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Décisions

CA Versailles, 14e ch., 30 novembre 2023, n° 23/01514

VERSAILLES

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

LCM Trading SpA (Sté)

Défendeur :

Sensient Cosmetic Technologies (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme de Rocquigny du Fayel

Conseillers :

Mme Igelman, Mme Scharre

Avocats :

Me Debray, Me Dehghani, Me Dupuis, Me Poisson

T. com. Pontoise, prés., du 5 janv. 2023…

5 janvier 2023

EXPOSE DU LITIGE

La société L.C.M. Trading Spa est une société de droit italien créée en 1982, spécialisée dans l'importation et la commercialisation de composants pour l'industrie cosmétique et d'éléments de base pour l'industrie pharmaceutique.

La S.A.S. Sensient Cosmetic Technologies est une société française ayant pour principale activité la fabrication et la vente d'ingrédients et de pigments entrant dans la composition de produits d'hygiène corporelle et cosmétique.

Le 1er octobre 1982, la société L.C.M. Trading Spa et la société Les Colorants Wackherr ont conclu un contrat dénommé « accord de représentation ». Par ce contrat de distribution exclusive, la société Les Colorants Wackherr distribuait à la société L.C.M. Trading Spa des produits en vue de leur revente.

En 1999, la société Sensient Cosmetic Technologies a racheté la société Les Colorants Wackherr et a repris en l'état le contrat de distribution exclusive.

Par acte du 7 novembre 2018, la société Sensient Cosmetic Technologies a signifié à la société L.C.M. Trading Spa la résiliation du contrat de distribution exclusive prenant effet le 7 novembre 2020.

Le 30 mai 2019, les parties ont conclu un avenant au contrat initial de 1982, prévoyant que celui-ci sera résilié le 7 novembre 2020. 

Par l'avenant au contrat, la société Sensient Cosmetic Technologies avait l'interdiction de réaliser la moindre vente directe aux clients de la société L.C.M. Trading Spa ou à tous prospects en Italie, avant le terme du contrat, sauf exceptions.

Affirmant que la société Sensient Cosmetic Technologies a violé ses obligations contractuelles, la société LCM Trading Spa l'a faite assigner en référé par acte d'huissier de justice délivré le 18 mars 2022, aux fins d'obtenir principalement la désignation d'un huissier avec pour mission de se rendre au siège de la société Sensient Cosmetic Technologies afin de rechercher :

- l'ensemble des informations relatives aux bons de commandes, confirmation de commandes, bons de livraison et factures, pour lesquelles l'adresse du siège ou de l'établissement du client est située en Italie, le lieu de livraison est situé en Italie, et/ou le numéro de TVA intracommunautaire du client commerce par les deux lettres "IT", de manière à limiter la recherche au seul territoire italien visé par l'exclusivité dont jouissait LCM,

- exclure tous les bons de commande, confirmations de commande, bons de livraison et factures relatives aux sociétés L'oréal, Colgate, Johnson & Johnson, Fareva, Procter & Gamble,

- rechercher les bons de commande et confirmations de commande établis entre le 1er janvier 2013 inclus et le 7 novembre 2020 inclus, en ciblant uniquement les produits soumis à exclusivité, dont la liste est établie,

- rechercher les bons de livraison relatifs aux commandes établies entre le 1er janvier 2013 et le 7 novembre 2020, y compris si le bon de livraison à une date postérieure au 7 novembre 2020 dès lors qu'il concerne une commande passée avant le 8 novembre 2020, en ciblant uniquement les produits soumis à exclusivité,

- rechercher les factures relatives aux commandes établies entre le 1er janvier 2013 et le 7 novembre 2020, y compris si la facture comporte une date postérieure au 7 novembre 2020 dès lors qu'elle concerne une commande passée avant le 8 novembre 2020, en ciblant uniquement les produits soumis à exclusivité dont la liste est détaillée en annexe.

Par ordonnance contradictoire rendue le 5 janvier 2023, le juge des référés du tribunal de commerce de Pontoise a :

- dit n'y avoir lieu à référé et renvoyé la société LCM Trading à mieux se pourvoir,

- condamné la société LCM à payer à la société Sensient Cosmetic Technologie, la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la société LCM Trading de sa demande formée au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- rappelé que l'exécution provisoire de l'ordonnance est de droit, en conformité avec l'article 489 du code de procédure civile,

- condamné la société LCM Trading aux dépens, liquidés à la somme de 40,66 euros.

Par déclaration reçue au greffe le 3 mars 2023, la société LCM Trading Spa a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition.

Dans ses dernières conclusions déposées le 18 septembre 2023 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société LCM Trading Spa demande à la cour, au visa de l'article 145 du code de procédure civile, de :

- infirmer l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Pontoise du 5 janvier 2023 (RG 2022R00049)

statuant à nouveau

- déclarer l'action de LCM Trading S.P.A. recevable ;

à titre principal

- désigner Maître [O] [C], de la SCP Cap H, commissaires de justice associés, près le tribunal judiciaire de Nanterre en résidence à [Localité 5], [Adresse 2], assisté en tant que de besoin par un ou plusieurs expert(s) informatique(s), avec pour mission de se rendre au siège de Sensient Cosmetic Technologies sas, sis [Adresse 3] (et au besoin, à tout autre établissement qui serait désigné par Sensient Cosmetic Technologies sas comme étant le lieu où se trouve une partie des documents recherchés qui ne seraient pas accessibles au ou à partir du siège social) afin de :

- se connecter, sous contrôle de l'expert informatique, sur tout terminal informatique, ordinateurs, tablettes, terminaux mobiles s'y trouvant, permettant d'accéder au(x) logiciel(s) utilisé(s) par Sensient Cosmetic Technologies sas pour établir ses (i) bons de commande, (ii) bons de livraison, et (iii) factures ;

- accéder à tout lieu d'archivage physique de ces mêmes documents ;

- rechercher, au sein du ou de ces logiciel(s) et/ou des archives physiques :

