Livv
Décisions

Cass. com., 6 décembre 2023, n° 21-23.288

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Compagnie Méditerranéenne de Transport (Sté)

Défendeur :

Cosco Shipping (Europe) GmbH (Sté), Cosco Shipping Development Co. Ltd (Sté), Cosco Shipping Lines Co. Ltd (Sté), Cosco Shipping France (SAS), Cosco Shipping Corporation Ltd (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

Mme Bellino

Avocats :

SCP Waquet, Farge et Hazan, SARL Le Prado - Gilbert

TGI Paris, du 6 nov. 2018

6 novembre 2018

Faits et procédure 

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 juillet 2021) et les productions, le 8 mai 2015, la société United Shipping Agency Network, devenue par la suite China Shipping North Africa (la société USAN), agissant au nom et pour le compte des sociétés China Shipping Container Lines Co. Ltd, China Shipping Container Lines ([Localité 7]) Co. Ltd, Cosco Shipping Lines et China Shipping (France) Agency (les sociétés CSCL), lesquelles appartiennent au même groupe, qui est l'un des principaux armateurs chinois, a conclu avec la société Compagnie méditerranéenne de transport (la société CMT), un « contrat d'agence maritime » lui confiant la mission d'être leur agent général de transport maritime en Tunisie. Le contrat a été conclu pour une durée de cinq ans à compter du 1er juillet 2015.

2. Par lettre du 20 avril 2016, la société China Shipping France Agency a avisé la société USAN de la résiliation du contrat d'agence, à la suite de la reprise de l'activité des sociétés CSCL par le groupe Cosco, auquel appartiennent notamment les sociétés Cosco Container Lines Co. Ltd, devenue Cosco Shipping Lines Co. Ltd, et Cosco Shipping Agency (les sociétés Cosco). Le 4 mai 2016, elle en a informé la société CMT.

3. Contestant cette résiliation, la société CMT a assigné les sociétés CSCL et les sociétés Cosco afin de voir déclarer nulle et en tout cas inopposable à son égard la résiliation du contrat d'agence maritime et d'obtenir leur condamnation à l'indemniser de la rupture abusive et brutale du contrat.

Examen des moyens

Sur les deuxième, troisième et cinquième moyens 

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. La société CMT fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à voir déclarer nul ou inopposable l'article 8.2 du contrat du 8 mai 2015 et sa demande de dommages et intérêts et de limiter ainsi la condamnation in solidum des sociétés défenderesses à lui verser les sommes de 505,50 euros en réparation du préjudice résultant du non-respect de la période de préavis prévue au contrat et de 123 004,82 euros au titre de l'indemnité de rupture du contrat d'agence maritime, alors :

« 1°/ que la partie victime d'un déséquilibre significatif, au sens de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, est fondée à faire prononcer la nullité de la clause du contrat qui crée ce déséquilibre, s'agissant d'une clause illicite qui méconnaît les dispositions d'ordre public de ce texte ; que l'existence d'un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, constitutif d'une pratique restrictive de concurrence, suppose l'existence d'une soumission ou d'une tentative de soumission, laquelle s'entend d'une absence de négociation effective ou d'une absence de pouvoir réel de négociation résultant d'un rapport de force déséquilibré entre les parties ; qu'en l'espèce, la société CMT a fait valoir, dans ses conclusions d'appel, qu'elle était placée dans un rapport de force inégal avec les sociétés chinoises CSCL, compte tenu de leur notoriété et de leur position de leader sur le marché du transport maritime se classant au deuxième rang mondial pour le transport maritime de conteneurs, en sorte qu'elle avait dû se plier à leurs exigences pour conclure un contrat d'agent maritime exclusif d'une durée déterminée, en acceptant de souscrire une clause prévoyant une faculté de résiliation anticipée sans motif et moyennant un simple préavis de 90 jours qui sous, couvert de réciprocité, ne bénéficiait en réalité qu'au commettant ; que pour rejeter la demande de nullité de cette clause, l'arrêt s'est borné à relever que la société CMT n'apportait aucun élément de contexte sur les conditions de négociation du contrat qui ne constitue pas un contrat-type et que la seule puissance économique de l'un des partenaires ne suffit pas à établir l'existence d'un rapport de forces déséquilibré ; en se déterminant par ces seuls motifs impropres à établir que la société CMT avait pu négocier la clause litigieuse et sans rechercher, ainsi qu'elle était invitée à le faire, si la place largement dominante ainsi que la notoriété des sociétés chinoises CSCL sur le marché mondial du transport maritime, la taille et le poids financier respectifs des sociétés chinoises et de la société CMT, agent maritime intervenant seulement en Tunisie, n'étaient pas propres à démontrer un rapport de force intrinsèquement inégal, exclusif de tout pouvoir réel de négociation des conditions du contrat par l'agent maritime, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 ;

