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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 1, 6 décembre 2023, n° 22/19703

PARIS

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Plasticos Faca (Sté), Faca Emballage S.L. (Sté), Faca France Recipents Pour Cosmetique, S.L. (Sté)

Défendeur :

Laboratoires Filorga Cosmetiques (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Douillet

Conseillers :

Mme Barutel, Mme Bohée

Avocats :

Me Moisan, Me Bey, Me Boccon Gibod, Me Horn, Me Hebert-Salomon

TJ Paris, 13 juillet 2022, n° 22/51712

13 juillet 2022

EXPOSE DU LITIGE

La société de droit espagnol Plasticos Faca, fondée en 1970 par [E] [W], au droit duquel se trouve aujourd'hui son fils, M. [L] [W], se présente comme un des leaders mondiaux dans la conception et la fabrication de pots et d'emballages haut de gamme destinés notamment au secteur des cosmétiques, les sociétés Faca Emballage S.L. et Faca France Récipients pour Cosmétiques S.L. agissant en tant que vendeurs/distributeurs des pots ainsi fabriqués.

Elle indique que son fondateur, M. [W], est l'auteur d'un emballage référencé T 65, décliné en différentes variations de couleurs et de tailles (ci-après désigné, le pot « FACA » ou « Pot T 65 »), dont l'image suivante est communiquée :

Cet emballage a été utilisé par sa cliente, la société Filorga, pour le conditionnement de nombreux soins pour le visage depuis 2007 et jusqu'au mois de juin 2020, époque à laquelle la société Filorga lui a fait part de sa décision de ne plus se fournir auprè's d'elle.

Ayant pourtant constaté que la société Filorga continuait de commercialiser ses produits NCEF REVERSE, TIME-FILER et OXYGEN GLOW dans un emballage reproduisant selon elle les caractéristiques de son emballage T 65, la société Plasticos Faca l'a, par une lettre du 24 septembre 2021, mise en demeure de cesser ces agissements qu'elle estime contrefaisants.

N'ayant pas obtenu satisfaction, les sociétés Plasticos Faca, Faca Emballage, Faca France Recipients pour Cosmétique (ci-après, les sociétés « Faca ») et M. [L] [W] ont, par acte d'huissier du 13 janvier 2022, fait assigner en référé la société Filorga devant le délégataire du président du tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de droit d'auteur.

Par une ordonnance de référé du 13 juillet 2022 dont appel, le délégataire du président du tribunal judiciaire de Paris a :

- Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de M. [L] [C] [W] et les sociétés Plasticos Faca, Faca Emballage et Faca France Recipients pour Cosmetique ;

- Condamné in solidum M. [L] [C] [W] et les sociétés Plasticos Faca, Faca Emballage, et Faca France Recipients pour Cosmetique aux dépens ;

- Condamné in solidum M. [L] [C] [W] et les sociétés Plasticos Faca, Faca Emballage et Faca France Recipients pour Cosmetiqueà payerà la société Filorga la somme de 10 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Rappelé que la décision est de plein droit exécutoire par provision.

Le 24 novembre 2022, les sociétés Faca et M. [W] ont interjeté appel de cette ordonnance.

Par avis du 20 décembre 2022, l'affaire a été fixée en circuit court pour être plaidée à l'audience du 17 octobre 2023.

Dans leurs dernières conclusions récapitulatives numérotées 3, notifiées par RPVA le 26 septembre 2023, les sociétés Faca et M. [W], appelants, demandent à la cour de :

Vu les articles 491, 699, 700, 834 et 835 du code de procédure civile,
Vu les articles L. 111-1 et suivants, L. 122-1à L122-4, L. 331-1-2 et suivants, L. 335-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, Vu l'article 1240 du Code civil,

- Infirmer l'ordonnance rendue le 13 juillet 2022 du tribunal judiciaire de Paris en ce qu'elle a :

dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de M. [L] [C] [W] et les sociétés Plasticos Faca, Faca Emballage, et Faca France Recipients pour Cosmetique ;

condamné in solidum M. [L] [C] [W] et les sociétés Plasticos Faca, Faca Emballage, et Faca France Recipients pour Cosmetique aux dépens ;

condamné in solidum M. [L] [C] [W] et les sociétés Plasticos Faca, Faca Emballage, et Faca France Recipients pour Cosmetique à payer à la société Filorga la somme de 10 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Et, statuant à nouveau, de:

