CA Colmar, 1re ch. civ. A, 9 octobre 2013, n° 12/03877
COLMAR
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vallens
Conseillers :
Mme Schneider, Mme Roubertou
Avocats :
Me Boucon, Me Wetzel
Mme X, Mme Y et Mme Z exerçaient ensemble leur profession d'infirmière libérale au sein d'un cabinet à MUNTZENHEIM jusqu'au 9 décembre 2007, date du décès brutal de Mme AB qui a laissé pour lui succéder deux enfants A et B.
A compter du 1er janvier 2008, le cabinet a été transféré à HOLTZWIHR et Mme W a intégré ce cabinet pour y exercer son activité d'infirmière libérale conjointement avec Mesdames Y et Z.
Par actes du 28 juillet 2009, MM. A et B, ce dernier étant représenté par sa tutrice, ont fait assigner Mesdames Y, Z et W devant le tribunal de grande instance de COLMAR pour obtenir leur condamnation solidaire au paiement d'un somme de 50.000 € à titre de dommages-intérêts.
Ils invoquaient la société de fait ayant existé au sein du cabinet d'exercice libéral et la captation par les défenderesses de la clientèle de leur mère, et réclamaient la quote-part de la valeur patrimoniale attachée au cabinet, déterminée à partir des revenus professionnels de Mme AB pour les années 2003 à 2006.
Par jugement du 22 mai 2012, le tribunal de grande instance de COLMAR a débouté les consorts X de leur demande, en considérant qu'en l'absence de mise en commun de la clientèle et du partage des honoraires, il n'y avait pas de société de fait entre les défenderesses, et que le fait d'informer les clients du décès de Mme AB pour assurer le suivi des soins ne constituait pas une captation de clientèle.
Le tribunal a en outre condamné MM. A et B à payer aux défenderesses la somme de 1.000 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
MM. A et B ont régulièrement interjeté appel de ce jugement.
Ils demandent à la Cour d'infirmer le jugement déféré, de constater que les éléments d'une société de fait sont réunis, subsidiairement de dire et juger que Mesdames Y, Z et W se sont appropriées la patientèle de Mme AB, et de les condamner à leur payer la somme de 50.000 € à titre de dommages-intérêts ainsi qu'un montant de 3.000 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
MM. A et B font valoir que si pour des raisons liées aux exigences de la sécurité sociale, chacune des infirmière a exercé son activité en son nom personnel et perçu les honoraires correspondant aux actes qu'elle a réalisés, la mutualisation des moyens au sein du cabinet a permis la réalisation d'économies ce qui s'analyse en une participation aux bénéfices, et la clientèle n'était pas attachée à chaque infirmière prise individuellement mais au cabinet.
Ils soulignent en effet que la prise en charge d'un patient dépendait largement du domicile du patient et du tableau de roulement organisé au sein du cabinet comme en témoignent les plannings des rendez-vous, ce qui démontre que les infirmières exploitaient ensemble une clientèle commune.
Ils considèrent que l'existence d'apports, la participation aux bénéfices et aux pertes et une nécessaire affectio societatis pour mener à bien la continuité des soins démontrent la réalité de la société de fait.
Ils affirment qu'après le décès de leur mère, plutôt que de rechercher une autre infirmière pour lui transférer la clientèle, ils ont préféré laissé les infirmières choisir elles-mêmes leur associée et que c'est dans ces conditions qu'elles ont présenté leur clientèle à Mme W.
A titre subsidiaire, ils estiment que Mesdames Y et Z ont détourné au profit de W la patientèle de Mme AB comme en témoignent le message téléphonique, les insertions d'annonces dans la presse et la récupération des agendas et autres documents.
Concluant à la confirmation du jugement déféré, Mesdames Y, Z et W sollicitent l'allocation d'une somme de 1.200 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Les intimées se prévalent du contrat de collaboration qui avait été conclu en 1999 entre Mme AB et Mme Y excluant toute mise en commun de la clientèle ainsi que tout partage ou rétrocession des honoraires.
Elles soutiennent que l'agenda commun était indispensable à l'organisation de la continuité des soins, et que la seule mutualisation des moyens ne suffit pas à démontrer l'existence d'une clientèle commune.
Elles affirment que les patients de Mme AB qui se sont retrouvés sans infirmière suite à son décès se sont soit rapprochés de Mme Y ou de Mme Z ou se sont disséminés entre les différentes praticiens.
Elles soulignent que chacune percevait les honoraires afférents aux actes qu'elle réalisait, qu'il n'était convenu d'aucune contribution aux pertes et que les circonstances de leur collaboration ne permettent pas de retenir l'existence d'une affection societatis.
