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Décisions

CA Douai, ch. 2 sect. 2, 7 décembre 2023, n° 21/02006

DOUAI

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Okaidi (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Barbot

Conseillers :

Mme Cordier, Mme Vanhove

Avocats :

Me Guilmain, Me Benchetrit, Me Polini, Me Camus-Demailly, Me Binder

T. com. Lille Métropole, 22 janvier 2020…

22 janvier 2020

FAITS ET PROCEDURE :

Désireuse de s'implanter en [Adresse 1], la société Okaïdi, spécialisée dans la distribution et la vente d'articles de textile destinés aux enfants, a fait appel aux services de M. [V] afin d'être mise en relation avec le groupe Hamashbir, partenaire potentiel exploitant une chaîne de grands magasins sur le territoire israélien.

A la suite de cette mise en relation, intervenue en juin 2017, la société Okaïdi et le groupe Hamashbir ont entamé des négociations qui ont abouti, le 31 août 2017, à la signature d'une lettre d'intention actant leur souhait de poursuivre les négociations en vue d'aboutir à la conclusion d'un contrat de franchise.

En septembre 2017, quinze magasins à l'enseigne Okaïdi ont ouvert en [Adresse 1], et, en définitive, dix-huit s'y sont implantés.

Un litige est survenu concernant la rémunération due à M. [V] par la société Okaïdi, le premier prétendant au versement de commissions représentant 5 % de l'ensemble des ventes générées par l'implantation de magasins en [Adresse 1], sur le fondement d'un prétendu accord des parties sur ce point, tandis que la seconde lui a proposé une rémunération forfaitaire, qu'elle a finalement fixée à 25 000 euros, aux motifs que M. [V] avait accompli une simple mission de présentation pour la seule saison printemps-été 2018.

Après de vaines tentatives de négociation et la délivrance d'une mise en demeure du 17 juillet 2018, M. [V] a assigné la société Okaïdi le 19 avril 2019, afin d'obtenir le paiement de la somme de 448 347,50 euros et, subsidiairement, celle de 375 000 euros au titre de sa rémunération en qualité d'apporteur d'affaires.

Contestant l'existence d'un contrat d'apporteur d'affaires, ainsi que la nature et la durée des prestations accomplies par M. [V], la société Okaïdi s'est opposée à ces demandes et a demandé, reconventionnellement, la somme de 60 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des menaces et injures proférées à l'égard de MM. [N] et [G].

Par un jugement du 22 janvier 2020, le tribunal de commerce de Lille Métropole a : 

- dit qu'il n'existait pas de contrat d'apporteur d'affaires au profit de M. [V] ;

- rejeté l'ensemble des demandes formées par M. [V] à ce titre ;

- rejeté la demande de M. [V] tenant au remboursement de ses frais de déplacement ;

- ordonné la levée du séquestre de la somme de 25 000 euros consignée à la CARPA au profit de M. [V] au titre de sa rémunération ;

- rejeté la demande indemnitaire pour injures formée par la société Okaïdi ;

- rejeté les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné M. [V] aux dépens ;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

- rejeté les demandes plus amples ou contraires des parties.

Par déclaration du 8 avril 2021, M. [V] a relevé appel limité de ce jugement, le critiquant en ce qu'il :

- dit qu'il n'existe pas de contrat d'apporteur d'affaires ;

- rejette ses demandes à ce titre ;

- rejette sa demande de remboursement des frais de déplacement ;

- rejette sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- le condamne aux dépens ;

- rejette ses demandes plus amples ou contraires.

Une ordonnance du conseiller de la mise en état rendue le 15 septembre 2022 a, pour l'essentiel :

- rejeté la demande de la société Okaïdi tendant à voir déclarer caduc l'appel formé par M. [V] ;

- rejeté la demande de cette société tendant à faire déclarer irrecevable la demande de M. [V] portant sur sa rémunération.

Cette ordonnance n'a pas été frappée d'un déféré.

