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Décisions

Cass. crim., 18 janvier 2011

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Louvel

Versailles, du 26 févr. 2010

26 février 2010


Vu le mémoire personnel produit ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que des enquêteurs de la gendarmerie ont constaté, au mois d'octobre 2002, l'existence de sites internet proposant, à un faible prix, le téléchargement de films, d'oeuvres musicales ou de logiciels contrefaits ; qu'une information a été ouverte, des chefs de contrefaçon et complicité, au terme de laquelle sept créateurs de tels sites et plusieurs auteurs de téléchargement ont été renvoyés devant le tribunal ; que les premiers juges les ont condamnés à des peines d'emprisonnement avec sursis, ou à des peines d'amende, et ont prononcé sur les intérêts civils ; que les parties civiles, et notamment la société Microsoft Corporation, ont relevé appel de cette décision ;

En cet état :

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 111-1, L. 111-3, L. 121-1 et suivants, L. 122-6, L. 335-2 et L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle, 1382 du code civil, article préliminaire, 2, 3, 175 et suivants, 388, 464, 485, 567, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que, pour confirmer le jugement déclarant irrecevables les demandes formulées par la société Microsoft contre sept des prévenus renvoyés devant le tribunal, l'arrêt relève que le délit de contrefaçon des logiciels, dont les droits appartiennent à cette société, n'a pas été visé dans les mentions les concernant dans l'ordonnance du juge d'instruction et n'est en conséquence pas compris dans la prévention ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision, dès lors que les juges ne peuvent statuer que sur les faits dont ils sont saisis, à moins que le prévenu n'accepte d'être jugé sur des faits distincts de ceux visés dans la prévention ;

Que le moyen ne peut être admis ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 111-1, L. 111-3, L. 121-1 et suivants, L. 122-6, L. 331-1-3, L. 335-2 et L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle, 1382 du code civil, article préliminaire, 2, 3, 485, 567, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que, pour évaluer le préjudice subi par la société Microsoft Corporation, l'arrêt énonce qu'il convient d'écarter l'application des dispositions de l'article L. 331-3-1 du code de la propriété intellectuelle, qui n'était pas en vigueur à l'époque des faits, et d'apprécier les préjudices effectivement subis, en tenant compte du nombre beaucoup plus faible qu'aujourd'hui d'internautes et de téléchargements illégaux ; que les juges ajoutent que le préjudice matériel est à fixer au regard essentiellement de la perte de bénéfices engendrée par la fraude, compte tenu du prix de vente des logiciels en cause ;

Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision, dès lors, d'une part, que l'article L. 331-3-1, issu de la loi du 29 octobre 2007, n'était pas applicable au moment des faits, et, d'autre part, qu'il appartient aux juridictions du fond de réparer, dans les limites des conclusions des parties, le préjudice dont elles reconnaissent le principe, et dont elles doivent rechercher l'étendue dans l'exercice de leur pouvoir d'appréciation ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Mais sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 111-1, L. 111-3, L. 121-1 et suivants, L. 122-6, L. 331-1-3, L. 335-2 et L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle, 1382 du code civil, article préliminaire, 2, 3, 485, 567, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

Vu les articles 1382 du code civil, 485 et 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que, si les juges apprécient souverainement le préjudice qui résulte d'une infraction, il en est autrement lorsque cette appréciation est déduite de motifs contradictoires ou erronés ;

Attendu, en outre, que les juges sont tenus de réparer dans son intégralité le préjudice découlant de l'infraction ;

Attendu que, pour statuer sur les demandes de réparation au titre des préjudices d'ordre extrapatrimonial subis par le titulaire des droits, l'arrêt retient qu'il s'agit de la violation d'un principe qui n'a pas lieu d'être apprécié en relation avec le nombre de contrefaçons réalisées, et que le préjudice peut être fixé à cet égard à 15 euros par contrefacteur quels que soient le nombre et le type d'oeuvres contrefaites ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que la réparation de l'atteinte aux droits moraux dont jouit l'auteur de toute oeuvre de l'esprit ne peut être évaluée indépendamment du nombre d'actes de contrefaçon commis, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Et sur le quatrième moyen, pris de la violation des articles L. 111-1, L. 111-3, L. 121-1 et suivants, L. 122-6, L. 331-1-2, L. 335-2, L. 335-3 et L. 335-6 du code de la propriété intellectuelle, 1382 du code civil, article préliminaire, 2, 3 41-4, 478, 479, 480, 484, 485, 567, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que pour rejeter la demande de la société Microsoft tendant à voir prononcer la confiscation et la remise à son profit des objets portant atteinte à ses droits, l'arrêt retient que la confiscation des scellés ayant été ordonnée par le tribunal, la remise à la partie civile ne peut être envisagée ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'aucune mesure de confiscation n'a été ordonnée par le jugement, la cour d'appel n ‘ a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encore encourue de ce chef ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Versailles, en date du 26 février 2010, en ses seules dispositions relatives à la fixation des préjudices découlant des atteintes portées aux droits extrapatrimoniaux de la société Microsoft, et à la confiscation et à la remise à cette société des objets contrefaits, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.