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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. com., 5 décembre 2023, n° 21/06276

BORDEAUX

Arrêt

Autre

CA Bordeaux n° 21/06276

5 décembre 2023

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 05 DECEMBRE 2023

N° RG 21/06276 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MNJ2

S.C.O.P. S.A. CREDIT COOPERATIF

c/

Monsieur [P] [I]-[X]

Nature de la décision : MIXTE - EXPERTISE

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 16 mars 2021 (R.G. 2020F00021) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 16 novembre 2021

APPELANTE :

S.C.O.P. S.A. CREDIT COOPERATIF, prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis, [Adresse 2]

représentée par Maître Laura DESVERGNES, substituant Maître Thierry WICKERS de la SELAS ELIGE BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉ :

Monsieur [P] [I]-[X], né le [Date naissance 3] 1981 à [Localité 6], de nationalité Française, demeurant Chez [D] [J] - [Adresse 5]

représenté par Maître Floriane VERDIER, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 31 octobre 2023 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,

Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,

Madame Sophie MASSON, Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

EXPOSE DU LITIGE:

Par acte du 10 octobre 2011, la société Les Editions Gynethic a souscrit auprès de la SA Crédit Coopératif, un prêt d'un montant de 250 000 euros au taux d'intérêt contractuel de 4,1 % l'an.

Le même jour, M. [V] [G], gérant de la société, et M. [P] [I] [X] se sont portés caution solidaire au bénéfice de la société Crédit Coopératif dans la limite de la somme de 90 000 euros chacun.

Le 15 mai 2014, M. [I]-[X] s'est engagé en qualité de caution solidaire de la société Les Editions Gynethic, pour une durée de 10 années, dans la limite de la somme de 42 000 euros, en garantie de l'ensemble des engagements de la société Les Editions Gynethic.

Par acte du 27 mai 2015, la société Lou Médias Invest, détenant 95 % du capital social de la société Les Editions Gynethic depuis le mois d'août 2014, a souscrit auprès de la société Crédit Coopératif, un prêt d'un montant de 150 000 euros au taux d'intérêt contractuel de 2,9 % l'an.

Par acte du 27 mai 2015, M. [I] [X] s'est porté caution solidaire en garantie des engagements de la société Lou Medias Invest au bénéfice de la société Crédit Coopératif dans la limite de la somme de 90 000 euros.

Le 21 avril 2015, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Les Editions Gynethic, convertie en liquidation judiciaire par jugement du 09 janvier 2018. Le 13 avril 2016, la créance de la société Crédit Coopératif a été admise au passif de la société Les Editions Gynethic pour les montants de 19 335,54 et de 143 826,24 euros en principal.

Par courrier du 19 avril 2018, la société Crédit Coopératif a prononcé la déchéance du prêt octroyé à la société Lou Medias Invest.

Le 29 juin 2018, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire de la société Lou Medias Invest.

Par actes des 05 et 17 décembre 2019, la société Crédit Coopératif a fait assigner, respectivement, M. [I] [X] et M. [G] devant le tribunal de commerce de Bordeaux en paiement des sommes dues par eux aux termes de leurs engagements de caution.

Par jugement du 16 mars 2021, le tribunal a statué comme suit :

- à l'égard de M. [G],

- condamne M. [G] à payer à la société Crédit Coopératif la somme de 43 147,87 euros augmentée des intérêts au taux de 4,10 % à compter du 17 juillet 2015 et jusqu'au parfait paiement,

- dit que M. [G] pourra s'acquitter de sa dette en 24 versements mensuels égaux, le premier intervenant à échéance de 2 mois après signification du présent jugement, le dernier comportant, outre le solde de la créance, les intérêts et les frais et qu'à défaut d'un seul versement à son échéance, la totalité des sommes restant dues en principal, intérêts et frais deviendra de plein droit immédiatement exigible,

- déboute la société Crédit Coopératif de sa demande en paiement de la somme de 19 355,54 euros au titre de l'acte de caution de 42 000 euros,

- déboute M. [G] de son recours contre M. [I] [X] sur sa demande de nullité des actes de nullité des actes de cautionnement,

- à l'égard de M. [I] [X],

- déboute la société Crédit Coopératif de ses demandes à l'encontre de M. [I] [X] sur les trois actes de cautionnement en raison de la disproportion, à savoir les actes de caution de 90 000 euros du 07 octobre 2011, de 42 000 euros du 15 mai 2014, et de 90 000 euros du 27 mai 2015,

- constate la rupture abusive des concours bancaires octroyés à la société Les Editions Gynethic,

- déboute M. [I] [X] de sa demande de préjudice financier à hauteur de 1 918 200 euros et de préjudice moral à hauteur de 20 000 euros,

- dit que l'exécution provisoire est de droit,

- dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamne la société Crédit Coopératif aux entiers dépens.

