Décisions
CA Douai, ch. 1 sect. 2, 30 novembre 2023, n° 22/02443
DOUAI
Arrêt
Autre
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 2
ARRÊT DU 30/11/2023
****
N° de MINUTE :
N° RG 22/02443 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UJCV
Jugement (N° 20/07607)
rendu le 22 février 2022 par le tribunal judiciaire de Lille
APPELANTS
Monsieur [P] [K]
[Adresse 2]
[Localité 4]
La SARL Zorn
prise en la personne de son représentant légal
ayant son siège social [Adresse 1]
[Localité 4]
représentés par Me Gilles Maton, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
INTIMÉE
La SA Leroy Merlin France
prise en la personne de son représentant légal
ayant son siège social [Adresse 5]
[Localité 3]
représentée par Me Loïc Le Roy, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assistée de Me Frédéric Dumont, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Catherine Courteille, président de chambre
Valérie Lacam, conseiller
Véronique Galliot, conseiller
---------------------
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Anaïs Millescamps
DÉBATS à l'audience publique du 11 septembre 2023, après rapport oral de l'affaire par Véronique Galliot.
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 30 novembre 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Catherine Courteille, président, et Anaïs Millescamps, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 12 juin 2023
****
EXPOSE DU LITIGE
La société Leroy Merlin France est une enseigne de la grande distribution spécialisée dans la construction, le bricolage et le jardinage.
La société Zorn est un studio photographique exploité par ses deux gérants, M. [P] [K] et M. [R] [U], respectivement photographe et styliste.
A compter de 1996, la société Leroy Merlin France a confié à la société Zorn la réalisation de prises de vues destinées, par l'illustration de ses supports publicitaires, à assurer la promotion de ses produits.
Le 15 décembre 2005, un contrat de cession de droit d'auteur a été conclu entre ces parties.
Les relations commerciales entre les parties ont pris fin en décembre 2015.
Par acte d'huissier du 25 juillet 2019, la société ZORN a fait assigner la société Leroy Merlin afin de la condamner en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale de leur relation commerciale.
Par jugement du 3 décembre 2020, le tribunal de commerce de Lille Métropole a débouté la société Zorn de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée à payer à la société Leroy Merlin la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'au entiers dépens.
Par déclaration reçue au greffe de la cour d'appel de Douai, la société Zorn a interjeté appel de ce jugement.
Par ordonnance du 27 janvier 2022, le conseiller de la mise en état a déclaré l'appel devant la cour d'appel de Douai irrecevable en ce que seule la cour d'appel de Paris est compétente pour statuer en appel de ce jugement.
Par acte d'huissier en date du 28 mai 2019, M. [P] [K] et la société Zorn ont fait assigner la société Leroy Merlin France France devant le tribunal de grande instance de Lille, en contrefaçon de droits d'auteur portant sur 132 photographies.
Par jugement du 22 février 2022, le tribunal judiciaire de Lille a :
débouté M. [P] [K] et la société Zorn de leurs demandes aux fins de voir dire et juger que la société Leroy Merlin France a commis des actes de contrefaçon ;
En conséquence,
débouté M. [P] [K] et la société Zorn de l'intégralité de leurs demandes ;
débouté la société Leroy Merlin France de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
condamné la société Zorn aux entiers dépens de l'instance ;
condamné la société Zorn à payer la société Leroy Merlin France la somme de 8 000 euros au titre des frais irrépétibles non compris dans les dépens par elle exposées ;
ordonné l'exécution provisoire ;
rejeté toutes demandes, fins et prétentions, plus amples ou contraires, des parties.
