CA Rennes, 3e ch. com., 5 décembre 2023, n° 21/07957
RENNES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
Armement la Louisiane (SAS), EMCT Expertises Maritimes Controles Techniques (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Contamine
Conseillers :
Mme Picot-Postic, Mme Jeorger-Le Gac
Avocats :
Me Croix, Me Percheron, Me Bonte, Me Renaudin, Me Moalic
FAITS ET PROCEDURE :
La société Armement La Louisiane (la société La Louisiane) exploite [Localité 6] un navire de pêche artisanale.
Le 15 juin 2019, elle a fait l'acquisition auprès de M. [N] d'un chalutier Dalch Matt II immatriculé sous le n°[Immatriculation 8] moyennant le paiement du prix de 210.000 euros.
Préalablement à la vente, la société La Louisiane avait mandaté, pour examiner le navire, la société Expertises Maritimes Contrôles Techniques (la société EMCT) spécialisée dans l'expertise des navires de pêche et assurée auprès de la société AXA France IARD. La société EMCT a établi un rapport le 28 mars 2019 mentionnant un bon état général.
Après la vente, la société La Louisiane a fait des travaux sur le navire en installant un vivier à langoustines et en adaptant le portique arrière aux fins de passer d'un chalut simple à des chaluts jumeaux.
La mise en exploitation du navire a débuté le 28 août 2019.
Très rapidement, l'armateur a constaté des entrées d'eau et a dû rentrer deux fois en urgence au port. Le navire est ensuite resté à quai en raison de son état de dangerosité.
Par ordonnance de référé du 16 juillet 2020, le juge des référés du tribunal de commerce de Quimper, saisi par la société La Louisiane, a désigné M. [B] en qualité d'expert judiciaire.
Le 25 novembre 2020, l'expert a déposé son rapport.
La société La Louisiane a assigné la société EMCT et son assureur et M. [N] en résolution de la vente du navire avec restitution du prix et la réparation des préjudices subis.
Par jugement du 29 novembre 2021, le tribunal de commerce de Lorient a :
- Constaté la non-comparution de la société AXA France IARD, ès qualités d'assureur de la société EMCT,
- Prononcé la résolution judiciaire de la vente du navire Dalch Mat II devenu La Louisiane intervenue le 15 juin 2019 entre la société La Louisiane et M. [N],
- Dit que M. [N] devra reprendre, à ses frais, le navire au lieu où il se trouvera et restituer à la société La Louisiane le prix payé par elle pour ledit navire, soit la somme de 210.000 euros,
- Condamné M. [N] à payer à la société La Louisiane la somme de 210.000 euros avec intérêts de droit et capitalisation dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil,
- Dit que M. [N] était de bonne foi lors de la vente du navire Dalch Mat II devenu La Louisiane intervenue le 15 juin 2019,
En conséquence :
- Débouté la société La Louisiane de sa demande d'indemnisation de la somme de 88.643,15 euros dirigée contre M. [N] au titre du préjudice immatériel,
- Débouté la société La Louisiane de sa demande de condamnation solidaire de M. [N] et de la société EMCT à lui payer la somme mensuelle de 13.637,40 euros jusqu'à restitution du prix en principal, frais et intérêts au titre du préjudice d'immobilisation,
- Condamné la société EMCT à payer à la société La Louisiane la somme de 88.643,15 euros au titre du préjudice immatériel arrêtée au 31 décembre 2020,
- Débouté M. [N] de son appel en garantie dirigé contre la société EMCT,
- Condamné M. [N] à payer à la société La Louisiane la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamné la société EMCT à payer à la société La Louisiane la somme de 2.000 euros euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire du présent jugement,
- Condamné solidairement M. [N] et la société EMCT aux entiers dépens de l'instance comprenant notamment les frais d'expertise ainsi que les frais de greffe liquidés à la somme de 115,46 euros TTC,
- Dit toutes autres demandes, fins et conclusions des parties injustifiées et en tout cas mal fondées, les en a déboutées.
M. [N] a interjeté appel le 22 décembre 2021.
Les dernières conclusions M. [N] sont en date du 16 septembre 2022. Les dernières conclusions de la société EMCT sont en date du 20 juin 2022. Les dernières conclusions de la société La Louisiane sont en date du 31 juillet 2023.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 septembre 2023.
