Décisions
CA Montpellier, ch. com., 5 décembre 2023, n° 22/01305
MONTPELLIER
Arrêt
Autre
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 5 DECEMBRE 2023
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 22/01305 - N° Portalis DBVK-V-B7G-PK3O
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 11 JANVIER 2022
TRIBUNAL DE COMMERCE DE NARBONNE
N° RG 2020 002428
APPELANTE :
S.A.R.L. CDD prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 9]
[Adresse 9]
[Localité 5]
Représentée par Me Pierre André MERLIN de la SELARL LEXEM CONSEIL, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant
Représentée par Me Pierre-Jonathan SANS, avocat au barreau de TOULOUSE substituant Me Nicolas BOSCHIN, avocat au barreau de TOULOUSE, avocat plaidant
INTIMEES :
Madame [C] [X] veuve [R]
née le 1er Juillet 1933 à [Localité 5] (11)
de nationalité Française
[Adresse 8]
[Localité 5]
Représentée par Me Fanny LAPORTE, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Yann GARRIGUE de la SELARL LEXAVOUE MONTPELLIER GARRIGUE, GARRIGUE, LAPORTE, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant
Représentée par Me Anne TOSI, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant
Madame [J] [R] épouse [G]
née le 17 Octobre 1963 à [Localité 7] (11)
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Fanny LAPORTE, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Yann GARRIGUE de la SELARL LEXAVOUE MONTPELLIER GARRIGUE, GARRIGUE, LAPORTE, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant
Représentée par Me Anne TOSI, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant
Madame [I] [S] épouse [O]
née le 04 Janvier 1958 à [Localité 5] (11)
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Christine AUCHE HEDOU, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Jacques Henri AUCHE de la SCP AUCHE HEDOU, AUCHE - AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 03 Octobre 2023
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 OCTOBRE 2023, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :
Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre
Mme Anne-Claire BOURDON, conseillère
M. Thibault GRAFFIN, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Audrey VALERO
ARRET :
- Contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, initialement prévue au 28 novembre 2023 et prorogée au 5 décembre 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre, et par Mme Audrey VALERO, greffière.
EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte sous-seing privé en date du 29 mars 2001, M. [M] [R], propriétaire des murs et du fonds de commerce de vente de vins et spiritueux, spécialités alimentaires du Languedoc-Roussillon, exploité sous l'enseigne « CDD ' Centre Dégustation Diffusion », sis à [Localité 6] a conclu un contrat de location-gérance du fonds de commerce avec Mme [I] [S], épouse [O], pour une durée d' un an jusqu'au 31 mars 2002, renouvelable par tacite reconduction, avec faculté de résiliation à l'expiration de chaque période annuelle moyennant un préavis de trois mois.
Suite au décès de M. [M] [R] survenu le 9 novembre 2015, la propriété du fonds de commerce a été transmise à Mme [C] [X] veuve [R] et à sa fille, Mme [J] [R] épouse [G]. Le 28 décembre 2015, un avenant au contrat de location-gérance a été signé.
Par acte sous seing privé du 3 octobre 2018, une promesse de cession de fonds de commerce a été signée sous conditions suspensives entre Mmes [C] [X] et [J] [R] d'une part et M. [E] [T] d'autre part, avec faculté de substitution de ce dernier.
Par lettre du 22 décembre 2018, Mme [I] [O] a résilié son contrat de location-gérance avec effet au 24 mars 2019.
Le 18 mars 2019, un acte de cession de fonds de commerce a été signé entre Mmes [C] [X] et [J] [R], cédantes, et la société CDD (qui s'est substituée à M. [E] [T]), cessionnaire, au prix de 700 000 euros dont 500 000 euros ont étés versés ce même-jour et 200 000 euros payables au moyen d'un crédit-vendeur de trois échéances.
Ce même jour, par ailleurs, par acte authentique du 18 mars 2019, l'ensemble immobilier servant à l'exploitation du fonds a été cédé par les consorts [R] à la SCI Bâtiment CDD détenue par M. [T] au prix de 1 500 000 €.
Par assignation en date du 26 mai 2020, la SCI Bâtiment CDD a assigné en référé les vendeurs qui ont appelé en la cause l'ancienne locataire gérante du fonds de commerce aux fins d'expertise des désordres et non-conformités affectant le bâtiment.
Par exploits des 19 et 25 septembre 2020, la société CDD a assigné Mme [J] [R], Mme [I] [O] et Mme [C] [X] pour les voir condamner à lui communiquer plusieurs documents, à lui payer la somme principale de 475 892,39 euros au titre de divers dommages-intérêts.
Par jugement en date du 11 janvier 2022, le tribunal de commerce de Narbonne a :
- dit que la SARL CDD n'apporte pas la preuve, ni dans sa réalité, ni dans son quantum :
- du montant de 208 810 euros sollicité à titre de dommages et intérêts pour le poste de préjudice intitulé « Préjudice de perte de chiffre d'affaire et de marge brute '' ;
- du montant de 37 341 ,37 euros sollicité à titre de dommages et intérêts pour le poste de préjudice intitulé « Préjudice relatif à la charge salariale supplémentaire liée à la remise en activité du commerce » et l'a débouté de ces chefs de demande ;
- dit que la SARL CDD n'apporte pas la preuve que le montant du préjudice intitulé « Préjudice relatif au nettoyage du site et à la création d'une nouvelle marque de BIB » sollicité à hauteur de 3 000 euros serait justifié dans sa réalité et l'a débouté de ce chef de demande,
- débouté la SARL CDD de ses demandes de paiement :
- de la somme de 51 609,84 euros à titre de dommages et intérêts au titre du poste de préjudice intitulé « Préjudice relatif au matériel non conforme à l'engagement des cédantes »,
- de la somme de 36 018,04 euros à titre de dommages et intérêts pour le poste de préjudice intitulé « Préjudice de reconstruction du site internet »,
- sursis à statuer sur les demandes de paiement :
- de la somme de 122 000 euros à titre de dommages et intérêts concernant le poste de préjudice intitulé « Coûts adossés aux non-conformités de l'ensemble immobilier » dans l'attente du rapport d'expertise,
- de la somme de 2 113,14 euros à titre de dommages et intérêts concernant le poste de préjudice intitulé « Préjudice lié aux frais d'expertise et de contrôle » dans l'attente du rapport d'expertise ;
- dit que l'affaire sera rappelée à l'audience du juge chargé d'instruire l'affaire du 3 janvier 2023 à 15 heures concernant les demandes de dommages et intérêts de la SARL CDD relativement au poste de préjudice intitulé « Coûts adossés aux non-conformités de l'ensemble immobilier » et au poste de préjudice intitulé « Préjudice lié aux frais d'expertise et de contrôle »,
- débouté la SARL CDD de sa demande de paiement de la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts concernant le poste intitulé « Préjudice image »,
- débouté la SARL CDD de sa demande de communication d'un ensemble de documents sous astreinte,
- débouté Mme [I] [O] de l'ensemble de ses demandes,
- constaté l'exécution provisoire,
- dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- et réservé les dépens, taxe et liquide ceux du greffe à la somme de 115,47 euros dont 19,25 euros de TVA.
Le 7 mars 2022, la SARL CDD a relevé appel de ce jugement.