Par déclaration reçue au greffe le 18 mai 2022, M. [P] [K] et la société Zorn ont interjeté appel des chefs du jugement les ayant déboutés de leurs demandes et condamné la société Zorn au paiement des dépens et de la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées au greffe le 16 février 2023, M. [P] [K] et la société Zorn demandent, au visa des articles L. 111-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, à la cour de :
les juger recevables et bien fondés en leur appel, en leurs demandes ;
réformer le jugement rendu le 22 février 2022 par le tribunal judiciaire de Lille en ce qu'il les a déboutés de leurs demandes et les a condamné à verser 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
En conséquence :
juger que la société Leroy Merlin France a commis des actes de contrefaçon en reproduisant sans autorisation les photographies litigieuses tant sur ses catalogues que sur son site internet www.leroymerlin.fr ;
juger que la société Leroy Merlin France a violé le droit moral de M. [P] [K] en ne mentionnant pas son nom sur ses catalogues 2016 et 2018 et sur son site internet www.leroymerlin.fr ;
condamner la société Leroy Merlin France à verser à la société Zorn la somme de 295 224 euros en réparation du préjudice matériel subi du fait des actes de contrefaçon ;
condamner la société Leroy Merlin France à verser à M. [P] [K] la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice moral subi;
ordonner à la société Leroy Merlin France de cesser immédiatement l'utilisation des photographies litigieuses et plus généralement de toute photographie leur appartenant à l'un ou à l'autre tant sur ses catalogues futurs que ceux actuellement diffusés et sur son site internet www.leroymerlin.fr ;
ordonner à la société Leroy Merlin France de procéder au retrait de la diffusion de tous les catalogues reprenant les photographies litigieuses, à ses frais et sous astreinte de 200 euros par jour de retard après l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la signification de la décision à intervenir;
ordonner la publication de la décision à intervenir dans trois journaux ou périodiques au choix de la demanderesse aux frais avancés de la société Leroy Merlin France sur simple présentation de devis, sans que le coût global de ces insertions puisse excéder la somme de 6 000 euros HT ;
débouter la société Leroy Merlin France de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
condamner la société Leroy Merlin France à verser à la société Zorn la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner la société Leroy Merlin France à rembourses à la société Zorn l'intégralité des frais d'huissier engagés pour le soutien de la présente procédure sur présentation des factures d'huissier ;
condamner la société Leroy Merlin France aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées au greffe le 5 mai 2023, la société Leroy Merlin France demande à la cour de :
déclarer que la Cour n'est saisie d'aucune prétention de la société Zorn et de M. [P] [K] portant sur la nullité du contrat de cession de droit d'auteur conclu entre la société Zorn et elle le 15 décembre 2005 ;
confirmer le jugement entrepris du 22 février 2022 en toutes ses dispositions ;
débouter la société Zorn et M. [K] de son appel ;
condamner la société Zorn et M. [K] à lui payer à la somme de 20 000 euros (vingt mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner la société Zorn et M. [K] aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions déposées, soutenues à l'audience et rappelées ci-dessus.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 12 juin 2023.
MOTIVATION DE LA DÉCISION
A titre liminaire, il est rappelé que la cour n'est pas tenue de statuer sur les demandes de « dire et juger » ou de « constater » qui ne sont pas des prétentions juridiques.
Il y a lieu également de préciser que si dans le corps des conclusions des appelants, il est indiqué que le contrat de cession du 15 décembre 2015 est nul en ce qu'il porte sur des œuvres futures non déterminées, aucune prétention n'est formulée à ce titre dans le dispositif de leur conclusion. La cour n'a donc pas à statuer sur ce point.
1) Sur la contrefaçon de droit d'auteur
Aux termes du premier alinéa de l'article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous.
Ce droit comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres Ier et III du présent code.
Par ailleurs, l'article L122-4 du même code dispose que toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droits ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque.
Aux termes de l'article L112-1 du code de la propriété intellectuelle, les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination.
L'article L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle dispose
« Sont considérés notamment comme œuvres de l'esprit au sens du présent code :
9° Les œuvres photographiques et celles réalisées à l'aide de techniques analogues à la photographie ; »
Il appartient à celui qui revendique la protection au titre du droit d'auteur de démontrer l'originalité de l'œuvre en cause, et donc d'apporter la preuve de l'existence d'un apport original.
