Livv
Décisions

CA Toulouse, 2e ch., 6 décembre 2023, n° 21/03194

TOULOUSE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Agro Développement (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Salmeron

Conseillers :

Mme Norguet, Mme Martin de la Moutte

Avocats :

Me Salva, Me Leverbe, Me Degioanni

T. com. Foix, du 22 mars 2021, n° 2020J0…

22 mars 2021

Faits et procédure :

La Sas [Localité 6] est une société spécialisée dans la fabrication de fromages.

La Sas Agro Développement exerce l'activité d'agent commercial apporteur d'affaires et la représentation auprès des grands comptes nationaux, régionaux et locaux dans le secteur de l'agro-alimentaire.

Par contrat à durée indéterminée du 1er juin 2012, la Sas La Moulis a confié à la Sas Agro Développement une charge d'agent commercial avec « mandat de négocier la vente en son nom et pour son compte » de ses produits avec exclusivité de représentation dans 14 départements.

Des difficultés sont apparues entre les deux entités courant 2018.

Le 5 octobre 2018, par lettre recommandée, la Sas [Localité 6] a signifié à la Sas Agro Développement la résolution de son contrat d'agent commercial pour faute. Le 8 octobre 2018, la Sas Agro Développement a adressé à son tour à la Sas [Localité 6] un courrier recommandé afin de réclamer des commissions impayées depuis avril 2018.

Par jugement en date du 15 octobre 2018, le Tribunal de commerce de Foix, saisi d'une procédure de sauvegarde mise en place au bénéfice de la Sas [Localité 6] a prononcé la résolution du plan de sauvegarde et ouvert une procédure de redressement judiciaire, désignant la Selas Egide comme mandataire judiciaire.

Dans le cadre de cette procédure, la Sas Agro Développement a déclaré le 18 décembre 2018, une créance au passif de la Sas [Localité 6] pour un montant de 93 500 euros se décomposant en 16 500 euros de commission échues et non payées et 77 000 euros d'indemnité de préavis et de résiliation du contrat.

Le mandataire judiciaire a contesté la créance ainsi déclarée par courrier en date du 18 février 2019 en raison de son caractère indéterminé tant dans son existence que dans son montant et du fait d'une clause pénale manifestement excessive.

Le 20 juillet 2020, le juge commissaire a admis la de la Sas Agro Développement, uniquement pour la somme de 14 161,24 euros et l'a renvoyée pour le surplus, par sursis à statuer, à saisir la juridiction du fond du contentieux relatif à l'indemnité de prévis et de résiliation du contrat.

Le 17 août 2020, la Sas Agro développement a assigné la Sas [Localité 6] et la Selas Egide, es qualités, devant le Tribunal de commerce de Foix en constatation de la résiliation du contrat d'agent commercial aux torts exclusifs de la Sas [Localité 6] et en condamnation à lui régler des sommes dues au titre des indemnités de préavis et de rupture, outre l'admission des créances arrêtées au passif de la procédure collective de la Sas [Localité 6].

Le 22 mars 2021, le Tribunal a :

déclaré purement et simplement irrecevables l'ensemble des demandes, fins et conclusions de la Sas Agro développement,

condamné la Sas Agro développement a payer à la Sas [Localité 6] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné la Sas Sas Agro développement aux entiers dépens.

Par déclaration en date du 15 juillet 2021, la Sas Agro Développement a relevé appel du jugement du Tribunal de commerce aux fins de le voir réformé en intégralité.

Bien que régulièrement assignée, es qualités, le 18 février 2022, la Selas Egide n'a pas constitué avocat.

L'ordonnance de clôture a été rendue en date du 21 août 2023.

