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Décisions

CA Nîmes, 1re ch. civ., 30 juin 2016, n° 14/05392

NÎMES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Microsoft Corporation (Sté)

Défendeur :

Informatique de Demain (EURL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Jacquot

Conseillers :

M. Soubeyran, Mme Valleix

TGI Avignon, du 8 janv. 2013, n° 09/0377…

8 janvier 2013

EXPOSE DU LITIGE

La société de droit américain Microsoft corporation, titulaire de la marque éponyme exploite au plan mondial des logiciels et applications. Le 15 avril 2008, elle a fait constater par Me S.-B., huissier de justice à Avignon autorisé par ordonnance sur requête du 20 mars 2008, que l'EURL Informatique de demain, exploitant un magasin à Avignon, avait vendu un ordinateur intégrant différents logiciels Microsoft-Office 2003 non mentionnés sur la facture et non accompagnés de la licence correspondante.

Ayant assigné l'EURL Informatique de demain en contrefaçon de marque et concurrence déloyale, le tribunal de grande instance d'Avignon par jugement du 8 janvier 2013 a :

' condamné l'EURL Informatique de demain à payer à la société Microsoft corporation les sommes de :

*5000 € à titre de dommages-intérêts pour contrefaçon des droits d'auteur sur les logiciels et la marque Microsoft ;

*1500 € en réparation du préjudice moral lié à la contrefaçon de la marque Microsoft ;

*1500 € en réparation du préjudice moral issu de la contrefaçon des droits d'auteur ;

*2000 € au titre du préjudice résultant de pratiques déloyales et parasitaires ;

' ordonné la publication du jugement dans un journal régional au choix de la société Microsoft corporation et aux frais de l'EURL Informatique de demain dans la limite de la somme de 250 €;

' ordonné l'insertion de la condamnation selon un texte maximum de 10 lignes à établir par la société Microsoft corporation sur la page d'accueil du site Internet de l'EURL Informatique de demain pour une durée de 30 jours consécutifs dans un délai d'un mois à compter de la signification du jugement et sous astreinte de 150 € par jour de retard passé ce délai ;

' rejeté le surplus des demandes des parties ;

' condamné l'EURL Informatique de demain aux dépens et à payer à la société Microsoft corporation la somme de 2000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Microsoft corporation a relevé appel de ce jugement et soutient dans ses dernières écritures en date du 29 mai 2015 auxquelles il est fait expressément référence pour plus ample exposé des demandes et moyens que :

' l'appel est limité aux seuls chefs de jugement relatifs aux dommages-intérêts alloués ;

' le tribunal n'a pas exactement apprécié la masse contrefaisante au regard du mode opératoire utilisé, soit l'installation de sept logiciels sans licence, même s'il n'a pas reconnu le caractère isolé de l'acte litigieux constaté par l'huissier instrumentaire ;

' l'attestation de M. Jean-Sébastien S. corrobore une pratique et aucun élément n'en contredit la pertinence quand bien même le témoin serait salarié de la société Microsoft corporation ;

' l'examen des 1715 factures de vente de matériel informatique communiquées par l'intimé pour les exercices 2007 à 2009 permet de retenir un volume de 195 ventes litigieuses, observation faite que les factures 2006 n'ont pas été produites ;

' en vendant des produits authentiques à un prix inférieur, l'EURL Informatique de demain retire de l'opération un profit commercial direct et s'arroge un avantage commercial, les logiciels étant livrés gratuitement avec du matériel informatique qui est pour sa part vendu ; cette pratique désorganise le fonctionnement normal du marché domestique de l'informatique personnelle sur lequel repose l'activité de la société Microsoft corporation ; elle constitue un préjudice distinct indemnisable.