PRETENTIONS DES PARTIES :

Aux termes de ses conclusions récapitulatives transmises par le RPVA le 27 décembre 2021, M. [V] demande à la cour de :

- de se déclarer incompétente pour connaître de la fin de non-recevoir soulevée par la société Okaïdi, qui aurait dû saisir le conseiller de la mise en état préalablement à toute défense au fond ;

- en tout état de cause, si la cour se déclarait compétente sur cette fin de non-recevoir, la déclarer infondée et la rejeter ;

- rejeter la demande de dommages et intérêts pour insultes et menaces formée par la société Okaïdi ;

- réformer le jugement entrepris ;

A titre principal :

- dire qu'il existe un contrat d'apporteur d'affaires conclu entre lui et la société Okaïdi,

- déclarer recevables ses demandes au titre de sa rémunération ;

- condamner la société Okaïdi à lui payer la somme de 448 437,50 euros au titre

de sa rémunération d'apporteur d'affaires, outre les intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 17 juillet 2018 ;

A titre subsidiaire :

- condamner la société Okaïdi à lui payer la somme de 375 000 euros au titre de sa rémunération d'apporteur d'affaires, outre les intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 17 juillet 2018 ;

En tout état de cause :

- rejeter l'appel incident de la société Okaïdi ;

- condamner la société Okaïdi à lui payer la somme de 25 000 euros en remboursement des frais et débours engagés dans le cadre de sa mission d'apporteur d'affaires, outre les intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 17 juillet 2018,

- condamner la société OKAIDI au paiement de la somme de 15 000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives transmises par le RPVA le 26 février 2022, la société Okaïdi demande à la cour de :

* A titre principal :

- confirmer le jugement entrepris, au vu de la déclaration d'appel, qui ne comporte pas tous les chefs du dispositif du jugement et vu le dispositif des conclusions de M. [V], qui ne mentionne pas qu'il est demandé l'infirmation des chefs du dispositif du jugement entrepris ;

- juger irrecevable la demande tendant à sa condamnation au paiement de la somme de 448 437,50 euros et, à titre subsidiaire, 375 000 euros, au titre de la rémunération de M. [V], dès lors que le chef de dispositif du jugement ordonnant la mainlevée du séquestre de la somme de 25 000 euros est définitif et revêtu de l'autorité de la chose jugée ;

* A titre subsidiaire, si la cour s'estime saisie de ce chef de jugement :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

o dit qu'il n'existe pas un contrat d'apporteur d'affaires ;

o rejeté l'ensemble des demandes de M. [V] à ce titre ;

o ordonné la levée du séquestre de la somme de 25 000 euros ;

o rejeté la demande de remboursement de frais de déplacements formée par M. [V] ;

o rejeté la demande d'indemnité procédurale formée par M. [V], et condamné ce dernier aux dépens ;

- réformer ce jugement en ce qu'il a :

o rejeté sa demande de dommages intérêts pour injures :

o rejeté les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

o rejeté les demandes plus amples ou contraires des parties ;

statuant à nouveau :

- condamner M. [V] à lui payer la somme globale de 60 000 euros à titre de dommages et intérêts pour injures (30 000 euros) et menaces (30 000 euros) ;

* En tout état de cause :

- rejeter l'ensemble de ses demandes de M. [V] ;

- le condamner à payer la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

***

A l'audience, la cour, rappelant que l'ordonnance du conseiller de la mise en état ci-dessus évoquée n'avait pas fait l'objet d'un déféré, a interrogé la société Okaïdi sur le point de savoir si celle-ci maintenait ses demandes formées à titre principal (soit celle tendant à la confirmation du jugement entrepris eu égard à la rédaction de la déclaration d'appel et du dispositif des conclusions de M. [V], et celle tendant à l'irrecevabilité de la demande en paiement d'une rémunération formée par M. [V]). La société Okaïdi est convenue de ce qu'il n'y avait pas lieu de maintenir ces demandes, sur lesquelles le conseiller de la mise en état avait déjà statué.

MOTIVATION :

A titre liminaire, il convient de rappeler que les demandes de constatations ou de « dire et juger » ne constituent pas des prétentions saisissant la cour au sens des articles 4 et 954 du code de procédure civile.