Prétentions et moyens des parties :

Vu les conclusions N° 2 notifiées le 2 février 2022, auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, et dans lesquelles la Sas Agro Développement sollicite, au visa des articles L. 134-11 et 12 du code de commerce, les articles 514 et suivants du code de procédure civile:

l'infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions,

statuant à nouveau, la reconnaissance du caractère recevable et bien fondé de l'appel formé par la Sas Agro Développement et le rejet de l'ensemble des demandes, fins et prétentions de la Sas [Localité 6],

la reconnaissance de ce que la résiliation du contrat d'agent commercial du 1er juin 2012 est intervenue à l'initiative et au torts exclusifs de la Sas [Localité 6] et au préjudice de la Sas Agro Développement,

la fixation a ce titre de la créance de la Sas Agro Développement à l'encontre de la Sas [Localité 6], en présence de son mandataire judiciaire la SELAS Egide, aux sommes suivantes :

- 10 000 euros HT au titre de l'indemnité de préavis et

- 58 246,54 euros HT au titre de l'indemnité de rupture,

la fixation de la créance de la Sas Agro Développement à l'encontre de la Sas [Localité 6], en la présence de son mandataire judiciaire la SELAS Egide, à la somme de 4 500 euros au titre de l'article 700 du CPC,

la fixation de la créance de la Sas Agro Développement à l'encontre de la Sas [Localité 6], en la présence de son mandataire judiciaire la SELAS Egide, aux entiers dépens,

qu'il soit dit que l'existence de ces créances justifie leur admission par le juge commissaire du Tribunal de commerce de Foix dans les suites de son ordonnance du 20 juillet 2020 portant sursis à statuer, au passif de la procédure collective ouverte au bénéfice de la Sas [Localité 6].

En réponse, vu les conclusions N°2 notifiées en date du 14 février 2022, auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, et dans lesquelles la SAS [Localité 6] demande, au visa des articles L. 134-11 du Code de Commerce:

la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions,

la condamnation de la SAS Agro Développement à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,

en cas de réformation du jugement entrepris, à titre principal, que la SAS Agro Développement soit déboutée de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

à titre subsidiaire, que ses réclamations soient ramenées à de plus justes proportions,

qu'il soit dit qu'il n'y a pas lieu à exécution provisoire,

en toutes hypothèses, que la SAS Agro Développement soit condamnée à lui payer la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens.

MOTIFS

Sur la faute de la Sas Agro Développement et la résiliation de son contrat d'agent commercial

Selon les articles 6 et 9 du code de procédure civile, à l'appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d'alléguer les faits propres à les fonder. Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

Les relations entre un agent commercial et son mandant sont régies par les articles L. 134-1 et suivants du code de commerce, dans leur version applicable au contrat en cause.

Aux termes des articles L. 134-3 et L. 134-4 du code de commerce, l'agent commercial peut accepter sans autorisation la représentation de nouveaux mandants. Toutefois, il ne peut accepter la représentation d'une entreprise concurrente de celle de l'un de ses mandants sans accord de ce dernier. Les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties. Les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information. L'agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel ; le mandant doit mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat.

La Sas [Localité 6] affirme que la Sas Agro Développement a accepté une charge de représentation d'une société concurrente, Onétik, sans son accord préalable et que dès lors, elle a commis une faute grave l'autorisant à rompre unilatéralement le contrat les liant sans préavis et sans versement d'indemnité. Elle affirme au surplus que cette charge concurrente de représentation a permis un détournement de sa propre clientèle au bénéfice de la société Onétik.

La Sas Agro Développement conteste toute faute pouvant justifier la rupture unilatérale de son contrat d'agent commercial par la Sas [Localité 6] et la privation des indemnités dues.

C'est à la Sas [Localité 6], qui soutient la faute grave de sa cocontractante, qu'il revient d'en apporter la preuve.

Les dispositions de l'article L. 134-3 du code de commerce n'étant pas d'ordre public, les parties peuvent y déroger contractuellement si elles le souhaitent.

En l'espèce, le contrat liant l'appelante et l'intimée a repris les dispositions de cet article dans son article 5.1 en prévoyant la nécessité d'un accord préalable du mandant pour toute acceptation par l'agent commercial d'une nouvelle représentation d'un mandant concurrent sauf contrats antérieurs.

Aux termes de l'article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

La Sas Agro Développement devait donc bien obtenir l'accord préalable de la Sas [Localité 6] pour toute acceptation de représentation d'un mandant concurrent.