- l'ensemble des informations relatives aux bons de commandes, confirmation de commandes, bons de livraison et factures, pour lesquelles l'adresse du siège ou de l'établissement du client est située en Italie, le lieu de livraison est situé en Italie, et/ou le numéro de TVA intracommunautaire du client commence par les deux lettres « IT », de manière à limiter la recherche au seul territoire italien visé par l'exclusivité dont jouissait LCM ;

- exclure tous les bons de commande, confirmations de commande, bons de livraison et factures relatives aux sociétés L'Oréal, Colgate, Johnson & Johnson, Fareva, Procter & Gamble ;

- rechercher les bons de commande et confirmations de commande établis entre le 1er janvier 2013 inclus et le 7 novembre 2020 inclus, en ciblant uniquement les produits (famille des produits, noms des produits et code des produits) soumis à exclusivité, dont la liste est établie en annexe ;

- rechercher les bons de livraison relatifs aux commandes établies entre le 1er janvier 2013 et le 7 novembre 2020, y compris donc si le bon de livraison à une date postérieure au 7 novembre 2020 dès lors qu'il concerne une commande passée avant le 8 novembre 2020, en ciblant uniquement les produits (famille des produits, noms des produits et code des produits) soumis à exclusivité dont la liste est détaillée en annexe ;

- rechercher les factures relatives aux commandes établies entre le 1er janvier 2013 et le 7 novembre 2020, y compris donc si la facture comporte une date postérieure au 7 novembre 2020 dès lors qu'elle concerne une commande passée avant le 8 novembre 2020, en ciblant uniquement les produits (famille des produits, noms des produits et code des produits) soumis à exclusivité dont la liste est détaillée en annexe ;

- à cet effet, se connecter sous contrôle de l'expert informatique à tout outil d'investigation et de traitement permettant de réaliser ou de faciliter le traitement de ces recherches, et ce, afin de pouvoir circonscrire les recherches et éliminer les occurrences étrangères à la cause ;

- autoriser le commissaire de justice à se faire assister, pour l'aider dans sa mission, d'un ou plusieurs expert(s) informatique(s) indépendant(s) ;

- autoriser le commissaire de justice à se faire assister par tout détenteur de la force publique territorialement compétent ;

- autoriser le commissaire de justice à se faire assister par un serrurier ;

- autoriser le commissaire de justice, le représentant de la force publique, le serrurier, l'expert informatique, à pénétrer dans les lieux, étant précisé que ces personnes dont l'identité devra être indiquée dans le procès-verbal de constat du commissaire de justice ne devront pas révéler à des tiers l'existence et le contenu des opérations ;

- dire qu'aux fins précitées, le commissaire de justice et l'expert informatique requis par lui (i) pourront requérir que Sensient Cosmetic Technologies sas mette à leur disposition et mette en œuvre les systèmes informatiques concernés, (ii) pourront requérir l'aide et l'assistance de personnes présentes sur les lieux, en particulier, pourront requérir que ces personnes prennent toutes mesures (notamment entrée de mots de passe et accès à des fonctions d'administration) permettant de faire fonctionner les systèmes informatiques concernés et (iii) pourront se munir, et apporter sur les lieux du constat, des appareils informatiques nécessaires tels qu'ordinateurs portables, appareils d'enregistrement, mémoires amovibles et supports d'enregistrement ainsi que de tout outil notamment tout programme informatique à cette fin ;

- autoriser le commissaire de justice et l'expert informatique à installer tout logiciel ou brancher tout périphérique pour les besoins des opérations et à procéder à la restauration de tous fichiers effacés et/ou traces informatiques ;

- autoriser le commissaire de justice à demander aux personnes présentes dans le cas où certaines informations ne se trouvent pas sur place, de se les faire transmettre immédiatement, notamment et de manière non restrictive, par courrier électronique ou télécopie ou encore via un serveur de fichiers ou un serveur de données ;

- dire qu'il sera procédé aux opérations de constat nonobstant toute opposition de Sensient Technologies sas et notamment que Sensient Cosmetic Technologies sas ne pourra invoquer les mesures étatiques mises en place compte-tenu de l'épidémie de covid-19 afin de s'opposer à l'exécution des opérations de constat dès lors que les participants seront porteurs de masques pendant toute la durée des opérations ;

- autoriser le commissaire de justice à solliciter que soit organisées des connexions distancielles si à raison des conditions sanitaires les personnes compétentes n'exercent leur activité que sous la forme de télétravail ;

- autoriser le commissaire de justice à se faire présenter, à photographier, photocopier ou notamment sous forme numérique et sur tout support électronique tel que clé usb, cd, dvd ou disque dur externe, tous documents et pièces visés par la mesure sollicitée ;

- dire que si des informations utiles étaient conservées sur un support autre que le papier (en particulier informatique) le commissaire de justice serait autorisé, au besoin avec le concours de tous techniciens par lui requis, à en réaliser une édition sur tout support approprié ;

- autoriser le commissaire de justice à consigner non seulement les déclarations des répondants, mais encore toute parole prononcée au cours de ses opérations, en s'abstenant de toute interpellation qui ne soit pas nécessaire à l'accomplissement de sa mission ;

- dire que si les opérations de constat n'étaient pas terminées à l'heure de fermeture du site, le commissaire de justice accompagné de l'expert informatique, et au besoin du représentant de la force publique et du serrurier, pourront poursuivre les opérations les jours suivants durant les horaires d'ouverture du site ;

- dire que Sensient Cosmetic Technologies sas, ses représentants et toute personne ayant accès à ses ordinateurs, téléphones portables ou tablettes, devront s'abstenir d'entraver de quelque manière que ce soit les opérations du commissaire de justice et/ou du technicien, notamment en verrouillant l'accès physique ou logique à ses ordinateurs ou téléphones portables ;

- dire que le commissaire de justice devra dresser de ses opérations un procès-verbal ;

- fixer le montant de la provision à verser au commissaire de justice par LCM Trading S.P.A. avant toute mise à exécution de sa mission ;

- dire que le commissaire de justice commis procédera à sa mission dans le délai d'un mois à compter du versement de la provision ;