Par conclusions du 16 novembre 2022, elle demande à la cour au visa des articles 564, 565 et 566 du code de procédure civile, de l'article L. 141-3 du code de commerce et des articles 1104, 1112-1, 1616, 1194, 1217, 1223, 1231-1, 1606, 1616, 1644 et 1645 du code civil :
- d'annuler ou à tout le moins réformer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a débouté Mme [O] de ses demandes ;
Statuant à nouveau,
in limine litis :
- de constater que la demande de compensation de son préjudice par la société CDD n'est pas une demande nouvelle en appel, et de la déclarer recevable ; - de dire que la demande de nomination d'un expert, à titre subsidiaire, pour éclairer le juge sur la définition du préjudice de la société CDD n'est pas une demande nouvelle en appel, et la déclarer recevable ;
- de débouter en conséquence les intimées de leur demandes, tendant à l'irrecevabilité des demandes de compensation et des demandes destinées à écarter les prétentions adverses formulées par la société CDD ;
à titre principal :
- de débouter Mme [C] [X] veuve [R], et Mme [J] [R] épouse [G], les Cédantes, et Mme [I] [O], la locataire-Gérante, de toutes leurs demandes ;
- de les condamner solidairement à payer à la société CDD la somme de 133.540,52 euros à titre de dommages-intérêts ;
- d'ordonner la compensation des dommages et intérêts avec la dernière échéance du crédit vendeur restant à payer au 31 décembre 2022 pour un montant de 66 668 euros ;
à titre subsidiaire :
- de nommer un expert avec pour mission d'éclairer le juge sur l'évaluation le montant du préjudice subi par la société CDD du fait des manquements des Cédantes, et plus particulièrement sur les postes de préjudices suivants :
- l'impact de la délivrance partielle sur la valeur du Fonds ;
- le coût de la restructuration des données commerciales, comptables et fiches produits au regard du temps affecté par le dirigeant et les salariés de l'entreprise ;
- le coût de la restructuration du site Internet aujourd'hui accessible à l'adresse https://cddsud.fr/ au regard du temps affecté par le dirigeant et les salariés de l'entreprise ;
- la perte de chiffre d'affaires et de marge brute liée à l'absence de conformité du Fonds ;
- la perte de chiffre d'affaires et de marge brute liée aux travaux de mise en conformité du local commercial.
et en tout état de cause :
- de condamner solidairement Mme [C] [X], veuve [R], Mme [J] [R], épouse [G] et Mme [I] [O] à lui payer à la société CDD la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
Par conclusions du 7 septembre 2023, Mme [J] [G] née [R] et Mme [C] [X] veuve [R] demandent à la cour, au visa des articles 378 et 564 du code de procédure civile ainsi que des articles 1240 et suivants du code civil :
in limine litis,
- de déclarer irrecevables les demandes nouvelles formées par l'appelante ;
pour le surplus,
à titre principal,
- de réformer le jugement entrepris en ce qu'il a ordonné le sursis à statuer sur les demandes de dommages-intérêts de la SARL CDD intitulés « coûts adossés aux non- conformités de l'ensemble immobilier » et « préjudice lié aux frais d 'expertise et de contrôle »,
en conséquence, statuant à nouveau, de débouter la SARL CDD de l'ensemble de ses demandes dirigées contre elles,
à titre subsidiaire,
- de confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions,
à titre infiniment subsidiaire,
- de condamner Mme [O] à les relever de toutes condamnations qui pourraient être mises à leur charge,
et en tout état de cause,
- de condamner la partie succombant au paiement de la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Par conclusions du 20 septembre 2022, Mme [I] [O] demande à la cour, au visa des articles 1193, 1199, 1353, 1719, 1720, 1754 et 1755 du code civil :
- de rejeter toutes demandes contraires,
à titre principal,
- de réformer le jugement dont appel et statuant à nouveau :
- de la mettre hors de cause, et DE rejeter l'intégralité des demandes dirigées contre elle,
à titre subsidiaire,
- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SARL CDD de de ses demandes,
- de le réformer en ce qu'il a ordonné un sursis à statuer sur les demandes de dommages et intérêts de la SARL CDD intitulées « Coûts adossés aux non- conformités de l'ensemble immobilier » et « Préjudice lié aux frais d 'expertise et de contrôle », et statuant à nouveau :
- de débouter la SARL CDD de l'intégralité de ses demandes, en ce compris la demande nouvelle en cause d'appel d'expertise judiciaire,
- de la débouter de ses demandes indemnitaires à défaut d'évaluation contradictoire et détaillée de son préjudice prétendu,
- de rejeter comme irrecevable toute demande formulée par la SARL CDD relativement à la vétusté de l'immeuble, la SARL CDD étant simple locataire dudit bien,
et en toute hypothèse,
- de condamner la partie défaillante aux entiers dépens et à lui verser la somme de 8 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il est renvoyé, pour l'exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est datée du 3 octobre 2023.
MOTIFS :
La société CDD fait valoir au soutien de son appel qu'à la date du 1er juin 2022 elle demeure redevable de la dernière échéance du crédit vendeur dont le paiement est prévu au 31 décembre 2022 d'un montant global de 66 668 € ; qu'après la signature de l'acte de cession du fonds de commerce et l'acte de vente de l'immobilier d'exploitation, elle a constaté de nombreux manquements aux engagements contractuels de la part des cédantes ; que ses réclamations auprès des cédantes ou de la locataire-gérante sont demeurées vaines ; qu'en application de l'article 1217 du code civil, les sanctions applicables aux inexécutions contractuelles sont cumulables et des dommages-intérêts peuvent toujours s'y ajouter ; que la société CDD est fondée à invoquer sur le fondement de la responsabilité délictuelle un manquement contractuel de la locataire-gérante qui lui a causé un dommage ; que la société évalue son préjudice global à la somme de 130 093,92 € et s'en tient en appel aux dommages issus de :
- l'effacement des données nécessaires à la reprise de l'activité, à savoir la suppression des données commerciales, comptables et informatiques ainsi que des archives, faisant partie intégrante des éléments du fonds cédé suite à la suppression volontaire des données ;
- l'absence de délivrance du site Internet attaché au fonds accessible à l'adresse cddsud.com, ce qui a été constaté par procès-verbaux d' huissier en date des 25 et 28 mars 2019 ;
- la délivrance partielle du matériel nécessaire à l'exploitation du fonds de commerce, le matériel vétuste ou manquant ayant dû être remplacé ;
- le défaut de conformité des locaux d'exploitation du fonds de commerce aux normes d'hygiène et d'accessibilité des établissements recevant du public (cf. rapport Veritas du 5 août 2019) et la présence d'infiltrations et d'inondations dans les locaux malgré l'engagement pris par les cédantes de réparer la toiture et l'ensemble des infiltrations, ainsi que de fournir un local d'exploitation exempt de travaux ;
- et le défaut de continuité dans l'exploitation et la gestion du fonds de commerce dans des conditions normales jusqu'à l'entrée en jouissance du cessionnaire.
Il convient de relever en premier lieu que l'appelante fait valoir exactement que ses demandes de compensation des dommages-intérêts avec la dernière échéance du crédit-vendeur ainsi que celle tendant à la nomination d'un expert judiciaire à titre subsidiaire afin de chiffrer son préjudice ne sont pas nouvelles, pour tendre aux mêmes fins ou être l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire de ses demandes de première instance au sens des articles 565 et 566 du code de procédure civile, d'où il suit le rejet du moyen d'irrecevabilité opposé à ces prétentions.
La société CDD produit un tableau en page 29 de ses écritures, aux termes duquel elle chiffre le montant de ses demandes à la somme totale de 133 540,52 € au titre de :
1. Reconstitution des données - remise en activité du fonds : 10 953,37 €
2. Reconstruction du site Internet : 10 196,60 €
3. Remplacement du matériel non conforme : 50 018,96 €
4. Constat et contrôle des installations : 5 233,77 €
5. Nettoyage du site non réalisé : 1 000 €
6. Perte de chiffre d'affaires et de marge brute : 41 137,82 €
7. Préjudice d'image : 15 000 €
Sur la reconstitution des données, la remise en activité du fonds et la reconstruction du site Internet
L'acte de cession prévoyait à l'article 1 et à l'article 9 et 2.10 (en pages 6 et 19) que le fonds était composé « de l'ensemble des éléments incorporels et corporels nécessaires à son exploitation comprenant notamment (') les archives commerciales, techniques et sociales, (') les informations juridiques, comptables et commerciales liées à l'exploitation du fonds, (') les contrats nécessaires à l'exploitation du fonds. »
Tous ces engagements ont été expressément stipulés comme un élément «déterminant du consentement du cessionnaire sans lesquelles il n'aurait pas contracté la cession de fonds de commerce ».
Or, au jour de l'entrée en jouissance du fonds de commerce le 25 mars 2019, la société CDD déplore avoir constaté que les données importantes des logiciels transmis nécessaires à l'exploitation du fonds avaient été supprimées: l'ensemble des données quantitatives contenues dans le registre logiciel relatif aux mouvements de stocks, la nomenclature se rattachant au code-barres des produits rendant impossible le passage en caisse des produits approvisionnés, les historiques d'achat des clients rendant impossible l'exploitation à des fins commerciales du fichier clients, ainsi que les données comptables.