- Déclarer les sociétés Plasticos Faca S.A., Faca Emballage S.L., Faca France Récipients pour cosmétique S.L. et Monsieur [L] [W], recevables et bien fondés en toutes leurs demandes, prétentions, fins et conclusions ;

- Juger qu'il y a urgence à prononcer les mesures provisoires sollicitées ;

- Juger que la promotion, l'offre à la vente et la vente par la société Filorga des produits SKIN- UNIFY « Crè'me uniformisante illuminatrice » 50mL ; NCEF-REVERSE « Crè'me multi-correctrice suprême » 50 mL ; NCEF-REVERSE EYES « Soin Regard Multi-Correction Suprême » 15 mL ; NCEF NIGHT MASK « Masque Nuit Multi-correcteur Suprême » 50 mL; TIME-FILLER EYES « Crème Absolue Correction Regard » 15 mL ; TIME-FILLER NIGHT « Crè'me Nuit Multi-Correction Rides » 50 mL ; TIME FILLER MAT « Cre'me Correction Rides [Pores + Matité] » 50 mL, TIME-FILLER 5XP « Cre'me correction tous types de rides » 50 mL, TIME-FILLER 5XP « Gel-crè'me correction tous types de rides » 50 mL, TIME-FILLER EYE 5XP « Crè'me yeux correction tous types de rides » 15 mL, OXYGEN GLOW «Crème Super-Perfectrice Éclat » 50 mL, HYDRA-HYAL « Cre'me-gel hydratante repulpante» 50 mL et HYDRA-HYAL « Cre'me hydratante repulpante » 50 mL ou leurs déclinaisons dans leurs différentes tailles, constituent un trouble manifestement illicite au préjudice de Monsieur [L] [W] et de ses licenciées exclusives, les sociétés Pla'sticos Faca S.A., Faca Emballage S.L. et Faca France Récipients Pour Cosmétique S.L. ;

En conséquence,

- Interdire à la société Filorga de faire fabriquer, d'importer, d'exporter, de promouvoir, de commercialiser, d'offrir à la vente, de détenir ou d'utiliser, en France,à quelque titre que ce soit les pots litigieux, à savoir les Pots des produits suivants : SKIN-UNIFY « Crème uniformisante illuminatrice » 50mL ; NCEF-REVERSE « Crè'me multi-correctrice supre'me » 50 mL ; NCEF-REVERSE EYES « Soin Regard Multi-Correction Suprême» 15 mL ; NCEF NIGHT MASK « Masque Nuit Multi-correcteur Suprême » 50 mL ; TIME-FILLER EYES «Crè'me Absolue Correction Regard » 15 mL ; TIME-FILLER NIGHT « Cre'me Nuit Multi-Correction Rides » 50 mL ; TIME FILLER MAT « Crème Correction Rides [Pores + Matité]» 50 mL, , TIME-FILLER 5XP « Crème correction tous types de rides » 50 mL, TIME-FILLER 5XP « Gel-crè'me correction tous types de rides » 50 mL, TIME-FILLER EYE 5XP « Crè'me yeux correction tous types de rides » 15 mL, OXYGEN GLOW « Crè'me Super-Perfectrice Éclat » 50 mL, HYDRA-HYAL « Crè'me-gel hydratante repulpante » 50 mL et HYDRA-HYAL « Crème hydratante repulpante » 50 mL, ou tout autre produit commercialisé dans des pots portant atteinte aux droits d'auteur de M. [E] [W] sur le pot commercialisé par Faca référencé T65, sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée et par jour de retard, dans un délai de 8 jours à compter de la signification de la décision à intervenir, la cour d'appel statuant en référé restant saisi pour statuer sur l'astreinte définitive ;