L'originalité s'entend ainsi comme le reflet de la personnalité du créateur, l'œuvre devant se distinguer du domaine public antérieur et porter la trace d'un effort personnel de création et de recherche esthétique dans la combinaison des éléments caractéristiques, ou encore présenter une physionomie propre et nouvelle. L'originalité doit être appréciée au regard d'œuvres déjà connues afin de déterminer si la création revendiquée s'en dégage d'une manière suffisamment nette et significative, et si ces différences résultent d'un effort de création, marquant l'œuvre revendiquée de l'empreinte de la personnalité de son auteur.
En l'espèce, la société Zorn et M. [P] [K] demandent à la cour de dire que la société Leroy Merlin a commis des actes de contrefaçon portant sur plus de 130 photographies et de la condamner à ce titre au paiement des sommes de 295 224 euros en réparation du préjudice matériel et 30 000 euros en réparation du préjudice moral.
Ils soutiennent que durant la période de collaboration, et notamment en 2013, 2014 et 2015, avec la société Leroy Merlin, ils avaient en charge de réaliser des clichés photographiques pour le guide jardin. Ils font valoir que ces clichés sont des œuvres originales qui bénéficient de la protection des dispositions des articles L. 111-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, et qu'à ce titre en les utilisant après la rupture de leur relation commerciale, la société Leroy Merlin a commis des actes de contrefaçon.
Ils affirment que la société Leroy Merlin se contentait de sélectionner les produits qui devaient figurer dans le catalogue ainsi que la mise en page et le dimensionnement des photos. Pour le reste, à savoir la liberté du choix du lieu, des couleurs, des accessoires, des dispositions des produits dans la mise en scène, cela relevait exclusivement de la libre appréciation de l'auteur de la photographie.
Ils soulignent que les photographies litigieuses reflètent le choix du photographe dans la prise de vue, dans la mise en scène, le lieu, l'heure et la mise en place d'un jeu d'ombre. Ils précisent que sur certaines photographies, l'auteur a pris le soin de disposer des éléments de nature à donner l'illusion d'une photographie prise sur l'instant ou encore mettant des éléments flous pour mettre en avant des produits.
Ils précisent que, tout d'abord, ils procédaient au repérage des lieux susceptibles de convenir à la construction du décor, puis qu'une réunion avait lieu entre l'agence de publicité et le photographe et, enfin, ce dernier avait un libre choix quant au lieu, les couleurs, les accessoires et les dispositions des produits. Ils ajoutent que les maquettes produites par la société Leroy Merlin datent de 2016, soit après la réalisation des photographies litigieuses.
La société Leroy Merlin soutient que ces photographies ne sont pas des œuvres originales en ce que le photographe répondait à ses demandes précises et elle justifie, à ce titre, des « briefs » et maquettes transmises au prestataire qui détaillaient comment devait être mis en valeur le produit, objet de la publicité. Elle affirme que les photographies ne reflètent pas la personnalité de leur auteur. En outre, elle ajoute que par contrat du 15 décembre 2005, les appelants avaient cédé leurs droits sur ces photographies.
Si effectivement, il ressort que les maquettes produites par la société Leroy Merlin datent de 2016 soit après la période de relation commerciale entre les parties, c'est à juste titre que le premier juge a souligné que certaines factures de la société Zorn mentionnent des jours de « brief », telle que celle du 27 novembre 2012 ou encore celle du 5 novembre 2013. Ceci signifie bien que la société Leroy Merlin transmettait ses instructions au photographe avant la prise des vues. Il ressort des maquettes et briefs produits au débats que les instructions étaient très précises et imposaient au photographe des contraintes telle que « prise de vue en légère contre-plongée » « journée ambiance ensoleillé ».
Les photographies litigieuses présentent des objets dont il s'agit de faire la publicité. Si le photographe a décidé de leur disposition et d'autres éléments tels que le jeu d'ombre ou encore les couleurs, les photographies ne créent pas un univers ou une atmosphère particulière qui leur permet de sortir de leur seule finalité publicitaire. Elles ne reflètent pas la personnalité du photographe.