L'appelante a en effet fait constater par Me [V] [A], huissier, selon procès-verbal des 25 mars 2019 au jour de la prise de possession du fonds et 28 mars 2019 établi en présence de deux techniciens informatiques des sociétés JDC et Axion informatique, que les serveurs et les archives papier ne contenaient plus les données commerciales suivantes :
- le plan comptable indispensable à la gestion comptable a été supprimé ;
- les dossiers compta papier n'étaient plus présents dans les locaux ;
- les dossiers fournisseurs retraçant les échanges et négociations commerciales, les tarifs des années précédentes et de l'année en cours ;
- l'ensemble des factures achat des fournisseurs ;
- l'ensemble des factures clients rendant impossible le suivi de la prospection et de la commercialisation des produits ;
- les lettres et courriels à destination des fournisseurs ainsi que de la clientèle;
- les listes de diffusion permettant un démarchage commercial et l'envoi de documentation commerciale, tels la corbeille de fin d'année pour les clients habituels.
Me [A] s'est fait expliquer le 25 mars 2019 leur cheminement par les informaticiens et procédé aux captures d'écran correspondant, notamment des messages « d'erreur » bloquant la progression, et l'impossibilité d'accéder au site WEB aux adresses www.cddsud.fr et www.cddsud.com pourtant valides, un message « Pour cause de maintenance, votre boutique en ligne est temporairement inaccessible » apparaissant.
L'huissier a pu constater de visu « l'absence de documents comptables-papier dans le bureau. En effet les classeurs étiquetés et les étagères sont vides de tout contenu. »
Le 28 mars suivant, l'huissier a été à nouveau contacté pour constater les difficultés lors de l'étiquetage des produits en rayon. Me [A] relate notamment ainsi que « (') le produit déjà en référence est scanné en caisse mais il ressort identifié avec un prix de vente à zéro ».
Les fiches des produits cartonnés mentionnant les prix de vente et les données techniques des produits vendus ne figuraient plus aux rayons de vente du magasin qui doivent permettre l'information du consommateur sur les caractéristiques des produits vendus et nécessaires à l'activité.
Les éléments du procès-verbal de Me [A] sont corroborés par le compte rendu d'intervention de l'informaticien Axion observant :
« Logiciel de compta Quadratus est vide de toute donnée, vierge de tout dossier .
Logiciel est à re paramétrer intégralement comme une nouvelle installation.
Les données bureautique- partage sur serveur : le dossier est intégralement vide .
Kwisatz, pas de données d'historique de vente : plus de tickets, ni d'historiques clients
Sauvegarde en ligne AOP :
Résiliation le 20 mars 2019.
Suppression des huit antivirus et des deux logiciels de sauvegarde.
En conclusion : Les historiques de données ont été méthodiquement supprimés de l'ensemble des différents logiciels utilisés »
La dernière sauvegarde externalisée a été réalisée le 20 mars 2019 et le contrat avec le prestataire a été résilié deux jours après le transfert de propriété du fonds à la société CDD, ces éléments techniques n'étant pas discutés par les intimées.
Il est dès lors constant que le contrat avec le prestataire informatique pour les sauvegardes externes des données nécessaires à l'exploitation du fonds a été résilié par la locataire-gérante préalablement à l'entrée en jouissance de la société CDD et que les logiciels de sauvegarde et antivirus avaient été supprimés.
La locataire-gérante, Mme [O], ne saurait donc soutenir comme elle l'avait indiqué le 22 mars 2019, que toutes les données « figuraient sur les systèmes informatiques » et que certaines données informatisées figuraient sur une clé USB remises par la locataire-gérante à Mme [G], cédante, en l'état des constats supra et alors que la clé USB ne s'est avérée contenir que des données générales déjà communiquées (contrat de travail des salariés, bilan des années précédentes et contrats des prestataires), insuffisantes à assurer la continuité numérique de l'activité.
La SARL CDD demande une somme de 10 196,60 € à titre de dommages et intérêts pour la reconstruction du site Internet.
Elle invoque l'article 1 de l'acte de cession du fonds de commerce lequel prévoyait qu'il était composé :
- du nom de domaine http://www.cddsud.fr
- et de l'intégralité des droits, y compris des droits de propriété intellectuelle, relatifs au site Internet à l'adresse http://www.cddsud.fr et à ses composants,
Les cédantes déclarant in fine de cet article 1 « avoir fait le nécessaire pour assurer la continuité des contrats et des prestations au profit du cessionnaire».
À son entrée en jouissance du fonds de commerce le 25 mars 2019, la société CDD a constaté que le site Internet n'était plus accessible à l'adresse ci-dessus indiquée ce qui été constaté comme décrit supra, l'adresse étant indiquée à l'écran sur Internet et la page d'accueil du site de présentation et de commande en ligne s'affichant avec l'annonce d'un site en maintenance non consultable, de sorte que le site étant bloqué, aucune commande en ligne ne pouvait être passée.
De même, l'informaticien de la société Axion précise qu'il n'a retrouvé sur le mail de [Courriel 4] que des mails datés du 23 mars seulement tous ceux d'avant cette date ayant disparu, alors que chaque utilisateur avait un mail et son historique.
Tous les courriels antérieurs à la date 22 mars 2019, soit le jour où la locataire- gérante avait restitué le fonds, avaient disparu.
Le cessionnaire est fondé à soutenir que le site Internet est une composante du fonds pris en location-gérance en 2001 dans la mesure où s'il n'existait pas en 2001, le contrat de location-gérance prévoit bien que celui-ci comprend «Toutes augmentations, améliorations, substitutions ou modifications qui pourront être apportées à la suite de l'un quelconque des éléments du fonds.»; et que par suite le site Internet utilisant pour nom de domaine CDD, attaché au fonds, et générant des ventes au profit de ce fonds est une composante du fonds de commerce à laquelle la clientèle CDD est attachée et il devait donc être restitué par la locataire-gérante au loueur du fonds, les cédantes, et donc cédé au cessionnaire avec toutes ses composantes.
Lors de l'établissement de l'état des lieux de sortie avec inventaire établi le 22 mars 2019, en présence de l'ensemble des parties, le même huissier de Justice, Me [A] a noté que "Les ordinateurs et caisses sont tous connectés afin d'être testés et vérifiés, cependant alors que Mme [O] veut présenter un achat en caisse, M. [T] intervient pour préciser qu'il est inutile de perdre du temps maintenant car il a mandaté ses informaticiens pour une vérification dès lundi prochain'.
M. [T], qui n'est pas davantage qu'elles un professionnel de l'informatique, a voulu abréger la longueur de l'inventaire contradictoire en attendant l'intervention des informaticiens.
La circonstance que les constatations aient été faites sur ce point trois jours après l'inventaire contradictoire, et non le jour même est inopérante à cet égard, sauf à devoir considérer absurdement que M. [T] se serait volontairement amputé des données nécessaires à l'exercice de son commerce.
La perte des données comptables supra et le blocage du site au jour de son départ ressortissent nécessairement des agissements de la locataire-gérante, Mme [O], dont les cédantes doivent la garantie au cessionnaire. Peu important à cet égard la bonne foi des consorts [R].
Mme [O], qui était en possession du fonds jusqu'à son transfert à la société CDD, et qui engage sa responsabilité délictuelle à l'égard de tiers du fait de ses manquements contractuels, sera donc condamnée aux mêmes montants, étant solidairement responsable avec les cédantes du défaut de délivrance conforme des éléments composant le fonds.
Sur le montant de la réparation, la société CDD expose avoir dû réaliser une formation à la création d'un site Internet afin de reconstruire celui supprimé pour un coût global de 6 750 € hors-taxes outre le temps passé pour reconstituer le site et avoir dû par ailleurs faire développer un nouveau site Internet par la société EPONIA pour un coût global de 3 449,60 € hors-taxes. Elle sollicite ainsi un montant total de 10 199,60 € en réparation du préjudice du défaut de délivrance du site Internet prévu à l'acte de cession.
Or la réparation du dommage doit se faire sans perte ni profit, de sorte que la société CDD ne peut prétendre au remboursement des embellissements du site marchand qui furent opérés en 2020, mais seulement à la réparation du blocage provisoire du site et à la perte de l'historique des comptes clients, préjudice qui sera entièrement réparé par l'octroi de la somme de 1500 €, selon le devis de la société Axion qui avait estimé à deux jours à 750 € HT chacun le temps nécessaire à la recréation et au re-paramétrage des mails, des dossiers comptables et des tableaux Excel de suivi, etc.
