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Décisions

CA Rennes, 1re ch., 2 avril 2019, n° 17/02963

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Jamy (SARL), CAP QUIB' (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mme André, Mme Gros

TGI Rennes, du 7 févr. 2017

7 février 2017

EXPOSÉ DU LITIGE

M. Guy T. exerce la profession d'artiste peintre, sculpteur, graphiste, infographiste et illustrateur depuis 1987. Il précise être membre de trois sociétés d'auteurs (MDA, ADAGP, SCAM) et exploite depuis de nombreuses années une galerie d'art à Quiberon (56), ouverte des mois d' avril /mai à septembre/octobre ainsi que pendant les fêtes de fin d'année.

La SARL Jamy, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Lorient (56) le 19 juillet 2006, exploite un fonds de commerce de bar-restaurant-brasserie dans des locaux situés [...] sous l'enseigne 'Le Colibri'. Les parts du capital social de la société, qui avait été fondée par les époux T. le 27 septembre 2002, ont été cédées, suivant protocole d'accord du 30 mars 2012 et acte réitératif du 14 janvier 2013, à la SARL Cap Quib' constituée par Mme Le P. et M. Le G.. L'article 16 du contrat stipulait que 'comme condition essentielle de la cession des titres, sans laquelle il ne se serait pas engagé à les acquérir, le cessionnaire a exigé que l'acquisition desdits titres soit assortie d'une garantie des éléments d'actif et de passif tels qu'ils figureront au bilan établi le 30 novembre 2012 et des déclarations jusqu'à ce jour.'

Le 5 mai 2007, M. T. avait vendu à M. Jamy T., se domiciliant au restaurant Le Colibri, une acrylique sur toile intitulée 'Le Colibri', au prix de 900 euros.

Estimant que la représentation du colibri figurant sur cette toile avait été reproduite sans son autorisation par les gérants du restaurant 'Le Colibri' et du restaurant 'Le Colibri Côté Lounge', M. T. a fait établir par huissier de justice, les 6 novembre 2013 et 25 mai 2014, deux procès-verbaux de constat puis a, le 13juin 2014, fait assigner la SARL Jamy devant le tribunal de grande instance de Rennes , sur le fondement des articles L.111-1, L.111-3, L.112-2, L.121-1, L.122-1, L.122-4 et L.131-4 du code de la propriété intellectuelle, aux fins d'obtenir sa condamnation à payer les sommes de 30.000 euros, 5.000 euros, 8.000 euros et 8.000 euros en réparation de ses préjudices patrimoniaux et moraux et de lui faire interdire d'exploiter son oeuvre. La SARL Cap Quib' ainsi que les époux T. sont intervenus volontairement à l'instance.

Le 7 février 2017, le tribunal de grande instance de Rennes a :

- accueilli partiellement la fin de non-recevoir tirée de la prescription et, en conséquence, déclaré irrecevables les demandes en contrefaçon fondées sur la reproduction du colibri sur les cartes des menus du restaurant, le dossier des chaises des terrasses ainsi que sur les T-shirts des employés ;

- rejeté pour le surplus la fin de non-recevoir et, en conséquence, déclaré recevable l'ensemble des autres demandes en contrefaçon ;

- dit que l'oeuvre de M. Guy T. représentant un colibri en vol stationnaire sur un fond nuancé clair est une oeuvre originale ;

- dit qu'une cession implicite des droits de reproduction de l'oeuvre est intervenue, permettant la reproduction de l'oeuvre sur les cartes des menus du restaurant, sur le dossier arrière des chaises des terrasses ainsi que sur les T-shirts portés par les employés ;

- dit que la SARL Jamy a commis des actes de contrefaçon des droits d'auteur de M. Guy T. en reproduisant le motif du colibri issu de l'oeuvre originale :

•            sur la camionnette de la société,

•            sur les panneaux publicitaires,

•            au niveau de la porte battante côté Nord-Nord-Ouest du 'Le Colibri Côté Lounge' (colibri blanc),

•            au niveau de la façade de l'immeuble (enseigne),

•            sur un film semi-occultant (silhouette),

•            sur les sets de tables (silhouette blanche) et les porte- couverts des deux restaurants qu'elle exploite,

