kalliope a, suivant acte du 25 mai 2020, fait assigner la société ITIS en concurrence déloyale devant le tribunal de commerce d'Evry.

Par jugement du 3 mars 2021, le tribunal de commerce d'Evry a :

constaté la jonction des affaires enrôlées sou les numéros 2019F200 et 2019F231,

dit que, du tout, il sera rendu un seul jugement, conservant le numéro de rôle 2019F200,

débouté la société Institut Kalliope de ses demandes à l'encontre de la société Ingetis,

condamné la société Institut des Technologies informatiques et des services aux entreprises au paiement de la somme de 75.000 euros à la société Institut Kalliope, majorée des intérêts légaux à compter de la signification du présent jugement,

condamné la société Institut des Technologies informatiques et des services aux entreprises à payer à la société Institut Kalliope la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

débouté les parties de leurs autres demandes,

ordonné l'exécution provisoire,

condamné la société Institut des Technologies informatiques et des services aux entreprises aux dépens.

La société ITIS a formé appel du jugement par déclaration du 26 avril 2021 enregistrée le 3 mai 2021, à l'encontre de la société Institut Kalliope.

Suivant ses dernières conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 31 août 2023, la société ITIS demande à la cour, au visa des articles 1240 et 1353 du code civil, et de l'article 9 du code de procédure civile :

d'infirmer partiellement le jugement rendu le 4 mars 2021 par le tribunal de commerce d'Evry en ce qu'il a condamné la société ITIS à verser à la société Institut Kalliope, la somme de 75.000 euros à titre de dommages et intérêts pour de prétendus actes de concurrence déloyale, outre les intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement, la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.

Et statuant à nouveau :

de dire et juger que la société ITIS n'a pas commis d'acte de concurrence déloyale au préjudice de la société Institut Kalliope, en particulier des actes de dénigrement, ou de débauchage de personnel ;

de dire et juger que la société Institut Kalliope ne justifie pas l'existence d'un préjudice financier au titre de la perte de son chiffre d'affaires ;

de débouter la société Institut Kalliope de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

de condamner la société Institut Kalliope au paiement de la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

de condamner la société Institut Kalliope à payer à la société ITIS la somme de 25.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, qui pourront être recouvrés directement par la SELAS Fidal dans les conditions de l'article 690 du code de procédure civile.

Suivant ses dernières conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 23 mai 2023, la société Institut Kalliope demande à la cour :

de débouter la société ITIS de l'ensemble de ses demandes fin à ses conclusions.

de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Institut des Technologies Informatiques et des Services aux Entreprises dite ITIS à payer à la société Institut Kalliope la somme de 75.000 euros majorée des intérêts légaux à compter de la signification du jugement, et celle de 2500 euros titre de l'article 700 du code de procédure civile.

de condamner la société ITIS à payer à la société Institut Kalliope la somme de 4.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

de dire qu'en application des dispositions de l'article L. 111'8 du code des procédures civiles d'exécution, les frais d'exécution resteront à la charge de la société ITIS.

de condamner la société ITIS aux dépens.

La clôture a été prononcée suivant ordonnance en date du 7 septembre 2023.

SUR CE, LA COUR,

Sur la concurrence déloyale

La société Institut Kalliope fait valoir que des opérations de démarchage ont été entreprises auprès de ses étudiants et auprès des sociétés qui financent les études de ses étudiants et ce par la société ITIS, via M. [R] [W] et Mme [G] [T], deux de ses salariés qui ont démissionné en mai et juillet 2018.

La société ITIS soutient qu'aucun acte de concurrence déloyale ne peut lui être opposé tant au titre de prétendus actes de débauchage de personnel ou de débauchage d'élèves que d'actes de dénigrement. Elle souligne la faiblesse des preuves apportées et indique que d'une part Mme [T] ne faisait pas l'objet d'une clause de non-concurrence et d'autre part M. [W] n'a pas été embauché par ITIS. Elle indique ensuite que les élèves qui ont rejoint ITIS étaient critiques sur la qualité de la formation dispensée par l'Institut Kalliope et le sérieux des formateurs.

Aux termes de l'article 1240 du code civil :

« Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »

Il résulte des pièces versées aux débats que Mme [G] [T] a été conseillère en formation au sein de la société Institut Kalliope du 5 juin 2017 au 7 août 2018, soit pendant un an et deux mois. Elle a adressé le 7 juin 2018 sa lettre de démission en sollicitant la réduction de son délai de préavis et la possibilité de quitter ses fonctions au 6 juillet 2018 pour solder ses congés. Elle a commencé à travailler au sein de la société ITIS en juillet 2018.

N'étant pas contrainte par une clause de non-concurrence, Mme [T] a librement quitté l'Institut Kalliope pour rejoindre la société ITIS.

Quant à M. [R] [W] a adressé le 14 mai 2018 sa lettre de démission du poste qu'il occupait depuis le 18 mai 2009 au sein de l'ISEK anciennement Kalliope Formation IDF, en sollicitant que la date effective de sa démission soit avancée au 22 juin 2018. Il a été embauché par l'école IPSSI et n'a pas été salarié de la société ITIS.