Si la preuve n'est pas suffisamment rapportée du lien de causalité avec le montant de 7733,36 € réclamé au titre des heures supplémentaires réalisées par les salariés après la reprise du fonds, dans la mesure où il est d'usage qu'une reprise d'activité entraîne une hausse des heures travaillées, la disparition de l'étiquetage a nécessité un tri manuel sur l'ensemble du stock et il sera alloué la somme de 2 000 € à la société CDD pour ce surcroît de travail.
L'ajout du montant de 463 € exposé pour les constats probants, et les frais du diagnostic sur site effectué par Axion durant une demi-journée au tarif de 600€ hors-taxes conduisent donc à un montant de 4 563 € (1 500 + 2 000 + 463 + 600).
Sur les points 3, 4 et 5 ( Remplacement du matériel non conforme, constat et contrôle des installations, Nettoyage du site non réalisé )
Contrairement aux problèmes informatiques, la vétusté et les problèmes de nettoyage ou les biens mobiliers manquants peuvent être constatés de visu lors de l'inventaire et il n'est pas démontré leur apparition entre l'inventaire contradictoire et la prise de possession des lieux par la société CDD, de sorte que le tribunal a justement écarté les demandes présentées de ce chef.
Par ailleurs, le tribunal a retenu à bon droit que s'agissant de l'absence ou du mauvais état des équipements mobilier et matériel (vitrine réfrigérée, véhicule, rayonnage, maintenance, outillage...) qui seraient laissés à disposition au jour de la reprise, M. [T] avait proposé une « Prise en charge par le cessionnaire des investissements et remplacement des équipements, remboursement par les cédantes sur présentation des factures et ce dans la limite de 45 000 euros », ce que les cédantes n'avaient pas accepté, ni davantage une réduction du prix de cession, de sorte que c'est en parfaite connaissance de cause que M. [T] avait acquis le fonds de commerce et les matériels et équipements qui y sont attachés, dans leur état lors de 1'acquisition du fonds de commerce.
Sur la perte de chiffre d'affaires et de marge brute
La SARL CDD soutient qu'au mois de mars 2019 elle a réalisé un chiffre d'affaires de 17 996,54 €, alors que par la suite sur 12 mois, du 1er avril 2019 au 31 mars 2020, son chiffre d'affaires a été de 2 557 331,46 euros, ce qui représente une différence avec le chiffre d'affaires habituel qui était réalisé antérieurement à la cession de 137 907,54 €.
Le taux de marge brute de l'activité étant de 29,83 %, ainsi qu'il ressort de l'attestation de son expert-comptable, la société affirme donc avoir perdu 41 137,82 € au titre de la marge brute sur le premier exercice faisant suite à la reprise du fonds de commerce, découlant directement du manquement des cédantes à leur obligation de délivrance conforme du fonds et à l'obligation de veiller à la poursuite normale de l'activité. "L'ensemble des difficultés rencontrées par le cessionnaire en raison de l'absence de délivrance du fonds dans les conditions prévues par l'acte de cession (suppression du site Internet, rupture du rayonnage etc. ) ont envoyé un message négatif à la clientèle sur le fonds repris et sur l'image du repreneur. Par suite les cédantes seront également condamnées à lui payer la somme de 15 000 € au titre du préjudice causé à son image".
Mais les intimées plaident utilement à cet égard que de tels moindres performances commerciales sont ordinaires en cas de changement d'exploitant; qu'aucune garantie de maintien du chiffre d'affaires n'a été stipulée ; qu'apparemment la relativement faible marge commerciale des débuts a été rapidement compensée par la croissance de l'entreprise dont le dirigeant a pu se vanter ; et qu'enfin il est fait état dans la presse locale fin juillet 2019 de six mois de travaux « pour développer le magasin à vitesse grand V ce temple de la viticulture occitane et des produits locaux ».
Le montant de la perte de marge alléguée, ne peut être imputé spécifiquement aux manquements informatiques et comptables retenus et décrits supra.
Il en va de même s'agissant du préjudice d'image, le tribunal ayant exactement rejeté la demande tendant au versement d'une somme de 15 000 € à ce titre, la société CDD ne démontrant pas quelque atteinte à sa réputation du fait des inexécutions contractuelles internesretenues.
Sur l'absence de conformité des installations aux normes d'hygiène et d'accessibilité ainsi que sur les fuites et infiltrations pour lesquels il est réclamé une indemnité de 5233 € en réparation du préjudice découlant des rapports de conformité que la société a dû faire réaliser, le tribunal a justement réservé cette demande dans l'attente du rapport de l'expertise judiciaire ordonnée par ailleurs.
Sur les demandes de Mme [I] [O]
Il convient d'observer que si la déclaration d'appel et le dispositif des conclusions de la société CDD demandent la réformation du jugement déféré également sur le sursis à statuer sur sa demande d'un montant de 122 000 € à titre de dommages et intérêts, l'appelante ne fait valoir en réalité aucun moyen sur ce point.
Mme [O] en revanche demande la réformation du jugement en ce qu'il a sursis à statuer sur la demande de dommages-intérêts de la société CDD au titre des " Coûts adossés aux non-conformités de l'ensemble immobilier" et sur le "Préjudice lié aux frais d'expertise et de contrôle" et de rejeter les demandes de la société de ce chef.
Mais le tribunal a retenu à bon droit droit, pour surseoir que ce poste de préjudice intitulé « Coûts adossés aux non-conformités de l'ensemble immobilier », que :
«" l'ensemble immobilier", dont la prétendue non-conformité est à l'origine de la demande, a été acquis concomitamment avec le fonds de commerce par M. [T] au travers d'une SCI BATIMENT CDD.
Cette SCI BATIMENT CDD a fait délivrer une assignation en référé expertise devant le tribunal judiciaire de Narbonne aux cédantes, la mission con'ée à l'Expert étant précisément de déterminer la conformité de l'immeuble, de déterminer les responsabilités respectives des parties et indiquer les préjudices éventuellement subis. Par ordonnance de référé 19 mars 2000 le tribunal judiciaire a fait droit à la demande d'expertise, mettant hors de cause Mme [I] [O] appelée en intervention forcée et déclarant que l'ordonnance d'expertise ne lui serait pas opposable.
Les cédantes, Mme [J] [R] épouse [G] et Mme [C] [X], ont fait appel de cette décision le 29 mars 2021.
La cour d'appel de Montpellier, dans son arrêt du 2 décembre 2021, a confirmé les opérations d'expertise mais les a déclarées communes et opposables à Mme [I] [O] née [S].
Dans ces conditions, le résultat de cette expertise sera de nature à éclairer sur la nature des éventuels préjudices et sur leur montant.»
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a sursis à statuer sur la demande de paiement de la somme de 122 000 € à titre de dommages et intérêts concernant le poste de préjudice intitulé « Coûts adossés aux non- conformités de 1'ensemble immobilier » dans l'attente du rapport d'expertise sur ce point, et en ce qu'il a justement rejeté la demande de mise hors de cause de Mme [O].
