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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 6 décembre 2023, n° 21/08483

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Arc France (SAS), Arc Tooling (SAS), Arc Packaging (SARL), Arc Décoration (SAS)

Défendeur :

Terre Forêt Paysage (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Bouzidi-Fabre, Me Deschryver, Me Khalout, Me Ohana

T. com. Lille-Metropole, du 31 mars 2021

31 mars 2021

FAITS ET PROCÉDURE

La société Arc International France (devenue Arc France), la société Machines et Matériels de Verrerie (devenue Arc Tooling), la société Cartons et Plastiques (devenue Arc Packaging) et la société Arc Décoration font partie du groupe Arc International qui fabrique et commercialise des articles dans le domaine des arts de la table et de la décoration de la maison.

En 2004, suite à des difficultés financières, la direction du groupe Arc International a décidé de mettre en œuvre un plan de rééquilibrage des moyens de production. Dans ce cadre, par accord de méthode du 21 décembre 2004, les sociétés du groupe se sont notamment engagées à accompagner les salariés souhaitant créer une entreprise ou quitter le groupe. C'est ainsi qu'en 2005, M. [U], ancien chef du service Espaces verts, a créé la société Terre Forêts Paysages (TFP), spécialisée dans la création et l'entretien d'espaces extérieurs, et a embauché 15 autres anciens salariés.

A compter du 1er octobre 2005, les sociétés du groupe Arc ont confié à la société TFP des prestations d'entretien des espaces extérieur de leurs sites.

Le dernier contrat entre ces quatre sociétés et la société TFP est entré en vigueur le 1er janvier 2016, la société TFP ayant remporté l'appel d'offre lancé. La durée de ce contrat était fixée à 3 ans, prenant fin au 31 décembre 2019 pour la partie espaces verts et au 31 mars 2019 pour la partie déneigement.

Par lettre recommandée du 13 juin 2018 avec avis de réception, la société Arc France, agissant au nom de toutes les sociétés du groupe, a rappelé à la société TPF qu'elle ne lui garantissait pas le maintien des relations contractuelles au terme du contrat, et confirmé qu'un appel d'offres serait lancé pour des prestations à réaliser à partir du 1er avril 2019. Elle y visait l'article L. 442-6 alinéa 5 du code de commerce et demandait à la société Terre Intérim de considérer cette lettre comme préavis au sens de ce texte.

Puis, par avenant du 22 octobre 2018, les parties ont décidé que le contrat prendrait fin le 31 mars 2019 tant pour les prestations Espaces verts que pour les prestations déneigement.

Le 14 décembre 2018, la société Arc France a informé la société TFP du lancement de la procédure d'appel d'offres pour les prestations à réaliser à partir d'avril 2019.

Le 22 mars 2019, la société TFP a été avisée que sa candidature n'était pas retenue. Le contrat à durée déterminée a donc pris fin le 31 mars 2019.

La société TFP, par lettre de son conseil du 11 avril 2019, a demandé à la société Arc France l'indemnisation de son préjudice résultant de la rupture brutale de la relation commerciale établie. Des discussions entre les parties se sont engagées mais n'ont abouti à aucun accord.

Par acte du 31 janvier 2020, la société TFP a fait assigner les quatre sociétés du groupe Arc International devant le tribunal de commerce de Lille afin d'obtenir des dommages-intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies.

Par jugement du 31 mars 2021, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal :

- a débouté la société Arc France, la société Arc Tooling, la société Arc Packaging et la société Arc Décoration de tous leurs moyens, fins et conclusions,

- les a condamnées in solidum à payer à la société TFP la somme de 146 498 €, à titre de dommages-intérêts,

- les a condamnées in solidum aux dépens et à payer la somme de 2 500 € à la société TFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Arc France anciennement dénommée Arc International France, la société Arc Tooling anciennement dénommée Machines et Matériels de Verrerie, la société Arc Packaging anciennement dénommée Cartons et Plastiques et la société Arc Décoration ont relevé appel du jugement par déclaration au greffe du 30 avril 2021.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées et déposées le 13 janvier 2022, les appelantes demandent à la cour, au visa de l'ancien article L. 442-6 I 5° du code de commerce ainsi que des articles 1104 et suivants du code civil, de :