PRETENTIONS ET MOYENS :
M. [N] demande à la cour de :
A titre principal :
- Infirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la résolution judiciaire de la vente du navire Dalch Mat II rebaptisé La Louisiane conclue le 15 juin 2019 et condamné M. [N] « à récupérer le navire au lieu où il se trouvera », « restituer à la société La Louisiane le prix payé », « payer à la société La Louisiane la somme de 210.000 euros avec intérêt de droit et capitalisation dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil », « payer à la société La Louisiane la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile » et enfin condamné M. [N] aux dépens,
Et, statuant à nouveau :
- Constater que le navire vendu était âgé de 43 ans, et faisait uniquement l'objet d'une usure certes avancée mais normale, laquelle a pu être aggravée par les travaux entrepris par la société La Louisiane après son acquisition et/ou par l'évènement de mer qu'elle a subi le 19 février 2020,
- Constater qu'en tout état de cause les anomalies alléguées par la société La Louisiane, qui était accompagnée par un homme de l'art, la société EMCT, étaient pour elle apparentes,
- Juger, en conséquence, que le navire Dalch Mat II devenu La Louisiane n'était pas affectée de vices cachés au moment de sa vente le 15 juin 2019,
- Débouter la société La Louisiane de son action rédhibitoire,
- Juger la vente du navire parfaite,
- Juger que la société La Louisiane doit conserver le navire La Louisiane et M. [N] le prix de vente de 210.000 euros,
Et,
- Condamner in solidum la société La Louisiane et la société EMCT à payer à M. [N] la somme de 7.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner in solidum la société La Louisiane et la société EMCT à supporter les dépens, tant de première instance que d'appel, en ce compris l'intégralité des frais d'expertise judiciaire,
A titre subsidiaire :
Si par impossible la cour devait confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la résolution judiciaire de la vente du navire Dalch Mat II rebaptisé La Louisiane conclue le 15 juin 2019 en raison de l'existence de vices cachés :
- Juger que M. [N] a fait preuve de bonne foi dans le cadre de la vente de son navire à la société La Louisiane le 15 juin 2019,
En conséquence :
- Débouter la société La Louisiane de toute demande de condamnation formulée à l'encontre de M. [N] qui excèderait l'unique restitution du prix de vente de 210.000 euros,
Et
- Condamner la société La Louisiane à restituer à M. [N] le navire La Louisiane au lieu où elle en a pris possession, soit [Localité 10], dans l'état dans lequel elle l'a reçu au jour de la vente du 15 juin 2019, en ce compris l'ensemble de ses équipements listés dans l'acte de vente, et des enrouleurs en bon état de fonctionnement,
En conséquence :
- Fixer à 20.000 euros la somme que la société La Louisiane devrait régler à M. [N], si celui-ci devait faire constater par un huissier de justice que les équipements figurant à l'acte de vente ne se trouvent pas sur le navire, en bon état de fonctionnement, au jour de sa restitution,
- Condamner la société La Louisiane à rembourser à M. [N], à première demande de celui-ci, sur présentation d'un devis ou d'une facture, la somme que celui-ci devrait exposer pour réparer les enrouleurs si ceux-ci devaient être restitués sans avoir été réparés alors qu'ils ont été lourdement endommagés lors de l'évènement de mer du 19 février 2020,
Et,
- Condamner in solidum la société La Louisiane et la société EMCT à payer à M. [N] la somme de 7.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner in solidum la société La Louisiane et la société EMCT à supporter les dépens, tant de première instance que d'appel, en ce compris l'intégralité des frais d'expertise judiciaire.
En tout état de cause :
- Débouter la société La Louisiane et la société EMCT de leurs demandes, fins et conclusions, formulées à l'encontre de M. [N].