- fait interdiction à la SARL Jamy d'exploiter l'oeuvre de M. Guy T. représentant le colibri sous les formes et supports suivants :

•            sur la camionnette de la société,

•            sur les panneaux publicitaires,

•            au niveau de la porte battante côté Nord-Nord-Ouest du 'LE Colibri Côté Lounge' (colibri blanc),

•            au niveau de la façade de l'immeuble (enseigne),

•            sur un film semi-occultant (silhouette),

•            sur les sets de tables (silhouette blanche) et les porte- couverts des deux restaurants qu'elle exploite,

sous astreinte de 50 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision et ce pendant deux mois, délai à l'issue duquel il sera de nouveau statué par le juge de l'exécution ;

- condamné la SARL Jamy à verser à M. Guy T. la somme de 3.000 euros en réparation du préjudice patrimonial au titre du gain manqué ;

- rejeté la demande de M. T. en réparation du préjudice patrimonial au titre des pertes subies ;

- condamné la SARL Jamy à verser à M. T. la somme de 2 000 euros en réparation du préjudice moral subi par lui pour l'atteinte à son droit à la paternité sur son oeuvre ;

- condamné la SARL Jamy à verser à M. T. la somme de 1.000 euros en réparation du préjudice moral subi par lui pour atteinte à son droit au respect de son oeuvre ;

- rejeté les demandes de la SARL Jamy et de la SARL Cap Quib' tendant à la mise en oeuvre de la garantie d'actif et de passif ;

- rejeté la demande des époux T. au titre de la procédure abusive ;

- condamné la SARL Jamy à verser à M. T. la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.

M. T. a relevé appel de ce jugement, demandant à la cour de le confirmer en ce qu'il a dit que son oeuvre représentant un colibri en vol stationnaire sur un fond nuancé clair est une œuvre originale mais de l'infirmer en ce qu'il a retenu la fin de non-recevoir de prescription, la cession implicite de ses droits de reproduction de l'oeuvre et limité le montant de son indemnisation. Il demande en conséquence à la cour de :

- le déclarer recevable à agir sur les demandes en contrefaçon fondées sur la reproduction du colibri sur les cartes des menus du restaurant, le dossier des chaises des terrasses ainsi que sur les T-shirts des employés, la camionnette de la société, les panneaux publicitaires, au niveau de la porte battante côté Nord-Nord-Ouest du 'Le Colibri Côté Lounge' (colibri blanc), sur la façade de l'immeuble (enseigne), sur un film semi-occultant (silhouette), sur les sets de tables (silhouette blanche) et les porte-couverts dans les deux restaurants exploités,

- faire interdiction à la SARL Jamy d'exploiter son oeuvre représentant le colibri sous les formes et supports suivants : cartes des menus du restaurant, dossier des chaises des terrasses ainsi que sur les T-shirts des employés, sur la camionnette de la société, sur les panneaux publicitaires, au niveau de la porte battante côté Nord-Nord-Ouest du 'Le Colibri Côté Lounge' (colibri blanc), au niveau de la façade de l'immeuble (enseigne), sur un film semi-occultant (silhouette), sur les sets de tables (silhouette blanche) et les porte-couverts dans les deux restaurants exploités, sous astreinte de 500 euros par jour à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;

- condamner la SARL Jamy à lui verser :

•            la somme de 30.000 euros en réparation du préjudice patrimonial au titre du gain manqué, et à la somme de 5.000 euros au titre des pertes subies,

•            la somme de 4.000 euros en réparation du préjudice moral subi pour l'atteinte à son droit à la paternité sur son œuvre et à la somme de 8.000 euros en réparation du préjudice moral pour atteinte à son droit au respect de son œuvre,

•            la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.

La SARL Jamy et la SARL Cap Quib' concluent à la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré l'intervention de la SARL Cap Quib' recevable et à sa réformation pour le surplus, demandant à la cour de :

- dire l'action en contrefaçon engagée par M. T. prescrite,

- à défaut, la dire mal fondée et débouter M. T. de ses demandes,

- en toute hypothèse, de débouter M. Jamy T. et Mme Jeannine B. son épouse de leurs demandes à leur encontre et les condamner conjointement et solidairement, sur le fondement de la garantie d'actif et de passif stipulée à l'acte du 14 janvier 2013, à garantir et relever indemne la SARL Jamy de l'intégralité des condamnations qui seraient mises à sa charge,

- en tout cas, de les condamner conjointement et solidairement à les indemniser à hauteur des condamnations qui seraient prononcées au profit de M. T.,

- de condamner toute partie succombant à leur payer à chacune la somme de 4 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.

