CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 7 décembre 2023, n° 20/00844
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Moby & Handy (SARL)
Défendeur :
Adapei 77 (Association)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Prigent
Conseillers :
Mme Renard, Mme Soudry
Avocats :
Me Randrianome, Me Meurin
FAITS ET PROCÉDURE
La société Moby & Handy a pour activité le transport de personnes à mobilité réduite temporaire ou permanente.
L'association Adapei 77 est une association départementale qui regroupe les parents et amis de personnes handicapées mentales en vue de favoriser leur intégration sociale.
L'association Adapei 77 et la société Moby & Handy ont conclu une convention de transport pour une durée de trois ans à compter du 1er mars 2015 jusqu'au 28 février 2018, en vue de prendre en charge le transport aller et retour de Mlle [F] [T] entre son domicile et le foyer de vie "[6]", exploité par l'association Adapei 77, du lundi au vendredi.
Les prestations se sont poursuivies au-delà du 28 février 2018.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 21 septembre 2018, l'association Adapei 77 a mis fin au contrat du 1er mars 2015 à effet du 6 octobre 2018.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 28 septembre 2018, la société Moby & Handy a, par l'intermédiaire de son conseil, mis en demeure l'association Adapei 77 de lui payer une somme de 97.552 euros correspondant au paiement de 28 mensualités restantes jusqu'à l'échéance du contrat prévue le 28 février 2021.
Par acte du 30 octobre 2018, la société Moby & Handy a assigné l'association Adapei 77 devant le tribunal de grande instance de Melun en réparation du préjudice résultant de la rupture du contrat.
Par jugement du 26 novembre 2019, le tribunal de grande instance de Melun a :
- Débouté la société Moby & Handy de toutes ses demandes ;
- Condamné la société Moby & Handy à verser à l'association Adapei 77 la somme de 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la société Moby & Handy aux entiers dépens ;
- Dit que les avocats en la cause en ayant fait la demande, pourront, chacun en ce qui le concerne, recouvrer sur la partie condamnée ceux des dépens dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision en application de l'article 699 du code de procédure civile ;
- Ordonné l'exécution provisoire du jugement.
Par déclaration du 30 décembre 2019, la société Moby et Handy a interjeté appel des chefs du jugement du tribunal de grande instance de Melun en ce qu'il a :
- Débouté la société Moby & Handy de toutes ses demandes,
- Condamné la société Moby & Handy à verser à l'Association Adapei 77 la somme de 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamné la société Moby & Handy aux entiers dépens.
Par jugement du 9 janvier 2023, le tribunal de commerce de Melun a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Moby & Andy et a désigné la SCP Angel Hazane [N] en la personne de Me [N] en qualité de liquidateur judiciaire.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par ses dernières conclusions notifiées le 15 février 2023, Me [N], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Moby et Handy, demande à la cour, au visa des articles 1231-1 du code civil et L. 442 I 5° du code de commerce, de :
-Dire et juger Me [N], membre de la Scp Angel-Hazane-[N], es-qualités de liquidateur de la société Moby & Handy, recevable en son appel et le déclarer bien fondé,
- Infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :
* Débouté la société Moby & Handy de toutes ses demandes,
* Condamné la société Moby & Handy à verser à l'Association Adapei 77 au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
* Condamné la société Moby & Handy aux entiers dépens
Et statuant à nouveau,
A titre principal,
- Condamner l'Adapei 77 à verser à Me [N], membre de la Scp Angel-Hazane-[N], es-qualités de liquidateur de la société Moby & Handy, une somme de 97.552 euros correspondant au règlement des vingt-huit mensualités restantes jusqu'au 28 février 2021,
A titre subsidiaire.
