Livv
Décisions

Cass. com., 6 décembre 2023, n° 21-25.369

COUR DE CASSATION

Autre

Cassation

PARTIES

Demandeur :

URSSAF Nord-Pas-de-Calais (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

Mme Bellino

Avocats :

SCP Gury & Maitre, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol

Douai, 1re ch. sect. 1, du 7 oct. 2021, …

7 octobre 2021

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 21-25.369 et 22-13.594 sont joints. 

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 7 octobre 2021), jusqu'en 2017, l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales du Nord puis celle du Nord Pas-de-Calais (l'URSSAF) ont régulièrement confié à Ia SCP [A]-[Y]-[Z]-[N], devenue la SCP [Z]-[N]-[V]-[F] (la SCP), huissiers de justice à Dunkerque, la mission de recouvrer pour leur compte des sommes dues par leurs débiteurs. Une première convention a été signée le 23 mars 2011 pour encadrer ces relations, puis une seconde le 2 janvier 2013, conclue pour une durée initiale d'un an et renouvelable par tacite reconduction.

3. Après une procédure de consultation annoncée par lettre du 26 janvier 2017 et mise en oeuvre le 1er février 2017, par lettre du 20 mars 2017, |'URSSAF a notifié à la SCP qu'elle mettait un terme au 20 mai 2017 à la convention qui les liait.

4. La SCP et MM. [Z], [N] et [F] et Mme [V] ont assigné l'URSSAF en responsabilité contractuelle pour rupture abusive et brutale de la relation contractuelle avec la SCP, et en responsabilité délictuelle à l'égard des associés de la SCP.

Examen des moyens

Sur les premier et second moyens du pourvoi de l'URSSAF n° 21-25.369

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation. 

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches, du pourvoi de la SCP n° 22-13.594

Enoncé du moyen

6. La SCP, MM. [Z], [N] et [F] et Mme [V] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes tendant, pour la SCP, à la réparation du préjudice subi au titre de la perte de marge escomptée durant la période de préavis qui aurait dû être exécuté et du préjudice d'image et, pour ses associés, de la dévalorisation des parts sociales de la SCP et du préjudice moral subi par chacun d'entre eux, alors :

« 1°/ que les règles définies au livre IV du code de commerce s'appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris lorsqu'elles sont exercées par un officier ministériel en charge d'une mission de service public ; qu'un tel officier ministériel en charge d'une mission de service public peut demander la réparation de son préjudice lorsqu'il a été victime d'une pratique restrictive de concurrence prohibée par les dispositions du titre IV du livre IV du code de commerce ; qu'en retenant qu'en raison de son statut d'officier ministériel en charge d'une mission de service public, l'étude d'huissiers de justice ne pouvait se prévaloir des garanties dont bénéficie un commerçant lorsqu'il est victime d'une rupture brutale d'une relation commerciale établie, pratique restrictive de concurrence prohibée par les dispositions du titre IV du livre IV du code de commerce, refusant ainsi de l'indemniser au titre de la perte de marge subie durant la durée du préavis, la cour d'appel a violé l'article L. 410-1 du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige ;

2°/ qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée ; que cette responsabilité peut être engagée quel que soit le statut juridique de la victime du comportement incriminé ; qu'en retenant qu'en raison de son statut d'officier ministériel en charge d'une mission de service public, l'étude d'huissiers de justice ne pouvait se prévaloir des garanties dont bénéficie un commerçant dans le cadre de relations commerciales établies ni invoquer la jurisprudence applicable en la matière, refusant ainsi de l'indemniser au titre de la perte de marge subie durant la durée du préavis, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

7. Contrairement à ce que soutient le moyen, pris en ses première et deuxième branches, la cour d'appel n'a pas écarté, au motif que le statut des huissiers de justice l'exclurait, l'application de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 24 avril 2019, qui n'était pas invoquée par les parties, mais a seulement relevé, après avoir retenu la responsabilité contractuelle de l'URSSAF sur le fondement du droit commun pour avoir rompu le contrat sans préavis suffisant, que pour évaluer le préjudice subi par la SCP, la jurisprudence rendue en matière de rupture brutale d'une relation commerciale établie, indemnisant la perte de marge subie pendant la durée de préavis, n'était pas applicable.