1°/ Sur les demandes principales formées par la société Okaïdi

Il convient de donner acte à la société Okaïdi de ce qu'elle renonce à ses demandes formées à titre principal - celle tendant à la confirmation du jugement entrepris eu égard à la rédaction de la déclaration d'appel et du dispositif des conclusions de M. [V], et celle tendant à l'irrecevabilité de la demande en paiement d'une rémunération formée par M. [V] -, dès lors que le conseiller de la mise en état a tranché ces points dans son ordonnance du 15 septembre 2022, devenue irrévocable en l'absence de déféré.

2°/ Sur la rémunération demandée par M. [V]

M. [V] soutient, en substance, que c'est sur la base de sa proposition tarifaire qu'il a commencé sa mission d'apporteur d'affaires ; que quatre mois après le début de son intervention et une fois les relations nouées avec son nouveau partenaire, la société Okaïdi est, de mauvaise foi, revenue sur la méthode d'évaluation de sa rémunération et a cherché à négocier celle-ci à la baisse ; qu'il a pleinement accompli sa mission d'apporteur d'affaires, permettant la mise en relation des sociétés Okaïdi et Hamashbir et la mise en place de bases solides d'un véritable partenariat dans un temps record, le premier point de vente ayant ouvert près de trois mois après les premières discussions ; qu'en matière de contrat d'apporteur d'affaires, l'usage est que la rémunération de l'apporteur d'affaires soit calculée en pourcentage du chiffre d'affaires généré par l'entremise réalisée, sur la base d'une moyenne de 5 à 15 %.

En réponse, la société Okaïdi fait valoir que, conformément à sa demande, le rôle de M. [V] s'est limité à une mise en relation entre elle et la société Hamasbir et qu'il a, tout au plus, apporté son aide au démarrage de cette relation ; que M. [V] s'invente un rôle qu'il n'a jamais eu et a tenté, en vain, de s'insinuer dans cette relation directe, sans y avoir été invité ni avoir reçu mandat ; qu'il n'a pas organisé les visites entre elle et la société Hamasbir, ni négocié la « Loi » ; qu'il a ponctuellement joué un rôle de traducteur ; qu'il a eu un rôle perturbateur dans les négociations ; qu'en janvier 2018, M. [V] n'est plus intervenu dans ces négociations, à la demande de la société Hamashbir.

Subsidiairement, la société Okaïdi fait valoir que la rémunération demandée sous la forme d'une commission de 5 % est injustifiée et disproportionnée ; qu'aucun accord n'a été conclu entre les parties sur ce point et qu'aucun usage ne prévoit une telle commission ; que l'annonce verbale et unilatérale de M. [V], sur sa rémunération, ne constitue qu'une offre qui n'a pas été acceptée, de sorte que l'accord de volontés n'a pas eu lieu ; qu'elle-même a toujours refusé une rémunération sous la forme d'une commission ; que les tâches invoquées par M. [V] ne sont pas démontrées ; qu'il n'a jamais été question d'une rémunération illimitée dans le temps ; qu'elle-même est de bonne foi, ayant constamment offert une rémunération comprise entre 20 000 et 25 000 euros ; que l'intervention de M. [V] s'est déroulée sur une seule saison, de juin 2017 à début janvier 2018 ; qu'après l'appel interjeté, elle a payé à M. [V] la somme qu'elle reconnaît lui devoir, soit 25 000 euros.

***

Au préalable, il y a lieu de relever que, dans le dispositif de leurs conclusions respectives, les parties visent des articles du code civil français, dans leur rédaction issus de l'ordonnance du 10 février 2016, entrée en vigueur le 1er octobre suivant. Les parties s'accordent, par conséquent, sur l'application de la loi française et celle de l'ordonnance précitée, et cela à bon droit, dès lors que le contrat litigieux a été conclu en juin 2017.

En premier lieu, il convient de rappeler qu'en droit, le contrat est un accord de volonté entre des parties destiné, notamment, à créer des obligations (article 1110 du code civil), il tient lieu de loi à ceux qui l'ont fait (article 1103 du code civil) et, sauf texte contraire, il peut résulter du seul échange des consentements et, partant, être non écrit (article 1109 du code civil).

