CA Angers, ch. a com., 5 décembre 2023, n° 19/00303
ANGERS
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Corbel
Conseillers :
M. Chappert, M. Gandais
Avocats :
Me Brouin, Me Rocher, Me Loiseau, Me Cavalier
FAITS ET PROCÉDURE
M et Mme [I] étaient directeur et directeur adjoint salariés d'un hôtel exploité par la société Alta hôtellerie alors dirigée par M. [Z] via deux sociétés, Alta finance et Creps.
Suivant acte sous seing privé du 3 juillet 2012, M. [Z] a reconnu devoir à Mme [I] une somme de 147 000 euros, mention écrite de sa main en toutes lettres et en chiffres, remboursable sous un délai de vingt-quatre mois avec les intérêts au taux légal. Il y est stipulé que 'cet accord est confidentiel et ne pourra être communiqué à des tiers sans l'autorisation dûment écrite des deux parties'.
Le 4 juillet 2012, Mme [I] a remis à M. [Z] un chèque à l'ordre de ce dernier, d'un montant de 147 000 euros, qui a été encaissé le lendemain.
Suivant acte sous seing privé du 28 mars 2014, la société Alta hôtellerie et les époux [I] ont conclu, sous condition suspensive, un compromis de cession du fonds de commerce de l'hôtel Campanile de la Gèmerie fixant le prix de cession à 850 000 euros sur lequel il est précisé que l'acquéreur avait déjà versé au cédant un acompte de 147 000 euros. La condition suspensive tenant à l'obtention d'un financement n'ayant pu être levée, la cession n'a pu aboutir.
Par jugement du 3 mars 2015, le tribunal de commerce du Mans a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SAS Alta hôtellerie.
Mme [I] a déclaré au passif de cette société une créance de 147 000 euros, laquelle a été admise, à titre chirographaire, par ordonnance du juge commissaire du 3 février 2016 et figure sur l'état des créances.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 7 février 2017, Mme [I] a vainement demandé à M. [Z] le remboursement de la somme de 147 000 euros et, le 19 juin 2017, l'a assigné en paiement de cette somme.
Par jugement rendu le 23 octobre 2018, le tribunal de grande instance du Mans a :
- condamné M. [Z] à régler à Mme [I] la somme de 147 000 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 4 juillet 2012,
- débouté M. [Z] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- débouté M. [Z] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [Z] à régler à Mme [I] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamne M. [Z] aux dépens, dont distraction au profit de Mme [W] membre de la SELAS Sofriges.
- dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire.
Par déclaration reçue au greffe le 15 février 2019, M. [Z] a interjeté appel de ce jugement en attaquant toutes ses dispositions.
Mme [I] a été intimée.
Les parties ont conclu.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 2 octobre 2023.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
M. [Z] prie la cour de :
- réformer le jugement entrepris.
- débouter l'intimée de tous ses moyens
- condamner Mme [I] à payer à M. [Z] la somme d'un euro symbolique en réparation du préjudice moral subi par ce dernier,
A titre subsidiaire,
- écarter la reconnaissance de dette des débats et débouter l'intimée de toutes ses demandes ;
- A titre plus subsidiaire encore, déduire de toute somme qui serait due par M. [Z] la somme de 13 852,78 euros,
- en tout état de cause condamner Mme [I] à régler à M. [Z] la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux dépens de première instance et d'appel.
M. [Z] expose que la somme de 147 000 euros ne lui a été remise par Mme'[I] que provisoirement pour faire un apport en trésorerie au profit de la société Alta hôtellerie, ce qui a été fait, les fonds n'ayant fait que transiter par lui pour être ensuite virés sur le compte de la société et inscrits comptablement dans un compte de tiers dans l'attente de la régularisation de la cession du fonds de commerce, et ce, en vue de faciliter la survie du fonds de commerce qui était en difficulté financière pour que M. et Mme [I] puissent l'acquérir par la suite. Il déclare avoir proposé d'établir une reconnaissance de dette pour sécuriser Mme'[I].
Il prétend que cette somme remise en 2012 constituait, dès l'origine, un acompte sur une opération de reprise du fonds de commerce de la société Alta hôtellerie, ce qui explique la confidentialité de la reconnaissance de dette qui ne pouvait être levée que d'un commun accord afin d'empêcher une utilisation de l'acte de reconnaissance de dette détournée de l'intention des parties, et que concrétise le compromis de cession du 28 mars 2014 qui fait figurer cette somme en acompte du prix de cession du fonds.