1) à titre principal, infirmer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau :

- dire et juger que la société TFP et elles n'entretenaient pas de relations commerciales dites établies,

- débouter en conséquence la société TFP de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

2) à titre subsidiaire, infirmer le jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau :

- dire et juger qu'elles n'ont pas rompu brutalement leur relation avec la société TFP en faisant bénéficier cette dernière d'un préavis de 9 mois,

- débouter en conséquence la société TFP de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

3) à titre infiniment subsidiaire, infirmer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau :

- dire et juger que la société TFP ne justifie pas dûment du préjudice,

- débouter en conséquence la société TFP de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

4) en tout état de cause : condamner la société TFP aux entiers dépens et à leur payer la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées et déposées le 15 octobre 2021, la société TFP demande à la cour de :

1) confirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf à majorer le montant des dommages-intérêts de 146 498 € à 517 000 €,

2) condamner in solidum les sociétés Arc International, Arc Tooling, Arc Packaging et Arc Décoration à lui payer la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

3) les condamner aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 septembre 2023.

La Cour renvoie à la décision attaquée et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

- Sur la demande de dommages-intérêts de la société TFP

La société TFP soutient qu'il existait entre elle et les appelantes des relations commerciales établies depuis 2005 qui ont été rompues brutalement sans respecter le moindre préavis.

Elle expose en ce sens, d'abord :

- que de 2005 à 2015, elle a travaillé avec les sociétés du groupe Arc International de façon continue et même après 2015 lorsqu'une procédure d'appel d'offres a été instituée, ayant alors été choisie pour une durée de 3 ans jusqu'au 31 décembre 2018 ;

- que c'est l'intégralité de la période des relations qui doit être prise en considération et pas seulement le dernier contrat en date, fût-il différent des engagements antérieurs ;

- que la lettre des appelantes du 13 juin 2018 est "susceptible de recevoir la qualification d'aveu extrajudiciaire, au sens de l'article 1383 du code civil, de ce que les parties étaient en présence d'une relation commerciale établie puisque à défaut il n'eut pas été nécessaire de viser l'article L. 442-6 du code de commerce (soit la numérotation de l'époque des dispositions figurant désormais à l'article L. 442-1) et de faire état de ce que la relation était rompue avec un préavis." ;

- que la conclusion du contrat d'une durée de 3 ans s'est inscrite dans la continuité des relations antérieures ;

- que la procédure d'appel d'offres aurait dû être lancée et intégralement traitée avant le 31 décembre 2018, l'appel d'offres concernant la période postérieure à cette date ;

- que les appelantes ont attendu le 14 décembre 2018 pour lancer la procédure d'appel d'offres, laquelle n'a trouvé son terme que le 22 mars 2019, l'entretenant ainsi dans l'idée de la pérennité de leurs relations ;

- que les échanges de courriels entre le 5 et le 10 avril 2019 montrent que la société Arc France a demandé l'établissement d'avoirs sur certaines factures et que suite au refus de la société TFP, le représentant de la société Arc France a écrit à celui de la société TFP : "comme discuté à l'instant par téléphone, merci de reconsidérer ta position au niveau de ces avoirs afin que nous puissions envisager la continuité de nos relations." ;

- qu'ainsi le 10 avril 2019, nonobstant le mail du 22 mars 2019, il lui était laissé entendre que les relations commerciales pourraient continuer.

La société T FP prétend ensuite que la rupture lui a été notifiée le 15 mars 2019 pour le 31 mars suivant, soit avec un préavis quasiment inexistant. Elle souligne :

- que les représentants du groupe Arc l'ont entretenue de façon orale dans l'idée qu'elle pourrait poursuivre les relations,

- que dès lors qu'elle avait des chances d'être à nouveau choisie comme prestataire, elle ne pouvait prendre d'engagements auprès d'autres donneurs d'ordre,

- que c'est seulement par téléphone le 15 mars 2019, puis par courriel du 22 mars 2019 qu'elle a été avisée qu'elle cesserait définitivement de travailler avec les sociétés du groupe.

Mais c'est à juste raison que les appelantes opposent l'absence de relations commerciales établies ainsi que l'absence de brutalité de la rupture des relations.