- Ordonner à la société Filorga la communication du nombre de pots litigieux,à savoir le nombre des pots des produits suivants : SKIN-UNIFY « Crème uniformisante illuminatrice» 50mL ; NCEF-REVERSE « Crè'me multi-correctrice suprême » 50 mL ; NCEF-REVERSE EYES « Soin Regard Multi-Correction Suprême » 15 mL ; NCEF NIGHT MASK « Masque Nuit Multi- correcteur Supre'me » 50 mL ; TIME-FILLER EYES « Crè'me Absolue Correction Regard » 15 mL ; TIME-FILLER NIGHT « Crème Nuit Multi-Correction Rides » 50 mL ; TIME FILLER MAT « Crè'me Correction Rides [Pores + Matité] » 50 mL, TIME-FILLER 5XP « Crè'me correction tous types de rides » 50 mL, TIME-FILLER 5XP « Gel-crè'me correction tous types de rides » 50 mL, TIME-FILLER EYE 5XP « Crème yeux correction tous types de rides » 15 mL , OXYGEN GLOW « Crè'me Super-Perfectrice Éclat » 50 mL, HYDRA-HYAL « Crè'me-gel hydratante repulpante » 50 mL et HYDRA- HYAL « Crè'me hydratante repulpante » 50 mL commandé, mis en fabrication, livré et/ou commercialisé, et ce dans un délai de 8 jours suivant la signification de la décision à intervenir, sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard, la cour d'appel statuant en référé restant saisi pour statuer sur l'astreinte définitive ;

- Condamner la société Filorga à verser aux sociétés Pla'sticos Faca S.A., Faca Emballage S.L. et Faca France Récipients Pour Cosmétique S.L. età Monsieur [L] [W], une indemnité' provisionnelle de 1 000 000 euros à valoir sur l'indemnisation de leurs préjudices.

En tout état de cause,

- Condamner la société Filorga au paiement au profit des sociétés Pla'sticos Faca S.A., Faca Emballage S.L., Faca France Récipients Pour Cosmétique S.L. et de Monsieur [L] [W] de la somme de 100 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

- Condamner la société Filorga aux entiers dépens, dont distraction au profit de Moisan conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions récapitulatives, numérotées 3, notifiées par RPVA le 2 octobre 2023, la société Filorga, intimée, demande à la cour de :

Vu les articles L. 111-1 et suivants du code de la propriété' intellectuelle,

Vu les articles 700, 834 et 835 du code de procédure civile,
Vu les articles 1240 et suivants du code Civil,

- Confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

- Condamner Monsieur [L] [C] [W] et les sociétés Plasticos Faca, S.A., Faca Emballage, S.L. et Faca France Recipients Pour Cosmetique, S.L.à verserà la société Filorga la somme de 30 000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner conjointement et solidairement Monsieur [L] [C] [W] et les sociétés Plasticos Faca, S.A., Faca Emballage, S.L. et Faca France Recipients Pour Cosmetique, S.L. aux entiers dépens de la présente instance.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 octobre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur les demandes fondées sur la contrefaçon de droit d'auteur

Sur les demandes fondées sur l'article 835 du code de procédure civile

Les sociétés Faca et M. [W] critiquent la décision déférée qui, selon eux, a été rendue au mépris des règles applicables, le premier juge ayant notamment confondu la notion d'originalité et de nouveauté et ayant refusé de reconnaître la description de l'œuvre faite par son créateur même et soutiennent en conséquence le bien fondé de leurs demandes soulignant avoir dès l'introduction de l'instance identifié avec précision l'œuvre revendiquée.

Ils rappellent que M. [E] [W] a imaginé et initié la conception du pot T65 dès les années 1990 mais qu'il a été concrètement conçu et créé à compter de la fin des années 90, via notamment la réalisation de dessins techniques, comme le démontrent, selon eux, les attestations et les croquis et dessins versés au débat, réalisés de la main de M. [X] [U], son exécutant qui en témoigne. Ils critiquent l'ordonnance rendue soulignant que, pour dater la création de ce pot, le premier juge ne devait pas faire référence aux actes d'exploitation de la société Faca. Ils ajoutent qu'à la suite du décès de M. [E] [W], son patrimoine, en ce inclus les droits d'auteur sur le pot Faca, a été transféré dans son intégralité à son fils, [L] [W], qui est devenu de ce fait l'héritier universel des droits d'auteur de son père, et ce pour une durée de 70 ans à compter du décès de ce dernier, ce qui est attesté par l'acte notarié versé en première instance. Ils font également valoir que les droits d'auteur de M. [E] [W] sur le pot T65, dévolus à son fils, ont été reconnus par Filorga car c'est directement à M. [L] [W] que l'actuel directeur général de Filorga s'est adressé pour demander la cession des droits. Ils précisent que les droits d'auteur sur ce pot sont exploités dans le cadre d'un contrat de licence exclusive par la société Faca.