En définitive, le jugement déféré sera partiellement réformé, sans mesure d'instruction.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Déclare recevables les demandes d'expertise et de compensation présentées par la société CDD et rejette la fin de non-recevoir soulevée,
Dit n'y avoir lieu d'ordonner une expertise judiciaire,
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les demandes indemnitaires de la SARL CDD au titre des postes de préjudice intitulés « Reconstitution des données. Remise en activité du fonds » et « Préjudice de reconstruction du site internet »,
Statuant à nouveau de ces chefs,
Condamne in solidum Mme [C] [X] veuve [R], Mme [J] [R] épouse [G] et Mme [I] [O], à payer la somme de 4563€ à titre de dommages et intérêts,
Confirme le jugement déféré pour le surplus, notamment en ce qu'il a :
' sursis à statuer sur les demandes de paiement au titre du préjudice intitulé « Coûts adossés aux non-conformités de l'ensemble immobilier », et au titre du préjudice intitulé « Préjudice lié aux fins d'expertise et de contrôle » dans l'attente du rapport d'expertise ;
' et rejeté les demandes indemnitaires de la SARL CDD au titre du préjudice de perte de chiffre d'affaires et de marge, au titre du remplacement du matériel non conforme et du nettoyage du site,
Condamne in solidum Mme [C] [X] veuve [R], Mme [J] [R] épouse [G] et Mme [I] [O] à payer à la SARL CDD la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux aux dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
le greffier, le président,
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 5 DECEMBRE 2023
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 22/01305 - N° Portalis DBVK-V-B7G-PK3O
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 11 JANVIER 2022
TRIBUNAL DE COMMERCE DE NARBONNE
N° RG 2020 002428
APPELANTE :
S.A.R.L. CDD prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 9]
[Adresse 9]
[Localité 5]
Représentée par Me Pierre André MERLIN de la SELARL LEXEM CONSEIL, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant
Représentée par Me Pierre-Jonathan SANS, avocat au barreau de TOULOUSE substituant Me Nicolas BOSCHIN, avocat au barreau de TOULOUSE, avocat plaidant
INTIMEES :
Madame [C] [X] veuve [R]
née le 1er Juillet 1933 à [Localité 5] (11)
de nationalité Française
[Adresse 8]
[Localité 5]
Représentée par Me Fanny LAPORTE, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Yann GARRIGUE de la SELARL LEXAVOUE MONTPELLIER GARRIGUE, GARRIGUE, LAPORTE, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant
Représentée par Me Anne TOSI, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant
Madame [J] [R] épouse [G]
née le 17 Octobre 1963 à [Localité 7] (11)
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Fanny LAPORTE, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Yann GARRIGUE de la SELARL LEXAVOUE MONTPELLIER GARRIGUE, GARRIGUE, LAPORTE, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant
Représentée par Me Anne TOSI, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant
Madame [I] [S] épouse [O]
née le 04 Janvier 1958 à [Localité 5] (11)
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Christine AUCHE HEDOU, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Jacques Henri AUCHE de la SCP AUCHE HEDOU, AUCHE - AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 03 Octobre 2023
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 OCTOBRE 2023, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :
Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre
Mme Anne-Claire BOURDON, conseillère
M. Thibault GRAFFIN, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Audrey VALERO
ARRET :
- Contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, initialement prévue au 28 novembre 2023 et prorogée au 5 décembre 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre, et par Mme Audrey VALERO, greffière.
EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte sous-seing privé en date du 29 mars 2001, M. [M] [R], propriétaire des murs et du fonds de commerce de vente de vins et spiritueux, spécialités alimentaires du Languedoc-Roussillon, exploité sous l'enseigne « CDD ' Centre Dégustation Diffusion », sis à [Localité 6] a conclu un contrat de location-gérance du fonds de commerce avec Mme [I] [S], épouse [O], pour une durée d' un an jusqu'au 31 mars 2002, renouvelable par tacite reconduction, avec faculté de résiliation à l'expiration de chaque période annuelle moyennant un préavis de trois mois.
Suite au décès de M. [M] [R] survenu le 9 novembre 2015, la propriété du fonds de commerce a été transmise à Mme [C] [X] veuve [R] et à sa fille, Mme [J] [R] épouse [G]. Le 28 décembre 2015, un avenant au contrat de location-gérance a été signé.
Par acte sous seing privé du 3 octobre 2018, une promesse de cession de fonds de commerce a été signée sous conditions suspensives entre Mmes [C] [X] et [J] [R] d'une part et M. [E] [T] d'autre part, avec faculté de substitution de ce dernier.
Par lettre du 22 décembre 2018, Mme [I] [O] a résilié son contrat de location-gérance avec effet au 24 mars 2019.
Le 18 mars 2019, un acte de cession de fonds de commerce a été signé entre Mmes [C] [X] et [J] [R], cédantes, et la société CDD (qui s'est substituée à M. [E] [T]), cessionnaire, au prix de 700 000 euros dont 500 000 euros ont étés versés ce même-jour et 200 000 euros payables au moyen d'un crédit-vendeur de trois échéances.
Ce même jour, par ailleurs, par acte authentique du 18 mars 2019, l'ensemble immobilier servant à l'exploitation du fonds a été cédé par les consorts [R] à la SCI Bâtiment CDD détenue par M. [T] au prix de 1 500 000 €.
Par assignation en date du 26 mai 2020, la SCI Bâtiment CDD a assigné en référé les vendeurs qui ont appelé en la cause l'ancienne locataire gérante du fonds de commerce aux fins d'expertise des désordres et non-conformités affectant le bâtiment.
Par exploits des 19 et 25 septembre 2020, la société CDD a assigné Mme [J] [R], Mme [I] [O] et Mme [C] [X] pour les voir condamner à lui communiquer plusieurs documents, à lui payer la somme principale de 475 892,39 euros au titre de divers dommages-intérêts.
Par jugement en date du 11 janvier 2022, le tribunal de commerce de Narbonne a :
- dit que la SARL CDD n'apporte pas la preuve, ni dans sa réalité, ni dans son quantum :
- du montant de 208 810 euros sollicité à titre de dommages et intérêts pour le poste de préjudice intitulé « Préjudice de perte de chiffre d'affaire et de marge brute '' ;
- du montant de 37 341 ,37 euros sollicité à titre de dommages et intérêts pour le poste de préjudice intitulé « Préjudice relatif à la charge salariale supplémentaire liée à la remise en activité du commerce » et l'a débouté de ces chefs de demande ;
- dit que la SARL CDD n'apporte pas la preuve que le montant du préjudice intitulé « Préjudice relatif au nettoyage du site et à la création d'une nouvelle marque de BIB » sollicité à hauteur de 3 000 euros serait justifié dans sa réalité et l'a débouté de ce chef de demande,
- débouté la SARL CDD de ses demandes de paiement :
- de la somme de 51 609,84 euros à titre de dommages et intérêts au titre du poste de préjudice intitulé « Préjudice relatif au matériel non conforme à l'engagement des cédantes »,
- de la somme de 36 018,04 euros à titre de dommages et intérêts pour le poste de préjudice intitulé « Préjudice de reconstruction du site internet »,
- sursis à statuer sur les demandes de paiement :
- de la somme de 122 000 euros à titre de dommages et intérêts concernant le poste de préjudice intitulé « Coûts adossés aux non-conformités de l'ensemble immobilier » dans l'attente du rapport d'expertise,
- de la somme de 2 113,14 euros à titre de dommages et intérêts concernant le poste de préjudice intitulé « Préjudice lié aux frais d'expertise et de contrôle » dans l'attente du rapport d'expertise ;
- dit que l'affaire sera rappelée à l'audience du juge chargé d'instruire l'affaire du 3 janvier 2023 à 15 heures concernant les demandes de dommages et intérêts de la SARL CDD relativement au poste de préjudice intitulé « Coûts adossés aux non-conformités de l'ensemble immobilier » et au poste de préjudice intitulé « Préjudice lié aux frais d'expertise et de contrôle »,
- débouté la SARL CDD de sa demande de paiement de la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts concernant le poste intitulé « Préjudice image »,
- débouté la SARL CDD de sa demande de communication d'un ensemble de documents sous astreinte,
- débouté Mme [I] [O] de l'ensemble de ses demandes,
- constaté l'exécution provisoire,
- dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- et réservé les dépens, taxe et liquide ceux du greffe à la somme de 115,47 euros dont 19,25 euros de TVA.
Le 7 mars 2022, la SARL CDD a relevé appel de ce jugement.