Si les appelants affirment que le choix du décor par le photographe pour mettre en avant le produit de Leroy Merlin constitue une marque de sa personnalité, il n'est pas constaté de décors qui soient de nature à révéler l'expression ou encore la sensibilité de son auteur. A ce titre, le choix du caractère bucolique de l'atmosphère des photographies (par exemple les photographies n°10, 17, 55, 56, 57, 60, 85, 86, 87, 88, 89) ne crée pas une originalité particulière en ce qu'il s'agissait de promouvoir des objet pour le catalogue « jardin » de la société Leroy Merlin.
Le photographe a bien utilisé son savoir faire pour mettre en avant l'objet de la publicité, en faisant des choix particuliers, mais cela n'est pas suffisant pour que les photographies soient qualifiées d'œuvres originales. En effet, la mise en scène des objets ou encore les jeux d'ombres qui sont constatés dans certaines photographies (par exemple : n°13, 16, 15, 21, 90) relèvent de la technique du photographe.
Il est également constaté que certaines photographies ne présentent pas d'objet mais uniquement une ambiance bucolique :
la photographie n°18 représente une grappe de tomate,
la photographie n°19 représente une main soutenant trois haricots blancs avec des feuilles à l'arrière,
la photographie n° 20 représente un champs de fleurs vu par le bas.
Ces photographies étaient destinées à alimenter le guide « jardin » de la société Leroy Merlin. Si les appelants affirment qu'elles ont été prises à leur initiative, il s'agissait bien de répondre à la demande de compléter le guide « jardin », et surtout, il n'est pas justifié l'intention de leur auteur ni en quoi elles illustrent la sensibilité de ce dernier.
Ainsi, l'originalité des photographies litigieuses n'est pas démontrée. Elles ne bénéficient donc pas de la protection du droit d'auteur de l'article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle.
La cour estime que le premier juge, par des motifs pertinents qu'elle approuve, a fait une exacte appréciation des faits de la cause et des droits des parties.
Il convient en conséquence de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a débouté la société Zorn et M. [P] [K] de l'ensemble de leurs demandes fondées sur la contrefaçon, à savoir la demande de réparation au titre de leurs préjudices matériel et moral.
En outre, compte tenu de cette décision, les demandes quant à la cessation de l'utilisation des photographies litigieuses, à leur retrait dans les catalogues ainsi qu'à la publicité du présente décision ne peuvent être que rejetées. A ce titre, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté toutes les demandes de la société Zorn et M. [P] [K].
Il y a lieu de préciser qu'étant donné les photographies litigieuses ne bénéficient pas de la protection du code de la propriété intellectuelle, il importe peu de savoir si le contrat de cession du 15 décembre 2005 est nul ou pas.
2) Sur les demandes accessoires
Le jugement sera confirmé de ces chefs.
M. [P] [K] et la société Zorn seront condamnés aux entiers dépens, engagés en appel.
M. [P] [K] et la société Zorn seront condamnés à payer à la société Leroy Merlin la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais engagés en appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
CONFIRME le jugement rendu le 22 février 2022 par le tribunal judiciaire de Lille en ce qu'il a :
débouté M. [P] [K] et la société Zorn de leurs demandes aux fins de voir dire et juger que la société Leroy Merlin France a commis des actes de contrefaçon ;
débouté M. [P] [K] et la société Zorn de l'intégralité de leurs demandes ;
condamné la société Zorn aux entiers dépens de l'instance ;
condamné la société Zorn à payer la société Leroy Merlin France France la somme de 8000 euros au titre des frais irrépétibles non compris dans les dépens par elle exposées ;
rejeté toutes demandes, fins et prétentions, plus amples ou contraires, des parties.
Y ajoutant,
CONDAMNE M. [P] [K] et la société Zorn aux entiers dépens, au titre des frais engagés en appel.