Il fait ainsi valoir que, dès la signature du compromis, les parties ont pris acte officiellement de ce que le bénéficiaire réel de la somme de 147 000 euros était la société Alta hôtellerie. Il en tire la conclusion que la somme reçue en 2012 au titre de laquelle la reconnaissance de dette a été établie n'était pas un prêt personnel le concernant mais un apport fait par Mme [I] à la cédante du fonds, la société Alta hôtellerie, comme le confirmeraient tant la déclaration de créance faite par Mme [I] à la procédure collective de la société Alta hôtellerie qui vaudrait reconnaissance de ce que la débitrice était bien cette société et non pas M. [Z], que le fait que Mme [I] n'a pas réclamé le remboursement des fonds à l'échéance prévue mais a attendu l'ouverture de la procédure collective de la société Alta hôtellerie.
Par suite, il soutient que la reconnaissance de dette du 3 juillet 2012 n'avait qu'une portée provisoire et qu'elle est devenue caduque avec le compromis de vente.
Mme [I] demande à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de grande instance du Mans le 23 octobre 2018,
- déclarer irrecevable et en tous cas mal fondé M. [Z] en son appel,
- condamner M. [Z] à payer la somme de 147 000 euros à Mme [I], avec intérêts au taux légal à compter du 4 juillet 2012, en deniers ou quittances,
- débouter M. [Z] de toutes ses demandes,
- condamner M. [Z] à payer Mme [I] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [Z] aux entiers dépens.
Mme [I] expose que la somme prêtée à M. [Z] a servi à payer le franchiseur de la société Alta hôtellerie, que M. [Z] a dû payer personnellement pour assurer la pérennité de l'entreprise mais elle prétend qu'en aucun cas, il était convenu au moment du prêt personnel du 3 juillet 2012 que cette somme serait une avance sur le prix d'acquisition du fonds de commerce. Elle expose que la somme de 147 000 euros n'ayant toujours pas été remboursée par M. [Z] au moment où la cession du fonds de commerce a été envisagée, il a été prévu que cette somme pourrait venir en déduction du prix de cession, mais que cette cession n'a pas abouti.
Elle soutient que la reconnaissance de dette ne peut être devenue caduque en raison de la signature du compromis, en l'absence de toute stipulation en ce sens tant dans la reconnaissance de dette que dans le compromis.
Elle approuve les motifs des premiers juges ayant, d'une part, écarté une novation par substitution de débiteur en l'absence de volonté de sa part en ce sens du fait de la caducité du compromis de vente en rappelant qu'aux termes de l'article 1273 du code civil, la novation ne se présume pas et , d'autre part, retenu une délégation de paiement en ce que M. [Z] aurait entendu lui donner un autre créancier, comme le prévoit l'article 1275 du code civil, sans pour autant qu'elle ait expressément déclaré qu'elle entendait le décharger de sorte qu'il ne pourrait tout au plus s'agir que d'une délégation imparfaite qui n'opère pas novation. Elle en déduit qu'à défaut de novation et à défaut de paiement de ladite somme, par la société Alta hôtellerie, M. [Z] ne justifie pas d'une cause d'extinction de son obligation envers elle conformément à l'article 1234 du code civil.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 954 du code de procédure civile, à leurs dernières conclusions respectivement remises au greffe :
- le 4 mars 2020 pour M. [Z],
- le 6 octobre 2020 pour Mme [I].
MOTIFS DE LA DÉCISION
Ainsi que les premiers juges l'ont précisé, tous les articles cités sont ceux dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 au regard de la date de la reconnaissance de dette.
Sur la caducité de la reconnaissance de dette
M. [Z] soutient que l'intention des parties en 2012, dès la remise de la somme de 147 000 euros, était de l'affecter au prix de cession lorsque cette opération aurait lieu et que, par suite, la conclusion du compromis de cession du fonds de commerce rendait caduque la reconnaissance de dette conformément à l'intention des parties.
La clause de confidentialité figurant dans l'acte de reconnaissance de dette ne peut à elle-seule suffire à démontrer que les parties avaient la volonté que la reconnaissance de dette devienne 'caduque' en cas de réalisation de l'opération de cession du fonds de commerce alors qu'une telle intention n'est pas exprimée dans l'acte et ne ressort pas des éléments du dossier.
Les pièces produites par M. [Z] confirment la volonté des époux [I] d'acquérir le fonds de commerce depuis 2012 mais ne font pas apparaître l'intention des époux [I] de renoncer au remboursement de la somme de 147 000 euros par M. [Z]. Au contraire, dans son courriel du 3 avril 2015, M.'[I] indique à M. [Z] qu'il n'est pas en possession de l'apport et que 'c'est vous qui nous le devez sous forme de reconnaissance de dette'.