En l'espèce, la société Okaïdi reconnaît, dans ses écritures, qu'en 2017, afin de développer son activité et d'optimiser ses chances de s'implanter en [Adresse 1], pays dont elle méconnaissait les traditions et usages, elle a missionné M. [V], qui bénéficiait d'une expérience reconnue en matière de développement et d'une bonne connaissance du marché textile israëlien, dans le but que celui-ci la mette en relation avec la société Hamashbir, identifiée comme un partenaire potentiel. Elle reconnaît également que, sous l'égide de M. [V], elle a pu organiser une première réunion avec la société Hamashbir le 28 juin 2017, à la suite de quoi les négociations se sont engagées dès le mois de juillet 2017. Celles-ci ont abouti à la signature d'une lettre d'intention (en anglais Letter of intent, ou Loi) signée par la société Hamashbir le 31 août 2017, destinée à fixer le cadre de leurs négociations futures dans l'objectif d'aboutir à la signature d'un contrat de franchise. Ainsi, quinze magasins (corners) ont d'abord ouvert en [Adresse 1], en septembre 2017. La société Okaïdi reconnaît encore que, lors de ses négociations avec la société Hamashbir, « des visites » ont été organisées en présence de M. [V], en particulier le 24 juillet 2017 en [Adresse 1].

Ces seuls éléments suffisent à établir qu'un contrat a été conclu entre M. [V] et la société Okaïdi, peu important que ce contrat fût non écrit.

Bien que M. [V] entende voir ce contrat qualifié de contrat « d'apporteur d'affaires », cette qualification est dépourvue d'utilité, dans la mesure où il s'agit d'un contrat innomé et non réglementé, et où M. [V] ne rapporte pas la preuve, au moyen de la pièce n° 27 qu'il produit, de ce qu'il existerait un usage fixant la rémunération de l'apporteur d'affaires.

En second lieu, sont discutées, en l'espèce, l'étendue des missions accomplies par M. [V], en exécution du contrat non écrit conclu avec la société Okaïdi, et, partant, la rémunération due à celui-là.

Contrairement à ce qu'affirme M. [V], il n'est pas établi que les parties se seraient, préalablement à son intervention, accordées sur le montant de la rémunération qu'il demandait (une commission de 5 %), la société Okaïdi n'ayant pas donné suite à sa proposition de contrat « d'apporteur d'affaires » transmise le 23 août 2017, calquée sur celui conclu avec une société tierce (cf. la pièce n° 8 de M. [V]). Puis, après avoir laissé sans réponse les demandes de M. [V] dans un premier temps, la société Okaïdi a expressément refusé de lui verser une rémunération sous la forme d'une commission à partir du mois d'octobre 2017 (cf. les pièces n° 7 et 8 de la socitété Okaïdi).

De même, les propositions de rémunération forfaitaire que la société Okaïdi a tardivement fait parvenir à M. [V] le 2 octobre 2017 (entre 10 000 et 30 000 euros, selon le nombre de magasins ouverts, à verser à la signature définitive du contrat de distribution, cf. pièce n° 12 de M. [V]), le 14 novembre 2017 (25 000 euros par saison durant deux ans, cf. pièce 3 de M. [V]), le 9 mars 2018 (20 000 euros, à verser à la signature définitive de la lettre d'intention, cf. pièce n° 18 de M. [V] ), et enfin le 3 août 2018, en réponse à la mise en demeure envoyée par M. [V] (25 000 euros, cf. pièce n° 20 de M. [V]), ont toutes été refusées par M. [V].

Il s'ensuit que les parties ne se sont jamais accordées, avant que M. [V] débute sa mission, en juin 2017, sur la rémunération due à celui-ci.

Même en se basant sur la seule mission de présentation admise par la société Okaïdi, le contrat litigieux constitue un contrat de prestation de service, de sorte qu'il convient de faire application de l'article 1165 du code civil, expressément visé par l'appelant dans le dispositif de ses conclusions.