CONDAMNE M. [P] [K] et la société Zorn à payer à la société Leroy Merlin la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais engagés en appel,
Le greffier
Anaïs Millescamps
Le président
Catherine Courteille
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 2
ARRÊT DU 30/11/2023
****
N° de MINUTE :
N° RG 22/02443 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UJCV
Jugement (N° 20/07607)
rendu le 22 février 2022 par le tribunal judiciaire de Lille
APPELANTS
Monsieur [P] [K]
[Adresse 2]
[Localité 4]
La SARL Zorn
prise en la personne de son représentant légal
ayant son siège social [Adresse 1]
[Localité 4]
représentés par Me Gilles Maton, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
INTIMÉE
La SA Leroy Merlin France
prise en la personne de son représentant légal
ayant son siège social [Adresse 5]
[Localité 3]
représentée par Me Loïc Le Roy, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assistée de Me Frédéric Dumont, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Catherine Courteille, président de chambre
Valérie Lacam, conseiller
Véronique Galliot, conseiller
---------------------
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Anaïs Millescamps
DÉBATS à l'audience publique du 11 septembre 2023, après rapport oral de l'affaire par Véronique Galliot.
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 30 novembre 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Catherine Courteille, président, et Anaïs Millescamps, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 12 juin 2023
****
EXPOSE DU LITIGE
La société Leroy Merlin France est une enseigne de la grande distribution spécialisée dans la construction, le bricolage et le jardinage.
La société Zorn est un studio photographique exploité par ses deux gérants, M. [P] [K] et M. [R] [U], respectivement photographe et styliste.
A compter de 1996, la société Leroy Merlin France a confié à la société Zorn la réalisation de prises de vues destinées, par l'illustration de ses supports publicitaires, à assurer la promotion de ses produits.
Le 15 décembre 2005, un contrat de cession de droit d'auteur a été conclu entre ces parties.
Les relations commerciales entre les parties ont pris fin en décembre 2015.
Par acte d'huissier du 25 juillet 2019, la société ZORN a fait assigner la société Leroy Merlin afin de la condamner en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale de leur relation commerciale.
Par jugement du 3 décembre 2020, le tribunal de commerce de Lille Métropole a débouté la société Zorn de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée à payer à la société Leroy Merlin la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'au entiers dépens.
Par déclaration reçue au greffe de la cour d'appel de Douai, la société Zorn a interjeté appel de ce jugement.
Par ordonnance du 27 janvier 2022, le conseiller de la mise en état a déclaré l'appel devant la cour d'appel de Douai irrecevable en ce que seule la cour d'appel de Paris est compétente pour statuer en appel de ce jugement.
Par acte d'huissier en date du 28 mai 2019, M. [P] [K] et la société Zorn ont fait assigner la société Leroy Merlin France France devant le tribunal de grande instance de Lille, en contrefaçon de droits d'auteur portant sur 132 photographies.
Par jugement du 22 février 2022, le tribunal judiciaire de Lille a :
débouté M. [P] [K] et la société Zorn de leurs demandes aux fins de voir dire et juger que la société Leroy Merlin France a commis des actes de contrefaçon ;
En conséquence,
débouté M. [P] [K] et la société Zorn de l'intégralité de leurs demandes ;
débouté la société Leroy Merlin France de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
condamné la société Zorn aux entiers dépens de l'instance ;
condamné la société Zorn à payer la société Leroy Merlin France la somme de 8 000 euros au titre des frais irrépétibles non compris dans les dépens par elle exposées ;
ordonné l'exécution provisoire ;
rejeté toutes demandes, fins et prétentions, plus amples ou contraires, des parties.