Les appelants soulignent que le design de leurs produits n'est pas le seul fruit de choix fonctionnels mais que leur créateur a fait le choix de présenter le pot de manière décorative et luxueuse. Ils ajoutent que M. [E] [W] a été le premier au monde, en 1991, à utiliser du polyméthacrylate de méthyle (PMMA), le plastique le plus transparent au monde, pour les emballages cosmétiques, avec pour effet recherché d'obtenir la même transparence et le même éclat que le cristal de plomb. Ils indiquent notamment, pour démontrer l'originalité, que la forme cubique allongée produit une harmonie, un équilibre et une élégance visuels évidents et forts, que la transparence de la partie inférieure du pot laissant transparaître un contenant de forme ronde similaire à un écrin, véhicule les idées de beauté et de luxe chères à M. [E] [W] et que cette impression de beauté luxueuse transparaît par le travail du PMMA qui donne au produit un éclat flamboyant et raffiné. Ils ajoutent que cette transparence, associée au couvercle opaque, permet de diriger la lumière vers le contenant intérieur, et donc vers le produit cosmétique lui-même, de manière à le mettre en avant en formant un halo lumineux autour de celui-ci, lui conférant un aspect céleste. Ils précisent que cette élégance et cette beauté sont intensifiées par la disproportion entre le contenant intérieur et le contenant extérieur qui créée une atmosphère épurée, aérienne et de légèreté ainsi qu'une impression de rareté du produit cosmétique qu'il contient, caractéristique d'un produit de luxe. Enfin, ils indiquent que le produit apparaît comme s'il était en apesanteur ou en suspension dans l'air, créant une impression de rêve, de légèreté ou encore lui donnant un aspect futuriste auquel le design minimaliste, géométrique et aérien du produit renvoie, et que la luminosité du produit procure un sentiment de pureté, d'efficacité et de précision, essentielles à la science de la cosmétologie. Ils font ainsi valoir que l'empreinte de la personnalité de M. [E] [W] transparaît parfaitement dans la combinaison de ces éléments, personnalité qui ressort au demeurant également sans équivoque de ses autres créations, versées aux débats.

En outre, les sociétés Faca et M. [W] font valoir que l'argument de Filorga tendant à contester tout caractère protégeable du pot Faca au moyen d'antériorités est dénué de pertinence et qu'en plus, ces antériorités se distinguent toutes du pot Faca ou lui sont postérieures. Ils ajoutent que le fait que Filorga ait cherché à acquérir les droits de propriété intellectuelle sur le pot Faca témoigne irréfutablement de son originalité.

La société Filorga soutient que les contours de l'œuvre revendiquée ne sont pas clairement définis au vu des pièces versées. Elle constate ainsi que sur les visuels produits, l'aspect du pot varie et ne correspond pas aux caractéristiques originales revendiquées et en déduit que les appelants cherchent en réalité, à la faveur d'un dévoiement du droit d'auteur, à revendiquer des droits sur une gamme de produits ayant évolué au fil des années et non sur un produit et donc sur une « œuvre » bien identifiée.

Elle retient également que la date de création du contenant revendiquée n'est pas établie, précisant que la date prétendue de création du pot Faca repose exclusivement sur des attestations de salariés sujettes à caution, puisqu'aucune autre pièce ne vient les conforter. Elle ajoute que les appelants échouent à rapporter la preuve de ce que M. [L] [W], son fils, en serait aujourd'hui le titulaire exclusif, faisant valoir notamment qu'à la lecture de l'acte notarié produit aux débats par les appelantes, il est impossible de connaitre le contenu précis des biens dont M. [W] a hérité de son père, alors qu'il est certifié par son propre notaire que ce patrimoine ne comportait aucun droit de propriété intellectuelle. Elle soutient que, loin de rapporter la preuve avec l'évidence requise en référé qu'ils sont titulaires des droits d'auteur, les appelants rapportent au contraire la preuve qu'ils n'en sont pas titulaires.

La société Filorga plaide enfin que les appelants ne définissent pas précisément les contours de l'originalité qu'ils allèguent, se contentent de présenter la combinaison de caractéristiques au travers d'intentions qui traduiraient la recherche créative de M. [E] [W]. Cependant, selon elle, il ne s'agit que d'interprétations a posteriori d'intentions prêtées à M. [E] [W] sans avoir été démontrées par le moindre document d'époque et de sa main. A cet égard, elle estime que le pot Faca ne constitue qu'une banale reprise du fonds commun non appropriable des pots de cosmétiques, ce qui rend imperceptible l'empreinte de la personnalité de M. [E] [W].