Selon déclaration du 16 novembre 2021, la société Crédit Coopératif a interjeté appel de cette décision, énonçant les chefs de la décision expressément critiqués, intimant M. [I] [X].

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 12 octobre 2023, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Crédit Coopératif, présente les prétentions suivantes;

- la cour déclarera l'appel recevable et bien fondé,

- la cour réformera la décision entreprise,

- la cour dira n'y avoir lieu à aucune constatation relativement à la rupture des concours à la société LEG,

- la cour rejettera des débats les pièces communiquées au mois d'octobre 2023, en dehors de celles relatives au surendettement,

- la cour condamnera M. [I] [X] au paiement de :

- la somme de 43 147,87 euros augmentée des intérêts au taux 4,10 à compter du 17 juillet 2015 et jusqu'au parfait paiement, ou à défaut des intérêts au taux légal à compter de la première mise en demeure,

- la somme de 19 355,54 euros augmentée des intérêts au taux à compter du 17 juillet 2015 et jusqu'au parfait paiement, ou à défaut des intérêts au taux légal à compter de la première mise en demeure,

- la somme de 56 122,36 euros augmentée des intérêts au taux 5,90 % à compter du 04 juillet 2018 et jusqu'au parfait paiement, ou à défaut des intérêts au taux légal à compter de la première mise en demeure,

- la cour le condamnera au paiement d'une indemnité de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- le condamnera également aux entiers dépens de l'instance,

- ordonnera la capitalisation des intérêts par année entière à compter de la première mise en demeure, ou à défaut à compter de l'assignation.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 13 octobre 2023, auxquelles la cour se réfère expressément, M. [I] [X], demande à la cour de

vu les articles R. 411-19 et suivants du code de propriété intellectuelle,

vu les articles 700, 902 et suivants du code procédure civile,

vu les pièces versées au débat,

- sur l'appel principal de la société Crédit Coopératif :

- débouter la société Crédit Coopératif de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux en date du 16 mars 2021 (RG 2020F00021) en ce qu'il a :

- débouté la société Crédit Coopératif de l'ensemble de ses demandes à son encontre sur les trois actes de cautionnement en raison de la disproportion, à savoir les actes de caution de 90 000 euros du 07 octobre 2011, de 42 000 euros du 15 mai 2014 et de 90 000 euros du 27 mai 2015,

- constaté la rupture abusive des concours bancaires octroyés à la société Les Editions Gynethic,

- condamné la société Crédit Coopératif aux dépens,

- sur l'appel incident formé par lui :

- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux en date du 16 mars 2021 (RG 2020F00021) en ce qu'il a :

- l'a débouté de sa demande de préjudice financier à hauteur de 1 918 000 euros et de préjudice moral à hauteur de 20 000 euros,

- dit n'y avoir lieu a l'application de l'article 700 du code de procédure civile,

- et statuant à nouveau sur les chefs de jugement critiqués,

- condamner société Crédit Coopératif à lui verser la somme de 2 045 000 euros au titre de son préjudice financier,

- à titre subsidiaire et si la cour d'appel ne devait pas suffisamment s'estimer eclairée,

- avant dire droit,

- ordonner une mesure d'expertise judiciaire dont le coût sera à la charge de la société Crédit Coopératif et désigner pour y procéder tel expert qu'il lui plaira, avec mission de proceder à l'évaluation de ses parts sociales dans la société Lou Medias Invest, au mois de janvier 2018, d'une part, et à la date du dépôt de son rapport, d'autre part, et qu'il devra le remettre dans un délai de trois mois,

- renvoyer l'affaire à la première date utile de la mise en état après dépôt du rapport,

- à titre infiniment subsidiaire,

- condamner la société Crédit Coopératif à lui verser la somme de 118 625,77 euros au titre de la perte de chance de ne pas être appelé dans le cadre de son engagement de caution,

- en tout état de cause,

- condamner la société Crédit Coopératif à lui verser la somme de 20 000 euros au titre de son préjudice moral subi du fait de la rupture abusive des concours à la société Les Editions Gynetic,

- condamner la société Crédit Coopératif à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code procédure civile,

- condamner la société Crédit Coopératif aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 17 octobre 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience du 31 octobre 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

En considération des articles 15 et 16 du code de procédure civile, aucun motif ne justifie que soient écartées des débats les pièces communiquées par M. [I]-[X] par message électronique en date du 9 octobre 2023, dès lors que la société Crédit Coopératif a pu en prendre connaissance avec un délai suffisant avant la clôture.pour y répondre utilement.