Par déclaration reçue au greffe le 18 mai 2022, M. [P] [K] et la société Zorn ont interjeté appel des chefs du jugement les ayant déboutés de leurs demandes et condamné la société Zorn au paiement des dépens et de la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées au greffe le 16 février 2023, M. [P] [K] et la société Zorn demandent, au visa des articles L. 111-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, à la cour de :
les juger recevables et bien fondés en leur appel, en leurs demandes ;
réformer le jugement rendu le 22 février 2022 par le tribunal judiciaire de Lille en ce qu'il les a déboutés de leurs demandes et les a condamné à verser 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
En conséquence :
juger que la société Leroy Merlin France a commis des actes de contrefaçon en reproduisant sans autorisation les photographies litigieuses tant sur ses catalogues que sur son site internet www.leroymerlin.fr ;
juger que la société Leroy Merlin France a violé le droit moral de M. [P] [K] en ne mentionnant pas son nom sur ses catalogues 2016 et 2018 et sur son site internet www.leroymerlin.fr ;
condamner la société Leroy Merlin France à verser à la société Zorn la somme de 295 224 euros en réparation du préjudice matériel subi du fait des actes de contrefaçon ;
condamner la société Leroy Merlin France à verser à M. [P] [K] la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice moral subi;
ordonner à la société Leroy Merlin France de cesser immédiatement l'utilisation des photographies litigieuses et plus généralement de toute photographie leur appartenant à l'un ou à l'autre tant sur ses catalogues futurs que ceux actuellement diffusés et sur son site internet www.leroymerlin.fr ;
ordonner à la société Leroy Merlin France de procéder au retrait de la diffusion de tous les catalogues reprenant les photographies litigieuses, à ses frais et sous astreinte de 200 euros par jour de retard après l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la signification de la décision à intervenir;
ordonner la publication de la décision à intervenir dans trois journaux ou périodiques au choix de la demanderesse aux frais avancés de la société Leroy Merlin France sur simple présentation de devis, sans que le coût global de ces insertions puisse excéder la somme de 6 000 euros HT ;
débouter la société Leroy Merlin France de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
condamner la société Leroy Merlin France à verser à la société Zorn la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner la société Leroy Merlin France à rembourses à la société Zorn l'intégralité des frais d'huissier engagés pour le soutien de la présente procédure sur présentation des factures d'huissier ;
condamner la société Leroy Merlin France aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées au greffe le 5 mai 2023, la société Leroy Merlin France demande à la cour de :
déclarer que la Cour n'est saisie d'aucune prétention de la société Zorn et de M. [P] [K] portant sur la nullité du contrat de cession de droit d'auteur conclu entre la société Zorn et elle le 15 décembre 2005 ;
confirmer le jugement entrepris du 22 février 2022 en toutes ses dispositions ;
débouter la société Zorn et M. [K] de son appel ;
condamner la société Zorn et M. [K] à lui payer à la somme de 20 000 euros (vingt mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner la société Zorn et M. [K] aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions déposées, soutenues à l'audience et rappelées ci-dessus.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 12 juin 2023.
MOTIVATION DE LA DÉCISION
A titre liminaire, il est rappelé que la cour n'est pas tenue de statuer sur les demandes de « dire et juger » ou de « constater » qui ne sont pas des prétentions juridiques.
Il y a lieu également de préciser que si dans le corps des conclusions des appelants, il est indiqué que le contrat de cession du 15 décembre 2015 est nul en ce qu'il porte sur des œuvres futures non déterminées, aucune prétention n'est formulée à ce titre dans le dispositif de leur conclusion. La cour n'a donc pas à statuer sur ce point.
1) Sur la contrefaçon de droit d'auteur
Aux termes du premier alinéa de l'article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous.
Ce droit comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres Ier et III du présent code.
Par ailleurs, l'article L122-4 du même code dispose que toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droits ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque.
Aux termes de l'article L112-1 du code de la propriété intellectuelle, les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination.
L'article L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle dispose
« Sont considérés notamment comme œuvres de l'esprit au sens du présent code :
9° Les œuvres photographiques et celles réalisées à l'aide de techniques analogues à la photographie ; »
Il appartient à celui qui revendique la protection au titre du droit d'auteur de démontrer l'originalité de l'œuvre en cause, et donc d'apporter la preuve de l'existence d'un apport original.