En vertu de l'article 835 du code de procédure civile, « Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire. »

L'article L.111-l du code de la propriété intellectuelle dispose que l'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous, comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial. Le droit de l'auteur est conféré, selon l'article L.112-1 du même code, à l'auteur de toute œuvre de l'esprit, quels qu'en soit le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination.

Il se déduit de ces dispositions le principe de la protection d'une œuvre sans formalité et du seul fait de la création d'une forme originale.

Néanmoins, lorsque cette protection est contestée en défense, l'originalité d'une œuvre doit être explicitée par celui qui s'en prétend auteur, seul ce dernier étant à même d'identifier les éléments traduisant sa personnalité.

La notion d'antériorité est indifférente en droit d'auteur, celui qui se prévaut de cette protection devant plutôt justifier de ce que l'œuvre revendiquée présente une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique et reflétant l'empreinte de la personnalité de son auteur. Toutefois, l'originalité doit être appréciée au regard d'œuvres déjà connues afin de déterminer si la création revendiquée s'en dégage d'une manière suffisamment nette et significative, et si ces différences résultent d'un effort de création, marquant l'œuvre revendiquée de l'empreinte de la personnalité de son auteur.

En outre, aux termes de l'article L.113-1 du code de la propriété intellectuelle, « la qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'œuvre a été diffusée» et une personne morale qui justifie d'une exploitation paisible et non équivoque de l'œuvre sous son nom peut bénéficier d'une présomption de titularité des droits patrimoniaux à l'égard des tiers.

Sur ce, la société Filorga oppose plusieurs moyens tendant à contester l'existence d'un trouble manifestement illicite tiré d'une contrefaçon des droits d'auteur revendiqués par les appelants qu'il convient d'examiner comme suit.

A cet égard, la cour constate que les appelants revendiquent des droits d'auteur sur un pot référencé T65 caractérisé par la combinaison des éléments suivants :

- une forme cubique allongée qui permet un emboîtement parfait du couvercle et du pot et qui, associée aux quatre bords extérieurs arrondis - conjugués eux-mêmes aux quatre bords intérieurs également légèrement arrondis -, produit une impression d'harmonie, d'équilibre et une élégance visuelle.

- un pot dont la partie extérieure inférieure est transparente, du fait de l'utilisation du PMMA (qui reproduit l'aspect esthétique et luxueux du cristal de plomb), laissant transparaître un contenant intérieur de forme ronde similaire à un écrin, liant beauté, élégance et luxe.

- un couvercle opaque, qui - en association avec la transparence de la partie du pot extérieure inférieure -, permet de diriger la lumière vers le contenant intérieur, et donc vers le produit cosmétique lui-même, de manière à le mettre en exergue en formant un halo lumineux autour de celui-ci, lui conférant un aspect céleste.

- des contenants intérieur et extérieur de tailles différentes, ce qui créé un sentiment d'apesanteur, de rêve, de légèreté ou encore qui donne au pot un aspect futuriste auquel le design minimaliste, géométrique et aérien du produit renvoie.

- une luminosité qui procure un sentiment de pureté, d'efficacité et de précision, essentielles à la science de la cosmétologie.

Au vu des pièces versées, il est établi que ce contenant a été créé par M. [E] [W] qui a fondé la société Plasticos Faca, comme cela ressort notamment des attestations concordantes des salariés qui ont agi sous les ordres de ce dernier, et qui a pu expliquer de son vivant, dans la presse les choix ayant présidé à la conception des divers contenants qu'il a conçus, confortant ainsi ces attestations. Cependant, la combinaison précise revendiquée ne ressort pas des seuls dessins et plans de coupe datés de 1999 à 2004 qui, s'ils établissent la forme et la structure de ce contenant, ne permettent nullement de donner date certaine aux caractéristiques relatives au travail sur la matière et l'aspect ou la luminosité revendiqués, outre que ces dessins ne portent pas la référence T65 ( sauf un sur lequel il a manifestement été ajouté à la main, sans certitude quant à sa date), ni des photographies jointes de pots ne présentant pas de date certaine. Il ne peut davantage être déduit date certaine de la création de ce pot tel que revendiqué d'une facture et d'un bon de commande datés de 2002, alors que rien ne permet de dater la photographie censée correspondre au pot en cause.