à titre subsidiaire

- désigner Maître [O] [C] de la SCP Cap H avec la même mission que précédemment exposée ;

- dire que le commissaire de justice devra masquer toute mention relative au prix des produits sur les documents saisis,

en tout état de cause,

- condamner Sensient Cosmetic Technologies sas à payer à LCM Trading S.P.A. la somme de 40 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Dans ses dernières conclusions déposées le 2 octobre 2023 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Sensient Cosmetic Technologies demande à la cour, au visa des articles 145, 695 et suivants du code de procédure civile, de :

à titre principal :

- confirmer l'ordonnance rendue le 5 janvier 2023 par le président du tribunal de commerce de Pontoise (RG n° 2022R00049) ;

à titre subsidiaire si la cour devait infirmer l'ordonnance :

statuant à nouveau :

- limiter la nature des documents saisis aux seuls bons de livraison ;

- limiter temporellement les recherches de l'huissier aux commandes passées auprès de Sensient entre le 17 mars 2017 et le 7 novembre 2020 ;

- exclure des recherches de l'huissier :

- les documents liés aux commandes passées entre le 30 mai 2019 et le 7 novembre 2020 et impliquant les sociétés L'Oréal, Colgate, Johnson & Johnson, Fareva, Procter & Gamble et Unilever, en ce compris leurs sociétés affiliées ;

- les documents liés à des commandes relatives au marché capillaire en Italie.

en conséquence :

- désigner un commissaire de justice avec pour mission de se rendre au siège de Sensient sis [Adresse 3] afin de :

- se connecter sur tout terminal informatique s'y trouvant et permettant d'accéder au(x) logiciel(s) utilisé(s) par Sensient pour effectuer le suivi (i) des commandes enregistrées entre le 17 mars 2017 et le 7 novembre 2020, et (ii) des expéditions des produits et (iii) de la facturation de ces ventes (y compris donc si la facturation et/ou la livraison est intervenue postérieurement au 6 novembre 2020, sous condition que ces documents soient afférents à des commandes passées avant le 7 novembre 2020), se connecter à tout logiciel d'investigation et de traitement permettant de réaliser ou de faciliter ces recherches et accéder à tout lieu d'archivage physique de ces mêmes documents ;

- rechercher, au sein du ou de ces logiciel(s) et/ou des archives physiques les bons de commandes, confirmation de commandes, factures et bons de livraison pour lesquels :

- l'adresse du siège ou de l'établissement du client est située en Italie, ou le lieu de livraison est situé en Italie, ou le numéro de TVA intracommunautaire du client commence par les deux lettres « IT », à l'exclusion des sociétés :

- l'Oréal, Colgate, Johnson & Johnson, Fareva, Procter & Gamble et Unilever ; et/ou

- AC Lindenberg SNC Di Cocchetti Luigi& C

- Antica Erboristeria SPA

- Beauty & Business SPA

- Beautyge Italy S.P.A

- Biacre Laboratori Cosmetici SRL

- Black SRL Unipersonale

- C.P. Italia SRL

- Catalent Pharma Solutions

- CE.IS.CO S.R.L.

- Clady SRL

- Claire S.P.A

- CO.BIO SRLS

- Conter S.R.L.

- Cosmetici Sud G&G SRL

- Cosmoproject SRL

- Dana Italia S.R.L.

- Davines SPA

- Deco Hait SPA

- Edelstein SRL

- Eley S.R.L.

- Everton SRL

- Faipa Cosmetics S.R.L.

- Famasar SRL

- Farmen SPA

- Farmol SPA

- Framar di Mazzolari Angelo& C. S.N.C.

- G&P Cosmetics SRL

- Giuliani S.P.A.

- GVF

- H.S.A. Hair Styling Applications SPA

- Huwell Chemicals SPA A Socio Unico

- Icim International S.P.A.

- Icsea Helen Seward

- Iemme SRL

- Ilios SRL

- In Italy Haircolor

- Inco SRL

- Incosit S.R.L.

- Intercos Group (Cosmint)

- Intercosmetics SRL

- Kemon S.P.A

- Kosmetike SRL Unipersonale

- Laboratori Cosmetici Ferrante S.A.S.

- L'erbolario SRL

- Lisap SPA

- Lucia Pedroncelli (TOSVAR SRL)

- Ludovico Martelli SRL

- Madi SRL

- Maxim SRL

- Muster E Dikson Service S.P.A.

- Ondaline Cosmetici SRL

- Oyster Cosmetics S.P.A.

- Parisienne Italia SPA

- Pettenon Cosmetics

- Pidielle S.R.L.

- Pool Service SRL

- Procosme S.R.L.

- Prodotti Gianni SRL

- Red of View SRL

- Rica S.P.A.

- Silvio Mora SRL A Socio Unico

- Softer Color SRL

- Solchim SRL

- Specchiasol SRL

- Step Cosmetici SRL

- Tiemmeti S.A.S.

- Trendy Hair SRL

- Tricobiotos

- Tricosal

- Unicompany SPA

- Vertigo SRL

- Visionhaire SRL ; et

- la commande a été enregistrée par Sensient entre le 17 mars 2017 et le 7 novembre 2020, date de l'expiration de l'exclusivité de LCM. ; et

- est mentionné l'un au moins des produits ci-après (famille de produits et/ou nom de produit et/ou code produit), soumis à l'exclusivité dont jouissait LCM :

<TABLEAU>

à titre infiniment subsidiaire si la cour ne limitait pas les documents à saisir aux seuls bons de livraison,

- désigner un commissaire de justice avec la même mission que précédemment exposée ; et

- limiter la nature des documents saisis aux seuls bons de commande, bons de livraison et factures à l'exclusion de tout autre document et ordonner que toutes mentions des prix pratiqués par Sensient Cosmetic Technologies soient caviardées par le commissaire de justice désigné

en tout état de cause :

- débouter LCM de l'ensemble de ses demandes, moyens, fins et prétentions ;

- condamner LCM à verser à Sensient la somme de 40 000 euros au titre de l'article 700 du code

de procédure civile ;

- condamner LCM aux entiers dépens de l'instance.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 17 octobre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de mesure d'instruction in futurum

Affirmant disposer d'indices suffisants établissant que la société Sensient a violé la clause d'exclusivité stipulée à son profit, sans qu'elle ne puisse en l'état déterminer l'identité de tous les clients détournés ni quantifier précisément son préjudice, la société LCM expose disposer d'un motif légitime pour solliciter une mesure d'instruction.