Par conclusions du 16 novembre 2022, elle demande à la cour au visa des articles 564, 565 et 566 du code de procédure civile, de l'article L. 141-3 du code de commerce et des articles 1104, 1112-1, 1616, 1194, 1217, 1223, 1231-1, 1606, 1616, 1644 et 1645 du code civil :
- d'annuler ou à tout le moins réformer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a débouté Mme [O] de ses demandes ;
Statuant à nouveau,
in limine litis :
- de constater que la demande de compensation de son préjudice par la société CDD n'est pas une demande nouvelle en appel, et de la déclarer recevable ; - de dire que la demande de nomination d'un expert, à titre subsidiaire, pour éclairer le juge sur la définition du préjudice de la société CDD n'est pas une demande nouvelle en appel, et la déclarer recevable ;
- de débouter en conséquence les intimées de leur demandes, tendant à l'irrecevabilité des demandes de compensation et des demandes destinées à écarter les prétentions adverses formulées par la société CDD ;
à titre principal :
- de débouter Mme [C] [X] veuve [R], et Mme [J] [R] épouse [G], les Cédantes, et Mme [I] [O], la locataire-Gérante, de toutes leurs demandes ;
- de les condamner solidairement à payer à la société CDD la somme de 133.540,52 euros à titre de dommages-intérêts ;
- d'ordonner la compensation des dommages et intérêts avec la dernière échéance du crédit vendeur restant à payer au 31 décembre 2022 pour un montant de 66 668 euros ;
à titre subsidiaire :
- de nommer un expert avec pour mission d'éclairer le juge sur l'évaluation le montant du préjudice subi par la société CDD du fait des manquements des Cédantes, et plus particulièrement sur les postes de préjudices suivants :
- l'impact de la délivrance partielle sur la valeur du Fonds ;
- le coût de la restructuration des données commerciales, comptables et fiches produits au regard du temps affecté par le dirigeant et les salariés de l'entreprise ;
- le coût de la restructuration du site Internet aujourd'hui accessible à l'adresse https://cddsud.fr/ au regard du temps affecté par le dirigeant et les salariés de l'entreprise ;
- la perte de chiffre d'affaires et de marge brute liée à l'absence de conformité du Fonds ;
- la perte de chiffre d'affaires et de marge brute liée aux travaux de mise en conformité du local commercial.
et en tout état de cause :
- de condamner solidairement Mme [C] [X], veuve [R], Mme [J] [R], épouse [G] et Mme [I] [O] à lui payer à la société CDD la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
Par conclusions du 7 septembre 2023, Mme [J] [G] née [R] et Mme [C] [X] veuve [R] demandent à la cour, au visa des articles 378 et 564 du code de procédure civile ainsi que des articles 1240 et suivants du code civil :
in limine litis,
- de déclarer irrecevables les demandes nouvelles formées par l'appelante ;
pour le surplus,
à titre principal,
- de réformer le jugement entrepris en ce qu'il a ordonné le sursis à statuer sur les demandes de dommages-intérêts de la SARL CDD intitulés « coûts adossés aux non- conformités de l'ensemble immobilier » et « préjudice lié aux frais d 'expertise et de contrôle »,
en conséquence, statuant à nouveau, de débouter la SARL CDD de l'ensemble de ses demandes dirigées contre elles,
à titre subsidiaire,
- de confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions,
à titre infiniment subsidiaire,
- de condamner Mme [O] à les relever de toutes condamnations qui pourraient être mises à leur charge,
et en tout état de cause,
- de condamner la partie succombant au paiement de la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Par conclusions du 20 septembre 2022, Mme [I] [O] demande à la cour, au visa des articles 1193, 1199, 1353, 1719, 1720, 1754 et 1755 du code civil :
- de rejeter toutes demandes contraires,
à titre principal,
- de réformer le jugement dont appel et statuant à nouveau :
- de la mettre hors de cause, et DE rejeter l'intégralité des demandes dirigées contre elle,
à titre subsidiaire,
- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SARL CDD de de ses demandes,
- de le réformer en ce qu'il a ordonné un sursis à statuer sur les demandes de dommages et intérêts de la SARL CDD intitulées « Coûts adossés aux non- conformités de l'ensemble immobilier » et « Préjudice lié aux frais d 'expertise et de contrôle », et statuant à nouveau :
- de débouter la SARL CDD de l'intégralité de ses demandes, en ce compris la demande nouvelle en cause d'appel d'expertise judiciaire,
- de la débouter de ses demandes indemnitaires à défaut d'évaluation contradictoire et détaillée de son préjudice prétendu,
- de rejeter comme irrecevable toute demande formulée par la SARL CDD relativement à la vétusté de l'immeuble, la SARL CDD étant simple locataire dudit bien,
et en toute hypothèse,
- de condamner la partie défaillante aux entiers dépens et à lui verser la somme de 8 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il est renvoyé, pour l'exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est datée du 3 octobre 2023.
MOTIFS :
La société CDD fait valoir au soutien de son appel qu'à la date du 1er juin 2022 elle demeure redevable de la dernière échéance du crédit vendeur dont le paiement est prévu au 31 décembre 2022 d'un montant global de 66 668 € ; qu'après la signature de l'acte de cession du fonds de commerce et l'acte de vente de l'immobilier d'exploitation, elle a constaté de nombreux manquements aux engagements contractuels de la part des cédantes ; que ses réclamations auprès des cédantes ou de la locataire-gérante sont demeurées vaines ; qu'en application de l'article 1217 du code civil, les sanctions applicables aux inexécutions contractuelles sont cumulables et des dommages-intérêts peuvent toujours s'y ajouter ; que la société CDD est fondée à invoquer sur le fondement de la responsabilité délictuelle un manquement contractuel de la locataire-gérante qui lui a causé un dommage ; que la société évalue son préjudice global à la somme de 130 093,92 € et s'en tient en appel aux dommages issus de :
- l'effacement des données nécessaires à la reprise de l'activité, à savoir la suppression des données commerciales, comptables et informatiques ainsi que des archives, faisant partie intégrante des éléments du fonds cédé suite à la suppression volontaire des données ;
- l'absence de délivrance du site Internet attaché au fonds accessible à l'adresse cddsud.com, ce qui a été constaté par procès-verbaux d' huissier en date des 25 et 28 mars 2019 ;
- la délivrance partielle du matériel nécessaire à l'exploitation du fonds de commerce, le matériel vétuste ou manquant ayant dû être remplacé ;
- le défaut de conformité des locaux d'exploitation du fonds de commerce aux normes d'hygiène et d'accessibilité des établissements recevant du public (cf. rapport Veritas du 5 août 2019) et la présence d'infiltrations et d'inondations dans les locaux malgré l'engagement pris par les cédantes de réparer la toiture et l'ensemble des infiltrations, ainsi que de fournir un local d'exploitation exempt de travaux ;
- et le défaut de continuité dans l'exploitation et la gestion du fonds de commerce dans des conditions normales jusqu'à l'entrée en jouissance du cessionnaire.
Il convient de relever en premier lieu que l'appelante fait valoir exactement que ses demandes de compensation des dommages-intérêts avec la dernière échéance du crédit-vendeur ainsi que celle tendant à la nomination d'un expert judiciaire à titre subsidiaire afin de chiffrer son préjudice ne sont pas nouvelles, pour tendre aux mêmes fins ou être l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire de ses demandes de première instance au sens des articles 565 et 566 du code de procédure civile, d'où il suit le rejet du moyen d'irrecevabilité opposé à ces prétentions.
La société CDD produit un tableau en page 29 de ses écritures, aux termes duquel elle chiffre le montant de ses demandes à la somme totale de 133 540,52 € au titre de :
1. Reconstitution des données - remise en activité du fonds : 10 953,37 €
2. Reconstruction du site Internet : 10 196,60 €
3. Remplacement du matériel non conforme : 50 018,96 €
4. Constat et contrôle des installations : 5 233,77 €
5. Nettoyage du site non réalisé : 1 000 €
6. Perte de chiffre d'affaires et de marge brute : 41 137,82 €
7. Préjudice d'image : 15 000 €
Sur la reconstitution des données, la remise en activité du fonds et la reconstruction du site Internet
L'acte de cession prévoyait à l'article 1 et à l'article 9 et 2.10 (en pages 6 et 19) que le fonds était composé « de l'ensemble des éléments incorporels et corporels nécessaires à son exploitation comprenant notamment (') les archives commerciales, techniques et sociales, (') les informations juridiques, comptables et commerciales liées à l'exploitation du fonds, (') les contrats nécessaires à l'exploitation du fonds. »
Tous ces engagements ont été expressément stipulés comme un élément «déterminant du consentement du cessionnaire sans lesquelles il n'aurait pas contracté la cession de fonds de commerce ».
Or, au jour de l'entrée en jouissance du fonds de commerce le 25 mars 2019, la société CDD déplore avoir constaté que les données importantes des logiciels transmis nécessaires à l'exploitation du fonds avaient été supprimées: l'ensemble des données quantitatives contenues dans le registre logiciel relatif aux mouvements de stocks, la nomenclature se rattachant au code-barres des produits rendant impossible le passage en caisse des produits approvisionnés, les historiques d'achat des clients rendant impossible l'exploitation à des fins commerciales du fichier clients, ainsi que les données comptables.