Concluant à une infirmation partielle du jugement, la société Microsoft corporation demande à la cour d'ordonner la publication de la décision à intervenir en intégralité ou par extrait dans deux publications périodiques l'une dans la presse nationale l'autre dans la presse régionale, d'ordonner l'insertion d'un texte de condamnation judiciaire sur la page d'accueil du site Internet de l'EURL Informatique de demain ou à toute adresse qui lui serait substituée et de condamner l'EURL Informatique de demain à payer les sommes de :

*111 343,05 € pour contrefaçon de ses droits patrimoniaux d'auteur sur les logiciels et la marque Microsoft ;

*20475 € au titre du préjudice extra patrimonial issu de la contrefaçon de la marque Microsoft ;

*20'475 € en réparation du préjudice moral lié à la contrefaçon des droits d'auteur sur les logiciels ;

*29'250 € pour concurrence déloyale ;

*3000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

l'EURL Informatique de demain, par conclusions récapitulatives et en réplique du 1er avril 2015 auxquelles il est fait ici expressément référence pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, fait valoir que :

' compte tenu des liens très particuliers entre l'appelante et M. Jean-Sébastien S. résidant à Montpellier et venant s'enquérir de matériel informatique à Avignon, son attestation doit être écartée des débats ;

' c'est en considération des relations de bon voisinage que l'employé de l'EURL Informatique de demain a proposé à l'huissier S.-B. résidant dans sa même rue un avantage dans des circonstances particulières ;

' la société Microsoft corporation qui produit « de jolis graphiques ou de belles cartes »ne justifient pas de son préjudice ;

' l'EURL Informatique de demain a pour activité principale la réparation et la maintenance de matériel informatique et vent du matériel neuf et d'occasion de façon plus anecdotique, soit 214 ordinateurs en quatre ans dont certains 100 logiciels bureautiques ainsi qu'en attestent certains clients contactés ; contrairement aux dires de la société Microsoft corporation il n'y a aucune augmentation significative à partir de 2008, soit postérieurement au constat du huissier, de l'acquisition de logiciels Microsoft ;

' la version Microsoft-Office 2003 a été remplacée peu à peu et son coût

a très largement diminué ; elle n'est plus commercialisée actuellement car obsolète ;

' s'agissant du préjudice moral, il est lui reproché de façon contradictoire d'avoir supprimé la marque Microsoft et de l'avoir copié en la laissant apparente à l'écran ;

' la réparation du préjudice né de l'atteinte au droit d'auteur doit être ramenée à la seule vente constater par huissier ;

' la société Microsoft corporation qui dénonce une pratique déloyale ne peut ignorer qu'elle a elle-même été condamnée par la commission européenne en mars 2004 à une amende de 899 millions d'euros pour non respect d'une décision en matière d'ententes après violation en toute connaissance de cause des règles de concurrence européenne ; son abus de position dominante rentrée relatif la faute qu'elle reproche à l'EURL Informatique de demain ;

' le préjudice invoqué ne justifie pas les publications réclamées ; par ailleurs l'EURL Informatique de demain ne détient plus de site Internet.

Ce dernier conclut à la confirmation du jugement dans ses dispositions relatives à la publication dans la presse régionale et à son infirmation pour le surplus ; il demande à la cour de ramener le montant des dommages-intérêts réclamés aux sommes respectives de 100 €, 105 € et 105 € pour les préjudices liés à la marque et de 150 € pour la concurrence déloyale ; il réclame enfin paiement par la société Microsoft corporation d'une indemnité de 3000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

DISCUSSION

Le débat est circonscrit en appel aux conséquences dommageables de l'atteinte aux droits de la société appelante puisqu'il n'est pas contesté que celle-ci, auteur de différents logiciels informatiques, bénéficie de la protection prévue aux articles L 112-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle et qu'en sa qualité de titulaire de marques enregistrées, elle est fondée à se prévaloir des dispositions des articles L 713-2 et suivants du même code interdisant toute reproduction ou usage sans autorisation du propriétaire. En l'espèce, il est constant qu'en installant dans un ordinateur destiné à la vente des logiciels sans fournir la licence correspondante, l'EURL Informatique de demain a commis le délit de contrefaçon prévu à l'article L 335-3 du code précité ; de même en apposant ou faisant disparaître la marque Microsoft selon l'aménagement informatique entrepris sur le matériel vendu, l'EURL Informatique de demain a opéré une contrefaçon au sens de l'article L 713-2 b) du code de la propriété intellectuelle sans qu'il en résulte une contradiction comme il tente de le faire croire il est vrai avec quelque naïveté ainsi d'ailleurs qu'au caractère purement fortuit de la vente à l'huissier instrumentaire au motif de relations de bon voisinage.