Sur les créances de la société Crédit Coopératif :

1- Au vu des pièces contractuelles versées au débat, le montant non contesté des créances de la société Crédit Coopératif doit être fixé comme suit :

Au titre du prêt de 250 000 euros n°1107977 :

- capital restant dû au 21 avril 2015 (et non 2014 comme indiqué par erreur dans la déclaration de créances et dans les conclusions): 133 938.25 euros,

- intérêts au taux de 4.10% l'an du 21 avril 2014 au 20 octobre 2018: 9887.99 euros

2- Il est stipulé dans l'acte de cautionnement que le créancier ne pourra mettre en jeu celui-ci qu'à hauteur de 30 % du montant à échoir en principal outre 20 % d'intérêts, frais, commissions et accessoires.

3- Les frais, commissions et accessoires n'étant pas précisés en l'espèce, la créance de la banque à l'encontre de la caution ressort à :

- 40'181,47 euros en principal

-1977,59 euros en intérêts

soit un total de 42 159.06 euros

4- Au titre du solde débiteur au 20 avril 2015 du compte de dépôt ouvert par la société Editions Gynethi: 19'355,54 euros débiteur, M. [I]-[X] est tenu à la totalité de cette somme puisqu'il s'est engagée à concurrence de la somme de 42'000 euros

5- Au titre du prêt n°15056780 d'un montant de 150'000 euros consenti à la société Lou Media Invest :

- capital restant dû : 106 899,74 euros après déchéance du terme le 19 avril 2018

- indemnité contractuelle de 5 % 5344,99 euros

soit un total de 112 244.73 euros.

Il est stipulé à l'acte de cautionnement que le créancier garanti ne pourra mettre en jeu cet acte qu'à hauteur de 50 % du montant à échoir en principal de l'obligation garantie majorée de 20 % d'intérêts, frais commissions et accessoires.

6- La créance de la banque à l'encontre de Monsieur [I]-[X] ressort ainsi à 56122.36 euros en principal.

Sur les contestations opposées par M. [I]-[X], concernant le caractère manifestement disproportionné de ses engagements en qualité de caution :

Sur le cautionnement de 90 000 euros :

7- La société Crédit Coopératif fait valoir que M. [I]-[X] ne fournit aucun élément concernant la valeur de son patrimoine au moment de la souscription du cautionnement du 7 octobre 2011 d'un montant de 90 000 euros et ne rapporte pas la preuve qui lui incombait du caractère manifestement disproportionné de son engagement.

Elle fait grief au jugement de ne pas avoir tiré les conséquences de cette carence, ni pris en compte le fait que M. [I]-[X] était propriétaire de 50 % des parts de la société Les Editions Gynethic dont il était le fondateur.

8- M. [I]-[X] réplique que la fiche de renseignement complétée par ses soins révélait l'absence de patrimoine immobilier et de valeur mobilières, et l'existence de revenus mesuels de 2216 euros en 2010 et de 3200 euros en 2011, et de 38400 euros en 2011, dont le montant nettement était inférieur aux échéances du prêt.

Sur ce :

9- Selon les dispositions de l'article L.341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction apllicable au litige, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

Il appartient à la caution, personne physique, qui entend se prévaloir du caractère manifestement disproportionné du cautionnement à ses biens et revenus, lors de la souscription de son engagement, d'en apporter la preuve.

Il est constant, en droit, que l'engagement de caution conclu par une personne physique au profit d'un créancier professionnel ne doit pas être manifestement disproportionné aux biens et revenus tels qu'ils sont indiqués dans la déclaration de la caution, dont le créancier, en l'absence d'anomalies apparentes, n'a pas à vérifier l'exactitude.

10- Contrairement à ce que soutient M. [I]-[X], la disproportion ne devait pas s'apprécier au regard des modalités de remboursement du prêt accordé à la société Les Editions Gynethic par échéances mensuelles de 3428.72 euros, mais uniquement au regard de ses revenus et biens au moment de son engagement.