- Condamner l'Adapei 77 à verser à Me [N], membre de la Scp Angel-Hazane-[N], es-qualités de liquidateur de la Sarlu Moby & Handy la somme de 31.363 euros à titre de dommages et intérêts résultant de l'inobservation d'un préavis raisonnable de neuf mois,
A titre très subsidiaire,
- Condamner l'Adapei 77 à verser à Me [N], membre de la Scp Angel-Hazane-[N], es-qualités de liquidateur de la Sarlu Moby & Handy la somme de 31.363 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive et injustifiée,
En tout état de cause,
- Condamner l'Adapei 77 à verser à Me [N], membre de la Scp Angel-Hazane-[N], es-qualités de liquidateur de la Sarlu Moby & Handy, la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner l'Adapei 77 aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions, notifiées par le RPVA le 4 mai 2020, l'association Adapei 77, demande à la cour, au visa des articles 1103, 1104, 1210, 1211, 1214, 1215 et 1231-1 du code civil ainsi que de l'article L.442-1 II du code de commerce, de :
- Confirmer dans toutes ses dispositions, le jugement du tribunal de grande instance de Melun du 26 novembre 2019 ;
- Débouter la société Moby & Handy de l'intégralité de ses demandes ;
- Condamner la société Moby & Handy à payer, à l'association ADAPEI 77, la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Moby & Handy aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 16 février 2023.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la durée du contrat
Me [N], en qualité de liquidateur de la société Moby & Handy, allègue que le contrat conclu avec l'Adapei 77 s'est poursuivi par tacite reconduction au-delà de son terme initial, le 28 février 2018, pour une nouvelle durée de trois ans, soit jusqu'au 28 février 2021.
L'association Adapei 77 réplique que le contrat, qui s'est poursuivi au-delà de son terme, a, de ce fait, été transformé en un contrat à durée indéterminée. Elle affirme ainsi qu'elle pouvait mettre un terme à ce contrat à tout moment sous réserve de respecter un délai de préavis d'une durée raisonnable. Elle estime que le délai de préavis de 15 jours qu'elle a observé était suffisant compte tenu des graves disfonctionnements imputables à sa cocontractante.
L'article 1215 du code civil dans sa rédaction issue de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 dispose que : "Lorsqu'à l'expiration du terme d'un contrat conclu à durée déterminée, les contractants continuent d'en exécuter les obligations, il y a tacite reconduction. Celle-ci produit les mêmes effets que le renouvellement du contrat."
L'article 1214 du code civil dans sa rédaction issue de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 prévoit que : "Le contrat à durée déterminée peut être renouvelé par l'effet de la loi ou par l'accord des parties. Le renouvellement donne naissance à un nouveau contrat dont le contenu est identique au précédent mais dont la durée est indéterminée."
En l'espèce, il est constant que le contrat conclu entre la société Moby & Handy et l'Adapei 77 le 1er mars 2015, soit avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, s'est reconduit tacitement après son terme à compter du 28 février 2018. Cette tacite reconduction étant intervenue après l'entrée en vigueur de l'ordonnance précitée, le nouveau contrat est donc soumis à ces nouvelles dispositions. Ainsi ce nouveau contrat, dont le contenu est identique au précédent, est d'une durée indéterminée contrairement à ce que soutient la société Moby & Handy.
Or en vertu de l'article 1211 du code civil, lorsque le contrat est conclu pour une durée indéterminée, chaque partie peut y mettre fin à tout moment, sous réserve de respecter le délai de préavis contractuellement prévu ou, à défaut, un délai raisonnable.
Dès lors, la société Moby & Handy n'est pas fondée à revendiquer le paiement des 28 mensualités restantes jusqu'à l'échéance du contrat, soit jusqu'au 28 février 2021. Cette demande sera rejetée.
Sur la rupture brutale
Me [N], en qualité de liquidateur de la société Moby & Handy, invoque la responsabilité de l'association Adapei 77 pour rupture brutale des relations commerciales. Il soutient que les dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce sont applicables aux associations dès lors qu'elles entretiennent une activité de production, de distribution ou de service et qu'elles entretiennent une relation commerciale établie avec leur partenaire. Il considère qu'eu égard à la durée des relations de plus de trois années, un préavis de 9 mois aurait dû être observé. Il conteste que la société Moby & Handy ait commis une faute exclusive du respect de tout préavis.
L'association Adapei 77 réplique que les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce n'ont pas vocation à s'appliquer aux associations. Elle fait valoir qu'en faisant prendre en charge le transport de Mlle [T], elle n'a pas réalisé une prestation économique. Elle se prévaut de la carence de la société Moby & Handy dans l'exécution de ses obligations. Elle considère que le préavis de 9 mois réclamé est disproportionné à la durée des relations. Elle conteste le calcul du préjudice allégué dès lors qu'il est fondé sur le chiffre d'affaires et ne tient pas compte de la marge sur coûts variables.
L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. (') Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.
Il sera rappelé que le régime juridique d'une association, comme le caractère non lucratif de son activité, ne sont pas de nature à l'exclure du champ d'application de l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce dès lors qu'elle procède à une activité de production, de distribution ou de services et a entretenu une relation commerciale établie avec le demandeur à l'action.