L'appelante a en effet fait constater par Me [V] [A], huissier, selon procès-verbal des 25 mars 2019 au jour de la prise de possession du fonds et 28 mars 2019 établi en présence de deux techniciens informatiques des sociétés JDC et Axion informatique, que les serveurs et les archives papier ne contenaient plus les données commerciales suivantes :
- le plan comptable indispensable à la gestion comptable a été supprimé ;
- les dossiers compta papier n'étaient plus présents dans les locaux ;
- les dossiers fournisseurs retraçant les échanges et négociations commerciales, les tarifs des années précédentes et de l'année en cours ;
- l'ensemble des factures achat des fournisseurs ;
- l'ensemble des factures clients rendant impossible le suivi de la prospection et de la commercialisation des produits ;
- les lettres et courriels à destination des fournisseurs ainsi que de la clientèle;
- les listes de diffusion permettant un démarchage commercial et l'envoi de documentation commerciale, tels la corbeille de fin d'année pour les clients habituels.
Me [A] s'est fait expliquer le 25 mars 2019 leur cheminement par les informaticiens et procédé aux captures d'écran correspondant, notamment des messages « d'erreur » bloquant la progression, et l'impossibilité d'accéder au site WEB aux adresses www.cddsud.fr et www.cddsud.com pourtant valides, un message « Pour cause de maintenance, votre boutique en ligne est temporairement inaccessible » apparaissant.
L'huissier a pu constater de visu « l'absence de documents comptables-papier dans le bureau. En effet les classeurs étiquetés et les étagères sont vides de tout contenu. »
Le 28 mars suivant, l'huissier a été à nouveau contacté pour constater les difficultés lors de l'étiquetage des produits en rayon. Me [A] relate notamment ainsi que « (') le produit déjà en référence est scanné en caisse mais il ressort identifié avec un prix de vente à zéro ».
Les fiches des produits cartonnés mentionnant les prix de vente et les données techniques des produits vendus ne figuraient plus aux rayons de vente du magasin qui doivent permettre l'information du consommateur sur les caractéristiques des produits vendus et nécessaires à l'activité.
Les éléments du procès-verbal de Me [A] sont corroborés par le compte rendu d'intervention de l'informaticien Axion observant :
« Logiciel de compta Quadratus est vide de toute donnée, vierge de tout dossier .
Logiciel est à re paramétrer intégralement comme une nouvelle installation.
Les données bureautique- partage sur serveur : le dossier est intégralement vide .
Kwisatz, pas de données d'historique de vente : plus de tickets, ni d'historiques clients
Sauvegarde en ligne AOP :
Résiliation le 20 mars 2019.
Suppression des huit antivirus et des deux logiciels de sauvegarde.
En conclusion : Les historiques de données ont été méthodiquement supprimés de l'ensemble des différents logiciels utilisés »
La dernière sauvegarde externalisée a été réalisée le 20 mars 2019 et le contrat avec le prestataire a été résilié deux jours après le transfert de propriété du fonds à la société CDD, ces éléments techniques n'étant pas discutés par les intimées.
Il est dès lors constant que le contrat avec le prestataire informatique pour les sauvegardes externes des données nécessaires à l'exploitation du fonds a été résilié par la locataire-gérante préalablement à l'entrée en jouissance de la société CDD et que les logiciels de sauvegarde et antivirus avaient été supprimés.
La locataire-gérante, Mme [O], ne saurait donc soutenir comme elle l'avait indiqué le 22 mars 2019, que toutes les données « figuraient sur les systèmes informatiques » et que certaines données informatisées figuraient sur une clé USB remises par la locataire-gérante à Mme [G], cédante, en l'état des constats supra et alors que la clé USB ne s'est avérée contenir que des données générales déjà communiquées (contrat de travail des salariés, bilan des années précédentes et contrats des prestataires), insuffisantes à assurer la continuité numérique de l'activité.
La SARL CDD demande une somme de 10 196,60 € à titre de dommages et intérêts pour la reconstruction du site Internet.
Elle invoque l'article 1 de l'acte de cession du fonds de commerce lequel prévoyait qu'il était composé :
- du nom de domaine http://www.cddsud.fr
- et de l'intégralité des droits, y compris des droits de propriété intellectuelle, relatifs au site Internet à l'adresse http://www.cddsud.fr et à ses composants,
Les cédantes déclarant in fine de cet article 1 « avoir fait le nécessaire pour assurer la continuité des contrats et des prestations au profit du cessionnaire».
À son entrée en jouissance du fonds de commerce le 25 mars 2019, la société CDD a constaté que le site Internet n'était plus accessible à l'adresse ci-dessus indiquée ce qui été constaté comme décrit supra, l'adresse étant indiquée à l'écran sur Internet et la page d'accueil du site de présentation et de commande en ligne s'affichant avec l'annonce d'un site en maintenance non consultable, de sorte que le site étant bloqué, aucune commande en ligne ne pouvait être passée.
De même, l'informaticien de la société Axion précise qu'il n'a retrouvé sur le mail de [Courriel 4] que des mails datés du 23 mars seulement tous ceux d'avant cette date ayant disparu, alors que chaque utilisateur avait un mail et son historique.
Tous les courriels antérieurs à la date 22 mars 2019, soit le jour où la locataire- gérante avait restitué le fonds, avaient disparu.
Le cessionnaire est fondé à soutenir que le site Internet est une composante du fonds pris en location-gérance en 2001 dans la mesure où s'il n'existait pas en 2001, le contrat de location-gérance prévoit bien que celui-ci comprend «Toutes augmentations, améliorations, substitutions ou modifications qui pourront être apportées à la suite de l'un quelconque des éléments du fonds.»; et que par suite le site Internet utilisant pour nom de domaine CDD, attaché au fonds, et générant des ventes au profit de ce fonds est une composante du fonds de commerce à laquelle la clientèle CDD est attachée et il devait donc être restitué par la locataire-gérante au loueur du fonds, les cédantes, et donc cédé au cessionnaire avec toutes ses composantes.
Lors de l'établissement de l'état des lieux de sortie avec inventaire établi le 22 mars 2019, en présence de l'ensemble des parties, le même huissier de Justice, Me [A] a noté que "Les ordinateurs et caisses sont tous connectés afin d'être testés et vérifiés, cependant alors que Mme [O] veut présenter un achat en caisse, M. [T] intervient pour préciser qu'il est inutile de perdre du temps maintenant car il a mandaté ses informaticiens pour une vérification dès lundi prochain'.
M. [T], qui n'est pas davantage qu'elles un professionnel de l'informatique, a voulu abréger la longueur de l'inventaire contradictoire en attendant l'intervention des informaticiens.
La circonstance que les constatations aient été faites sur ce point trois jours après l'inventaire contradictoire, et non le jour même est inopérante à cet égard, sauf à devoir considérer absurdement que M. [T] se serait volontairement amputé des données nécessaires à l'exercice de son commerce.
La perte des données comptables supra et le blocage du site au jour de son départ ressortissent nécessairement des agissements de la locataire-gérante, Mme [O], dont les cédantes doivent la garantie au cessionnaire. Peu important à cet égard la bonne foi des consorts [R].
Mme [O], qui était en possession du fonds jusqu'à son transfert à la société CDD, et qui engage sa responsabilité délictuelle à l'égard de tiers du fait de ses manquements contractuels, sera donc condamnée aux mêmes montants, étant solidairement responsable avec les cédantes du défaut de délivrance conforme des éléments composant le fonds.
Sur le montant de la réparation, la société CDD expose avoir dû réaliser une formation à la création d'un site Internet afin de reconstruire celui supprimé pour un coût global de 6 750 € hors-taxes outre le temps passé pour reconstituer le site et avoir dû par ailleurs faire développer un nouveau site Internet par la société EPONIA pour un coût global de 3 449,60 € hors-taxes. Elle sollicite ainsi un montant total de 10 199,60 € en réparation du préjudice du défaut de délivrance du site Internet prévu à l'acte de cession.
Or la réparation du dommage doit se faire sans perte ni profit, de sorte que la société CDD ne peut prétendre au remboursement des embellissements du site marchand qui furent opérés en 2020, mais seulement à la réparation du blocage provisoire du site et à la perte de l'historique des comptes clients, préjudice qui sera entièrement réparé par l'octroi de la somme de 1500 €, selon le devis de la société Axion qui avait estimé à deux jours à 750 € HT chacun le temps nécessaire à la recréation et au re-paramétrage des mails, des dossiers comptables et des tableaux Excel de suivi, etc.