En revanche, les appelants produisent un catalogue de 2005, dont la date d'impression est confirmée par une attestation, qui permet de donner date certaine au modèle revendiqué qui a, cependant, évolué s'agissant de l'aspect ou de la couleur de son couvercle ou de l'aspect translucide ou givré du corps du pot extérieur pour être décliné en plusieurs variantes. La cour retient en conséquence que ce catalogue atteste d'une création ayant date certaine en 2005, avec l'évidence requise en référé.

Par ailleurs, il ressort de l'attestation notariée espagnole que M. [L] [W] a été désigné par testament par son père en qualité d'héritier « de tous ses biens, droits et actions », attestation confortée par une consultation juridique, de sorte que nonobstant l'absence de mentions relatives aux droits de propriété intellectuelle, ces documents attestent que les droits d'[E] [W] ont été dévolus à son fils, la cour relevant que la contestation relative à la nature de des droits dévolus n'est pas de nature à écarter par principe les demandes de son fils, l'article 835 du code de procédure civile précité édictant que, même en présence d'une contestation sérieuse, il peut être fait droit à des demandes de mesures provisoires.

En tout état de cause, la société Faca est bien fondée à se prévaloir de la présomption de titularité du fait de la commercialisation de ces pots sous son nom, comme en attestent l'ensemble des documents commerciaux et factures produits.

Cependant, la cour considère que si les appelants décrivent avec précision la combinaison d'éléments qu'ils revendiquent au titre du droit d'auteur s'agissant du pot T65, ils n'explicitent pas en quoi, cette combinaison porterait l'empreinte de son créateur, M. [E] [W] n'ayant pas procédé lui-même à cette description, alors qu'il ne revendiquait dans une interview donnée le 14 décembre 2020 que des droits en matière de dessins et modèles ou de brevet et ce, de manière générale, sans faire mention du contenant T65. A cet égard, le pot en cause a commencé à faire l'objet de dépôts à titre de dessins et modèles à compter du 14 juin 2007.

En outre, si comme rappelé, la notion d'antériorité est indifférente en matière droit d'auteur, il convient de constater, s'agissant d'arts appliqués, que la société Filorga verse aux débats une série de contenants déjà connus et exploités avant 2005, présentant les caractéristiques revendiquées telles que déjà décrites, le modèle opposé ne s'en éloignant pas d'une manière suffisamment nette et significative et s'inscrivant manifestement dans un fonds commun de contenants de forme cubique allongée aux bords extérieurs arrondis avec un pot dont la partie basse extérieure est transparente procurant une luminosité spécifique, laissant apparaître un contenant de forme ronde, associé à un couvercle opaque mettant en exergue le contenant intérieur, les contenants intérieurs et extérieurs étant de tailles différentes. De même, le fait d'utiliser un plastique spécifique dans la fabrication de cette gamme de pot ne permet nullement, même en combinaison avec les autres éléments revendiqués, de caractériser l'originalité de ce produit.

En conséquence, le pot ainsi revendiqué, s'il est le fruit d'un indéniable savoir-faire, ne présente cependant pas avec l'évidence requise en référé une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique et reflétant l'empreinte de la personnalité de son auteur.

Les appelants ne démontrent donc pas l'existence d'un trouble manifestement illicite ni, davantage, d'un trouble imminent, l'intimée démontrant la commercialisation de nombreux pots similaires sur le marché des produits cosmétiques par des concurrents.

C'est en conséquence à juste titre que le premier juge a retenu que l'emballage T 65 n'apparaît pas, avec l'évidence requise en référé, susceptible de protection par le droit d'auteur et a dit n'y avoir lieu à référé de ce chef.

Sur les demandes fondées sur l'article 834 du code de procédure civile

Les sociétés Faca et M. [W] soutiennent que l'urgence est caractérisée en raison de la fabrication, de la commercialisation et de la communication massives opérées par la société Filorga en France et dans le monde entier en relation avec les pots litigieux. Ils soutiennent qu'un retard dans la prescription des mesures sollicitées serait préjudiciable à leurs intérêts et que leur préjudice s'aggrave au fil du temps, la société intimée ayant non seulement continué les actes d'exploitation litigieux mais, également, lancé de nouvelles gammes de produits utilisant leurs contenants et commettant ainsi de nouvelles atteintes à leurs droits. Ils font ainsi grief au premier juge de ne pas avoir examiné si leurs demandes n'étaient pas fondées en application de l'article 834 du code de procédure civile, comme ils l'y invitaient.

