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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 6 décembre 2023, n° 21/10185

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Vigilia Sécurité Privée (SARL)

Défendeur :

H Etoile (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Ingold, Me Pardo, Me Bellichach, Me Adjedj

T. com. Paris, 13e ch., du 10 mai 2021, …

10 mai 2021

FAITS ET PROCÉDURE

Le 1er janvier 2016, la société Vigilia et la société H Etoile, détentrice de l'hôtel Le Méridien, ont conclu un contrat de prestation de services de sécurité à durée déterminée, prévoyant la possibilité d'un renouvellement par tacite reconduction pour des périodes de trois ans.

L'article 5.4 de ce contrat prévoit que le recours à la sous-traitance est autorisé avec l'accord préalable exprès du client, en cas contraire le titulaire s'expose à la résiliation du contrat à ses torts exclusifs.

Le 31 décembre 2018, le contrat a été reconduit jusqu'au 31 décembre 2021.

Par courrier du 25 février 2019, reçu le 28 février 2019, la directrice générale de l'Hôtel Le Méridien a informé la société Vigilia de la résiliation du contrat, effective au 28 février 2019 en raison de manquements contractuels constituant des fautes graves au titre dudit contrat.

La société H Etoile relève en premier lieu, le recours de la société Vigilia à la sous-traitance, le 27 novembre 2018, sans son accord exprès, l'un des agents de sécurité ayant une carte professionnelle provenant d'une autre société, et, en second lieu, un manquement aux exigences de qualification des agents, en ce que l'un des agents n'avait pas sa carte professionnelle sur lui lors d'un contrôle effectué le 28 janvier 2019.

Par courrier du 4 mars 2019, la société Vigilia conteste cette résiliation, faisant valoir en premier lieu, que seules les commandes ponctuelles étaient sous traitées et ce avec l'accord de la société H Etoile depuis 2012 et, en second lieu, que l'agent contrôlé était titulaire d'une carte professionnelle, même s'il ne l'avait pas sur lui.

Par acte du 27 novembre 2019, la société Vigilia assigne la société H Etoile devant le tribunal de commerce de Paris à l'effet d'obtenir des dommages-intérêts pour résiliation fautive du contrat.

Par jugement du 10 mai 2021, le tribunal de commerce de Paris :

- Écarte la demande au titre de la responsabilité délictuelle,

- Déboute la SARL Vigilia Sécurité Privée de ses demandes au titre de la responsabilité contractuelle,

- Condamne la SARL Vigilia Sécurité Privée à payer à la SAS à associé unique H Etoile la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du CPC,

- Déboute les parties de leurs demandes autres, plus ambles ou contraires,

- Ordonne l'exécution provisoire,

- Condamne la SARL Vigilia Sécurité Privée aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 € dont 12,20 € de TVA.

Par déclaration reçue au greffe de la Cour le 31 mai 2021, la société Vigilia Sécurité Privée interjette appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 12 septembre 2023, la société Vigilia Sécurité Privée, demande à la Cour de :

Vu l'ancien article 1134 du code civil,

Vu l'article L. 442-6 du code de commerce,

Vu la jurisprudence précitée,

Vu les pièces versées aux débats,

recevant l'appel et le jugeant bien fondé, de :

- INFIRMER les chefs suivants du jugement du tribunal de commerce du 10 mai 2021 (n° RG 2019068330) :

* "Écarte la demande au titre de la responsabilité délictuelle,

* Déboute la SARL Vigilia Sécurité Privée de ses demandes au titre de la responsabilité contractuelle,

* Condamne la SARL Vigilia Sécurité Privée à payer à la SAS à associé unique H Etoile la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du CPC,

* Déboute les parties de leurs demandes autres, plus ambles ou contraires, Ordonne l'exécution provisoire,

* Condamne la SARL Vigilia Sécurité Privée aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 € dont 12,20 € de TVA."

Statuant à nouveau,

- JUGER que la résiliation du contrat de prestations par la société H ETOILE est constitutive d'une violation des dispositions contractuelles,

- CONDAMNER la société H Etoile à payer à la société Vigilia Sécurité Privée la somme de 216 881,37 € TTC en réparation du préjudice subi,

- CONDAMNER la société H Etoile à payer à la société Vigilia Sécurité Privée la somme de 10 000 € HT au titre de l'article 700 ainsi qu'aux entiers dépens,

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 2 octobre 2023, la société H Etoile, demande à la Cour de :

Vu l'article L 442-6 ancien du Code de commerce,

Vu l'article 1103 du Code civil,

Vu les articles R 631-23 et suivants du Code de la sécurité intérieure,

- CONFIRMER le Jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- DEBOUTER la société Vigilia Sécurité Privée de l'ensemble de ses demandes,

Subsidiairement, si la Cour venait par extraordinaire à rentrer en voie de condamnation,

- RAMENER à de plus justes proportions les demandes de la société Vigilia Sécurité Privée en cantonnant son indemnisation à la somme représentant la marge brute escomptée pendant 2 mois,

En tout état de cause,

- CONDAMNER la société Vigilia Sécurité Privée à payer à la société H Etoile la somme de 7.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 17 octobre 2023, après report du 3 octobre 2023, précédé du report du 12 septembre 2023.