L'originalité s'entend ainsi comme le reflet de la personnalité du créateur, l'œuvre devant se distinguer du domaine public antérieur et porter la trace d'un effort personnel de création et de recherche esthétique dans la combinaison des éléments caractéristiques, ou encore présenter une physionomie propre et nouvelle. L'originalité doit être appréciée au regard d'œuvres déjà connues afin de déterminer si la création revendiquée s'en dégage d'une manière suffisamment nette et significative, et si ces différences résultent d'un effort de création, marquant l'œuvre revendiquée de l'empreinte de la personnalité de son auteur.
En l'espèce, la société Zorn et M. [P] [K] demandent à la cour de dire que la société Leroy Merlin a commis des actes de contrefaçon portant sur plus de 130 photographies et de la condamner à ce titre au paiement des sommes de 295 224 euros en réparation du préjudice matériel et 30 000 euros en réparation du préjudice moral.
Ils soutiennent que durant la période de collaboration, et notamment en 2013, 2014 et 2015, avec la société Leroy Merlin, ils avaient en charge de réaliser des clichés photographiques pour le guide jardin. Ils font valoir que ces clichés sont des œuvres originales qui bénéficient de la protection des dispositions des articles L. 111-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, et qu'à ce titre en les utilisant après la rupture de leur relation commerciale, la société Leroy Merlin a commis des actes de contrefaçon.
Ils affirment que la société Leroy Merlin se contentait de sélectionner les produits qui devaient figurer dans le catalogue ainsi que la mise en page et le dimensionnement des photos. Pour le reste, à savoir la liberté du choix du lieu, des couleurs, des accessoires, des dispositions des produits dans la mise en scène, cela relevait exclusivement de la libre appréciation de l'auteur de la photographie.
Ils soulignent que les photographies litigieuses reflètent le choix du photographe dans la prise de vue, dans la mise en scène, le lieu, l'heure et la mise en place d'un jeu d'ombre. Ils précisent que sur certaines photographies, l'auteur a pris le soin de disposer des éléments de nature à donner l'illusion d'une photographie prise sur l'instant ou encore mettant des éléments flous pour mettre en avant des produits.
Ils précisent que, tout d'abord, ils procédaient au repérage des lieux susceptibles de convenir à la construction du décor, puis qu'une réunion avait lieu entre l'agence de publicité et le photographe et, enfin, ce dernier avait un libre choix quant au lieu, les couleurs, les accessoires et les dispositions des produits. Ils ajoutent que les maquettes produites par la société Leroy Merlin datent de 2016, soit après la réalisation des photographies litigieuses.
La société Leroy Merlin soutient que ces photographies ne sont pas des œuvres originales en ce que le photographe répondait à ses demandes précises et elle justifie, à ce titre, des « briefs » et maquettes transmises au prestataire qui détaillaient comment devait être mis en valeur le produit, objet de la publicité. Elle affirme que les photographies ne reflètent pas la personnalité de leur auteur. En outre, elle ajoute que par contrat du 15 décembre 2005, les appelants avaient cédé leurs droits sur ces photographies.
Si effectivement, il ressort que les maquettes produites par la société Leroy Merlin datent de 2016 soit après la période de relation commerciale entre les parties, c'est à juste titre que le premier juge a souligné que certaines factures de la société Zorn mentionnent des jours de « brief », telle que celle du 27 novembre 2012 ou encore celle du 5 novembre 2013. Ceci signifie bien que la société Leroy Merlin transmettait ses instructions au photographe avant la prise des vues. Il ressort des maquettes et briefs produits au débats que les instructions étaient très précises et imposaient au photographe des contraintes telle que « prise de vue en légère contre-plongée » « journée ambiance ensoleillé ».
Les photographies litigieuses présentent des objets dont il s'agit de faire la publicité. Si le photographe a décidé de leur disposition et d'autres éléments tels que le jeu d'ombre ou encore les couleurs, les photographies ne créent pas un univers ou une atmosphère particulière qui leur permet de sortir de leur seule finalité publicitaire. Elles ne reflètent pas la personnalité du photographe.