Les époux T. demandent à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a :

- accueilli partiellement la fin de non-recevoir tirée de la prescription et, en conséquence, déclaré irrecevables les demandes en contrefaçon fondées sur la reproduction du colibri sur les cartes des menus du restaurant, le dossier des chaises de leurs terrasses ainsi que sur les T-shirts des employés,

- dit qu'une cession implicite des droits de reproduction de l'œuvre était intervenue, permettant la reproduction de l'œuvre sur les cartes des menus du restaurant, sur le dossier arrière des chaises des terrasses ainsi que sur les T-shirts portés par les employés,

- rejeté la demande de M. Guy T. en réparation d'un préjudice patrimonial au titre des pertes subies,

- rejeté les demandes de la SARL Jamy et de la SARL Cap Quib' tendant à la mise en œuvre de la garantie d'actif et de passif.

Ils concluent à son infirmation pour le surplus et demandent à la cour :

- à titre principal, de déclarer l'action en contrefaçon de M. T. entièrement prescrite et de le débouter de ses demandes ;

- de débouter la SARL Cap Quib' et la SARL Jamy de l'ensemble de leurs demandes à leur encontre,

- de condamner M. T. à leur payer la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et celle de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- à titre subsidiaire, de dire et juger qu'ils ne sont pas responsables des actes d'utilisation du colibri fait par la société Cap Quib' sur :

•            les nouveaux panneaux d'affichage, fauteuils et film-vitrine semi-occultant du restaurant reprenant le motif du colibri ;

•            l'intérieur du restaurant redécoré au motif du colibri ;

•            les véhicules du restaurant reprenant le motif du colibri ;

•            les nouvelles cartes de restaurant ornées du motif de colibri ;

•            l'usage du motif de colibri sur Internet dans le cadre de la campagne de communication mise en œuvre par les nouveaux propriétaires ;

•            l'ensemble des nouvelles contrefaçons de colibri au sein du nouvel établissement exploité par la défenderesse : "Le Colibri Cote Lounge"

•            la déformation de l'usage du motif du colibri sur les films semi-occultant couvrant un mur en verre du restaurant ou encore sur les sets de table ou les porte-couverts à l'attention des clients ;

- en conséquence, dire n'y avoir lieu à condamnation pour ces actes et plus généralement condamner la SARL Jamy et la SARL Cap Quib' à les garantir des éventuelles condamnations mises à leur charge.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la Cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées par M. T. le 19 octobre 2017, par la SARL Jamy et sa holding le 3 décembre 2018 et par les époux T. le 18 janvier 2019 .

EXPOSÉ DES MOTIFS

Sur la fin de non-recevoir de prescription de l'action en contrefaçon du droit d'auteur

M. T. soutient que son droit moral étant imprescriptible et la contrefaçon étant un délit continu, le point de départ de la prescription ne peut commencer à courir que le jour où cesse l'exploitation contrefaisante.

Mais l'action en contrefaçon est distincte du droit moral de l'auteur, l'imprescriptibilité de celui-ci n'emportant pas celle de l'action en réparation des atteintes qui y sont portées, laquelle est régie par la prescription de droit commun de l'article 2224 du code civil. Le délai de prescription édicté par cette disposition court à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

En l'occurrence, il est établi notamment par l'assignation introductive d'instance et par les attestations des anciens employés de l'établissement, parfaitement probantes dans la mesure où leurs auteurs ne se trouvaient pas, au moment de leur rédaction, sous la subordination des époux T., que M. T., client régulier du bar-restaurant 'Le Colibri', a eu connaissance, dès leur origine en 2008, des reproductions de son oeuvre, lesquelles étaient effectuées ostensiblement sur des supports destinés à la clientèle.