11- En l'espèce, le 7 septembre 2011, en préalable à son engagement en qualité de caution solidaire, M. [I]-[X] avait certifié sincère et signé une fiche de renseignements patrimoniaux, dont il résultait qu'il était célibataire, directeur des Editions Gynethic, et qu'il disposait d'un revenu annuel de 26 600 euros.

12- Les revenus de sa compagne Mme [N] [E] (18000 euros nets par an) ne devaient pas être pris en compte dans l'appréciation du caractère proportionné de l'engagement, et la banque n'en tire d'ailleurs pas argument.

13- Il n'a porté dans la fiche de renseignement aucune mention dans les tableaux relatifs au patrimoine immobilier et aux valeurs mobilières.

Dans le cadrfe de l'instance, la banque fait état des parts sociales détenues par M. [I]-[X].

14- Il ressort effectivement de la pièce 38 de l'appelante que M. [P] [I] était titulaire de 375 parts dans le capital social de la SARL Les Editions Gynethic, fixé à 7500 euros, lors de la constitution de la société le 1er octobre 2008.

15- Dès lors que l'existence de cet élément de patrimoine, non signalé sur la fiche de renseignements, est établie de manière irréfutable et d'ailleurs non contestée par la caution, il incombait à cette dernière de produire tous éléments comptables permettant d'établir la valeur de ces 375 parts le 10 octobre 2011; étant précisé à cet égard que la simple valeur nominale des parts à la date de constitution de la société trois années plus tôt ne peut être retenue, s'agissant au surplus d'une société ayant connu un essort économique rapide ainsi que M. [I]-[X] l'indique lui-même.

16- Il s'en évince que M. [I]-[X] ne rapporte pas la preuve, dont il avait la charge, du caractère manifestement disproportionné de son engagement de caution, au titre du cautionnement de 90 000 euros.

Sur le cautionnement du 15 mai 2014 d'un montant de 42 000 euros :

17- Les renseignements certifiés sincères par M. [I]-[X] le 30 mars 2014, en préalable à son second engagement, faisaient apparaître les éléments suivants :

- des revenus annuels de 81600 euros (soit 4800 euros par mois de salaire et 2000 euros par mois de revenu d'une licence de marque). Il doit être précisé à cet égard que M. [I]-[X] ne peut invoquer le montant réel de ses revenus, tels qu'ils résultent de son avis d'impôt 2014 sur les revenus perçus en 2013 (60541 euros de salaire et 24000 euros de BNC soit un total de 76381 euros), faute pour lui d'avoir donné des renseignements exacts, la fiche ne comportant par ailleurs aucune anomalie apparente),

- une charge d'emprunt déclarée de 3576 euros par an (et non par mois contrairement à ce qu'indique M. [I]-[X] dans ses conclusions).

soit un revenu annuel net de 78024 euros.

Contrairement à ce que soutient M. [I]-[X], il importe peu que la fiche d'analyse des renseignements patrimoniaux ait été complétée par l'agence bancaire le 21 mai 2014, dès lors qu'il ne conteste pas avoir signé la fiche dûment complétée par son soins le 30 mars 2014, un mois et demi à peine avant la signature de son engagement, et qu'il n'allègue aucun changement dans dans sa situation patrimoniale durant cette période. Il n'existe à cet égard aucun manquement à un devoir de mise en garde contrairement à ce qu'indique M. [I]-[X].

18- Ainsi que la banque le fait valoir à juste titre, il convient de prendre en compte la valeur en capital de la marque CAUSETTE dont était propriétaire M. [I]-[X], sur une base comprise entre 4 et 7 fois le montant de la redevance (base non contestée par M. [I]-[X] qui n'en propose pas d'autre) ce qui représente une valorisation comprise entre 96000 euros et 168 000 euros.

19- Il y a lieu de tenir compte du montant de l'engagement de caution de 2011.