Ce texte, dans sa rédaction d'origine issue de l'ordonnance du 10 février 2016 applicable en la cause eu égard à la date de conclusion du contrat, dispose que :

« Dans les contrats de prestation de service, à défaut d'accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d'en motiver le montant en cas de contestation. En cas d'abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d'une demande en dommages et intérêts. »

Même en considérant qu'est exclue la faculté, pour le juge, de modérer le prix unilatéralement fixé par le créancier en application de ce texte, il n'en demeure pas moins qu'en imposant que le créancier motive le prix fixé, ces dispositions exigent que le créancier justifie du bien-fondé de sa demande en paiement à ce titre.

En l'occurrence, il ressort des pièces communiquées que M. [V] a, dès le 23 août 2017, réclamé une commission représentant un pourcentage des ventes, en s'appuyant sur un contrat de référence fixant une rémunération de 5 % des ventes au titre de la première année, puis 3 % les années suivantes (cf. ses pièces n° 8 et 9). Tel qu'indiqué précédemment, la société Okaïdi, après avoir différé sa réponse aux demandes réitérées de M. [V] sur ce point, a exprimé son refus net d'une telle rémunération dans un courriel du 2 octobre 2017.

M. [V] motive sa demande de rémunération en invoquant l'accomplissement des missions suivantes : la mise en relation des sociétés Okaïdi et Hamashbir en juillet 2017, l'organisation de rendez-vous entre ces sociétés, à [Localité 4] et en [Adresse 1], en juin, juillet et novembre 2017, l'assistance dans la négociation et la modification de la « Loi », la traduction de messages de l'hébreu au français pour le compte de la société Okaïdi.

Dans ses conclusions, la société Okaïdi, qui conteste la rémunération demandée tant à titre principal qu'à titre subsidiaire, admet uniquement que M. [V] l'a mise en relation avec la société Hamashbir, a organisé la visite du 28 juin 2017, servi de contact pour le voyage du 19 juillet 2017, participé à un rendez-vous du 9 novembre 2017, ponctuellement servi de traducteur.

Toutefois, il ressort de courriels versés aux débats par M. [V] que :

- le 10 juillet 2017, M. [X], de la société Okaïdi, a envoyé à M. [V] un courriel dans lequel, après l'avoir remercié d'une conférence téléphonique (« conf call ») matinale, il lui a fait part du souhait de la société Okaïdi d'ouvrir des points de vente en [Adresse 1] dès le mois de septembre et des questions à travailler dans cette perspective, l'a remercié « de sa collaboration » et a annoncé qu'il reviendrait vers lui après un échange avec un dirigeant de la société Okaïdi ;

- dans un courriel du 19 juillet 2017 adressé nominativement à des représentants de la société Hamashbir ainsi qu'à M. [V], M. [X] a indiqué donner suite à un échange téléphonique tenu avec M. [V], puis précisé l'organisation de l'accueil des destinataires dans le Nord de la France, les 25 et 26 juillet, ainsi sa propre visite en [Adresse 1], avec un collaborateur, les 24 et 25 juillet ;

- dans un courriel du 27 juillet 2017 envoyé à M. [V], M. [X] a évoqué la question des approvisionnements ;

- à l'occasion de la négociation de la première « Loi » à l'été 2017, le 13 juillet 2017, M. [X] a adressé à un représentant de la société Hamashbir et à M. [V] un courriel contenant le projet de « Loi », en faisant allusion à une demande formulée par M. [V] concernant le mobilier et, le 16 juillet 2017, M. [V] a transmis à M. [X] les instructions qu'il avait reçues de la société Hamashbir sur ce projet, traduisant ces instructions de l'hébreu au français ;

- le 17 juillet 2017, M. [V] a transmis à M. [X] les coordonnées de responsables de département de la société Hamashbir et, le même jour, M. [X] a demandé à M. [V] son aide afin de comprendre la signification d'un courriel de la société Hamashbir rédigé en hébreux, que lui avait transféré M. [V] ;

- le 19 juillet 2017, M. [X] a demandé à une tierce personne la réservation d'une navette pour trois personnes en provenance d'[Adresse 1], en transmettant les coordonnées de M. [V], qu'il a lui-même qualifié de « contact » ;