Elle indique en effet avoir conclu avec la société Sensient (alors dénommée Les Colorants Wackherr) un contrat dénommé à tort "accord de représentation", qui constituait en réalité un contrat de distribution exclusive prévoyant l'achat par LCM auprès des Colorants Wackherr, en vue de leur revente, avec exclusivité sur tout le territoire italien, de tous les produits présents et futurs, fabriqués ou commercialisés par Sensient.

Elle soutient avoir progressivement découvert que la société Sensient avait procédé à la vente directe de produits à certains de ses clients (notamment les sociétés Gotha Comestics, Chromavis, Regi, Cosmint) et expose que ces faits ne sont d'ailleurs pas contestés par l'intimée.

La société LCM fait valoir que son action au fond n'est pas manifestement prescrite et qu'elle a d'ailleurs découvert de nouveaux faits en 2017, 2019, 2020 et 2023, rappelant que le point de départ de la prescription quinquennale des actions en responsabilité doit être fixé au jour où le dommage est révélé à la victime, soit en l'occurrence à compter de la réalisation des mesures d'instruction lui permettant de connaître l'étendue de la violation par la société Sensient de ses obligations contractuelles.

L'appelante indique qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du juge des référés de déterminer si la société Sensient était contractuellement autorisée à contacter ses clients italiens ou à leur vendre directement ses produits, seule étant en débat la question de l'existence d'un litige plausible.

En tout état de cause, la société LCM souligne que la société Sensient n'étaye pas ses allégations selon lesquelles elle aurait été autorisée à contacter directement les clients de l'appelante en Italie, sans autorisation ni information préalable, pour organiser des "rencontres techniques" afin de présenter ses innovations techniques, affirmant au contraire qu'elle a été durant trente ans le distributeur exclusif des produits de l'intimée et qu'elle pouvait parfaitement répondre aux interrogations des acquéreurs.

Sur le périmètre du contrat, rappelant qu'à l'origine, elle disposait d'une exclusivité sur tout le territoire italien et sur tous les produits, présents et futurs, fabriqués ou commercialisés par la société Sensient, la société LCM reconnaît avoir en 1999 renoncé à cette exclusivité dans le cadre d'un accord informel (qu'elle désigne sous le terme de "gentleman's Agreement"), cessant de commercialiser les produits à usage exclusivement capillaire de la société Sensient (au profit de la société Castelli), mais elle conteste fermement que les produits à usage mixte puissent être concernés par cet accord, précisant qu'ils sont d'ailleurs exclus de l'avenant du 30 mai 2019 qui organisait les relations entre les sociétés Sensient et LCM durant le délai de préavis de 2 ans.

Sur le caractère utile et proportionné de la mesure demandée, la société LCM fait valoir que, l'objet de la mesure sollicitée étant d'identifier les ventes directes de produits prévus au contrat par la société Sensient à des sociétés établies en Italie, il est opportun de procéder à une saisie des bons de commande, des bons de livraison et des factures émis par l'intimée pour la période à laquelle elle était tenue d'une obligation contractuelle d'exclusivité.

Elle soutient que sa demande est parfaitement limitée :

- aux commandes destinées au marché italien.

- établies entre le 1er janvier 2013 -date de la fin brutale des commandes de la société Cosmint auprès d'elle - et le 7 novembre 2020.

- concernant les produits précisément énumérés dans ses conclusions.

Soulignant qu'il s'agit d'une mesure contradictoire, la société LCM argue de l'utilité de la mesure qu'elle sollicite, faisant valoir qu'il n'est pas nécessaire qu'elle soit réalisée par un expert en chimie comme indiqué à tort par le premier juge et qu'elle fournit la liste des produits concernés en excluant ceux à usage exclusivement capillaire, liste qui correspond à celle que lui envoyait la société Sensient.

Elle affirme enfin qu'il s'agit d'une mesure proportionnée, les informations qui pourraient être contenues dans les documents saisis n'étant plus confidentielles compte tenu de leur ancienneté et ne constituant pas en conséquence une atteinte au secret des affaires de la société Sensient.

A supposer même que le secret des affaires puisse être invoqué par l'intimée, la société LCM soutient qu'il faudrait alors le mettre en balance avec son intérêt légitime à protéger ses droits et voir réparer son préjudice, la mesure sollicitée étant indispensable à la protection de ses droits.

Elle conclut subsidiairement au caviardage des documents obtenus par le commissaire de justice désigné, afin de dissimuler toute mention des prix pratiqués par la société Sensient.

Sollicitant principalement la confirmation de l'ordonnance querellée, la société Sensient affirme que la demande de la société LCM est dépourvue de motif légitime, le procès qu'elle invoque étant manifestement voué à l'échec puisque l'action au fond envisagée est prescrite, la société LCM ayant connaissance des faits relatifs aux sociétés Intercos, Chromavis et Cosmint depuis plus de 5 ans.

Elle soutient ensuite que la demande n'est fondée que sur des faits hypothétiques ou faits justifiés au regard des stipulations contractuelles, précisant avoir été contractuellement autorisée non seulement à vendre sur le marché italien des produits à usage capillaire et à usage mixte sans passer par la société LCM, mais aussi à organiser des rencontres techniques avec les clients de LCM et même, dans le cadre de l'avenant de 2019, à prendre contact avec les clients de LCM et à vendre directement ses produits à certains d'entre eux.

Sur les mesures demandées, arguant en premier lieu de leur disproportion au regard de l'atteinte au secret des affaires, l'intimée fait valoir qu'elle est désormais directement concurrente de la société LCM et que les documents qui pourraient être saisis revêtent une évidente valeur commerciale (informations sur les clients, le prix de vente et la nature des produits vendus) et seraient de nature à permettre à l'appelante de capter ses clients.