MOTIVATION

Sur les manquements contractuels et le caractère fautif de la rupture

S'agissant de la sous-traitance, la société Vigilia soutient que son recours à la sous-traitance pour des missions ponctuelles et avec l'accord systématique des responsables de la sécurité de l'hôtel Le Méridien depuis 2012 ne constitue pas une faute grave justifiant la résiliation du contrat de prestation de service.

Elle ajoute que le directeur de sécurité du Méridien était au courant du recours à la sous-traitance puisqu'il recevait mensuellement les plannings avec l'affectation des agents mentionnant leur société d'origine et que ces derniers passaient au poste de sécurité où ils déclinaient leur identité et leur carte professionnelle mentionnant leur société. Ainsi, elle considère que le recours à la sous-traitance pour des missions ponctuelles était une pratique courante dans les relations commerciales de la société Vigilia et de la société H Etoile.

Elle cite l'article R.631-23 du code de la sécurité intérieure qui dispose que le recours à la sous-traitance est possible selon les modalités prévues, notamment lorsqu'elle est inscrite dans le contrat.

Enfin, elle fait valoir que le manquement allégué date du 27 novembre 2018 et que le contrat a été renouvelé le 31 décembre 2018.

La société H Etoile conteste avoir donné son autorisation expresse à la société Vigilia pour avoir recours à la sous-traitance alors qu'une telle autorisation est stipulée par le contrat en son article 5.4 qui précise que toute contravention à cette clause entraîne la résiliation du contrat aux torts exclusifs du titulaire. Elle ajoute que l'article 5.7 prévoit que toute absence de respect des clauses contractuelles constitue une faute grave entraînant la résiliation immédiate du contrat. Elle souligne que la société Vigilia ne conteste pas avoir eu recours à la sous-traitance, cette dernière considérant même que la société H Etoile lui aurait donné une autorisation générale, alors que l'obligation d'autorisation de sous-traitance expresse fait obstacle à toute autorisation de principe et permanente de sa part.

Enfin, la société H Etoile rappelle que les prestations de sécurité privée font l'objet d'un encadrement législatif et réglementaire spécifique imposant une obligation d'information du client en cas de recours à la sous-traitance. En ce sens, elle indique que l'entrepreneur doit faire accepter chaque sous-traitant par le maître d'ouvrage (article 3 de la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance) et qu'il doit indiquer des clauses de transparence informant leurs clients de leurs droits à connaitre le contenu des contrats de sous-traitance (article R.631-23 du code de la sécurité intérieure).

S'agissant du défaut de présentation de la carte professionnelle, la société Vigilia soutient que son agent M. [R] est titulaire d'une carte professionnelle, en conséquence de quoi elle a respecté ses obligations contractuelles en mettant à la disposition de son cocontractant un personnel qualifié comme l'exige l'article 15.1 du contrat. Elle précise que l'article R. 631-25 du code de la sécurité intérieure exige que les agents puissent présenter leur carte professionnelle et justifie de leur identité immédiatement ou, en cas d'impossibilité, dans les plus brefs délais. Elle en déduit que l'agent en cause, bien que n'ayant pas eu sa carte professionnelle au moment du contrôle le 28 janvier 2019, aurait été en capacité de présenter sa carte professionnelle dans les plus brefs délais si cela lui avait été demandé.

La société H Etoile invoque un manquement contractuel constituant une faute grave du fait du défaut de présentation de la carte professionnelle d'un agent le 28 janvier 2019, en violation de l'article15.1 du contrat qui dispose que les agents doivent avoir toutes les autorisations préalables nécessaires à l'exercice de leur mission. Elle soutient encore que le fait de ne pas être en capacité de présenter sa carte professionnelle au moment d'un contrôle constitue une infraction à l'article R.631-25 du code de la sécurité intérieure.

Elle ajoute que contrairement à ce qu'affirme la société Vigilia, elle n'a pas la possibilité de vérifier l'identité et la carte professionnelle de chaque agent au moment où il se présente au poste de sécurité, la pratique consistant pour chaque agent à passer par une porte dédiée au personnel où il annonce à quelle société il appartient, sans qu'un contrôle ne soit effectué, cette tâche incombant en amont à la société Vigilia.

Sur le caractère fautif de la rupture, la société Vigilia soutient qu'elle n'a commis aucun manquement contractuel ni faute grave et que dès lors la résiliation unilatérale par la société H Etoile du contrat à durée déterminée sans indemnité ni préavis est fautive. Elle ajoute que la résiliation unilatérale du contrat par la société H Etoile s'inscrit dans une politique globale de réduction des coûts entreprise par la direction du groupe d'hôtellerie Marriott depuis son rachat en 2017 d'hôtels dont Le Méridien fait partie, que les prétendus manquements contractuels ne sont que des prétextes pour résilier le contrat litigieux. A cet égard, elle verse aux débats un courriel du 8 juin 2018 (pièce n°13) qu'un directeur du groupe Marriott a envoyé à un ancien salarié du groupe Starwood qui l'a transmis à la société Vigilia.