La société La Louisiane demande à la cour de :
- Confirmer le jugement en ce qu'il a:
o Prononcé la résolution judiciaire de la vente du navire Dalch Mat II devenu La Louisiane intervenue le 15 juin 2019 entre la société La Louisiane et M. [N],
o Dit que M. [N] devra reprendre, a ses frais, le navire au lieu où il se trouvera et restituer a la société La Louisiane le prix payé par elle pour le dit navire, soit la somme de 210.000 euros,
o Condamné M. [N] à payer à la société La Louisiane la somme de 210.000 euros avec intérêts de droit et capitalisation clans les conditions de l'article 1343-2 du code civil,
0 Condamné M. [N] à payer à la société La Louisiane la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
o Condamné la société EMCT à payer à la société La Louisiane la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Réformer le jugement en ce qu'il a :
o Dit que M. [N] était de bonne foi lors de la vente du navire Dalch Mat II devenu La Louisiane intervenue le l5 juin 2019,
o Débouté la société La Louisiane de sa demande d'indemnisation de la somme de 88.643,l5 euros dirigée contre M. [N] au titre du préjudice immatériel,
o Débouté la société La Louisiane de sa demande de condamnation solidaire de M. [N] et de la société EMCT à lui payer la somme mensuelle de 13.637,40 euros jusqu'à restitution du prix en principal, frais et intérêts au titre du préjudice d'immobilisation,
o Dit toutes autres demandes, fins et conclusions de la société La Louisiane injustifiées et en tout cas mal fondées, les en a déboutées,
Partant :
- Prononcer la résolution judiciaire de la vente du navire Dalch Mat devenu La Louisiane intervenue le 15 juin 2019 entre la société La Louisiane et M. [N] en sa qualité de vendeur,
- Juger que M. [N] devra reprendre, à ses frais, le navire au lieu où il se trouvera et restituer à la société La Louisiane le prix payé par elle pour ledit navire soit 210.000 euros,
- Condamner M. [N] à payer à la société La Louisiane la somme de 210.000 euros avec intérêt de droit et capitalisation,
- Juger que M. [N] était de mauvaise foi au moment de la vente et qu'il doit ainsi être condamné au paiement des pertes d'exploitation subies par la société La Louisiane,
- Juger que la société EMCT a manqué à ses obligations en sa qualité d'expert maritime,
En conséquence :
- Juger que la société EMCT et M. [N] seront solidairement condamnés à payer à la société La Louisiane la somme de 662.388.22 euros, préjudice immatériel arrêté au 31 juillet 2023 et
- Condamner les mêmes et sous la même solidarité à payer à la société La Louisiane la somme mensuelle de 18.507.909 euros à compter du 31 juillet 2023 jusqu'à restitution du prix payé en principal frais et intérêts au titre du préjudice d'immobilisation et correspondant à la moyenne des pertes mensuelles telles que calculées par l'expert judiciaire,
A titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour devrait faire droit à la demande de M. [N] tendant à la voir débouter la société La Louisiane de son action rédhibitoire et Juger, en conséquence, que le navire Dalch Mat II devenu La Louisiane n'était pas affectée de vices caches au moment de sa vente 1e 15 juin 2019 :
- Juger que la société EMCT a manqué à ses obligations en sa qualité d'expert maritime,
- Condamner la société EMCT, solidairement avec M. [N], à indemniser la société La Louisiane des préjudices causés par ces manquements soit :
o 210.000 euros au titre de la perte de chance de ne pas acheter un bateau ne pouvant naviguer chiffrée à 100 %,
- 662.388.32 euros au titre des pertes de la société La Louisiane qui ne peut plus exercer son activité, somme arrêtée au 31 juillet 2023,
-18.507.909 euros par mois à compter du 1er aout 2023 et jusqu'à l'arrêt à intervenir, s'agissant des pertes à venir,
En tout état de cause :
- Débouter M. [N] et la société EMCT de l'ensemble de leurs demandes fins et conclusions,
- Condamner la société EMCT et M. [N] à verser chacun à la société La Louisiane la somme de 16.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
La société EMCT demande à la cour de :
- Recevoir la société EMCT en son appel incident,
- Infirmer le jugement,
En conséquence :
- Débouter la société La Louisiane de toutes ses demandes, conclusions, fins plus amples ou contraires,
- Débouter M. [N] de toutes ses demandes dirigées à l'endroit de la société EMCT,
En tout état de cause :
- Condamner M. [N] à verser à la société EMCT une somme de 7.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile exposée en cause d'appel,
- Condamner la société La Louisiane à verser à la société EMCT une somme de 7.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile exposée en cause d'appel,
- Condamner la société La Louisiane et M. [N] aux entiers dépens de première instance comprenant les frais d'expertise ainsi qu'aux dépens d'appel.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé à leurs dernières conclusions visées supra.
DISCUSSION :
Sur les vices cachés et la résolution de la vente :
Les vices cachés sont ceux qui affectent l'usage de la chose auquel elle est destinée :
Article 1641 du code civil :
Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.