La société Sensient invoque en second lieu le caractère trop large de la mesure d'instruction demandée, soulignant que les documents liés à des ventes autorisées en vertu du contrat et de l'avenant doivent nécessairement en être exclus, ce qui engendre une difficulté technique, un commissaire de justice n'étant pas selon elle à même de déterminer le marché de destination de chacun des produits pour savoir s'il relève ou non de l'exception contractuelle lui permettant de vendre directement des produits à usage capillaire ou mixte.

Contestant que la liste des prix qu'elle envoyait à la société LCM omettrait les produits à usage exclusivement capillaire et que celle-ci puisse donc servir de base à la saisie, l'intimée insiste sur le fait que la saisie conduirait à ce que des documents liés à des ventes licites soient appréhendées par un concurrent, ce qui la rend éminemment disproportionnée.

Subsidiairement, la société Sensient sollicite que la mesure soit limitée :

- à la période comprise entre le 17 mars 2017 et le 7 novembre 2020 en raison de la prescription,

- aux seuls bons de livraison à l'exception des bons de commande et des factures afin d'éviter la transmission d'informations confidentielles,

- en excluant les commandes liées au marché capillaire et celles passées avec des clients expressément autorisés par l'avenant (L'Oréal, Colgate, Johnson & Johnson, Fareva, Procter & Gamble et Unilever, en ce compris leurs sociétés affiliées).

Elle demande que la liste des documents saisis soit limitative et que le commissaire de justice biffe la mention des prix pratiqués.

Sur ce,

Selon l'article 145 du code de procédure civile : « s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées, à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».

Sur le motif légitime,

Il résulte de l'article 145 que le demandeur à la mesure d'instruction n'a pas à démontrer le bien-fondé de l'action en vue de laquelle elle est sollicitée ou l'existence des faits qu'il invoque puisque cette mesure in futurum est destinée à les établir, mais qu'il doit toutefois justifier de la véracité des éléments rendant crédibles les griefs allégués et plausible le procès en germe.

Outre son caractère légitime, la mesure d'instruction visant à améliorer la situation probatoire du requérant, son utilité pour la recherche ou la conservation des preuves doit également être établie.

Le contrat conclu entre la société LCM et la société Les colorants Wackherr le 1er septembre 1982 stipule en son article 3 : « Les marchandises concernées par le présent accord sont celles fabriquées et commercialisées par les Colorants Wackherr et consistent en :

I - Pigments et colorants d'origine naturelle et/ ou synthétique destinés à être utilisés en alimentation, pharmacie, parfumerie, cosmétique, savonnerie et détergents et industries similaires

II - Matières premières et produits chimiques destinées aux industries précitées et consistant en cires, émulsifiants, antioxydants et conservateurs, extraits végétaux et autres spécialités.

Il est entendu que la description ci-dessus est indicative mais non exhaustive.

Il est en outre entendu que, si pendant la validité de cet accord, les Colorants Wackherr venaient à fabriquer ou à commercialiser de nouveaux produits, leur vente sera automatiquement confiée aux Agents dans le cadre de la compétence territoriale qui sera définie au paragraphe 4 ci-après », soit en l'espèce la République d'Italie.

Ce contrat comprend une clause d'exclusivité en son article 5 et précise en son article 12 intitulé "ventes directes" : « Dans un souci d'efficacité commerciale et après accord entre les parties, des ventes directes pourront intervenir entre Les Colorants Wackherr et les clients utilisateurs situés sur le territoire concerné par le présent contrat. Dans ce cas Les Colorants Wackherr verseront aux Agents une commission (...). »

Il n'est pas contesté que le contrat de 1982 a été résilié par la société Sensient, venue aux droits de la société Les Colorants Wackherr, à effet au 7 novembre 2020. Un avenant a alors été conclu entre les parties le 30 mai 2019 afin de 'permettre aux parties de réorganiser leurs activités en vue de cette résiliation et de maximiser les résultats de leur coopération commerciale jusqu'à cette même date', lequel prévoyait notamment :

'Par exception à l'Accord [au contrat du 1er septembre 1982], les parties conviennent que pendant la période allant de la date d'entrée en vigueur jusqu'à la date de résiliation :

a- Sensient peut réaliser, sans l'intervention de LCM, des communications et visites confidentielles aux clients existants et potentiels des produits de Sensient en Italie, y compris les clients actuellement approvisionnés par LCM, dans le but d'établir ou de maintenir une relation directe avec ces clients après la date de résiliation. Sensient peut également mener toute activité nécessaire pour permettre auxdits clients d'acheter les produits de Sensient directement auprès de Sensient après la date de résiliation (y compris, sans limitation, des présentations commerciales, des échantillons, des tests, des validations...)

b - Sensient n'a pas l'autorisation, avant la date de résiliation, de conclure, sous quelque forme que ce soit, un contrat pour la vente de ses produits à un client en Italie ou, directement ou indirectement, de contourner ou de violer l'exclusivité accordée à LCM pour le marché italien dans l'Accord. Par exception au principe ci-dessus :

- la conclusion de contrats de vente d'échantillons, c'est-à-dire de quantités minimes ne dépassant pas 1 kg est autorisée ;

- la conclusion de contrats de vente à tout client en Italie de composants pour la coloration des cheveux destinés exclusivement à la production de soins capillaires est autorisée ;

- la conclusion de contrats de vente avec les clients suivants basés en Italie est autorisée : L'Oréal, Colgate, Johnson& Johnson, Fareva, Procter& Gamble et Unilever (en ce qui concerne Unilever, uniquement pour les pigments et les dispersions pour le dentifrice).

Contrairement à ce qu'affirme la société Sensient, il ressort de ces éléments la démonstration que la société LCM bénéficiait jusqu'à la résiliation du contrat d'une très large exclusivité sur les produits fabriqués par la société Sensient.