La société H Etoile conteste le caractère fautif de la rupture puisqu'elle est motivée selon elle par les deux manquements contractuels évoqués ci-dessus, constituant des fautes graves entrainant la résiliation immédiate du contrat.

Elle reproche à la société Vigilia de produire cette pièce 13 pour la première fois en appel et allègue que la production de ce courriel entre deux personnes non parties au litige et transféré à la société Vigilia viole le secret des correspondances.

La société Vigilia rétorque sur ce point qu'elle a le droit de produire des nouvelles preuves en appel pour justifier des prétentions soumises en première instance (article 563 du code de procédure civile) et que cette preuve est valide, s'agissant d'un courriel indispensable à la manifestation de la vérité et l'atteinte au droit à la vie privée de son auteur étant proportionnée au but poursuivi. Elle invoque dans le cas contraire une atteinte à l'égalité des armes.

Réponse de la Cour,

Le second manquement invoqué par la société H Etoile dans sa lettre du 25 février 2019, tenant à l'absence de présentation de sa carte professionnelle par un agent de la société Vigilia le 28 janvier 2019, ne peut être retenu. En effet, l'article R.631-25 du code de la sécurité intérieure dispose :

"Les salariés doivent être en mesure de présenter leur carte professionnelle à toute demande des clients, des mandants ou des autorités et organismes habilités. Ils justifient de leur identité auprès des autorités qui ont à en connaître, immédiatement ou, en cas d'impossibilité, dans les plus brefs délais".

Or, il est constant que l'agent faisait partie du personnel de la société Vigilia et avait la qualification professionnelle requise, outre qu'il aurait pu présenter sa carte professionnelle dans les plus brefs délais si cela lui avait été demandé.

En conséquence, cette faute n'est pas suffisamment grave pour justifier la résiliation du contrat ainsi que l'a justement retenu le tribunal.

S'agissant du premier manquement de la société Vigilia tenant au recours à la sous-traitance, il convient de relever que, l'article 4 du contrat liant les parties dispose :

"Le contrat est établi à compter de sa date de notification. Sa prise d'effet est prévue le 01/01/2016 à minuit et sa fin le 31/12/2018 inclus.

Il se renouvellera ensuite par tacite reconduction et pour des périodes de trois (3) ans, sauf dénonciation par lettre recommandée par l'une des parties, trois (3) mois à l'expiration de chaque période, soit le 31 septembre. (')".

En l'espèce, en l'absence de dénonciation du contrat dans les conditions susvisées, il y a lieu de retenir que le contrat s'est poursuivi aux conditions antérieures par prorogation du terme de celui-ci pour une durée de trois ans. Il ne saurait s'agir d'un nouveau contrat.

Dès lors, la société H Etoile était en droit de se prévaloir d'un manquement contractuel de la société Vigilia commis le 27 novembre 2018 par lettre datée du 25 février 2019, en l'occurrence du recours à la sous-traitance de la société Vigilia sans avoir obtenu son accord préalable exprès, conformément aux stipulations de l'article 5.4 du contrat, qui mentionne que "le TITULAIRE s'expose à la résiliation du contrat à ses torts exclusifs".

Il s'agit là d'une faute grave conformément à l'article 5.7 du contrat qui dispose :

"Sont considérés comme faute grave les manquements cités ci-dessus ...".

Par conséquent, le jugement doit être confirmé en ce que le tribunal a retenu que la résiliation du contrat était justifiée par cette faute, en l'absence d'accord préalable exprès de la société H Etoile.

Ainsi, le jugement qui a débouté la société Vigilia de ses demandes au titre de la rupture abusive du contrat, est confirmé.

Il sera ajouté, s'agissant de la production de la pièce 13 par la société Vigilia, que la Cour n'est saisie au terme du dispositif des écritures de la société H Etoile, d'aucune demande tendant à voir rejeter cette pièce.

Il sera également observé que si une partie peut agir sur le fondement contractuel au titre de la rupture abusive du contrat, elle peut également se prévaloir sur le fondement délictuel de la rupture brutale des relations commerciales établies.

Or, en l'espèce, la société Vigilia ne forme aucune demande de dommages-intérêts au titre de la rupture brutale mais seulement une demande au titre de la violation des dispositions contractuelles.

De la même manière, si dans sa motivation, cette société invoque l'existence d'un déséquilibre significatif constitué par l'article 5.7 du contrat au motif que cette clause permettrait à la société H Etoile de déterminer de manière unilatérale les fautes graves justifiant une résiliation sans aucune justification, elle ne forme aucune demande à cet égard dans le dispositif de ses écritures.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La société Vigilia qui succombe est condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile est rejetée et elle est condamnée sur ce fondement à payer à la société H Etoile une somme supplémentaire de 3 000 € sur ce dernier fondement.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

CONFIRME le jugement en ses dispositions qui lui sont soumises,

Y ajoutant,

Condamne la société Vigilia aux dépens d'appel et à payer à la société H Etoile une somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.