En conséquence, les actes de reproduction du colibri commis antérieurement au 13 janvier 2009 ne peuvent plus donner lieu à action en indemnisation. Tel est le cas de la reproduction effectuée sur les dossiers des chaises de terrasse qui ont été facturées le 25 juin 2008 et de celle effectuée sur les menus facturés le 22 février 2008.

En revanche, les nouveaux actes de reproduction du colibri postérieurs au 13 janvier 2009 ne sont pas prescrits, y compris les nouvelles éditions de menus même identiques aux précédents. Or contrairement à ce qui est soutenu, la SARL Jamy, sous la gérance des époux T., a fait réaliser de nouvelles impressions de menus comportant la reproduction contrefaisante ainsi que le révèlent les factures du 31 août 2009 et du 23 février 2010.

S'agissant des T-shirts portés par les employés, les pièces produites n'établissent pas la ou les dates de leur fabrication de sorte que les intimés ne démontrent pas que ces actes de contrefaçon sont couverts par la prescription.

Il s'en infère que contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, la prescription de l'action en contrefaçon n'est acquise que pour la reproduction de la silhouette du colibri sur les dossiers des chaises fabriquées antérieurement au 25 juin 2008. Elle n'est en revanche pas encourue pour les reproductions du colibri sur les autres supports dès lors que celles-ci ont été réalisées postérieurement au 13 juin 2009.

Sur la cession des droits de reproduction de l'oeuvre à M. T.

Si la cession des droits de reproduction d'une oeuvre n'exige pas l'établissement d'un écrit, un tel contrat pouvant être verbal, encore faut-il que soit démontré le consentement de la partie censée avoir transmis son droit patrimonial. Or, M. T. ne soutient pas avoir demandé, ni a fortiori obtenu, l'accord verbal de M. T. à la reproduction de son colibri mais prétend seulement déduire l'existence de son consentement à l'abandon gratuit de son droit patrimonial de sa seule passivité.

Lorsqu'il a vendu à M. T., se domiciliant au restaurant Le Colibri, l'acrylique sur toile du même nom, M. T., qui avait travaillé sur commande, savait qu'elle avait vocation à être exposée dans le dit établissement afin d'illustrer et de renforcer l'impact de son enseigne et de son nom commercial. En revanche, rien n'établit qu'il connaissait l'intention de l'acquéreur de reproduire une partie de son oeuvre sur différents supports. A fortiori, il n'est pas démontré qu'il y a consenti. Cet accord ne peut être déduit des relations commerciales existant par ailleurs entre les parties puisque si l'établissement a servi de cadre d'exposition à différentes oeuvres de M. T., tel n'était plus le cas à partir de 2007. Dès lors, même si mis régulièrement en présence des reproductions litigieuses, il n'a émis ni protestation, ni même contrariété, ceci ne signifie pas que M. T. ait cédé gracieusement son droit patrimonial de reproduction sur les supports en cause. Cette absence de réaction pouvait au mieux révéler l'existence d'une tolérance à un usage précaire, cantonné aux limites de l'établissement et/ou la reconnaissance de son caractère non préjudiciable puisqu'associé à l'exposition de l'oeuvre originale dans les locaux, ce qui en assurait la filiation, il était de nature à accroître sa propre visibilité et assurer la publicité de sa galerie voisine.

Le jugement sera en conséquence réformé en ce qu'il a retenu l'existence d'un tel contrat.

Sur la protection au titre du droit d'auteur

La SARL Jamy et sa holding contestent l'originalité de l'oeuvre arguée de contrefaçon. Mais par une motivation pertinente que la cour adopte, les premiers juges ont parfaitement analysé l'originalité de l'oeuvre et partant son élection à la protection au titre du droit d'auteur.

Les actes de contrefaçon par reproduction partielle de l'oeuvre postérieurs au 13 juin 2009 sont également caractérisés dès lors que la silhouette de l'oiseau reproduite, même déformée ou unicolore, correspond à celle de l'oeuvre et non par exemple à celle de l'oiseau pré-existant figurant sur les stores du restaurant ou à toute autre représentation du dit oiseau dont il est justifié.