Il est cependant constant que la société LCM a cessé de commercialiser les produits capillaires fabriqués par la société Sensient à compter de 1999, la société Sensient ayant alors conclu un contrat de distribution exclusive avec la société Castelli qui concernait les produits suivants : 'gammes de matières colorantes et matières premières destinées à la coloration du cheveu.

Matières colorantes : - gamme Covastyle

- gamme Covariane

- gamme Covacap

Matières premières : - Covafix 123

- Covaquat 16

- Covathick 421

- Oxocap

- Oxocera

- Oxodry

- Oxogum

- Oxopearl

- Oxopowder

- Oxothick

- Oxowax

- Solvariane.

Il apparaît que ce contrat a été résilié par la société Sensient en 2012 et il n'est pas contesté que l'intimée a alors procédé directement aux ventes de ces produits, la société LCM ne revendiquant aucun droit sur ces opérations.

En revanche, les allégations de la société Sensient concernant la possibilité pour elle de vendre directement aux acheteurs de produits capillaires, des produits mixtes, à usage non exclusivement capillaire, ne sont étayées par aucun élément objectif et cette thèse est d'autant moins convaincante que dans l'avenant du 30 mai 2019, dont il ressort clairement de la rédaction que son économie générale vise à élargir les actes permis aux deux sociétés afin d'optimiser la fin de leurs relations contractuelles, la société Sensient n'est autorisée qu'à vendre directement des 'composants pour la coloration des cheveux destinés exclusivement à la production de soins capillaires' et non des produits mixtes.

Sans ce que ce débat sur le périmètre exact de l'exclusivité de l'appelante, qui nécessite l'analyse et l'interprétation des contrats et de la pratique des parties, puisse être tranché par la cour statuant en appel du juge des référés, il n'est néanmoins pas manifestement exclu en l'état que la société LCM ait bénéficié d'une clause d'exclusivité jusqu'au 7 novembre 2020 sur tous les produits fabriqués par la société Sensient destinés au marché italien à l'exception des produits à usage exclusivement capillaire.

Or il est reconnu par la société Sensient que celle-ci a vendu directement des marchandises à la société Cosmint, cliente italienne de la société LCM, sans qu'il soit justifié qu'il ne s'agirait que de produits capillaires.

La société LCM verse également aux débats plusieurs pièces faisant état de contacts directs entre la société Sensient et certains de ses clients :

- un courriel d'une salariée de la société Chromavis du 12 février 2015 indiquant : « vendredi dernier j'ai rencontré Sensient qui m'a dit à l'avance qu'ils allaient vendre directement à certains clients italiens dont Chromavis »,

- un courriel d'une salariée de la société Intercos adressé à la société Sensient mentionnant : « Intercos serait prêt à signer le NDA [accord de confidentialité] unilatéral proposé par Sensient mais limité au cas présent et donc aux covalumines. Pour des raisons de commodité et de rapidité, nous demandons également, comme vous l'avez suggéré, que toute la 'famille' de covalumine proposée à Intercos (qui, si je ne me trompe pas, devrait être au nombre de 4) soit couverte par un seul NDA. Nous espérons en tous cas que - si la collaboration entre Intercos et Sensient se poursuit - il sera possible de signer un NDA plus général et mutuel »,

- un courriel de la responsable technique de la société Regi du 25 janvier 2019 adressé à la société LCM qui indique : « Aujourd'hui [S] a reçu un appel d'Isotta de Sensient. Nous sommes très inquiets car elle nous a posé des questions étranges qui semblent remettre en cause votre relation de distribution. Elle s'est plaint que LCM ne donne pas de visibilité à Sensient sur le stock de pigments HLC et nous a interrogés sur les commandes. Que se passe-t-il ' Nous ne voulons pas vous perdre comme distributeur. »

- un courriel adressé par une salariée de la société Sensient à la société Chromavis le 31 octobre 2019 exposant : « Sachez que je suis en train de préparer un résumé de tous les prix existants que nous avons enregistrés pour le groupe afin de servir de base pour vérifier que nous sommes alignés sur les prix existants et pour servir de référence pour la négociation des prix de l'année prochaine. (...) C'est une information qui sera incluse dans la liste de prix que je prépare et qui a été promise à [D] pour la fin de cette semaine. »

L'appelante produit en outre plusieurs factures adressées par la société Sensient à des sociétés italiennes (Davines, ICIM, INCO, Pettenon, Claire, L'Erbolario, Cosmint, H.S.A., Beauty & Business, Cosmoproject, Conter) entre 2017 et 2020 relatives à des produits non mentionnés dans le contrat Castelli et dont il n'est donc pas démontré qu'ils seraient à usage exclusivement capillaire.

Si ces éléments sont, pour certains, anciens, et pourraient pour ce motif ne pas pouvoir être invoqués dans le cadre d'une action en responsabilité en raison de la prescription quinquennale, ils restent cependant susceptibles de constituer des indices des violations contractuelles que la société LCM invoque au soutien de sa demande.

La société Sensient ne peut affirmer sur ce point que l'existence d'une action au fond serait manifestement vouée à l'échec du fait de la prescription, dès lors qu'une partie des griefs sont soutenus par des indices plausibles à l'évidence non prescrits.

Quant à la démonstration de l'intimée relative aux rencontres techniques qu'elle organiserait directement de façon habituelle avec les sociétés de cosmétique, elle est inopérante à ce stade de la procédure dès lors qu'à supposer même cette pratique établie, elle ne serait pas incompatible avec les allégations de la société LCM selon lesquelles la société Sensient aurait procédé directement à des ventes en violation du contrat d'exclusivité les liant.

Les faits reprochés ne sont pas pour autant établis, la recherche de preuves est donc légitime et apparaît utile dès lors que la société LCM fait valoir à juste titre qu'elle ne peut pas, par elle-même, avoir accès aux informations concernant d'éventuelles relations contractuelles que la société Sensient aurait noué directement avec ses clients.

Il reste que ces éléments de preuve ainsi réunis par la société LCM suffisent à caractériser un faisceau d'indices rendant plausibles les griefs de violation par la société Sensient de ses obligations contractuelles et sont de nature à constituer le motif légitime nécessaire pour justifier la mesure in futurum en application de l'article 145 précité.