La société Institut Kalliope n'apporte aucun élément justifiant d'une désorganisation en son sein à la suite du départ de ces deux salariés dont un seul au demeurant a rejoint son concurrent ITIS.

La société Institut Kalliope met ensuite en exergue, pour asseoir l'existence d'actes de dénigrement à son égard, un courriel de Mme [T] à la société Axone daté du 18 juillet 2018 et relatif au contrat d'alternance de l'élève M. [B] [L] et un échange de textos entre l'élève Mme [D] [P] et Mme [T].

Dans le courriel adressé à la société Axone, Mme [T] écrit que « [B] souhaite se positionner au sein de notre établissement pour sa 2e année de BTS ». Il ne résulte des termes de ce message aucun dénigrement à l'égard de la société Institut Kalliope, sachant au surplus que l'élève concerné n'a pas quitté l'Institut Kalliope pour suivre sa scolarité chez ITIS.

Dans l'échange tronqué de textos attribués à Mme [T] et Mme [P] par la société Institut Kalliope, Mme [T] contacte Mme [P] et écrit notamment :

« Comme je l'ai dit à tous, on n'a pas de boule de cristal pour vous assurer qu'il n'y aura pas de rentrée, on vous prévient seulement de faire attention car ça va être compliqué...J'ai encore d'autre preuve à avancer mais je m'arrêtera là je ne suis pas là pour te convaincre de quoi que ce soit. Je t'invite à faire ta rentrée à l'ISEK et à avoir ainsi ton propre avis de la situation. (') Concrètement, il n'y a pour le moment aucun contrat pour la rentrée, certes il y a des inscriptions, mais pas d'entreprise derrière. Les nouvelles terminent leur contrat ce vendredi, ils ont même fait une rupture avec [N] pour qu'elle parte aussi vendredi. Il n'y a plus aucun effectif. Les formateurs, idem, on sait que plusieurs d'entre eux ne reviennent pas à la rentrée. Beaucoup de choses qui s'accumulent ne présageant rien de bon ! ».

Dans ses propos, Mme [T] fait part de ses doutes sur le sérieux et la pérennité de la société Institut Kalliope. Ceux-ci n'ont visiblement pas eu d'effet puisque l'élève n'a pas gagné les rangs de la société ITIS. Cet échange unique de messages à destination d'une élève comportant des déclarations vagues sur le devenir de la société Institut Kalliope est insuffisant à caractériser un acte de dénigrement.

Enfin une formatrice de l'Institut Kalliope fait part dans un courriel de rumeurs de fermeture de l'Institut qui circuleraient parmi les élèves et les perturberaient. La responsable la rassure en lui affirmant que la rentrée aura bien lieu et qu'il ne s'agit que de rumeurs infondées. Une simple rumeur évoquée par un professeur et dont l'origine est inconnue ne peut fonder une action en concurrence déloyale basée sur des faits de dénigrement.

La société ITIS verse aux débats des attestations d'élèves qui ont quitté l'Institut Kalliope pour rejoindre ITIS. Ceux-ci remettent en question l'absentéisme professoral, la désorganisation de l'Institut Kalliope, le suivi pédagogique défaillant et le niveau des formateurs. La société Institut Kalliope réplique en produisant les justificatifs du suivi assuré par ses soins et les diplômes des professeurs. Les raisons qui ont poussé quinze élèves à quitter l'Institut Kalliope pour rejoindre ITIS leur sont donc propres et la preuve d'agissements déloyaux de la société ITIS pour démarcher lesdits élèves n'est pas rapportée par l'intimée.

Enfin l'affirmation selon laquelle la société ITIS aurait infiltré la plateforme Opcommerce est dénuée de fondement, la société Institut Kalliope ne procédant que par allégations sur ce point, l'historique du financement de la formation d'un élève qui a changé d'institut apparaissant naturellement avec les différents instituts de formation sur la page concernée de son dossier.

Il en résulte que la société Institut Kalliope ne démontre pas avoir être victime d'actes de concurrence déloyale de la part de la société ITIS. Le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions déférées et la société Kalliope déboutée de l'intégralité de ses demandes.

Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.

La société ITIS estime que la société Institut Kalliope a artificiellement tenté par la présente instance de lui faire supporter ses difficultés financières, comportement caractéristique d'un abus de procédure.

Cependant, après avoir fait établir un procès-verbal de constat et considérant être victime d'actes de concurrence déloyale, la société Institut Kalliope a usé de son droit d'agir en justice, sans qu'il ne soit prouvé que celui-ci ait dégénéré en abus.

La société ITIS sera par conséquent déboutée de sa demande de ce chef.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.

La société Institut Kalliope succombant à l'action, il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles et statuant de ces chefs en cause d'appel, elle sera aussi condamnée aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction ua profit de la Selas Fidal. Il apparaît également équitable de condamner la société Institut Kalliope à payer à la société ITIS la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

INFIRME le jugement en toutes ses dispositions déférées ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DEBOUTE la société Institut Kalliope de toutes ses demandes ;

DEBOUTE la société ITIS de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

CONDAMNE la société Institut Kalliope aux dépens, dont distraction au profit de la Selas Fidal ;

CONDAMNE la société Institut Kalliope à payer à la société ITIS la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.