- le 24 août 2017, la société Hamashbir a indiqué à M. [V] qu'elle refusait le chargement de produits préparé par la société Okaïdi, faute de détails sur les biens qu'il contenait ;

- en septembre 2017, MM. [X] et [V] ont échangé des courriels évoquant les prix de vente des produits en [Adresse 1] ;

- le 14 novembre 2017, M. [N], de la société Okaïdi, a demandé à M. [V] l'envoi de la « Loi » signée par la société Hamashbir et l'a interrogé sur les intentions de celle-ci sur un certain aspect des négociations ;

- dans un autre courriel du même jour libellé à l'attention de M. [V] et d'un représentant de la société Hamashbir, M. [N] les a remerciés de leur venue à [Localité 4] et a évoqué leur rencontre du 29 novembre, ainsi que les quatre points clé (« key points ») à négocier ;

- le 9 décembre 2017, M. [N] a remercié M. [V] d'un précédent rendez-vous, repris chacun des point évoqués avec lui, en indiquant notamment « c'est ton rôle d'expliquer ce modèle [économique de la société Okaïdi] à Hamashbir », il lui a demandé de lui retourner la « Loi » dès que possible et a terminé par évoquer le « contrat d'intermédiaire », en réaffirmant avoir besoin d'un contact direct avec les équipes de terrain et dirigeantes, tout en précisant « que [sa] prestation d'apporteur d'affaires est limitée dans le temps. »

Au vu de l'ensemble de ces éléments, il est incontestable que M. [V] a exercé, entre les sociétés Hamashbir et Okaïdi, un rôle d'intermédiaire allant au-delà de la seule mission de présentation de la société Hamashbir que veut bien lui reconnaître la société Okaïdi, et ce avec le plein assentiment de cette dernière, au moins dans un premier temps. A l'évidence, le projet de contrat envoyé par la société Okaïdi le 2 octobre 2017 ne peut avoir pour effet de restreindre a posteriori l'objet du contrat tel qu'il a été effectivement exécuté auparavant.

Si la société Okaïdi soutient que M. [V] a eu un rôle « perturbateur » dans ses négociations avec la société Hamashbir, d'abord, une partie des griefs qu'elle développe sur ce point (les menaces et injures à l'égard de certains ses responsables) ne sont apparus qu'à compter du mois de novembre 2017 et qu'après les atermoiements de la société Okaïdi au sujet de la rémunération qu'elle devait à M. [V] depuis l'été 2017. Ensuite, cette société n'établit aucunement que M. [V] aurait fait montre d'un manque de professionnalisme ayant entraîné des perturbations et ralentissements dans les négociations avec la société Hamashbir, entamée à la fin du mois de juin 2017 et interrompues en décembre 2017 en raison d'un désaccord sur les conditions financières de leur partenariat, ainsi que le reconnaît elle-même la société Okaïdi. Au demeurant, alors que celle-ci indique les avoir reprises en direct, c'est-à-dire sans l'entremise de M. [V], à compter du début de l'année 2018, ces négociations n'ont abouti qu'à la signature d'une seconde « Loi » le 28 février 2018, et non à la conclusion d'un « contrat définitif » de franchise entre elle et la société Hamashbir, comme elle l'escomptait depuis l'origine (cf. sa pièce n° 21). Et après la prorogation de la durée d'application de cette seconde « Loi » jusqu'au 15 octobre 2018, l'attestation de M. [X] établit qu'au 8 mars 2019, la négociation du contrat de franchise était toujours en cours.

Par ailleurs, M. [V] ne démontre pas non plus que lui et la société Okaïdi se seraient entendus pour que sa mission soit illimitée dans le temps, cette société ayant expressément manifesté son refus à cet égard dès le mois de novembre 2017 (cf. sa pièce n° 8).