Sur les mesures ordonnées,

Au sens de ce même article 145, les mesures légalement admissibles sont celles prévues par les articles 232 à 284-1 du code de procédure civile ; elles ne doivent pas porter une atteinte disproportionnée aux intérêts légitimes du défendeur.

Le secret des affaires ne constitue pas un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile dès lors que les mesures ordonnées procèdent d'un motif légitime, sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées et ne portent pas une atteinte disproportionnée aux droits de l'autre partie au regard de l'objectif poursuivi.

En l'espèce, il apparaît que la mesure in futurum sollicitée par la société LCM est de nature à porter atteinte au secret des affaires de la société Sensient, dès lors qu'il n'est pas contesté que les deux sociétés sont dorénavant concurrentes sur le marché italien.

Si la société LCM indique à juste titre que des éléments concernant les prix ou le volume des commandes présentent un intérêt bien moindre compte tenu de l'écoulement de plusieurs années depuis la résiliation du contrat, il est cependant nécessaire, afin de préserver les intérêts commerciaux de l'intimée et d'assurer la proportionnalité de la mesure, prévoir que ne pourront être recherchés que les bons de livraison, à l'exception des bons de commande ou factures.

Sur la période de temps considérée, la société Sensient faisant à juste titre valoir que la prescription est susceptible d'être acquise pour certains faits qui étaient connus de la société LCM ou auraient dû l'être, et la date proposée par la société LCM apparaissant peu pertinente, aucun élément concret ne permettant de démontrer que la prise de fonction d'une nouvelle dirigeante de la société Sensient en 2013 aurait pu être concomitante avec le non-respect du contrat d'exclusivité par celle-ci, il convient de dire que la saisie concernera les documents établis entre le 17 mars 2017 et le 7 novembre 2020.

Les deux parties reconnaissent la pertinence du critère géographique consistant à dire que seront concernés les bons de livraison mentionnant que l'adresse du siège ou de l'établissement du client est située en Italie, ou le lieu de livraison est situé en Italie, ou le numéro de TVA intracommunautaire du client commence par les deux lettres « IT ».

Il convient d'exclure les bons de livraison concernant les sociétés « l'Oréal, Colgate, Johnson & Johnson, Fareva, Procter & Gamble et Unilever » pour lesquelles des ventes directes par la société Sensient ont été contractuellement prévues (étant précisé que l'appelante ne demande pas que cette exclusion ne commence qu'à compter du 30 mai 2019). Il n'y a pas lieu en revanche d'exclure l'ensemble de leurs filiales, tel que réclamé par la société Sensient, au regard des termes clairs du contrat qui fait la loi entre les parties.

De même, si la société Sensient conteste que des documents puissent être saisis concernant des sociétés liées au marché capillaire dont elle détaille la liste, il n'y a pas lieu de faire droit à cette demande dès lors d'une part que cette appartenance au marché capillaire n'est pas démontrée mais juste affirmée et d'autre part, qu'à supposer même cette circonstance établie, ainsi qu'il l'a déjà été indiqué, il n'est pas justifié avec évidence à ce stade de la procédure que la société Sensient aurait été contractuellement autorisée à vendre directement des produits non exclusivement capillaires à ces clients et l'existence de violations contractuelles commises lors de ces commandes n'est donc pas manifestement exclue.

La détermination du périmètre de la mesure d'instruction à partir des mots clés tirés de la liste des prix que la société Sensient a adressée à la société LCM le 1er février 2018 est pertinente dès lors qu'elle correspond aux produits dont l'intimée elle-même confiait la vente à la société LCM dans le cadre de leur contrat et que ces mots clés se rattachent donc par un lien direct aux faits allégués, étant précisé que les produits exclusivement capillaires tels que figurant dans le contrat Castelli n'y sont pas mentionnés.

La contestation de la société Sensient quant à la présence sur cette liste de produits à usage capillaire n'est étayée que par un tableau qu'elle a elle-même réalisé, auquel n'est donc attaché aucune valeur probante et qui en outre est construit de telle façon que ne sont précisées que les applications capillaires des différents produits, ce qui ne permet pas de conclure qu'ils n'auraient pas un autre usage cosmétique, l'intimée fabriquant, aux termes mêmes du contrat, des matières premières génériques dont les deux parties reconnaissent qu'elles sont utilisables dans plusieurs gammes de produits (pigments, colorants, cires, émulsifiants, antioxydants et conservateurs, extraits végétaux et autres spécialités). Ainsi et à titre d'exemple, il ne peut être sérieusement soutenu que l'amidon de maïs ne serait utilisé que dans des produits capillaires.

Il convient de souligner qu'est donnée au commissaire de justice une mission d'identification des documents saisis grâce à des mots clés, qu'aucune connaissance en chimie n'est donc nécessaire et que les objections à la mesure sur ce fondement sont donc sans objet.

La mesure in futurum, ainsi autorisée selon les modalités prévues au dispositif avec les restrictions indiquées, apparaît suffisamment circonscrite dans son objet et dans le temps, l'atteinte au secret des affaires de la société Sensient étant limitée aux nécessités de la recherche des preuves en lien direct avec le litige et proportionnée au regard des droits des parties en présence.

L'ordonnance attaquée sera en conséquence infirmée en ce sens.

Sur les demandes accessoires,

La société LCM étant accueillie en son recours, l'ordonnance sera infirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

Partie perdante, la société Sensient ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles et devra en outre supporter les dépens de première instance et d'appel.