Il résulte des éléments de faits recueillis par l'expert judiciaire que le navire a été acquis par la société La Louisiane le 17 juin 2019. Le navire était alors en carénage. La société La Louisiane a fait modifier le chalut et installer un vivier à langoustines. Le nouveau propriétaire a exploité le navire sans aucun problème du 28 août 2019 à novembre 2019. En novembre 2019 une voie d'eau a été détectée au pied du portique du chalut. Une réparation a été effectuée. Au cours de l'hiver, le temps étant mauvais, la société La Louisiane a pratiqué 30 à 40 jours de pêche à la langoustine.
En février 2020, le chalut ayant croché dans une roche, une nouvelle voie d'eau a été détectée et un mouvement du portique du chalut. Une réparation d'étanchéité a été effectuée au pied du portique le 19 février 2020 et le navire a navigué sans problème majeur jusqu'au 17 juin 2020, mais avec des entrées d'eau au pied du portique du chalut.
L'expert a examiné le navire, sur une terre pleine, le 2 septembre 2020. Il a noté que la quille présentait des dégradations très importantes sous la bande molle en acier, cette zone, d'environ 4 mètres, située en arrière du navire montrant une dégradation des bois ancienne, plus de 10 cm de pénétration dans le bois étant possible. Il a noté que le massif de voûte montrait un vide entre 70 et 80 millimètres.
Il ajoute que le doublement de la râblure pour un contreplaqué témoignait d'un problème ancien au niveau de liaison des bordées avec l'étambot particulièrement au niveau de la râblure.
La société EMCT fait cependant valoir sur ce point que ce doublement constituerait en fait un martyre destiné à être sacrifié sous l'effet de la cavitation de l'hélice afin que la coque elle-même ne soit pas affectée.
A défaut d'élément contraire à cette explication, crédible, ce vice ne peut pas être retenu.
L'expert judiciaire a noté que près de 30% des bordées seraient à changer. Il a retenu que l'étrave dans sa partie basse semblait saine, ainsi que la quille dans sa partie avant et de nombreuses bordées en leur milieu. Il est à noter qu'il a procédé à cette estimation de la partie de bordées à changer sans avoir à décaper la coque dans son entier ce qui montrait que l'état des parties visibles suffisait à caractériser l'état général des dégradations.
L'expert a également noté de nombreuses dégradations à l'intérieur du navire, en zone arrière, serres de bouchains extrêmement dégradées, sept membrures bâbord hors service, importante voie d'eau au niveau du pied de portique bâbord avec dégradation importante des bois, boulonnerie en acier reliant les pièces en bois entre elles hors service, corrosion massive de l'ensemble du système de barre, liaisons du tableau arrière bâbord extrêmement corrodées, un des barrots de pont sous le portique bâbord manquant par dégradation des bois, liaison du tableau arrière tribord extrêmement corrodée et dégradation des bois visible, fuite importante au pied du portique de chalut tribord avec dégradation des bois, les deux serres sont hors service et extrêmement dégradées, cinq membrures tribord hors service, nombreuses fuites d'eau par les pieds de portique de chalut et par le pont, ligne d'arbre extrêmement corrodée.
L'expert souligne que l'accès à la zone arrière était plus complexe lors de l'expertise de la société EMCT mais qu'un accès à toute la zone arrière était possible par une porte centrale.
Dans la salle des machines, l'expert a relevé que les serres bauquières bâbord sont extrêmement dégradés et que les zones de pourrissement sont particulièrement visibles, que l'ensemble de la boulonnerie visible présente des traces de corrosion extrêmement importantes, une corrosion importante du moteur due aux fuites d'eau du pont, toutes les parties en bois visibles derrières les cuves à gasoil présentent des dégradations par pourriture de bois et dégradation de la boulonnerie.
Dans le poste avant, le pont sous la passerelle est complètement dégradé par pourrissement des bois dû à des entrées d'eau, les barrots du poste avant sont hors service par dégradation des bois, une fuite importante est constatée de la serre bauquière à tribord, la cloison poste avant salle des machines est extrêmement dégradée, une corrosion extrêmement importante est constatée au niveau des renforts métalliques sous le pont.
L'expert précise que les parties latérales bâbord et tribord étaient vaigrées, ce qui signifie qu'il n'y avait pas d'accès lors de l'expertise de la société EMCT aux bordées.