2°/ que la partie victime d'un déséquilibre significatif, au sens de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, est fondée à faire prononcer la nullité de la clause du contrat qui crée ce déséquilibre, s'agissant d'une clause illicite qui méconnaît les dispositions d'ordre public de ce texte ; que ce déséquilibre doit s'apprécier en tenant compte de l'ensemble des clauses du contrat et de l'état de dépendance économique et juridique de l'une des parties à l'égard de l'autre ; qu'en l'espèce, la société CMT a fait valoir, dans ses conclusions d'appel, que compte tenu de sa dépendance économique et juridique à l'égard des sociétés CSCL, à l'égard desquelles elle a souscrit une obligation d'exclusivité, la clause 8.3 du contrat d'agent maritime dont les stipulations permettaient au commettant de se libérer à sa convenance du contrat avant son terme ainsi que la clause 8.2 prévoyant une faculté de résiliation anticipée du contrat sans motif et moyennant un simple préavis de 90 jours, dont la réciprocité était grandement théorique, ne bénéficiaient qu'au commettant en lui permettant de révoquer ad nutum son agent maritime ; qu'en se bornant à retenir que la clause 8.2, qui permet à chacune des parties d'écourter la durée initialement prévue, était valable en raison de la liberté contractuelle sans rechercher, ainsi qu'elle était invitée à le faire, si compte tenu de l'économie globale du contrat, et de la dépendance de la société CMT à l'égard des sociétés CSCL, dont elle était l'agent maritime avec une obligation d'exclusivité, la clause n'avait pas été stipulée dans le seul intérêt du commettant, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019. »

Réponse de la Cour

6. Si la structure du marché sur lequel interviennent les opérateurs peut constituer un indice de l'existence d'un rapport de force déséquilibré, ce seul élément est en soi insuffisant à établir la soumission ou la tentative de soumission et doit être complété par d'autres indices établissant l'absence de possibilité de négociation.

7. Après avoir relevé que la société CMT n'apporte aucun élément de contexte sur les conditions de négociation du contrat qu'elle prétend déséquilibré, cependant qu'il ne s'agit pas d'un contrat-type, ni aucun élément de preuve manifestant une absence de négociation du contrat, l'arrêt en déduit que la première condition d'applicabilité de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, dans sa rédaction alors applicable, n'est pas remplie.

8. En l'état de ces énonciations et appréciations, dont il résulte l'absence d'élément de preuve d'une impossibilité de négocier les clauses du contrat, la cour d'appel, qui n'était donc pas tenue d'effectuer la recherche invoquée par la première branche sur l'inégalité du rapport de force entre les parties, que ses constatations rendaient inopérante, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.

9. Inopérant en sa seconde branche, en ce qu'il critique des motifs surabondants, le moyen n'est donc pas fondé pour le surplus.

Sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

10. La société CMT fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de dommages et intérêts au titre du manque à gagner jusqu'au terme du contrat d'agent maritime pour abus du droit de résilier le contrat du 8 mai 2015 de manière anticipée et de limiter la condamnation in solidum des société défenderesses à lui verser les sommes de 505,50 euros en réparation du préjudice résultant du non-respect de la période de préavis prévue au contrat du 8 mai 2015 et de 123 004,82 euros au titre de l'indemnité de rupture du contrat d'agence maritime, alors « que la résiliation anticipée d'un contrat d'agent commercial à durée déterminée, en dehors des prévisions contractuelles, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice résultant de la perte de marge sur la durée restant à courir du contrat ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que le non-respect du délai du préavis contractuel était établi et caractérisait une faute contractuelle des sociétés CSCL et Cosco Container Lines Co. Ltd ; qu'en limitant le préjudice subi par la société CMT à la seule perte de la marge brute escomptée durant la période d'insuffisance du préavis sans lui accorder réparation du manque à gagner jusqu'à l'expiration normale du contrat, la cour d'appel a violé les articles 1147 et 1149 du code civil dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte, ni profit ».

Réponse de la Cour

11. Le préjudice résultant du non-respect du préavis contractuel doit être évalué en considération de la marge brute escomptée durant la période de préavis non exécuté et non des gains qui auraient pu être réalisés jusqu'au terme du contrat.

12. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.