Cass. com., 14 juin 2023, n° 21-11.588
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
M. Riffaud
Avocat général :
Mme Henry
Avocats :
Me Soltner, SCP Piwnica et Molinié
Reprise d'instance
1. Il est donné acte à la société Locate et fils de ce qu'elle a repris l'instance en appelant à la procédure la société [X] et la société Elise de Laissardière, respectivement désignées en qualité de mandataire judiciaire et d'administrateur de la société Cap, mise en redressement judiciaire par un jugement du 7 septembre 2022.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis, 4 décembre 2020), les 16 et 17 octobre 2007, la société Locate et fils (la société Locate), bailleresse d'un local à usage commercial, a assigné M. [R] et la société Cap, à laquelle ce bail avait été cédé, en fixation du prix du bail renouvelé.
3. Par un jugement du 7 septembre 2012, le juge des loyers commerciaux a constaté le renouvellement du bail à compter du 1er juillet 2006, fixé le montant du loyer provisionnel et ordonné une expertise.
4. Le 10 février 2015, la société Cap a cédé son fonds de commerce à la société Littal, laquelle est intervenue volontairement à l'instance en détermination du montant du loyer.
5. La société Littal ayant été mise en redressement judiciaire le 5 avril 2016 et cette procédure collective ayant été convertie en liquidation judiciaire le 31 mai 2016, M. [X], désigné en qualité de liquidateur, a été appelé à l'instance et la société Locate a déclaré sa créance.
6. Par un jugement du 17 juillet 2018, le juge des loyers commerciaux, devant lequel la société Locate demandait également que sa créance de loyers soit fixée à l'égard de la société Littal, a rejeté la demande du bailleur de déplafonnement du loyer du bail renouvelé. La société Locate a interjeté appel de ce jugement le 24 août 2018.
7. La liquidation judiciaire de la société Littal ayant été clôturée pour insuffisance d'actif le 10 septembre 2019, une ordonnance du président du tribunal mixte de commerce de Saint-Denis du 8 juillet 2020 a désigné la société CBF en qualité de mandataire ad hoc de la société débitrice.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
8. La société Locate fait grief à l'arrêt de déclarer son appel irrecevable, alors « que le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens même de ceux qu'il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n'est pas clôturée. Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur ; que tel est le cas de l'action en fixation du loyer d'un bail commercial souscrit par le débiteur ; qu'en jugeant que l'exercice d'une telle action constituait un "droit propre" du preneur qui nécessitait sa mise en cause, aux côtés de son liquidateur judiciaire, à la procédure d'appel dirigée contre le jugement ayant débouté le bailleur de sa demande de déplafonnement, et en déclarant par conséquent irrecevable l'appel de la société Locate en ce qu'il était dirigé contre le seul liquidateur judiciaire de la société Littal la cour d'appel a violé l'article L. 641-9, 1° du code de commerce, ensemble les articles 125 et 369 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 641-9, I du code de commerce :
9. Il résulte de ce texte que le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l'administration de ses biens et que les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur.
10. Pour déclarer la société Locate irrecevable en son appel, l'arrêt retient que le litige étant indivisible entre la société Littal et son liquidateur, cette société, qui était partie en première instance et dont les prétentions ont été écartées, n'a pas été intimée, cependant que son placement en redressement puis en liquidation judiciaire, postérieur à son intervention et au dépôt de ses conclusions dans l'instance en cours, n'a eu pour effet ni de lui ôter la qualité de partie, ni de la priver d'être représentée par ses organes en vertu du droit propre qu'elle conservait à soutenir ses intérêts en dépit de l'intervention du liquidateur.
11. En statuant ainsi, alors qu'aucun droit propre ne peut être reconnu au débiteur dessaisi dans l'exercice d'une action en fixation du loyer du bail renouvelé, devant le juge des loyers commerciaux, fondée sur l'article R. 145-23 du code de commerce, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 4 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis autrement composée.