En effet, il ressort des pièces versées aux débats que :

- Déjà, par lettre du 18 décembre 2014, la société Arc International France avait confirmé à la société TFP que les contrats la liant aux sociétés du groupe arrivant à échéance le 31 décembre 2015, elle procéderait à un appel d'offres courant 2015 et qu'elle ne pouvait lui garantir le maintien de leurs relations au delà de cette date ;

- Le contrat entré en vigueur le 1er janvier 2016 mentionne, en son préambule, qu'à la suite d'une procédure d'appel d'offres qui s'est déroulée d'octobre à décembre 2015, la société TFP a été sélectionnée afin de réaliser des prestations sur plusieurs sites pour la période 2016 à 2019 ;

- Il est expressément stipulé, sous l'article 3.1 de ce contrat, intitulé durée, que :

"Le prestataire reconnaît avoir déjà été informé par le Client que dans les six (6) mois précédant la fin du contrat, le Client procédera à un nouvel appel d'offres pour les Prestations et que donc à ce titre, aucune continuité des relations entre les Parties au delà de la période contractuelle ne peut lui être garanti. Le prestataire s'engage à prendre toutes mesures nécessaires à la diversification de son portefeuille client." ;

- Dès le 13 juin 2018, la société Arc France, agissant pour toutes les sociétés du groupe, a averti la société TFP que les contrats arrivant à échéance le 31 décembre 2018, elle procéderait à un appel d'offres courant 2018 pour l'intégralité des prestations actuellement réalisées par celle-ci ; elle précisait encore qu'elle n'était pas en mesure de lui garantir le maintien de leurs relations contractuelles au delà de cette date et la priait de considérer sa lettre comme préavis au sens de l'article L. 442-6 du code de commerce.

Il en résulte que, depuis l'entrée en vigueur du contrat lui confiant les prestations pour les années 2016 à 2019, la société TFP savait que la poursuite des relations au delà de cette période était subordonnée à sa sélection dans le cadre d'un appel d'offres.

La Cour retient de surcroît que :

- le 13 juin 2018, il lui a été notifié le recours à la procédure d'appel d'offres à l'issue du contrat le 31 décembre 2018 ;

- si la fin des prestations Espaces vert a été repoussée au 31 mars 2019 par avenant du 22 octobre 2018, la notification du recours à la procédure d'appel d'offres faite le 13 juin 2018 manifestait dès cette date l'intention des sociétés du groupe Arc International de ne pas poursuivre la relation commerciale dans les conditions antérieures ;

- la lettre des appelantes du 13 juin 2018, même si elle vise en objet "Préavis article L. 442-6 alinéa 5 du Code de commerce" ne renferme aucun aveu du caractère établi de la relation commerciale ; elle informe au contraire la société TFP du recours à la procédure d'appel d'offres en 2018.

En conséquence, la société TFP ne pouvait légitimement croire à la pérennité de la relation commerciale, laquelle présentait un caractère précaire. De plus, le point de départ du préavis précédant la rupture est celui de la date de notification du recours à la procédure d'appel d'offres, peu important la date postérieure du résultat de la procédure d'appel d'offres.

C'est en vain que l'intimée allègue en dernier lieu que les sociétés appelantes auraient manqué à leur obligation de loyauté en lui laissant croire jusqu'au dernier moment qu'elle avait toutes les chances de poursuivre les relations commerciales. En effet la société TPF, qui était soumise aux aléas inhérents à une procédure d'appel d'offres, ne rapporte pas la preuve que les appelantes l'auraient incitée à croire à la pérennité de leurs relations au cours de leurs pourparlers.

Le jugement sera donc infirmé et la société TFP déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour rupture brutale d'une relation commerciale établie ou encore pour manque de loyauté.

- Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

La société TFP, qui succombe en ses prétentions, doit supporter les dépens de première instance et d'appel.

Sa demande sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et sera rejetée et il sera allouée la somme de 4.000 € aux sociétés appelantes.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau :

Déboute la société Terre Forêt Paysage de l'intégralité de ses demandes,

Condamne la société Terre Forêt Paysage à payer la somme de 4.000 € aux sociétés Arc France, Arc Tooling, Arc Packaging et Arc Décoration, par application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Terre Forêt Paysage aux dépens de première instance et d'appel.