Si la preuve n'est pas suffisamment rapportée du lien de causalité avec le montant de 7733,36 € réclamé au titre des heures supplémentaires réalisées par les salariés après la reprise du fonds, dans la mesure où il est d'usage qu'une reprise d'activité entraîne une hausse des heures travaillées, la disparition de l'étiquetage a nécessité un tri manuel sur l'ensemble du stock et il sera alloué la somme de 2 000 € à la société CDD pour ce surcroît de travail.
L'ajout du montant de 463 € exposé pour les constats probants, et les frais du diagnostic sur site effectué par Axion durant une demi-journée au tarif de 600€ hors-taxes conduisent donc à un montant de 4 563 € (1 500 + 2 000 + 463 + 600).
Sur les points 3, 4 et 5 ( Remplacement du matériel non conforme, constat et contrôle des installations, Nettoyage du site non réalisé )
Contrairement aux problèmes informatiques, la vétusté et les problèmes de nettoyage ou les biens mobiliers manquants peuvent être constatés de visu lors de l'inventaire et il n'est pas démontré leur apparition entre l'inventaire contradictoire et la prise de possession des lieux par la société CDD, de sorte que le tribunal a justement écarté les demandes présentées de ce chef.
Par ailleurs, le tribunal a retenu à bon droit que s'agissant de l'absence ou du mauvais état des équipements mobilier et matériel (vitrine réfrigérée, véhicule, rayonnage, maintenance, outillage...) qui seraient laissés à disposition au jour de la reprise, M. [T] avait proposé une « Prise en charge par le cessionnaire des investissements et remplacement des équipements, remboursement par les cédantes sur présentation des factures et ce dans la limite de 45 000 euros », ce que les cédantes n'avaient pas accepté, ni davantage une réduction du prix de cession, de sorte que c'est en parfaite connaissance de cause que M. [T] avait acquis le fonds de commerce et les matériels et équipements qui y sont attachés, dans leur état lors de 1'acquisition du fonds de commerce.
Sur la perte de chiffre d'affaires et de marge brute
La SARL CDD soutient qu'au mois de mars 2019 elle a réalisé un chiffre d'affaires de 17 996,54 €, alors que par la suite sur 12 mois, du 1er avril 2019 au 31 mars 2020, son chiffre d'affaires a été de 2 557 331,46 euros, ce qui représente une différence avec le chiffre d'affaires habituel qui était réalisé antérieurement à la cession de 137 907,54 €.
Le taux de marge brute de l'activité étant de 29,83 %, ainsi qu'il ressort de l'attestation de son expert-comptable, la société affirme donc avoir perdu 41 137,82 € au titre de la marge brute sur le premier exercice faisant suite à la reprise du fonds de commerce, découlant directement du manquement des cédantes à leur obligation de délivrance conforme du fonds et à l'obligation de veiller à la poursuite normale de l'activité. "L'ensemble des difficultés rencontrées par le cessionnaire en raison de l'absence de délivrance du fonds dans les conditions prévues par l'acte de cession (suppression du site Internet, rupture du rayonnage etc. ) ont envoyé un message négatif à la clientèle sur le fonds repris et sur l'image du repreneur. Par suite les cédantes seront également condamnées à lui payer la somme de 15 000 € au titre du préjudice causé à son image".
Mais les intimées plaident utilement à cet égard que de tels moindres performances commerciales sont ordinaires en cas de changement d'exploitant; qu'aucune garantie de maintien du chiffre d'affaires n'a été stipulée ; qu'apparemment la relativement faible marge commerciale des débuts a été rapidement compensée par la croissance de l'entreprise dont le dirigeant a pu se vanter ; et qu'enfin il est fait état dans la presse locale fin juillet 2019 de six mois de travaux « pour développer le magasin à vitesse grand V ce temple de la viticulture occitane et des produits locaux ».
Le montant de la perte de marge alléguée, ne peut être imputé spécifiquement aux manquements informatiques et comptables retenus et décrits supra.
Il en va de même s'agissant du préjudice d'image, le tribunal ayant exactement rejeté la demande tendant au versement d'une somme de 15 000 € à ce titre, la société CDD ne démontrant pas quelque atteinte à sa réputation du fait des inexécutions contractuelles internesretenues.
Sur l'absence de conformité des installations aux normes d'hygiène et d'accessibilité ainsi que sur les fuites et infiltrations pour lesquels il est réclamé une indemnité de 5233 € en réparation du préjudice découlant des rapports de conformité que la société a dû faire réaliser, le tribunal a justement réservé cette demande dans l'attente du rapport de l'expertise judiciaire ordonnée par ailleurs.
Sur les demandes de Mme [I] [O]
Il convient d'observer que si la déclaration d'appel et le dispositif des conclusions de la société CDD demandent la réformation du jugement déféré également sur le sursis à statuer sur sa demande d'un montant de 122 000 € à titre de dommages et intérêts, l'appelante ne fait valoir en réalité aucun moyen sur ce point.
Mme [O] en revanche demande la réformation du jugement en ce qu'il a sursis à statuer sur la demande de dommages-intérêts de la société CDD au titre des " Coûts adossés aux non-conformités de l'ensemble immobilier" et sur le "Préjudice lié aux frais d'expertise et de contrôle" et de rejeter les demandes de la société de ce chef.
Mais le tribunal a retenu à bon droit droit, pour surseoir que ce poste de préjudice intitulé « Coûts adossés aux non-conformités de l'ensemble immobilier », que :
«" l'ensemble immobilier", dont la prétendue non-conformité est à l'origine de la demande, a été acquis concomitamment avec le fonds de commerce par M. [T] au travers d'une SCI BATIMENT CDD.
Cette SCI BATIMENT CDD a fait délivrer une assignation en référé expertise devant le tribunal judiciaire de Narbonne aux cédantes, la mission con'ée à l'Expert étant précisément de déterminer la conformité de l'immeuble, de déterminer les responsabilités respectives des parties et indiquer les préjudices éventuellement subis. Par ordonnance de référé 19 mars 2000 le tribunal judiciaire a fait droit à la demande d'expertise, mettant hors de cause Mme [I] [O] appelée en intervention forcée et déclarant que l'ordonnance d'expertise ne lui serait pas opposable.
Les cédantes, Mme [J] [R] épouse [G] et Mme [C] [X], ont fait appel de cette décision le 29 mars 2021.
La cour d'appel de Montpellier, dans son arrêt du 2 décembre 2021, a confirmé les opérations d'expertise mais les a déclarées communes et opposables à Mme [I] [O] née [S].
Dans ces conditions, le résultat de cette expertise sera de nature à éclairer sur la nature des éventuels préjudices et sur leur montant.»
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a sursis à statuer sur la demande de paiement de la somme de 122 000 € à titre de dommages et intérêts concernant le poste de préjudice intitulé « Coûts adossés aux non- conformités de 1'ensemble immobilier » dans l'attente du rapport d'expertise sur ce point, et en ce qu'il a justement rejeté la demande de mise hors de cause de Mme [O].
En définitive, le jugement déféré sera partiellement réformé, sans mesure d'instruction.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Déclare recevables les demandes d'expertise et de compensation présentées par la société CDD et rejette la fin de non-recevoir soulevée,
Dit n'y avoir lieu d'ordonner une expertise judiciaire,
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les demandes indemnitaires de la SARL CDD au titre des postes de préjudice intitulés « Reconstitution des données. Remise en activité du fonds » et « Préjudice de reconstruction du site internet »,
Statuant à nouveau de ces chefs,
Condamne in solidum Mme [C] [X] veuve [R], Mme [J] [R] épouse [G] et Mme [I] [O], à payer la somme de 4563€ à titre de dommages et intérêts,
Confirme le jugement déféré pour le surplus, notamment en ce qu'il a :
' sursis à statuer sur les demandes de paiement au titre du préjudice intitulé « Coûts adossés aux non-conformités de l'ensemble immobilier », et au titre du préjudice intitulé « Préjudice lié aux fins d'expertise et de contrôle » dans l'attente du rapport d'expertise ;
' et rejeté les demandes indemnitaires de la SARL CDD au titre du préjudice de perte de chiffre d'affaires et de marge, au titre du remplacement du matériel non conforme et du nettoyage du site,
Condamne in solidum Mme [C] [X] veuve [R], Mme [J] [R] épouse [G] et Mme [I] [O] à payer à la SARL CDD la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux aux dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
le greffier, le président,