8. Le moyen, qui manque en fait, n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi de la SCP n° 22-13.594

Enoncé du moyen

9. La SCP, MM. [Z], [N] et [F] et Mme [V] font le même grief à l'arrêt, alors « qu'en cas de rupture unilatérale d'un contrat à durée indéterminée, l'auteur de la rupture est tenu de respecter un délai de préavis raisonnable ; qu'en application du principe de réparation intégrale, la partie à un contrat qui manque à l'une de ses obligations contractuelles est tenue de replacer son cocontractant dans la situation dans laquelle il se serait trouvé si le contrat avait été entièrement exécuté ; qu'il s'en déduit que la réparation du préjudice résultant du non-respect d'une obligation de respecter un préavis doit replacer la victime dans la situation dans laquelle elle se serait trouvée si le juste préavis avait été exécuté ; qu'en retenant que la perte de marge invoquée par la SCP durant la durée de préavis ne pouvait ouvrir droit à réparation, la cour d'appel a violé les articles 1211 et 1231-1 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1134, 1147 et 1149 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, applicables au litige au regard de la date de renouvellement du contrat, et le principe de la réparation intégrale du préjudice :

10. Il résulte du premier de ces textes que, si chaque partie à un contrat conclu ou renouvelé pour une durée indéterminée peut résilier unilatéralement celui-ci, c'est à la condition de respecter un délai de préavis raisonnable.

11. Il résulte des deux suivants que les dommages et intérêts dus au créancier à raison de l'inexécution de l'obligation sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé.

12. Pour rejeter la demande de la SCP tendant à voir condamner l'URSSAF à lui payer une certaine somme au titre de la perte de marge escomptée durant la période de préavis qui aurait dû être exécutée, l'arrêt retient que si c'est à juste titre que le tribunal a jugé que l'URSSAF avait rompu de manière brutale le contrat entre les parties, sans respecter un préavis suffisant, justifiant l'indemnisation du préjudice subi par la SCP, toutefois, s'agissant de l'évaluation de ce préjudice, le caractère spécifique de l'activité de l'étude d'huissier de justice, office ministériel en charge d'une mission de service public, ne lui permet pas d'invoquer la jurisprudence relative à l'évaluation du préjudice résultant de la rupture d'une relation commerciale établie. Il ajoute que l'URSSAF n'était pas tenue de lui garantir un volume d'affaires et que la seule notion de marge brute annuelle ne suffit pas à caractériser l'existence d'un préjudice. Il en déduit que la perte de marge invoquée par la SCP durant la durée de préavis ne peut ouvrir droit à réparation.

13. En statuant ainsi, alors que le préjudice subi du fait du non-respect d'un préavis raisonnable consiste en la perte de la marge brute que la victime de la rupture du contrat aurait pu réaliser pendant la durée du préavis non respecté, la cour d'appel a violé les textes et principe susvisés.

Et sur le moyen, pris en sa cinquième branche, du pourvoi de la SCP n° 22-13.594

Enoncé du moyen

14. La SCP, MM. [Z], [N] et [F] et Mme [V] font le même grief à l'arrêt, alors « que tout jugement doit être motivé ; que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motif ; qu'en retenant d'une part, pour évaluer la diminution du chiffre d'affaires de la SCP entre 2016 et 2018 que le chiffre d'affaires de la SCP s'était élevé à 1 219 141,20 euros en 2016, puis d'autre part, pour évaluer l'évolution de ce chiffre d'affaires entre 2014 et 2016 que le chiffre d'affaires s'était élevé à 1 350 000 euros pour cette même année 2016, la cour d'appel a statué par des motifs contradictoires et violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

15. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. La contradiction entre les motifs équivaut à un défaut de motifs.

16. Pour rejeter la demande de la SCP tendant à voir condamner l'URSSAF à lui payer une somme au titre de la perte de marge, l'arrêt retient encore que si la SCP produit son bilan pour l'année 2016 et pour l'année 2018, il convient de constater que la diminution du chiffre d'affaires entre 2016 et 2018 s'élève à 32 028,37 euros, passant de 1 219 141,20 euros en 2016 à 1 187 112,83 euros en 2018, cependant que le chiffre d'affaires avait déjà diminué de manière plus importante entre 2014 et 2016, de 1 418 556 euros en 2014 à 1 350 000 euros en 2016, soit une diminution de 68 556 euros antérieure à la rupture du contrat par l'URSSAF. Il en déduit que la preuve d'une diminution du chiffre d'affaires de la SCP n'est pas rapportée.

17. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui s'est contredite sur le montant du chiffre d'affaires de l'année 2016, n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

18. La cassation du chef de dispositif rejetant la demande de dommages et intérêts de la SCP au titre de la perte de marge escomptée durant la période de préavis qui aurait dû être exécuté, n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt rejetant la demande de dommages et intérêts de la SCP au titre du préjudice d'image et rejetant les demandes de dommages et intérêts de MM. [Z], [N] et [F] et de Mme [V], justifiés par d'autres motifs de l'arrêt et qui ne se rattachent pas par un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire avec le chef de dispositif cassé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :

REJETTE le pourvoi n° 21-25.369 ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de dommages et intérêts formée par la SCP [Z]-[N]-[V]-[F] au titre de la perte de marge escomptée durant la période de préavis qui aurait dû être exécuté, l'arrêt rendu le 7 octobre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai autrement composée.