La relation commerciale, pour être établie au sens de ces dispositions, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.
En l'espèce, il ressort des débats que l'association Adapei 77 gère un foyer de vie " [6] " à [Localité 5] qui accueille des adultes en situation de handicap et que dans le cadre de cette activité, elle a conclu avec la société Moby & Handy un contrat de transport au profit d'une de ses pensionnaires. Contrairement à ce que l'association Adapei 77 soutient, cette activité consiste bien en une activité de services au sens de l'article L 410-1 du code de commerce.
En outre, il est établi que l'association Adapei 77 et la société Moby & Handy ont entretenu des relations engendrant des flux financiers pendant plus de trois ans. En outre, au moment de la rupture, le contrat à durée déterminée qui avait été conclu venait d'être tacitement reconduit de sorte que la société Moby & Handy pouvait raisonnablement espérer la poursuite des relations.
Les dispositions susvisées sont donc applicables à l'espèce.
L'association Adapei 77 se prévaut de la carence de la société Moby & Handy pour expliquer le court délai de préavis observé. Toutefois elle se contente de verser aux débats deux courriers des parents de Mlle [T] dans le cadre d'un litige les opposant au sujet de la facturation appliquée et imputant au transporteur 50% des absences de leur fille du foyer sans toutefois faire état ni de faits ni de dates précises. Il sera encore relevé que l'association Adapei 77 ne justifie aucunement avoir alerté la société Moby & Handy sur les carences alléguées.
Dès lors, aucune inexécution ne saurait être caractérisée à l'encontre de la société Moby & Handy justifiant une absence de préavis.
Le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance de préavis.
Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.
En l'espèce, les parties ont entretenu des relations pendant plus de trois ans et demi et le chiffre d'affaires réalisé par la société Moby & Handy avec l'association Adapei 77 s'élevait à 3.168 euros HT par mois au moment de la rupture, ce qui représentait 42% de son chiffre d'affaires.
Eu égard à ces éléments, le préavis qui aurait dû être observé par l'association Adapei 77 doit être fixé à trois mois. Or il est constant que le préavis observé a été de 15 jours. La responsabilité de l'association Adapei 77 pour rupture brutale des relations commerciales établies sera donc retenue.
S'agissant du préjudice consécutif à la brutalité de la rupture, celui-ci est constitué du gain manqué pendant la période d'insuffisance du préavis et s'évalue donc en considération de la marge brute escomptée durant cette période.
Il ressort des éléments comptables versés aux débats que la marge brute de la société Moby & Handy eu égard aux frais exposés (carburant, maintenance matériel, location du matériel, frais de personnel, charges sociales) doit être fixée à 20%.
En conséquence, le préjudice résultant de l'insuffisance de préavis doit être évalué à 1.584 euros [(3.168 euros x 20% x 3 mois)-316 euros correspondant au 15 jours de préavis effectués].
Le jugement entrepris sera réformé et l'association Adapei 77 sera condamnée à payer à Me [N], membre de la Scp Angel-Hazane-[N], en qualité de liquidateur de la société Moby & Handy, une somme de 1.584 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
L'association Adapei 77 succombe à l'instance d'appel. Les dispositions du jugement entrepris relatives aux dépens et aux frais irrépétibles seront infirmées. L'association Adapei 77 supportera les dépens de première instance et d'appel et sera condamnée à payer à Me [N], membre de la Scp Angel-Hazane-[N], en qualité de liquidateur de la société Moby & Handy, une somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. La demande sur ce point de l'association Adapei 77 sera rejetée.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
INFIRME le jugement entrepris,
Statuant à nouveau,
Dit que l'association Adapei engage sa responsabilité à l'égard de la société Moby & Handy pour rupture brutale des relations commerciales établies ;
Condamne l'association Adapei 77 à payer à Me [N], membre de la Scp Angel-Hazane-[N], en qualité de liquidateur de la société Moby & Handy, une somme 1.584 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies ;
Y ajoutant,
Condamne l'association Adapei 77 à payer à Me [N], membre de la Scp Angel-Hazane-[N], en qualité de liquidateur de la société Moby & Handy, une somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette la demande de l'association Adapei 77 sur ce fondement ;
Condamne l'association Adapei 77 aux dépens de première instance et d'appel.