La société Filorga répond qu'aucune des conditions de l'article 834 du code de procédure civile n'est caractérisée. Elle estime que les appelants ne justifient pas d'une réelle urgence et qu'il n'existe aucun péril imminent auquel les sociétés Faca seraient exposées, ni aucun risque de préjudice qui ne pourrait, in fine, être réparé par l'octroi de dommages et intérêts. Elle ajoute qu'il existe, en outre, de nombreux motifs de contestation sérieuse, que la condition alternative d'existence d'un différend n'est pas remplie et que les mesures sollicitées ne sont pas justifiées, les appelants ne démontrant pas, avec l'évidence requise en référé, qu'ils ont des droits à faire valoir et qu'elle aurait porté atteinte à ces droits.

En vertu de l'article 834 du code de procédure civile, «Dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend. »

La cour rappelle qu'en appel, comme en première instance, la juridiction des référés doit se placer, pour apprécier l'urgence attributive de sa compétence, à la date à laquelle elle prononce sa décision.

Or, en l'espèce, il convient de considérer que les sociétés Faca et M. [W] ne justifient nullement de la situation d'urgence alléguée, les faits en cause ayant débuté en septembre 2021, soit depuis plus de deux années, sans que ces faits aient mis en péril leur activité, et ne démontrent aucun risque de préjudice qui ne pourrait, le cas échéant, être réparé par l'octroi de dommages et intérêts, outre l'existence des contestations sérieuses relevées ci-dessus.

En conséquence, il convient de dire n'y avoir lieu à référé sur ce fondement, l'ordonnance étant complétée sur ce point.

Sur les demandes fondées sur la concurrence déloyale et parasitaire

Les sociétés Faca et M. [W] prétendent également être victimes d'actes de concurrence déloyale et parasitaire et font valoir que le pot Faca, qui possède une forte identité, est le résultat d'importants efforts et investissements financiers et humains réalisés pour son développement et qu'il est le fruit de leur savoir-faire, au travers d'abord des dessins réalisés par M. [X] [U], des nombreux dépôts que les sociétés Faca ont réalisés partout en Europe et des investissements réalisés en matière de recherche et développement. Ils ajoutent que le pot Faca a un pouvoir attractif fort sur les consommateurs des produits Filorga, ce pot étant devenu un élément essentiel et emblématique de leur identité visuelle, comme en témoignent les nombreux avis des consommateurs, qui soulignent en particulier l'esthétisme, l'élégance et l'aspect luxueux du pot Faca, ou encore son caractère « attractif ». Ils ajoutent également que le fait que Filorga ait cherché à acquérir les droits de propriété intellectuelle sur le pot Faca témoigne de sa valeur économique.

La société Filorga estime d'abord que les appelants ne caractérisent au soutien de ces demandes aucun fait distinct de ceux argués au titre de la contrefaçon. Elle ajoute que les appelants échouent à démontrer l'existence d'une valeur économique individualisée du pot Faca, ne démontrant pas la réalité de leurs efforts ou de leurs investissements. Elle soutient en outre que l'analyse du marché permet de constater le caractère courant de ce type de contenant, ce qui remet en cause la possibilité même de caractériser une valeur économique individualisée dont Faca serait à l'origine. Enfin, elle fait valoir qu'il n'est à aucun moment démontré que le pot Faca bénéficierait d'un degré élevé de notoriété permettant aux consommateurs d'en attribuer l'origine à cette société. A titre subsidiaire, elle fait valoir que si toutefois il était considéré que le pot Faca a pu constituer au moment de sa création une valeur économique individualisée, ce n'est plus le cas aujourd'hui du fait de la multitude de produits identiques disponibles sur le marché. Elle en déduit que les appelants ne peuvent donc plus aujourd'hui empêcher un opérateur d'utiliser le même type de pots puisqu'ils l'ont laissé devenir banal.