Sur l'indemnisation du préjudice

A juste titre, les intimés rappellent qu'il appartient à celui qui réclame l'indemnisation d'un préjudice d'apporter la preuve de l'existence et de l'étendue de celui-ci. En l'espèce, le préjudice dont se plaint M. T. lui est principalement imputable puisqu'il aurait pu faire cesser sans frais, ni délais, dès les premiers actes déplorés dont il a eu immédiatement connaissance, la reproduction du colibri en rappelant l'existence et la portée de son droit d'auteur que la société Jamy n'avait manifestement pas eu l'intention de bafouer, ayant seulement fait preuve de naïveté et d'ignorance s'agissant de la législation applicable.

Le fait que M. T. ait pu négocier en 2012 la création d'un logo pour la somme de 18 000 euros TTC ne signifie pas qu'il aurait pu, en 2009, négocier un contrat similaire pour l'exploitation de son tableau Le Colibri. Au contraire, il est significatif que M. T., régulièrement confronté pendant six ans à l'exploitation contrefaisante, ne justifie pas avoir émis la moindre protestation avant l'introduction de la présente instance pour la dénoncer, ni n'a tenté de négocier financièrement cette exploitation. Ainsi il ne démontre avoir adressé, avant l'introduction de l'instance, ni lettre amiable, ni mise en demeure d'avoir à mettre un terme aux agissements illicites, ni offre de contrat de licence ou de cession onéreuse du droit de reproduction de son oeuvre. Les prétendus échanges verbaux allégués, tardifs et contestés, ne sont étayés par aucune pièce justificative probante et sont peu plausibles, sachant que M. T. a fait preuve, dans sa relation des faits, de versions fluctuantes qui ne permettent pas d'accorder pleine foi à ses affirmations. Il se déduit de sa passivité en présence des actes contrefaisants qu'il avait conscience de l'impossibilité de négocier financièrement l'exploitation du tableau, ni la SARL Jamy, ni un tiers n'étant intéressés par une acquisition onéreuse de son droit de reproduction d'une création qui pouvait être aisément remplacée par une autre illustration gratuite du même oiseau, telle celle figurant déjà sur le store de l'établissement.

M. T. ne démontre pas avoir subi une perte financière consécutive aux reproductions en cause. Celles-ci ont cessé, ainsi que le démontre la SARL Jamy dès le prononcé du jugement, sans qu'il en ait résulté de conséquence pour l'une ou l'autre des parties. M. T. n'établit pas qu'il a perdu une opportunité d'exploiter financièrement l'oeuvre litigieuse en raison des actes dénoncés, ni que ceux-ci aient eu une incidence sur sa côte, sa renommée ou les revenus qu'il retire de son activité. En particulier, se consacrant notamment à la création de logos, il ne peut prétendre que l'utilisation de l'oiseau litigieux à cet effet ait eu une répercussion négative sur la perception par le public de son activité et de la valeur de son oeuvre.

Dès lors, les conséquences économiques de l'atteinte au droit patrimonial généré par la reproduction du colibri sur les supports autres que le dossier des chaises fabriquées en 2008, pendant la période comprise entre le 13 juin 2009 et la date à laquelle il a été définitivement mis fin à cette exploitation, sera, au regard des critères énoncés par l'article L.331-1-3 du code de la propriété intellectuelle, de la valeur vénale de l'oeuvre originale cédée, de la notoriété de l'auteur, de l'absence de profit retiré par le contrefacteur des actes litigieux, du montant limité des redevances que le peintre aurait pu retirer de son exploitation, réparées intégralement par l'allocation d'une somme de 3 000 euros.

L'absence du nom du peintre sur les reproductions contrefaisantes, lequel aurait été difficilement perceptible pour les usagers du restaurant eu égard à l'échelle très réduite des reproductions, était compensée par le fait que l'oeuvre originale était exposée en bonne place dans l'établissement de sorte que la filiation des reproductions avec elle était évidente pour tout observateur intéressé. Tel n'était plus le cas à partir de la cession des parts à la SARL Cap Quib' de sorte que rien ne permettait plus d'attribuer la réalisation du colibri à M. T.. Compte tenu de ces circonstances, l'atteinte au droit à la paternité sera indemnisée par la somme de 2 000 euros.

