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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 5 décembre 2023, n° 23/04909

RENNES

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

LEMER PAX (S.A.S.)

Défendeur :

RADIOPROTECH (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. CONTAMINE

Conseiller :

Mme. PICOT-POSTIC

Conseiller :

Mme. JEORGER-LE GAC

Avocats :

Me THOUMAZEAU, Me VERRANDO, Me FUDYM-GOUBET

CA Rennes n° 23/04909

4 décembre 2023

Depuis 1970, la société LEMER PAX, dont le siège social est situé à [Localité 2] (44) est une société spécialisée dans le développement, la fabrication et la commercialisation de produits dans le domaine de la médecine nucléaire et de matériel médico-chirurgical..

M. [L], a occupé, de février 2008 à novembre 2012, les fonctions de « responsable de site » au sein de la société MEDISYSTEM. La société MEDISYSTEM était détenue à 100% par la société LEMER PAX et ces deux sociétés ont fusionné. En 2017, après avoir quitté ses fonctions au sein de la société MEDISYSTEM, M. [L] a fondé la société RADIOPROTECH, également spécialisée dans la fabrication de matériel médico-chirurgical et dentaire et dont le siège social est situé à [Localité 4] (69).

Selon la société LEMER PAX, la société RADIOPROTECH reproduirait à l'identique des produits dont la société LEMER PAX et la société MEDISYSTEM avaient assuré le développement et la commercialisation.

Selon la société LEMER PAX :
- les copies réalisées par la société RADIOPROTECH ne se justifient par aucune nécessité technique.
- les produits copiés par la société RADIOPROTECH sont, précisément, ceux ayant rencontré un fort succès commercial.

Elle considère que ces copies constituent des actes de concurrence déloyale visant à installer une confusion entre ses produits et ceux de la société RADIOPROTECH, qui selon elle se livrerait ainsi à des actes de parasitisme.

Par mise en demeure adressée à la société RADIOPROTECH la société LEMER PAX a tenté de faire cesser ces actes de concurrence déloyale mais sans effet.

Elle a ensuite, par acte du 16 juillet 2022, assigné la société RADIOPROTECH devant le tribunal de commerce de Nantes aux fins que celui-ci : - ordonne avant dire droit l'arrêt de la commercialisation de certains produits de la société RADIOPROTECH,

- ordonne une expertise judiciaire aux fins de chiffrer les économies réalisées par la société RADIOPROTECH du fait de ses actes de concurrence déloyale et évaluer son propre préjudice, - à titre principal, interdise la commercialisation de certains produits de la société RADIOPROTECH, et la condamne au paiement de 100.000 euros de dommages et intérêts, avec publication de la décision. La société RADIOPROTECH a soulevé une double incompétence du tribunal de commerce de Nantes : - compétence matérielle, dans la mesure où la société LEMER PAX lui intenterait en fait une action en contrefaçon, comme le démontrerait la référence incessante aux brevets qu'elle détient, - territoriale car elle-même est située dans le ressort de la juridiction de LYON. Par jugement du 31 juillet 2023, le tribunal de commerce de Nantes a : - jugé bien fondée l'exception d'incompétence du Tribunal de Commerce de Nantes ; - s'est déclaré incompétent pour statuer sur la demande de la société Lemer Pax sur la base de l'article L. 615-17 du code de propriété intellectuelle ; - renvoyé l'affaire devant le Tribunal judiciaire de Paris ;

- dit qu'à défaut d'appel dans le délai de quinze jours à compter de la notification du présent jugement, le dossier sera transmis par l'un des greffiers associés de ce Tribunal à Monsieur le Greffier en chef du Tribunal judiciaire de Paris ; - condamné la société Lemer Pax à payer à la société Radioprotech la somme de 3.000 € par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; - condamné la société Lemer Pax aux entiers dépens dont frais de Greffe liquidés à 69.59 € toutes taxes comprises. La société LEMER PAX a formé appel du jugement rendu et autorisée par une ordonnance du 04 septembre 2023, a fait délivrer le 15 septembre suivant une assignation à jour fixe à la société RADIOPROTECH. La société LEMER PAX, dans son assignation, demande que la Cour : - infirme dans toutes ses dispositions le jugement déféré ; - déboute la société RADIOPROTECH de toutes ses demandes ; - juge que le tribunal de commerce de Nantes est compétent pour trancher le litige ; - renvoie l'affaire devant lui, autrement composé ; - condamne la société RADIOPROTECH à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;