Dans le peak avant, l'expert a noté que les serres bauquières et serre de bouchain tribord sont extrêmement dégradées par pourrissement des bois et hors service, que le barotage tribord est hors service par pourrissement des bois, que toute la boulonnerie tribord est hors service par corrosion, que les serres hautes et basses à bâbord sont extrêmement dégradées, la partie basse semblant en meilleur état, que toute la boulonnerie bâbord est hors service par corrosion, que l'étrave et la contre étrave sont extrêmement dégradées par pourrissement des bois, ce point induisant que toutes les extrémités de bordée intérieur au niveau de la râblure risquent des dégradations importantes, que la boulonnerie de l'étrave est hors service par corrosion.
Sur le pont avant extérieur, gaillard, l'expert a noté que le pont est en contreplaqué stratifié et présente des dégradations extrêmement importantes par pourriture des bois et qu'un simple appui génère une voie d'eau. L'expert ajoute que le pont ne tient plus au niveau du couronnement avant.
L'expert judiciaire n'a, sur ce point, pas fait siennes les remarques de l'expert [V] mandaté par la société EMCT relativement à une dégradation récente de ce contreplaqué à la suite d'un choc récent.
L'expert note que de la passerelle jusqu'au tableau arrière de nombreuses jambettes sont dégradées par pourriture, le pavois étant partiellement dégradé, le plat bord arrière au-dessus du tableau arrière est dégradé par pourriture des bois au niveau des jambettes.
L'expert note que les pieds du portique du chalut bâbord et tribord montrent des réparations anciennes composées de contreplaqué vissé avec une étanchéité de type Sikaflex. Il ajoute que des coulées de braie anciennes pour étanchéifier les pieds de portique sont visibles.
L'expert conclut que la structure du navire était extrêmement dégradée et que le navire ne pouvait plus naviguer.
L'expert a joint à son rapport certaines photographies qui montrent les dégradations. Il apparaît ainsi que les dégradations décrites par l'expert étaient visibles même par un néophyte.
L'expert précise qu'il a procédé à ces constatations sans démontage particulier et que ces constatations ne laissaient aucun doute sur l'état de dégradation de la structure du navire, les principales pièces composant la solidité du navire étant très abimées et parfois inexistantes car complètement dégradées. Il souligne que si certaines zones du poste arrière étaient masquées par des parois stratifiées, elles étaient cependant accessibles. Il souligne à plusieurs reprises que la plupart des dommages étaient accessibles et visibles.
Au vu de l'état de dégradation des bois et éléments de liaison en acier, il est, comme l'a noté l'expert, certain que les désordres constatés sur le navire existaient au jour de la vente.
L'expert souligne que les nombreux dommages étaient visibles à l''il nu sans démontage et qu'une inspection même superficielle du navire aurait dû alerter sur l'état de la charpente et des principales pièces de liaison.
Le navire était âgé de 43 ans et avait été exploité dans les conditions difficiles que rencontrent les pêcheurs.
L'expert estime que les travaux réalisés par la société La Louisiane sur le portique du chalut et la caisse à langoustine n'ont pas modifié de façon significative les efforts de structure du navire.
L'expert a proposé aux parties de faire réaliser des calculs d'effort sur les conséquences des modifications effectuées par la société La Louisiane. Elles n’y ont pas donné suite. La société EMCT produit une analyse qu'elle a commandé à M. [V], expert maritime d'assurance.
A supposer même que ces modifications aient eu un effet notable sur les forces supportées par le portique de chalut, il apparaît que les désordres affectant le navire préexistaient et qu'au plus les modifications ont pu entraîner une aggravation de ces désordres qui étaient en tout état de cause rédhibitoires au moment de la vente.
Le coût des réparations est estimé par l'expert à près de 600.000 euros, somme inenvisageable pour un navire de cet âge.
Il apparaît ainsi que les vices qui affectent le navire le rendent impropre à son usage.
Ces vices existaient au moment de la vente et étaient apparents, la société La Louisiane n'ayant pas pu ne pas constater les dégradations importantes dues à la rouille et au pourrissement du bois. Il n'est cependant pas établi qu'elle ait eu connaissance de ces vices dans leur ampleur et leurs conséquences, à savoir l'impossibilité de naviguer, et ce d'autant moins qu'assistée d'un expert elle a pu s'en remettre au rapport positif que ce dernier lui a fait de l'état du navire.
Il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la résolution de la vente.