Cette affirmation ne résiste pas à l'examen des propos consignés au procès-verbal similaires à ceux rapportés par le témoin Jean-Sébastien S., quand bien même celui-ci serait en lien l'intérêt avec l'appelante et surtout à l'analyse des 1700 factures communiquées en cours de procédure. En effet le procès-verbal relate un mode opératoire spontané, sans sollicitation consistant à rendre définitifs des logiciels installés initialement en version d'essai en fraude évidente des droits rappelés ci-dessus. C'est donc à bon droit que le tribunal a considéré que cette fraude excédait l'acte isolé.

S'agissant de la masse contrefaisante, la cour ne saurait dire si la société Microsoft corporation produit « de jolis graphiques ou de belles cartes », mais l'examen minutieux des factures auxquelles elle s'est livrée n'est pas sérieusement critiqué par l'EURL Informatique de demain qui invoque « une différence de 25 % » (cf conclusions page 7 premier alinéa), soit une évaluation proche de la réalité qui doit cependant être tempérée par la vente de matériel d'occasion et surtout les données comptables , soit un chiffre d'affaires de 80'000 € en 2007 et 2008 et un résultat de 3000 € pour ces deux mêmes années.

Ainsi qu'il ressort de l'article L 111-1 du code de la propriété intellectuelle, le droit d'auteur intègre un attribut intellectuel et moral et des attributs patrimoniaux générant un préjudice matériel et moral lorsqu'il est porté atteinte à ces droits. L'article L 331-1-3 (dans sa version alors applicable issue de la loi du 29 octobre 2007) prévoit que : « pour fixer les dommages-intérêts, la juridiction prend en considération les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subi par la partie lésée, les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits et le préjudice moral causé au titulaire de ces droits du fait de l'atteinte. Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages-intérêts une somme forfaitaire qui ne peut être inférieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l'auteur de l'atteinte avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte ». Le prix unitaire de la suite logicielle contrefaite est de 577,99€.

La cour dispose ainsi des éléments suffisants pour arrêter aux sommes de 10'000 € le préjudice matériel, 2500 € le préjudice moral lié à la contrefaçon de la marque Microsoft et à 2500 € également celui né de la contrefaçon des droits d'auteur.

Quand bien même la société appelante, de droit américain, ait pris une grande liberté avec les règles régissant la concurrence dans l'espace économique européen et ait largement abusé de la position dominante qu'elle y occupe, la pratique commerciale développée par l'EURL Informatique de demain, certes à un échelon plus modeste, n'en demeure pas moins déloyale en ce qu'elle désorganise le marché de l'informatique privée, les revendeurs de produits s'acquittant du prix des licences ne pouvant concurrencer de manière licite le revendeur qui en fait l'économie. Le préjudice est donc certain et doit être réparé sur le fondement de l'article 1382 du code civil par l'allocation de la somme de 5000 € à titre de dommages-intérêts.

Les faits délictueux s'inscrivant dans un cadre régional, la publication dans un quotidien local est confirmée dans les termes du jugement. Dès lors qu'il n'est pas contesté que l'EURL Informatique de demain ne dispose plus de site internet, une publication sur la page d'accueil n'est plus justifiée.

xxx

Aucune circonstance économique ou d'équité ne contrevient à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

L'EURL Informatique de demain qui succombe est condamné aux dépens en application de l'article 696 du même code.

PAR CES MOTIFS

La Cour

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :

Infirme le jugement déféré en ce qu'il ordonne une publication sur le site internet de l'EURL Informatique de demain ;

Le confirme dans le surplus de ses dispositions, les sommes de 5000 €, 1500 €, 1500 € et 2000€ allouées à titre de dommages-intérêts étant respectivement portées à celles de 10'000 €, 2500 €, 2500 € et 5000 € ;

Condamne en tant que de besoin l'EURL Informatique de demain au paiement de ces montants au profit de la société Microsoft corporation ;

Condamne l'EURL Informatique de demain à payer à la société Microsoft corporation la somme de 3000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

La condamne aux dépens et autorise leur recouvrement aux formes de l'article 699 du même code.