Ainsi que la banque le rappelle à bon droit, à la date du 15 mai 2014, le capital restant dû du prêt de 250 000 euros consenti le 11 octobre 2011 n'était plus que de 168812 euros (selon tableau d'amortissement versé au débat). Selon les stipulations de l'acte de cautionnement, le créancier ne pouvait le mettre en jeu qu'à concurrence de 30 % du montant à échoir en principal, majoré de 20% d'intérêts, frais, commissions et accessoires. L'engagement de M. [I]-[X] était donc de 168812 x 30%= 50643 euros en principal. Au vu du tableau d'amortissement, les intérêts restant à échoir s'élevaient à 38012.48 - 21673.70 = 16338.78 euros, de sorte que l'engagement au titre des intérêts s'élevait à 3267.75 euros. Le total de l'engagement résiduel ressortait ainsi à 53 910.75 euros.

Le montant total des engagements au 15 mai 2014 était donc de 53910.75 + 42000 = 95 910.75 euros.

20- M. [I]-[X] ne donne aucune indication concernant la valeur de ses parts sociales dans le capital de la société les Editions Gynethic le 15 mai 2014.

En toutes hypothèses, la preuve du caractère manifestement disproportionné de ce second engagement n'est pas rapportée, puisque la valeur de la marque Causette était, à elle-seule, équivalente au montant des engagements, sans même tenir compte des revenus nets sur un an (78024 euros) ni de la valeur des parts sociales.

21- La banque est donc fondée à se prévaloir de ce cautionnement, et le jugement devra être infirmé de ce chef.

Concernant le cautionnement du 27 mai 2015 (90 000 euros) :

22- En l'absence de fiche de renseignements complétée avant ce dernier engagement, M.[I]-[X] est fondée à invoquer sa situation réelle de revenus et de charges à la date du 27 mai 2015.

23- Il résulte de son avis d'impôt 2015 que M. [I]-[X] avait perçu au cours de l'année 2014 83324 euros de salaires et 24000 euros de BNC (revenus de la marque), soit un total de 107 324 euros (avant déduction forfaitaire et abattement).

Son engagement initial de 2011 ne portait plus que sur la somme de 130 967.15 x30% = 39 290.14 euros, outre l'engagement de 42000 euros, soit un total de 81 290.14 euros.

Compte tenu de la valorisation de la marque CAUSETTE(comprise entre 96000 euros et 168 000 euros) et de la valeur des parts détenues par M. [I]-[X] dans le capital de la société Editions Gynethic (soit 2 millions d'euros au vu notamment du prix d'achat, par la société Lou Media invest de 7.5 % de ces mêmes parts, soit 150 000 euros), la preuve n'est nullement rapportée du caractère manifestement disproportionné du cautionnement de 90'000 euros souscrit le 27 mai 2015 par Monsieur [I]-[X].

24- En conséquence le jugement devra être infirmé sur ce point.

25- Il convient en définitive de faire droit aux demandes en paiement de la banque au titre des actes de cautionnement, avec intérêt au taux légal à compter de la première mise en demeure, ainsi qu'indiqué au dispositif.

Sur la demande de dommages-intérêts au titre de la rupture des concours bancaires :

26- M. [I]-[X] soutient que la banque a brusquement retiré ses concours à la société Les Editions Gynethic, sans motif ni préavis, à la fin de l'été 2017, en lui refusant de manière injustifiée une ligne d'escompte en méconnaissance de la pratique antérieure, puis en procédant à la clôture du compte de cette société, en mettant ainsi fin aux découverts en compte.

Il ajoute que la banque a procédé de manière abusive à la déchéance du terme en ce qui concerne le prêt de 150 000 euros qui avait été consenti à la société Lou Media Invest, le 27 mai 2015, précipitant ainsi la cessation de paiement de cette société.

27- La société Crédit Coopératif conteste toute responsabilité au titre d'une rupture des concours bancaires, et souligne qu'il n'existe aucun lien de causalité entre le refus d'escompter deux billets à ordre reçus le 4 aout 2017 et la liquidation judiciaire de la société Les éditions Gynethic.

Elle ajoute qu'elle a pu procéder à la déchéance du terme du prêt consenti à la société Lou Media Invest, sur le fondement de l'article 12.3 du contrat, dès lors que celle-ci avait cédé les marques dont elle étaient propriétaire, qui constituaient les éléments essentiels du fonds de commerce, de sorte que ses garanties étaient compromises.