Si les appelants affirment que le choix du décor par le photographe pour mettre en avant le produit de Leroy Merlin constitue une marque de sa personnalité, il n'est pas constaté de décors qui soient de nature à révéler l'expression ou encore la sensibilité de son auteur. A ce titre, le choix du caractère bucolique de l'atmosphère des photographies (par exemple les photographies n°10, 17, 55, 56, 57, 60, 85, 86, 87, 88, 89) ne crée pas une originalité particulière en ce qu'il s'agissait de promouvoir des objet pour le catalogue « jardin » de la société Leroy Merlin.
Le photographe a bien utilisé son savoir faire pour mettre en avant l'objet de la publicité, en faisant des choix particuliers, mais cela n'est pas suffisant pour que les photographies soient qualifiées d'œuvres originales. En effet, la mise en scène des objets ou encore les jeux d'ombres qui sont constatés dans certaines photographies (par exemple : n°13, 16, 15, 21, 90) relèvent de la technique du photographe.
Il est également constaté que certaines photographies ne présentent pas d'objet mais uniquement une ambiance bucolique :
la photographie n°18 représente une grappe de tomate,
la photographie n°19 représente une main soutenant trois haricots blancs avec des feuilles à l'arrière,
la photographie n° 20 représente un champs de fleurs vu par le bas.
Ces photographies étaient destinées à alimenter le guide « jardin » de la société Leroy Merlin. Si les appelants affirment qu'elles ont été prises à leur initiative, il s'agissait bien de répondre à la demande de compléter le guide « jardin », et surtout, il n'est pas justifié l'intention de leur auteur ni en quoi elles illustrent la sensibilité de ce dernier.
Ainsi, l'originalité des photographies litigieuses n'est pas démontrée. Elles ne bénéficient donc pas de la protection du droit d'auteur de l'article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle.
La cour estime que le premier juge, par des motifs pertinents qu'elle approuve, a fait une exacte appréciation des faits de la cause et des droits des parties.
Il convient en conséquence de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a débouté la société Zorn et M. [P] [K] de l'ensemble de leurs demandes fondées sur la contrefaçon, à savoir la demande de réparation au titre de leurs préjudices matériel et moral.
En outre, compte tenu de cette décision, les demandes quant à la cessation de l'utilisation des photographies litigieuses, à leur retrait dans les catalogues ainsi qu'à la publicité du présente décision ne peuvent être que rejetées. A ce titre, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté toutes les demandes de la société Zorn et M. [P] [K].
Il y a lieu de préciser qu'étant donné les photographies litigieuses ne bénéficient pas de la protection du code de la propriété intellectuelle, il importe peu de savoir si le contrat de cession du 15 décembre 2005 est nul ou pas.
2) Sur les demandes accessoires
Le jugement sera confirmé de ces chefs.
M. [P] [K] et la société Zorn seront condamnés aux entiers dépens, engagés en appel.
M. [P] [K] et la société Zorn seront condamnés à payer à la société Leroy Merlin la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais engagés en appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
CONFIRME le jugement rendu le 22 février 2022 par le tribunal judiciaire de Lille en ce qu'il a :
débouté M. [P] [K] et la société Zorn de leurs demandes aux fins de voir dire et juger que la société Leroy Merlin France a commis des actes de contrefaçon ;
débouté M. [P] [K] et la société Zorn de l'intégralité de leurs demandes ;
condamné la société Zorn aux entiers dépens de l'instance ;
condamné la société Zorn à payer la société Leroy Merlin France France la somme de 8000 euros au titre des frais irrépétibles non compris dans les dépens par elle exposées ;
rejeté toutes demandes, fins et prétentions, plus amples ou contraires, des parties.
Y ajoutant,
CONDAMNE M. [P] [K] et la société Zorn aux entiers dépens, au titre des frais engagés en appel.
CONDAMNE M. [P] [K] et la société Zorn à payer à la société Leroy Merlin la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais engagés en appel,
Le greffier
Anaïs Millescamps
Le président
Catherine Courteille