La concurrence déloyale et le parasitisme sont pareillement fondés sur l'article 1240 du code civil mais sont caractérisés par l'application de critères distincts, la concurrence déloyale l'étant au regard du risque de confusion, considération étrangère au parasitisme qui requiert la circonstance selon laquelle, à titre lucratif et de façon injustifiée, une personne morale ou physique copie une valeur économique d'autrui individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d`un savoir-faire, d`un travail intellectuel et d'investissements.

Ces deux notions doivent être appréciées au regard du principe de la liberté du commerce et de l'industrie qui implique qu'un produit ou un service qui ne fait pas l'objet d'un droit de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant à l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit ou par l'existence d'une captation parasitaire, circonstances attentatoires à l'exercice paisible et loyal du commerce.

La charge de la preuve incombe au cas présent à l'appelante.

A titre liminaire, la cour constate que si les appelants invoquent indifféremment des actes de concurrence déloyale et parasitaire, ils n'invoquent ni ne démontrent l'existence d'un risque confusion dans l'esprit du public mais dénoncent le comportement de la société Filorga qui se serait appropriée dans un but lucratif et sans bourse délier une valeur économique de la société Faca, procurant à leur adversaire un avantage concurrentiel injustifié. ce qui relève exclusivement d'actes de parasitisme.

En outre, si les appelants reprochent à la société Filorga un acte contraire aux usages loyaux du commerce rendu possible en raison de leurs relations commerciales passées auxquelles elle a mis fin, ils n'étayent pas davantage ce grief.

Sur ce, si les sociétés Faca démontrent que la réalisation du pot T65 a nécessité la réalisation de trois séries de croquis et que ce dernier présente des qualités techniques et esthétiques qui ne sont au demeurant pas niées par la société Filorga, elles échouent cependant à faire la preuve que ce modèle précis constituerait une valeur économique individualisée, fruit d'un savoir-faire spécifique et ayant fait l'objet d'investissements particuliers. Ainsi, les deux seules pièces produites attestant d'investissements conséquents réalisés dans l'achat de nouvelles machines notamment pour fabriquer des contenants et produire des volumes plus importants sont insuffisants à caractériser cette valeur pour ce produit spécifique.

Les appelants revendiquent également la forte identité de leur pot suite à son exploitation par la société Filorga dans ses campagnes publicitaires. Cependant, outre que les sociétés Faca ne peuvent se prévaloir des investissements en communication et en publicité consentis par la société Filorga pour promouvoir ses produits, ce n'est pas le pot Faca dans son intégralité qui a ainsi été exploité mais, uniquement, sa partie basse sans le couvercle, la marque Filorga et le produit lui-même étant largement mis en avant. Au demeurant, le fait que la société Filorga ait cherché à acquérir les droits sur ce modèle ne peut, à lui seul, être considéré comme démontrant l'existence de la valeur économique alléguée, plutôt que résultant d'une volonté de l'intimée de rentabiliser ses investissements publicitaires pour exploiter au mieux ses gammes de produits cosmétiques et s'assurer de leur préservation.

Enfin, ce pot, qui s'inscrit dans un fonds commun en matière de contenants de crèmes de beauté, est également utilisé par un grand nombre d'acteurs économiques du secteur des cosmétiques pour présenter des soins du visage, de sorte que le trouble illicite causé par les agissements parasitaires reprochés à la société Filorga n'est pas établi avec l'évidence requise en référé.

C'est en conséquence à juste titre que le juge des référés a dit n'y avoir lieu à référé, l'ordonnance déférée étant confirmée de ce chef.

Sur les autres demandes

Les appelants, succombant, seront condamnés in solidum aux dépens d'appel et garderont à leur charge les frais non compris dans les dépens qu'ils ont exposés à l'occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant confirmées.

Enfin, l'équité et la situation des parties commandent de condamner in solidum M. [L] [C] [W] et les sociétés Plasticos Faca, Faca Emballage et Faca France Recipients pour Cosmetique à verser à la société Filorga, une somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Confirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à référé sur le fondement de l'article 834 du code de procédure civile,

Condamne in solidum M. [L] [C] [W] et les sociétés Plasticos Faca, Faca Emballage et Faca France Recipients pour Cosmetique aux dépens d'appel,

Condamne in solidum M. [L] [C] [W] et les sociétés Plasticos Faca, Faca Emballage et Faca France Recipients pour Cosmetique à verser à la société Filorga une somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.