De fait, il ressort des éléments versés aux débats que la mission de M. [V] n'a duré que six mois, de juin à décembre 2017, ce qui correspond à une « saison » dans le milieu de la mode vestimentaire, sans que l'intéressé démontre avoir poursuivi sa mission au-delà, notamment en janvier 2018. Au contraire, la société Okaïdi l'a informé dès le début de l'année 2018 de son éviction des négociations qui venaient alors de reprendre avec la société Hamashbir, prétendument à la demande de celle-ci, mais sans qu'il en soit justifié, les seules pièces communiquées sur ce point émanant de ses propres salariés ou responsables.

En définitive, eu égard à la réalité des missions que M. [V] justifie avoir accomplies pour le compte de la société Okaïdi et de la durée d'exécution de ces missions, la cour estime que la rémunération qu'il demande, à titre principal comme à titre subsidiaire, n'est motivée qu'à concurrence de la somme de 60 000 euros.

La société Okaïdi sera donc condamnée au paiement de cette somme, qui produira intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure délivrée par M. [V] le 17 juillet 2018, conformément aux dispositions de l'article 1231-6 du code civil. Il convient toutefois d'en déduire la somme de 25 000 euros déjà payée par la société Okaïdi (cf. sa pièce n° 29) en exécution d'un chef de dispositif du jugement entrepris non critiqué dans la déclaration d'appel de M. [V].

Il y a lieu, en conséquence, de réformer le jugement de ce chef.

3°/ Sur la demande de remboursement de frais et débours formée par M. [V]

M. [V] réclame la somme complémentaire de 25 000 euros correspondant aux frais qu'il a engagés entre juin 2017 et janvier 2017 dans le cadre de sa mission accomplie pour le compte de la société Okaïdi : des frais en lien avec sept voyages en France, entre le 28 juin et le 6 décembre 2017, représentant, à eux seuls, la somme totale de 13 590,71 euros, ainsi que des frais en lien avec les séjours et visites de la société Okaïdi en [Adresse 1].

En réponse, la société Okaïdi s'oppose à cette demande, en soutenant que M. [V] ne rapporte pas la preuve du lien existant entre les frais invoqués et les rendez-vous planifiés avec elle-même, société Okaïdi. M. [V] tente de lui imputer le paiement de la totalité du montant de frais qui n'étaient pas exclusivement et entièrement engagés pour elle.

***

Au préalable, il importe de relever que, dans ses conclusions, la société Okaïdi ne conteste pas le principe même de son obligation de rembourser à M. [V] les frais de déplacements qu'il a pu exposer dans l'exécution de la mission qu'il a accomplie en exécution du contrat litigieux, mais uniquement l'imputabilité des justificatifs produits par M. [V] aux rendez-vous programmés avec elle.

Sur le fond, il sera relevé, d'abord, que M. [V] pourrait tout au plus réclamer la somme de 13 590,71 euros, dès lors qu'il n'établit pas, au moyen des justificatifs produits, avoir exposé une somme supérieure à celle-ci.

Ensuite, dans ses conclusions d'appel, la société Okaïdi reconnaît que M. [V] a effectué certains voyages dans le cadre de l'exécution du contrat litigieux : à [Localité 4] le 28 juin 2017, en [Adresse 1] le 24 juillet 2017, en France le 29 novembre 2017.

Cependant, au vu des courriels produits par M. [V], il apparaît que ce dernier a effectué deux autres déplacements liés à l'accomplissement de sa mission pour le compte de la société Okaïdi : un voyage en France le 25 juillet 2017 (cf. sa pièce n° 7), et un rendez-vous en décembre 2017 (cf. sa pièce n° 23).

Cela signifie qu'au total, M. [V] justifie de l'accomplissement de cinq déplacements en lien avec l'exécution sa mission.

Des justificatifs produits par M. [V], il convient d'écarter les pièces illisibles, celles dépourvues de toutes références permettant de les rattacher avec certitude au contrat litigieux, notamment parce qu'aucun nom de client n'est précisé ou qu'elles concernent des déplacements réalisés ailleurs qu'en France (par exemple en Espagne ou en Allemagne), et celles relatives à des déplacements effectués à d'autres dates que celles précédemment retenues.

En tenant compte des frais de déplacement (en avion, taxi ou train) et de restauration exposés à l'occasion des cinq déplacements justifiés, la cour est en mesure d'évaluer les frais exposés par M. [V] à la somme de 6 200 euros.