M. [N] est donc tenu à restitution du prix et la société La Louisiane à restitution du navire et de ses équipements tels que listés dans le contrat de vente. Les parties soulevant une possible ambiguïté du dispositif du jugement, la cour adoptera une rédaction différente de l'obligation de restitution de prix pour éviter cet écueil. La capitalisation des intérêts étant demandée, elle sera ordonnée.
Il y a lieu de rejeter la demande de paiement d'une somme de 20.000 euros au titre d'une éventuelle absence de restitution de l'ensemble des équipements et la demande de condamnation à réparer les enrouleurs, de telles demandes étant fondées sur un manquement en l'état hypothétique.
L'acte de vente n'a pas précisé en quel port le navire était livré. Le navire était, lors de la vente, immatriculé à [Localité 7] sous le numéro [Immatriculation 8]. M. [N], vendeur, était domicilié à [Localité 10]. Il résulte de l'attestation de M. [T] que la société La Louisiane est venue prendre livraison du navire à Port [9] à [Localité 10].
Il y a lieu d'ordonner la restitution du navire sur son lieu de livraison, soit Port [9] à [Localité 10]. Le jugement sera infirmé sur ce point. La cour ne peut cependant qu'inviter les parties à trouver un accord sur les modalités de restitution, que ce soit pour ce qui concerne son lieu que la liste des équipements vendus.
Sur l'indemnisation du préjudice subi par la société La Louisiane du fait de M. [N] :
La société La Louisiane fait valoir que M. [N] aurait été de mauvaise foi lors de la vente et qu'il serait donc tenu de l'indemniser du préjudice subi du fait de cet achat qui l'a conduit à ne pas pouvoir partir en pêche.
Il a été vu supra que les vices affectant le navire étaient apparents, même s'il n'est pas établi que l'acquéreur ait eu connaissance de l'étendue de leurs conséquences.
M. [N], quoique pêcheur professionnel, n'avait pas de compétences particulières en matière de structure des navires. Sa profession ne lui permettait pas d'avoir une connaissance complète de l'incidence des défauts sur la structure un navire, une telle appréciation relevant d'une autre spécialité professionnelle. Il naviguait régulièrement avec ce navire et menait des opérations de pêche. Le navire était en règle avec la législation et les contrôles opérés par les autorités. Pas plus que la société La Louisiane, également professionnelle de la pêche, n'avait connaissance des conséquences des vices, il n'est pas établi que M. [N] avait connaissance de ce que le navire était impropre à son usage.
M. [N] n'est donc tenu qu'à la restitution du prix et la demande de paiement de dommages-intérêts formée contre lui sera rejetée.
Sur l'indemnisation du préjudice subi par la société La Louisiane du fait de la société EMCT :
La société La Louisiane fait valoir que du fait des manquements de la société EMCT, elle aurait perdu une chance de ne pas acquérir le navire. Son préjudice correspondrait donc au prix de l'acquisition et à l'impossibilité de prendre la mer pour pêcher en l'absence de disponibilités financières pour réparer le navire ou en acquérir un autre, son investissement étant immobilisé dans le navire litigieux.
La société EMCT fait valoir que l'expert judiciaire a dû procéder à quelques démontages pour réaliser ses constatations et que l'aménagement différent du navire lui a permis d'avoir accès à certaines parties qui étaient inaccessibles lors de sa visite du 28 mars 2019.
Ce rapport de la société EMCT précise que la visite du navire a été effectuée sans démontage particulier en vue de donner un avis sur son état apparent par un examen externe et visuel.
Il y est indiqué que la quille est en bon état apparent, que le tableau de la quille présente quelques traces de faiblesse au voisinage de la bande molle, que la râblure et les galbords paraissent en bon état, leur résistance au poinçonnement du bois étant satisfaisante, que l'examen des fonds visibles et accessibles n'a pas révélé de vice apparent, la résistance au poinçonnement du bois étant satisfaisante, les jambettes de pavois paraissent en bon état et présentent une bonne résistance au poinçonnement, que les varangues et la carlingue sont accessibles sous un plancher amovible et paraissent en état satisfaisant, leur résistance au poinçonnement étant bonne, les serre-bauquières accessibles présentent une bonne résistance au poinçonnement, celle de tribord ayant été réparée récemment.
En conclusion la société EMCT a indiqué que la qualité de construction du navire était réputée, son bon état général et une maintenance soignée devant en permettre l'exploitation durant plusieurs années sous réserve d'un bon entretien, détaillé au rapport.