Sur ce :

28- Selon les dispositions de l'article L.313-12 du code monétaire et financier, tout concours à durée indéterminée, autre qu'occasionnel, qu'un établissement de crédit ou une société de financement consent à une entreprise, ne peut être réduit ou interrompu que sur notification écrite et à l'expiration d'un délai de préavis fixé lors de l'octroi du concours. Ce délai ne peut, sous peine de nullité de la rupture du concours, être inférieur à soixante jours. Dans le respect des dispositions légales applicables, l'établissement de crédit ou la société de financement fournit, sur demande de l'entreprise concernée, les raisons de cette réduction ou interruption, qui ne peuvent être demandées par un tiers, ni lui être communiquées. L'établissement de crédit ou la société de financement ne peut être tenu pour responsable des préjudices financiers éventuellement subis par d'autres créanciers du fait du maintien de son engagement durant ce délai.

L'établissement de crédit ou la société de financement n'est pas tenu de respecter un délai de préavis, que l'ouverture de crédit soit à durée indéterminée ou déterminée, en cas de comportement gravement répréhensible du bénéficiaire du crédit ou au cas où la situation de ce dernier s'avérerait irrémédiablement compromise.

Le non-respect de ces dispositions peut entraîner la responsabilité pécuniaire de l'établissement de crédit ou de la société de financement.

29- En l'espèce, le tribunal a relevé à juste titre l'existence de crédits de mobilisation portés au crédit du compte courant de la société Les éditions Gynethic, en décembre 2014, janvier 2015 et février 2015, pour un montant total de 281600 euros, en cinq pérations.

30- Toutefois, les relevés bancaires versés au débat pour les années 2015 à 2017 ne révèlent pas la poursuite d'une pratique d'escomptes de billets à ordre, autre qu'occasionnelle.

31- Dès lors, le refus, opposé par la banque par courriel du 4 aout 2017 à 14h20, d'ouvrir une ligne d'escompte pour les billets à ordre tirés par MLP le 25 juillet 2017, d'un montant de 51 275 euros à échéance au 25 aout 2017, et le 24 juillet 2017 d'un montant de 97800 euros, à échéance au 7 septembre 2017, ne peut être considéré comme une rupture fautive de concours bancaire.

32-Au surplus, la preuve n'est pas rapportée de l'existence d'un lien de causalité entre ce refus et la défaillance définitive de la société Les éditions Gynethic.

33- A cet égard, la banque souligne à juste titre qu'elle a proposé à M. [I]-[X], par courriel du 7 aout 2017 à 10 h18, l'étude d'un dossier factor pour avancer les billets à ordre; M. [I]-[X] ne démontre pas avoir donné suite à cette proposition qui lui avait été faite immédiatement et qui était de nature à permettre la mobilisation d'effets.

34- Le rapport d'expertise-comptable (pièce 45 de M. [I]-[X]) réalisé à sa demande, a certes été régulièrement versé au débat, et soumis à la libre discussion des parties, toutefois il ne pourrait fondée une décision de condamnation que s'il était conforté par d'autres éléments.

Or, en l'absence de production de pièces relatives à l'exécution du plan de redressement de la société, il n'est pas démontré que le refus d'escompte du 4 aout 2017 soit en lien de causalité certain avec la résolution du plan de redressement de la société, prononcé par jugement en date du 9 janvier 2018, fixant la date de cessation des paiements au 3 novembre 2017.

Par ailleurs, M. [I]-[X] fait état de la plainte qu'il avait déposée pour des faits d'abus de biens sociaux, abus de crédit, abus de pouvoir, abus de confiance ayant donné lieu à un rappel à la loi notifié le 31 janvier 2020 à la demande du Procureur de la République de Paris (dont la société Crédit Coopératif conteste la réalité). Il sera toutefois constaté que cette notification n'a aucune incidence directe sur la présente instance, et ne peut avoir de valeur probante sur l'existence d'un lien de causalité entre les fautes alléguées et la liquidation judiciaire de la société Les Editions Gynethic.

35- Dès lors, au vu des pièces produites, aucune responsabilité n'est démontrée de ce chef.

36- Par ailleurs, M. [I]-[X] soutient que la banque a refusé brutalement un découvert en compte à la société Les Editions Ginethic, à la fin de l'été 2017.

37- Il n'est produit au débat aucune pièce caractérisant une dénonciation de concours de la part de la banque au titre du solde débiteur du compte courant, ni même une mise en demeure préalable d'avoir à réduire le solde débiteur.

38- La seule circonstance que la banque ne conclut pas sur ce point devant la cour ne vaut pas de sa part reconnaissance de la réalité de la rupture fautive des concours bancaires au titre de ce découvert.