La société Okaïdi sera donc condamnée au remboursement de cette somme, qui produira intérêts au taux légal à compter de la lettre de mise en demeure du 17 juillet 2018, la société Okaïdi ne formulant aucune observation quant au point de départ des intérêts moratoires et cette mise en demeure évoquant déjà la question de ces frais.

4°/ Sur la demande de dommages et intérêts formée par la société Okaïdi

La société Okaïdi demande la condamnation de M. [V] à lui payer la somme totale de 60 000 euros à titre de dommages et intérêts. Elle fait valoir que l'hostilité de celui-ci a atteint son paroxysme lorsqu'il a menacé et insulté des dirigeants actionnaires, M. [G], co-fondateur de la société, et M. [N] ; qu'il s'agit là d'une faute de dénigrement commercial commise à son égard à elle, le comportement de M. [V], dirigé contre des personnes qui l'incarnent, ayant nécessairement rejailli sur sa réputation.

M. [V] s'oppose à cette demande, en faisant notamment valoir que les messages litigieux ont été envoyés dans un contexte particulier ; qu'ils ne sauraient s'analyser en des insultes ou menaces personnelles ; que la société Okaïdi ne rapporte pas la preuve d'un préjudice.

***

Au préalable, il importe de relever que M. [V] ne reprend pas, dans le dispositif de ses dernières conclusions qui seul saisit la cour en application de l'article 954 du code de procédure civile, le moyen tiré de la prescription de la demande formée à ce titre par la société Okaïdi. La cour n'est dès lors pas saisie d'une fin de non-recevoir à ce titre.

Sur le fond, le dénigrement sanctionné sur le fondement de l'article 1240 du code civil, comme une catégorie de concurrence déloyale, suppose la réunion de plusieurs éléments : il implique l'expression d'une opinion défavorable, péjorative, relative aux produits ou aux services commercialisés par un opérateur économique, cette appréciation péjorative doit faire l'objet d'une diffusion publique et la personne visée doit être nommément désignée.

Or, d'abord, en l'espèce, il résulte des constats établis par un huissier de justice les 4 mars et 12 mars 2019 que les quelques messages incriminés par la société Okaïdi, envoyés respectivement à M. [G] et à M. [N] en 2017 et 2018, n'avaient pas pour objet de jeter le discrédit sur les produits ou services commercialisés par cette société.

En outre et en tout état de cause, les messages litigieux, transmis uniquement à leur destinataires via l'application téléphonique WhatsApp, n'ont fait l'objet d'aucune diffusion publique.

Dans ces conditions, aucune faute de dénigrement n'est caractérisée à l'égard de M. [V].

Par conséquent, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande indemnitaire formée par la société Okaïdi.

5°/ Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

Succombant pour l'essentiel, la société Okaïdi sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, déboutée de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamnée au paiement d'une indemnité de procédure.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant dans les limites de la déclaration d'appel :

- Donne acte à la société Okaïdi de ce qu'elle renonce à ses demandes principales tendant à la confirmation du jugement entrepris eu égard à la rédaction de la déclaration d'appel et à celle du dispositif des conclusions de M. [V], et à l'irrecevabilité de la demande en paiement d'une rémunération formée par M. [V] ;

- Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il rejette la demande indemnitaire formée par la société Okaïdi et dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

Et statuant à nouveau des chefs infirmés :

- Condamne la société Okaïdi à payer à M. [V] la somme de 60 000 euros au titre de sa rémunération, qui produira intérêts au taux légal à compter du 17 juillet 2018, et DIT que de cette somme doit être déduite celle de 25 000 euros déjà payée par la société Okaïdi ;

- Condamne la société Okaïdi à payer à M. [V] la somme de 6 200 euros au titre du remboursement de ses frais et débours, et dit que cette somme produira intérêts au taux légal à compter du 17 juillet 2018 ;

- Condamne la société Okaïdi aux dépens de première instance et d'appel ;

- Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Okaïdi et la condamne à payer à M. [V] la somme de 15 000 euros.