Le fait que les époux [I] et M. [Z] à travers la société Alta hôtellerie aient voulu utiliser cette somme prêtée deux ans plus tôt par Mme [I] à M. [Z] comme acompte du prix de cession du fonds de commerce, sans qu'il soit démontré que cette intention ait existé dès le 3 juillet 2012, ne suffit pas à établir l'accord de Mme [I] pour décharger M. [Z] de son obligation de restitution alors que la cession du fonds de commerce est devenue caduque.
Ainsi, la stipulation dans le compromis de cession selon laquelle une somme de 147 000 euros avait déjà été versée sur le prix de cession, rend débitrice la société cédante, la société Alta hôtellerie, de la restitution de cette somme du fait de la caducité du compromis de vente mais elle ne suffit pas pour opérer substitution de débiteur.
En effet, M. [Z] qui n'invoque d'ailleurs pas la novation, laquelle peut s'opérer par substitution de débiteur selon les dispositions de l'article 1271 du code civil, conteste l'existence d'une délégation que le premier juge a retenu comme étant imparfaite. Il conteste avoir délégué à Mme [I] un autre débiteur en la personne de la société Alta Hôtellerie en faisant valoir, d'une part, que sa dette, qui dans cette hypothèse lui serait personnelle, ne pouvait pas être supportée par une personne morale sauf à commettre un abus de bien social et, d'autre part, toujours dans la même hypothèse, qu'il ne saurait s'agir de la même dette, celle de la société Alta hôtellerie étant contrairement à la sienne, causée par une vente d'actifs.
Pour autant, pour être déchargé de l'obligation de restitution qu'il a souscrite, M.'[Z] n'invoque que la caducité de cet engagement, la réalisation d'une condition résolutoire et la déloyauté de Mme [I].
Or, la caducité touche une convention qui, en cours d'exécution, se trouve privée d'un élément essentiel dont la disparition va provoquer son anéantissement. Elle emporte disparition des effets de la convention pour l'avenir. Force est de constater que M. [Z] ne démontre pas qu'un élément essentiel à l'exécution de la reconnaissance de dette aurait disparu. Il prétend, au contraire, et sans le démontrer, que dès l'origine les parties avaient prévu d'affecter la somme en cause au prix de cession du fonds de commerce. Ce faisant, il n'est pas fondé à invoquer la caducité de la reconnaissance de dette pour transférer à la cédante l'obligation de restituer la somme reçue.
Aucune condition résolutoire n'est stipulée dans l'acte de reconnaissance de dette.
Enfin, M. [Z] caractérise la déloyauté de Mme [I] par le fait d'avoir produit en justice la reconnaissance de dette en violation de la stipulation de confidentialité.
Mais la clause de confidentialité ne fait pas obstacle à ce que l'une des parties demande l'exécution en justice de l'obligation reconnue dans l'acte en cas d'inexécution.
En outre la déloyauté n'est pas une cause d'anéantissement d'un acte juridique.
Sur le montant de la dette
Les époux [I] ont reçu de la liquidation judiciaire de la société Alta hôtellerie la somme de 13 852,78 euros au titre de la restitution partielle de l'acompte versé sur le prix de cession. Il n'est pas démontré que ces fonds seraient à ce jour séquestrés sur un compte Carpa. Il convient de les déduire du montant de la dette
dès lors que Mme [I] ne conteste pas que la somme qu'elle a prêtée à M.'[Z] a été affectée au paiement de l'acompte sur le prix de cession, de sorte que les sommes reçues au titre de la restitution de l'acompte doivent venir en déduction de la somme due par M. [Z], qui se trouve donc réduite à 133 147,22 euros.
Le jugement ne sera réformé que sur le quantum de la dette pour tenir compte du paiement reçu depuis.
Sur les demandes accessoires
Au regard de la solution donnée au litige, la demande de M. [Z] en paiement de dommages et intérêts pour demande abusive, ne peut qu'être rejetée.
M. [Z], partie perdante, est condamné aux dépens d'appel et à payer à Mme'[I] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant contradictoirement, par arrêt mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement entrepris sauf à réduire le principal de la créance à la somme de 133 147,22 euros.
Y ajoutant,
Condamne M. [Z] aux dépens d'appel.
Condamne M. [Z] à payer à Mme [I] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.