La Sas [Localité 6] renvoie à la convention d'assistance signée le 7 novembre 2017 entre son agent commercial et la société Onétik produite par l'appelante en pièce 23 pour matérialiser le rôle que son agent commercial a accepté de jouer auprès de cette entreprise concurrente et donc la faute grave de ce dernier.

La Sas Agro Développement conteste tout d'abord la qualité d'entreprise concurrente de la société Onétik en soutenant qu'elle n'est qu'un fournisseur de fromages à affiner, et non un affineur de fromages comme la Sas [Localité 6], laquelle se fournit d'ailleurs également auprès d'elle.

Il ressort des pièces produites par la Sas [Localité 6], notamment la plaquette publicitaire produite en pièce 2, que, comme celle-ci l'affirme, la société Onétik procède également à l'affinage de fromages même si son activité reste principalement la vente de fromages à affiner. Elle sera donc reconnue comme une entreprise concurrente de la Sas [Localité 6].

La Sas Agro Développement soutient ensuite que le contrat conclu avec la société Onétik n'est pas un contrat de représentation.

Aux termes de l'article L. 134-1 du code de commerce, l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. L'application du statut d'agent commercial ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties dans le contrat, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leurs conventions, mais des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée.

L'examen des termes de la convention d'assistance produite permet à la cour de constater que la Sas Agro Développement y est chargée, « pour le compte », de la société Onétik, par cette dernière de diverses missions au titre de la « fourniture d'assistance et de services suivants : conseils en matière de stratégie et de politique commerciale [..] définition de la politique tarifaire annuelle, définition de la stratégie commerciale, amélioration de la structure et des outils commerciaux [..] négociation des grands comptes». Au delà de l'intitulé donné à la convention conclue entre elle, l'ensemble de ces missions établit une charge de représentation commerciale de la société Onétik par la Sas Agro Développement.

La cour constate par ailleurs que la Sas Agro Développement est défaillante à rapporter la preuve de l'obtention d'un accord préalable de la part de sa mandante aux activités confiées par la société Onétik.

En revanche, la Sas [Localité 6] ne rapporte pas la preuve des détournements de clientèle dont elle se plaint.

Cependant, en acceptant ce contrat de représentation pour une société concurrente de sa mandante sans avoir obtenu au préalable l'accord de celle-ci, la Sas Agro Développement a bien commis une faute dans l'exécution de ses obligations contractuelles justifiant la rupture à ses torts du contrat les liant à la Sas [Localité 6].

Pour soutenir que la Sas Agro Développement n'avait droit ni à préavis, ni à indemnité compensatrice de rupture du fait de la résiliation du contrat, la Sas [Localité 6] met en avant le caractère grave de la faute reprochée.

En effet, aux termes de l'article L. 134-11 du code de commerce, [..] Lorsque le contrat d'agence est à durée indéterminée, chacune des parties peut y mettre fin moyennant un préavis. [..] La durée du préavis est d'un mois pour la première année du contrat, de deux mois pour la deuxième année commencée, de trois mois pour la troisième année commencée et les années suivantes. [..] Ces dispositions ne s'appliquent pas lorsque le contrat prend fin en raison d'une faute grave de l'une des parties ou de la survenance d'un cas de force majeure.

De même, selon les articles L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi. [..] La réparation prévue à l'article L. 134-12 n'est pas due dans les cas suivants : 1° La cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial [..].

La faute grave réside dans un manquement à une obligation essentielle du contrat, portant atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rendant impossible le maintien du lien contractuel. Le manquement au devoir de loyauté ou d'information constitue une faute grave.

La Sas Agro Développement produit en pièces 24 et 35 des copies de mails entre la présidente de la Sas [Localité 6] et elle-même en la personne de son président, M. [Z], notamment deux mails de février 2017 adressés en copie à M. [Z] à l'adresse mail « [Courriel 5] » et un mail du 29 décembre 2017 où la Sas [Localité 6] s'adresse à lui pour négocier un geste commercial sur ses commandes pour l'année 2018 avec l'adresse « [Courriel 8] » en copie.