La société EMCT a précisé qu'elle ne se prononçait pas sur l'état interne des matériaux, des espaces inaccessibles qui exigeraient soit des démontages complets soit des sondages ou encore des contrôles spécialisés.
L'expert judiciaire a précisé quels étaient les vices accessibles lors de la vente et ceux qui ne l'étaient pas. Il appartenait à la société EMCT, mandatée pour expertiser le navire, de le visiter dans sa totalité, même si elle ne procédait à aucun démontage. Il ne peut utilement faire valoir que certaines parties du navire étaient difficiles d'accès ou dissimulées derrière des travaux en cours. L'expert a noté que ses constatations ne tiennent pas compte de la partie de la structure du navire qui était masquée. Ces constatations sur les parties non masquées permettent à elles seules de caractériser un état très dégradé.
A supposer que les travaux modificatifs réalisés par la société La Louisiane aient modifié les répartitions de forces, et aggravé les infiltrations d'eau, l'état des bois aurait du être constaté par la société EMCT qui indique dans son rapport à plusieurs reprises avoir procédé à des poinçonnements. De même, la rouille affectant les éléments de structure aurait du être détectée.
En tout état de cause, la société EMCT ne peut utilement se retrancher derrière le caractère restreint de la mission qui lui aurait été confiée. Sur un navire de cet âge, en bois, il lui appartenait de prendre toutes les dispositions pour avertir la société La Louisiane des conséquences d'éventuelles difficultés que pouvaient comporter les parties non examinées par elle lors de sa visite. La société La Louisiane a eu recours à un expert pour avoir un avis éclairé sur l'état du navire en lequel elle devait avoir confiance. Si la mission telle qu'elle lui avait été confiée ne permettait pas à la société EMCT d'émettre un avis pertinent, il lui appartenait de la refuser ou de la faire modifier.
Il apparaît ainsi que la société EMCT a commis une faute dans l'établissement de son rapport du 28 mars 2019 et que cette faute a fait perdre à la société La Louisiane une chance de ne pas procéder à l'acquisition du navire.
La société EMCT ne saurait être tenue à restitution du prix, ou à paiement de dommages-intérêts au titre du prix d'achat, alors que la société La Louisiane est par ailleurs tenue à cette restitution.
Au vu d'une analyse plus précise et complète de la société EMCT, la société La Louisiane aurait eu une chance de poursuivre, avec un autre navire, ses activités de pêche. L'expert judiciaire note que le chiffre d’affaires du navire est de 1.571,13 euros par jour de pêche, le navire pêchant en moyenne 19 jours par mois.
A ce chiffre d’affaires il convient de déduire les frais fixes et charges, ainsi que les salaires et charges.
Il y a lieu d'évaluer le préjudice subi par la société La Louisiane du fait de la perte d'une chance de réaliser une marge sur l'exploitation d'une activité de pêche, depuis la date de l'immobilisation du navire à la date du présent arrêt, à la somme de 90.000 euros. Le jugement sera infirmé sur ce point.
Le présent arrêt ordonnant la restitution du prix, la perte de chance prend fin.
Sur les frais et dépens :
Il y a lieu de condamner M. [N] aux dépens d'appel et de rejeter les demandes formées au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour :
- Infirme le jugement en ce qu'il a :
- Dit que M. [N] devra reprendre, à ses frais, le navire au lieu où il se trouvera et restituer à la société La Louisiane le prix payé par elle pour ledit navire, soit la somme de 210.000 euros,
- Condamné M. [N] à payer à la société La Louisiane la somme de 210.000 euros avec intérêts de droit et capitalisation dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil,
- Débouté M. [N] de son appel en garantie dirigé contre la société EMCT,
- Dit toutes autres demandes, fins et conclusions des parties injustifiées et en tout cas mal fondées, les en a déboutées,
- Confirme le jugement pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant :
- Condamne la société Armement La Louisiane à restituer à ses frais le navire La Louisiane, ainsi que les équipements listés dans le contrat de vente du 15 juin 2029, à M. [N] à Port [9] à [Localité 10],
- Condamne M. [N] à restituer à la société Armement La Louisiane la somme de 210.000 euros, avec capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1342-2 du code civil,
- Condamne la société Expertises Maritimes Contrôles Techniques EMCT à payer à la société Armement La Louisiane la somme de 90.000 euros à titre de dommages-intérêts,
- Rejette les autres demandes des parties,
- Condamne M. [N] aux dépens d'appel.