39- En application de l'article 9 du code de procédure civile, il incombait donc à [I]-[X] de prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention, étant ici rappelé que les conclusions du rapport d'expertise amiable non contradictoire ne peuvent être retenues que si elles sont confortées par d'autres éléments.

40- Or,il n'est pas justifié en l'espèce d'une autorisation écrite fixant le montant du découvert maximum autorisé sur le compte.Il n'est pas non plus justifié du solde moyen débiteur que la banque aurait accepté dans le cadre d'une pratique antérieure constante.

41- Par ailleurs, aucune indication n'est donnée sur la date à laquelle la clôture aurait été constatée, de fait; et l'absence de relevés du compte courant postérieurs à juin 2017, ne permet pas de démontrer l'existence de rejets d'effets ou de virements, ni la clôture effective du compte en dépit de l'exécution en cours du plan de redressement.

42- La faute de la banque n'est donc pas démontrée à ce titre.

Sur la déchéance du terme du prêt consenti à la société Lou Media Invest :

43- Selon les stipulations de l'article 12-3 des conditions générales du contrat la créance du prêteur devenait immédiatement exigible, sans mise en demeure préalable, en cas, notamment, de cession, location ou mise en location-gérance du fonds de commerce.

44- Par courrier du 28 mai 2018, la banque a notifié à la société Lou Media Invest la déchéance du terme du prêt en raison de la cession de la marque Causette le 12 février 2018.

45- Il apparait toutefois que l'objet social de la société Lou Media Invest ne se limitait pas à la simple acquisition d'actifs d'autres sociétés, ni même à l'exploitation de la marque du magazine Causette, puisqu'elle avait également une activité de conseil en investissement, conseil dans le domaine de la presse et plus généralement de l'édition.

46- Dans ses écritures, la banque ne conteste d'ailleurs pas l'existence d'un fonds de commerce et se réfère même au jugement qui en a fait mention, pour en demander confirmation.

47- Dès lors, quelque soit la valeur de l'actif représenté par la marque Causette, par rapport aux autres éléments du fonds de commerce de la société Lou Media Invest, la banque ne pouvait prononcer immédiatement la déchéance du terme sur le fondement de la clause précitée, compte tenu de ses termes clairs, qui ne pouvaient donner lieu qu'à une interprétation stricte dès lors qu'elle dispensait la banque de toute mise en demeure préalable.

48- Il en résulte que la banque a commis une faute en prononçant dans ces conditions l'exigibilité anticipée du capital du prêt, dont la caution est fondée à se prévaloir, dès lors qu'elle constitue bien une rupture d'un concours bancaire.

Sur la réparation du préjudice subi :

49- Seul peut donner lieu à indemnisation le préjudice démontré, en rapport de causalité certain avec la résiliation anticipée et fautive du prêt consenti à la société Lou Media Invest, puisque la faute de la banque n'est pas retenue au titre d'une rupture fautive des concours bancaires consentis à la société Les Editions Gynethic.

50- Dès lors, la perte de revenus en qualité de directeur de la publication au sein des Editions Gynethic ne peut donner lieu à indemnisation, de même que celle au titre du préjudice moral consécutif à la rupture des concours à la société Les Editions Gynethic.

51- M. [I]-[X] sollicite par ailleurs l'indemnisation de la perte de ses apports personnels au sein des sociétés du Groupe (14 000 euros), et celle de ses parts sociales à savoir 82,71 % des parts qu'il détenait dans le capital de la société Lou Media Invest.

En l'absence d'éléments suffisants, il convient d'ordonner avant dire droit une expertise afin de déterminer si la déchéance du terme du prêt de 150 000 euros a provoqué la cessation des paiements de la société Lou Media Invest, et, le cas échéant, quelle perte patrimoniale en est résultée pour M. [I]-[X], par perte de valeur de ses parts sociales, et par perte de chance de ne pas être appelé en paiement en qualité de caution.