- la condamne aux dépens ; dans l'hypothèse où la Cour choisirait d'évoquer le litige, fasse droit aux demandes présentées devant le premier juge. Par conclusions du 29 septembre 2023, la société RADIOPROTECH a demandé à la Cour de : 1. IN LIMINE LITIS, SUR L'EXCEPTION D'INCOMPÉTENCE : - confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nantes le 31 juillet 2023 dont appel en toutes ses dispositions ; Subsidiairement, - déclarer que le tribunal de commerce de Nantes était incompétent, au profit du tribunal judiciaire de Lyon, seul compétent pour statuer sur un litige afférent au droit des marques et de dessins et modèles ; - renvoyer l'affaire devant le tribunal judiciaire de Lyon ; - subsidiairement, renvoyer l'affaire devant le tribunal de commerce de Lyon; 2. A TITRE TRÈS SUBSIDIAIRE, SUR LE FOND si la Cour venait à juger compétent le Tribunal de Commerce de Nantes, - rejeter la demande d'évocation du fond de l'affaire formée par la société LEMER PAX ; - renvoyer les parties à conclure au fond devant le Tribunal de commerce de Nantes ; - débouter la société LEMER PAX de l'ensemble de ses demandes ;

A titre encore plus subsidiaire, dans l'hypothèse d'une évocation du fond de l'affaire par la Cour, - renvoyer en tant que de besoin, l'affaire à la mise en état pour permettre aux parties de conclure au fond devant la Cour d'appel ; - débouter la société LEMER PAX de l'ensemble de ses demandes ; - condamner la société LEMER PAX à payer à la société RADIOPROTECH la somme de 10.000 € pour procédure abusive ; 3. EN TOUT ETAT DE CAUSE, - condamner la société LEMER PAX à payer à la société RADIOPROTECH la somme de 6.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ; - condamner la même aux entiers dépens de la présente instance et de ses suites avec recouvrement direct au profit de Maître Marie VERRANDO; Avocat au Barreau de RENNES, sur son affirmation de droit conformément à l'article 699 du code de procédure civile. MOTIFS DE LA DÉCISION :

Selon les dispo

sitions de l'article L615-17 du code de la propriété intellectuelle, les actions civiles et les demandes relatives aux brevets d'invention, y compris dans les cas prévus à l'article L611-7 ou lorsqu'elles portent également sur une question connexe de concurrence déloyale, sont exclusivement portés devant des tribunaux judiciaires déterminés par voie réglementaire.

Lorsqu'une société titulaire de brevets fonde ses prétentions contre une autre société sur la concurrence déloyale et le parasitisme, elle peut évoquer la titularité de ces brevets comme un fait juridique. Si l'examen des faits de concurrence déloyale et de parasitisme qu'elle invoque n'implique pas l'examen des droits attachés à ses brevets, le tribunal de commerce est compétent pour en connaître.

En revanche, dans le cas contraire, l'affaire relève des juridictions spécialisées évoquées dans les dispositions légales citées ci-dessus.

En l'espèce, la société LEMER PAX expose ne citer ses brevets que pour démontrer l'antériorité de commercialisation de ses produits.

Pour autant, elle demande que soit prononcée 'avant dire droit' des mesures dont le bénéfice est réservée au titulaire incontestable de droits sur les produits qu'il entend protéger, et se prévaut d'un dépôt déloyal de marque.
L'examen de son argumentation et des pièces qu'elle verse aux débats démontre que la société LEMER PAX se prévaut, pour appuyer ses allégations d'actes de concurrence déloyale et de parasitisme, des similarités visuelles plutôt que techniques des produits de la société RADIOPROTECH, qu'elle entend démontrer aux juridictions par la seule production des photos de leurs catalogues respectifs.
Dès lors, le tribunal de commerce est compétent pour en connaître et il lui appartiendra d'examiner ses demandes à l'aune des seuls arguments de concurrence déloyale et de parasitisme qu'elle revendique et à l'exclusion de tout autre qui nécessiterait l'examen de la titularité des droits attachés à un brevet ou à une marque.

Ensuite, le fait que la société RADIOPROTECH dispose d'un site internet est insuffisant à démontrer que le dommage allégué par la société LEMER PAX se soit réalisé au domicile de cette dernière : la société LEMER PAX n'a versé aux débats aucune pièce relative à ce site, ne permettant pas dès lors à la Cour d'en apprécier le contenu non plus que les fonctionnalités. 6 Or, il appartient au demandeur à l'action délictuelle de démontrer qu'il peut déroger à la juridiction du lieu où demeure le défendeur en justifiant du lieu du fait dommageable. En l'absence de cette démonstration, l'affaire est renvoyée devant le tribunal de commerce de Lyon, dans le ressort duquel est établie la société RADIOPROTECH. Consécutivement et par application des dispositions de l'article 88 du code de procédure civile, la présente Cour est dénuée de tout pouvoir pour examiner le litige au fond. La société LEMER PAX est condamnée aux dépens d'appel et chaque partie gardera à sa charge ses propres frais irrépétibles. PAR CES MOTIFS : La Cour, Confirme le jugement déféré en ce que le Tribunal de commerce de Nantes s'est déclaré incompétent pour connaître du litige, L'infirme pour le solde. Statuant à nouveau :

Dit que le tribunal de commerce de LYON est compétent pour connaître du litige, Ordonne le renvoi de l'affaire devant le tribunal de commerce de LYON, Condamne la société LEMER PAX aux dépens d'appel, Rejette les demandes formées sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.