Ces éléments attestent, comme le soutient l'appelante, de la connaissance et l'acceptation tacite par la Sas [Localité 6] de la mission de représentation de la société Onétik par la Sas Agro Développement avant la dénonciation via le courrier recommandé du 5 octobre 2018, étant rappelé que le contrat d'agent commercial liant l'appelante et l'intimée ne portait que sur la vente des produits de cette dernière.

La Sas [Localité 6] ne rapporte aucune pièce attestant de ce qu'elle a formulé des reproches ou des mises en garde à son agent commercial relativement à cette situation avant la résiliation du contrat.

Dès lors, le caractère de gravité de la faute, connue et tolérée par la mandante, n'est pas démontrée par la Sas [Localité 6] à l'encontre de la Sas Agro Développement et l'indemnité de préavis comme l'indemnité de rupture de contrat lui sont dues.

Le jugement de première instance sera infirmé en intégralité.

Sur les préjudices et les demandes d'indemnisations

Aux termes des articles L. 134-11 et L. 134-12 du code de commerce, [..] La durée du préavis est d'un mois pour la première année du contrat, de deux mois pour la deuxième année commencée, de trois mois pour la troisième année commencée et les années suivantes. En l'absence de convention contraire, la fin du délai de préavis coïncide avec la fin d'un mois civil [..]. En cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.

La Sas Agro Développement réclame l'allocation d'une indemnité de préavis d'une durée de 4 mois et d'un montant de 10 000 euros HT ainsi que d'une indemnisation compensatrice de la rupture d'un montant de 58 254,54 euros HT en demandant la fixation de ces sommes au passif de la procédure collective de la Sas [Localité 6].

Il est rappelé que par ordonnance du juge commissaire en date du 20 juillet 2020, seule la part de la créance déclarée de la Sas Agro Développement correspondant aux commissions impayées a été admise à hauteur de 14.161,24 euros au passif de la Sas [Localité 6], le juge commissaire ayant renvoyé au fond pour l'examen du bien-fondé de la créance au titre de l'indemnité de préavis et de résiliation.

En réplique, la Sas [Localité 6] conteste tant le principe que le quantum des indemnités demandées sans pour autant produire des pièces contraires à même de permettre un autre calcul de celles-ci.

En application des dispositions légales comme contractuelles, seul un préavis de 3 mois est dû à la Sas Agro Développement.

L'examen des pièces produites par l'appelante démontre que la moyenne mensuelle de ses commissions pendant la durée du contrat était de 2 606,79 euros HT. Il lui sera donc alloué à ce titre la somme de 7 820,37 euros HT.

L'indemnité de résiliation vient compenser le préjudice subi par l'agent commercial du fait de la perte des commissions dont l'exécution normale du contrat lui aurait permis de bénéficier et de l'absence d'amortissement des frais et dépenses engagés dans le cadre de celui-ci. Si elle est généralement fixée à deux années de commissions, elle reste souverainement appréciée par les juridictions du fond.

Au vu de la moyenne des commissions mensuelles déterminée plus haut, l'indemnité de rupture devrait se monter à la somme de 62 563,10 euros HT or la Sas Agro Développement formule une demande limitée à la somme de 58 254,54 euros HT. Il sera donc alloué cette somme à l'agent commercial au titre de l'indemnité de résiliation.

Ces deux sommes sont fixées au passif de la procédure collective de la Sas [Localité 6].

Sur les frais irrépétibles,

Les dépens de première instance et d'appel seront passés en frais privilégiés de la procédure collective de la Sas [Localité 6], partie succombante.

Les circonstances de l'espèce ne justifient pas qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

Fixe au passif de la procédure collective de la Sas [Localité 6] les sommes suivantes :

- 7 820,37 euros HT au titre du préavis,

- 58 254,54 euros HT d'indemnité de résiliation du contrat,

Y ajoutant,

Dit que les dépens de première instance et d'appel seront passés en frais privilégiés de la procédure collective de la Sas [Localité 6].

Dit n'y avoir lieu à condamnation en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.