Sur les demandes accessoires :

Il n'y a pas lieu de faire en l'état de la procédure application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Les dépens sont réservés.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement, contradictoirement et par arrêt mixte :

Dit n'y avoir lieu à écarter des débats les pièces notifiées par M. [I]-[X] le 9 octobre 2023,

Infirme le jugement, en ce qu'il a rejeté les demandes de la société Crédit Coopératif au titre des actes de cautionnements,

Statuant à nouveau,

Dit que les engagements de M. [P] [I]-[X] en qualité de caution solidaire n'étaient pas manifestement disproportionnés à ses biens et revenus,

En conséquence,

Condamne M. [P] [I]-[X] à payer à la société Crédit Coopératif :

- la somme de 43 147,87 euros avec intérêt au taux légal à compter du 28 mai 2018,

- la somme de 19 355,54 euros avec intérêt au taux légal à compter du 28 mai 2018,

- la somme de 56 122,36 euros avec intérêt au taux légal à compter du 04 juillet 2018,

Infirme le jugement en ce qu'il a constaté la rupture abusive des concours bancaires consentis à la société Les Editions Gynethic,

Statuant à nouveau de ce chef,

Dit que M. [I]-[X] ne rapporte pas la preuve d'une rupture fautive de concours bancaires octroyés à la société Les Editions Gynethic,

Rejette la demande de dommages-intérêts de M. [I]-[X], pour préjudice patrimonial et moral, au titre d'une rupture fautive de concours bancaires octroyés à la société Les Editions Gynethic,

Dit que la société Crédit Coopératif a prononcé de manière fautive la déchéance du terme du prêt de 150 000 euros consenti à la société Lou Media Invest,

Avant dire droit sur les demandes d'indemnisation de M. [I]-[X], pour préjudice patrimonial, au titre de la perte de valeur de ses parts et de la perte de chance de ne pas être appelé en qualité de caution de la société Lou Media Invest:

Ordonne une expertise,

Désigne pour y procéder M. [W] [L], expert près la cour d'appel de Bordeaux, [Adresse 4]

Tél : [XXXXXXXX01].

Mèl : [Courriel 7], avec la mission suivante :

Après avoir convoqué régulièrement les parties, et pris connaissance des pièces du dossier,

- Fournir à la juridiction tous éléments permettant d'apprécier si la déchéance du terme du prêt n°15056780 de 150 000 euros prononcée par la société Crédit Coopératif le 28 mai 2018 est en lien de causalité avec la cessation de paiements de la société Lou Media Invest, ayant conduit à l'ouverture de la liquidation judiciaire de cette société, par jugement du 29 juin 2018, ou si la cessation des paiements de la société existait indépendamment de cette déchéance du terme,

- Evaluer les parts sociales détenues par M. [I]-[X] dans le capital social de la société Lou Media Invest, à la date de la déchéance du terme, le 28 mai 2018,

Dit que l'expert accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du code de procédure civile et notamment qu'il entendra les parties, s'expliquera sur leurs dires et observations et sur toutes difficultés auxquelles ses opérations et constatations pourraient donner lieu, s'entourera de tous renseignements utiles et consultera tous documents produits pouvant l'éclairer s'il y a lieu;

Dit que lors de la première ou au plus tard de la deuxième réunion des parties, l'expert dressera un programme de ses investigations et évaluera d'une manière aussi précise que possible le montant prévisible de ses honoraires et de ses débours;

Dit qu'à l'issue de cette réunion, l'expert fera connaître au magistrat chargé du contrôle des expertises :

- la somme globale qui lui paraît nécessaire pour garantir en totalité le recouvrement de ses honoraires et de ses débours, et sollicitera le cas échéant, le versement d'une consignation complémentaire ;

- son avis sur l'opportunité d'appeler un tiers aux opérations d'expertise ;

Rappelle que conformément aux dispositions des articles 278 et 278-1 du code civil l'expert peut se faire assister dans l'accomplissement de sa mission par la personne de son choix qui intervient sous son contrôle et sa responsabilité, et peut prendre l'initiative de recueillir l'avis d'un autre technicien, mais seulement dans une spécialité distincte de la sienne ;

Dit que, sauf accord contraire des parties, l'expert commis devra adresser aux parties un pré-rapport de ses observations et constatations afin de leur permettre de lui adresser un Dire récapitulant leurs arguments sous un délai de un mois ;

Dit que le magistrat de la chambre en charge du contrôle des expertises suivra les opérations d'expertise et statuera sur les éventuels incidents,

Dit que l'expert déposera son rapport dans un délai de HUIT mois après réception de l'avis de consignation,

Fixe à 5000 euros le montant de la provision que M. [I]-[X] devra consigner auprès du régisseur d'avances et de recettes de la cour d'appel de Bordeaux, à titre d'avance sur les honoraires de l'expert, dans un délai de deux mois à compter de la présente décision, à peine de caducité de celle-ci,

Surseoit à statuer sur les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président