Elle contestent tout détournement de clientèle et ajoutent qu'en informant la clientèle et en récupérant le planning des interventions de Mme AB elles n'ont fait que veiller à la continuité des soins.
VU LES PIÈCES DE LA PROCÉDURE
Attendu qu'il résulte des dispositions de l'article 1832 du code civil que la société entre plusieurs personnes se caractérise par leur volonté d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager les bénéfices ou de réaliser des économies, et par leur engagement de contribuer aux pertes ;
Qu'en l'espèce, Mesdames X, Y, Z n'ont conclu aucun contrat de société entre elles, et qu'il convient de déterminer au vu de l'organisation interne du cabinet dans lequel elles ont exercé, si ces conditions caractérisent une société de fait à savoir l'existence d'apports, une participation aux bénéfices et aux pertes et un affectio societatis ;
Attendu qu'un contrat de collaboration avait été conclu le 1er décembre 1999 entre Mme AB et Mesdames Y, dont l'objet était de ' faciliter l'exercice de la profession d'infirmière libérale tout en optimisant la continuité et la qualité de soins aux malades dans un climat d'entraide ...' ;
Que ce contrat prévoyait que chaque infirmière exercerait sous son nom personnel, percevrait seule les honoraires afférents aux actes quelle réaliserait, conserverait seule ses charges sauf les exceptions concernant le local professionnel commun ;
Attendu que s'il est constant que ce contrat a cessé de régir les conditions d'exercice professionnel de Mme AB et de Mesdames Y à compter de l'entrée au sein du cabinet de Mme Z, pour autant il n'est pas établi au vu des circonstances de fait rapportées par les parties, que les conditions requises pour la reconnaissance d'une société de fait entre elles soient cumulativement réunies ;
Attendu qu'il résulte des éléments de preuve produits que chacune des infirmières exerçait sous son nom personnel, avait son propre numéro de téléphone, percevait directement les honoraires liées aux actes qu'elle effectuait personnellement et supportait ses charges professionnelles personnelles ;
Qu'exerçant au sein des mêmes locaux, les trois infirmières ont partagé les charges de loyers et les dépenses afférentes aux locaux communs ;
Qu'il résulte de l'agenda du cabinet et en particulier du planning des soins des 1er, 3 et 4 novembre 2007 que Mme AB exerçant seule a visité les patients des deux autres infirmières ;
Qu'il résulte également de l'agenda journalier de Mme AB du 8 novembre 2007 rapproché de la carte routière du département que les visites domiciliaires qu'elle a effectuées alors que Mme Z était absente se situaient quasi-exclusivement dans le secteur Sud de MUNTZENHEIM ;
Qu'il résulte également des feuilles de soins de M. Obrecht, que lorsque Mme AB, proche parente de ce dernier ne travaillait pas, les soins étaient assurés par Mme Y ou, par Mme Z ;
Que pour le surplus, les agendas et plannings produits par les appelants montrent que les infirmières ont pu se remplacer auprès de leur patientèle en cas d'absence de l'une ou l'autre selon des modalités qu'elles ont défini entre elles, mais ne permettent nullement de considérer qu'elles ont mis en commun leur patientèle pour être répartie par secteur géographique ;
Que le remplacement mutuel d'une infirmière par une autre durant leurs congés respectifs procède de la nécessité d'assurer la continuité des soins et constitue une obligation déontologique rappelée par l'article R 4312-30 du code de la sécurité sociale ;
Que s'il est constant que l'organisation de leurs remplacements tout comme la mutualisation des moyens a permis une rationalisation de leur mode d'exercice et la réalisation d'économies, cette circonstance ne suffit pas à caractériser le partage des bénéfices ni l'intention de contribuer aux pertes, voire l'affectio societatis ;
Qu'au regard de ces observations, il est sans emport que Mesdames Y et Z aient, à la suite du décès de Mme AB, fait paraître un avis de décès en se présentant comme 'infirmières associées' ou qu'elles aient récupéré les plannings de Mme AB afin d'assurer la continuité des soins ;
Attendu que l'insertion d'une annonce dans la presse invitant les patients suivis par Mme AB à s'adresser à Mme Y ou à Mme Z ou encore la récupération des agendas et tous documents de Mme AB à la suite de son décès, procèdent aussi de l'obligation d'assurer la continuité des soins et ne caractérisent ni une captation de clientèle ni une quelconque faute qu'auraient pu commettre les intimées ;
Que le jugement déféré doit être confirmé ;
Attendu qu'il ne paraît pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais exposés et non compris dans les dépens ;
Qu'il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
DECLARE l'appel recevable,
Au fond le DIT mal fondé et le rejette,
CONFIRME le jugement déféré,
DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
CONDAMNE MM. A et B aux dépens d'appel.