Il serait par ailleurs inéquitable de laisser à la société LCM la charge des frais irrépétibles. L'intimée sera en conséquence condamnée à lui verser une somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme l'ordonnance attaquée ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Désigne Maître [O] [C], de la SCP Cap H, commissaires de justice associés en résidence à [Localité 5], [Adresse 2], assisté en tant que de besoin par un ou plusieurs expert(s) informatique(s), avec pour mission de se rendre au siège de Sensient Cosmetic Technologies SAS, sis [Adresse 3] (et au besoin, à tout autre établissement qui serait désigné par Sensient Cosmetic Technologies SAS comme étant le lieu où se trouve une partie des documents recherchés qui ne seraient pas accessibles au ou à partir du siège social) afin de :

- se connecter, sous contrôle de l'expert informatique, sur tout terminal informatique, ordinateurs, tablettes, terminaux mobiles s'y trouvant, permettant d'accéder au(x) logiciel(s) utilisé(s) par Sensient Cosmetic Technologies SAS pour établir ses bons de livraison ;

- accéder à tout lieu d'archivage physique de ces mêmes documents ;

- rechercher, au sein du ou de ces logiciel(s) et/ou des archives physiques :

- l'ensemble des informations relatives aux bons de livraison pour lesquelles l'adresse du siège ou de l'établissement du client est située en Italie, le lieu de livraison est situé en Italie, et/ou le numéro de TVA intracommunautaire du client commence par les deux lettres « IT » ;

- exclure tous les bons de commande, confirmations de commande, bons de livraison et factures relatives aux sociétés L'Oréal, Colgate, Johnson & Johnson, Fareva,

Procter & Gamble et Unilever ;

- rechercher les bons de livraison relatifs aux commandes établies entre le 17 mars 2017 et le 7 novembre 2020, y compris donc si le bon de livraison à une date postérieure au 7 novembre 2020 dès lors qu'il concerne une commande passée avant le 8 novembre 2020, en utilisant les mots-clés suivants (nom du produit ou code produit) :

<Tableau>

- à cet effet, se connecter sous contrôle de l'expert informatique à tout outil d'investigation et de traitement permettant de réaliser ou de faciliter le traitement de ces recherches, et ce, afin de pouvoir circonscrire les recherches et éliminer les occurrences étrangères à la cause ;

Autorise le commissaire de justice à se faire assister, pour l'aider dans sa mission, d'un ou plusieurs expert(s) informatique(s) indépendant(s) ;

Autorise le commissaire de justice à se faire assister par tout détenteur de la force publique territorialement compétent ;

Autorise le commissaire de justice à se faire assister par un serrurier ;

Autorise le commissaire de justice, le représentant de la force publique, le serrurier, l'expert informatique, à pénétrer dans les lieux, étant précisé que ces personnes dont l'identité devra être indiquée dans le procès-verbal de constat du commissaire de justice ne devront pas révéler à des tiers l'existence et le contenu des opérations ;

Dit qu'aux fins précitées, le commissaire de justice et l'expert informatique requis par lui (i) pourront requérir que Sensient Cosmetic Technologies SAS mette à leur disposition et mette en œuvre les systèmes informatiques concernés, (ii) pourront requérir l'aide et l'assistance de personnes présentes sur les lieux, en particulier, pourront requérir que ces personnes prennent

Toutes mesures (notamment entrée de mots de passe et accès à des fonctions d'administration) permettant de faire fonctionner les systèmes informatiques concernés et (iii) pourront se munir, et apporter sur les lieux du constat, des appareils informatiques nécessaires tels qu'ordinateurs portables, appareils d'enregistrement, mémoires amovibles et supports d'enregistrement ainsi que de tout outil notamment tout programme informatique à cette fin ;

Autorise le commissaire de justice et l'expert informatique à installer tout logiciel ou brancher tout périphérique pour les besoins des opérations et à procéder à la restauration de tous fichiers effacés et/ou traces informatiques ;

Autorise le commissaire de justice à demander aux personnes présentes dans le cas où certaines informations ne se trouvent pas sur place, de se les faire transmettre immédiatement, notamment et de manière non restrictive, par courrier électronique ou télécopie ou encore via un serveur de fichiers ou un serveur de données ;

Dit qu'il sera procédé aux opérations de constat nonobstant toute opposition de Sensient Cosmetic Technologies SAS et notamment que Sensient Cosmetic Technologies SAS ne pourra invoquer les mesures étatiques mises en place compte-tenu de l'épidémie de Covid-19 afin de s'opposer à l'exécution des opérations de constat dès lors que les participants seront porteurs de masques pendant toute la durée des opérations ;

Autorise le commissaire de justice à solliciter que soient organisées des connexions distancielles si à raison des conditions sanitaires les personnes compétentes n'exercent leur activité que sous la forme de télétravail ;

Autorise le commissaire de justice à se faire présenter, à photographier, photocopier ou notamment sous forme numérique et sur tout support électronique tel que clé USB, CD, DVD ou disque dur externe, tous documents et pièces visés par la mesure sollicitée ;

Dit que si des informations utiles étaient conservées sur un support autre que le papier (en particulier informatique) le commissaire de justice serait autorisé, au besoin avec le concours de tous techniciens par lui requis, à en réaliser une édition sur tout support approprié ;

Autorise le commissaire de justice à consigner non seulement les déclarations des répondants, mais encore toute parole prononcée au cours de ses opérations, en s'abstenant de toute interpellation qui ne soit pas nécessaire à l'accomplissement de sa mission ;

Dit que si les opérations de constat n'étaient pas terminées à l'heure de fermeture du site, le commissaire de justice accompagné de l'expert informatique, et au besoin du représentant de la force publique et du serrurier, pourront poursuivre les opérations les jours suivants durant les horaires d'ouverture du site ;

Dit que Sensient Cosmetic Technologies SAS, ses représentants et toute personne ayant accès à ses ordinateurs, téléphones portables ou tablettes, devront s'abstenir d'entraver de quelque manière que ce soit les opérations du commissaire de justice et/ou du technicien, notamment en verrouillant l'accès physique ou logique à ses ordinateurs ou téléphones portables ;

Dit que le commissaire de justice devra dresser de ses opérations un procès-verbal ;

Fixe le montant de la provision à 8 000 euros à verser au commissaire de justice par LCM Trading S.P.A. avant toute mise à exécution de sa mission ;

Dit que le commissaire de justice commis procédera à sa mission dans le délai d'un mois à compter du versement de la provision ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Condamne la société Sensient à verser à la société LCM Trading Spa la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que la société Sensient supportera les dépens de première instance et d'appel.