L'atteinte au droit au respect de l'oeuvre par la reproduction de la silhouette de l'oiseau sans reprendre le fond, ni respecter les couleurs, la taille voire les proportions, sera réparée en tenant compte du caractère discret des reproductions partielles déplorées, de leur diffusion pour l'essentiel circonscrite au périmètre de l'établissement et partant à un public d'usagers limité et de l'absence de caractère avilissant de ces reproductions au demeurant conformes à l'usage que M. T. se plaint de n'avoir pu négocier financièrement. L'indemnisation allouée à ce titre par le tribunal répare intégralement le préjudice ainsi invoqué.

Sur l'appel en garantie des époux T.

L'article 16 du protocole d'accord signé le 30 mars 2012 repris dans le contrat réitératif du 14 janvier 2013 mentionnait au paragraphe n) Propriété industrielle : 'Aucun brevet, procédé, logiciel, marque ou nom commercial utilisés par la société ne contrevient à la propriété intellectuelle d'un tiers quelconque ou ne nécessite l'emploi d'informations confidentielles d'un tiers quelconque'.

Or l'ajout au nom commercial de la société, pour en faire partie intégrante, de la reproduction du colibri litigieux, contrevenait à la propriété intellectuelle de M. T., de sorte que la déclaration sus-reproduite était inexacte.

Le cédant s'engageait à indemniser le bénéficiaire de la garantie de tout passif qui trouverait sa cause ou son origine dans un événement antérieur au jour de l'entrée en jouissance. Or les actes de contrefaçon sus-indemnisés ont été pour partie commis avant le 14 janvier 2013, jour de l'entrée en jouissance des cessionnaires. Cette indemnisation constitue donc, dans cette limite, un passif trouvant sa cause antérieurement à l'entrée en jouissance des cessionnaires et relève en conséquence de la garantie de passif souscrite par les cédants. Dès lors c'est à tort que le tribunal a écarté les concernant la mise en jeu de la garantie.

En revanche, les actes commis après l'entrée en jouissance de la société Cap Quib' même s'ils trouvaient leur cause dans les déclarations inexactes sus-rappelées, n'entrent pas dans les prévisions de la garantie d'actif et de passif dès lors qu'ils n'ont pas généré un passif né antérieurement à la prise de jouissance de la cession et que rien ne démontre que les éléments d'actif de la société valorisaient le nom commercial contrefaisant.

A cet égard, il sera relevé que le bilan de la société Jamy pris en compte pour établir les conditions de la cession n'est pas produit de sorte qu'il n'est pas possible à la cour de vérifier si figuraient à l'actif des éléments incorporels dans lesquels auraient pu être valorisés le nom commercial et l'enseigne contrefaisantes. La société Cap Quib' ne démontre pas dès lors l'existence d'une diminution de la valeur des éléments d'actif trouvant sa source ou son origine antérieurement à la date de la cession ou résultant de l'inexactitude des déclarations sus-rappelées.

Or la société Jamy et sa holding fondent exclusivement leur demande de condamnation à l'encontre des cédants sur la garantie d'actif et de passif sans invoquer leur responsabilité personnelle pour ne leur avoir pas signalé l' absence de droit de la société cédée à reproduire et faire usage de l'oeuvre qu'ils avaient associée au nom commercial de la société. Leur demande ne peut donc être accueillie que dans cette limite.

Il sera à cet égard relevé que les actes litigieux non prescrits se sont déroulés sur la période du 13 juin 2009 au 14 janvier 2013, sous la responsabilité des anciens gérants, puis du 14 janvier 2013 au jour de l'exécution du jugement sous la responsabilité des nouveaux gérants qui ne donnent aucune indication sur la date à laquelle ils ont réalisé les nouvelles reproductions litigieuses. Il sera déduit des circonstances de l'espèce qu'ils ont continué à user d'objets contrefaisants (menus facturés le 23 février 2010, T-shirts) transmis avec les éléments d'actifs corporels avant de procéder à de nouvelles reproductions illicites démontrées notamment par la facture du 28 février 2014 portant sur les menus et les sets de table et la nouvelle décoration des deux établissements et de leur véhicule.

Contrairement à ce qui est soutenu sans la moindre pièce probante, il n'est pas établi que les cessionnaires aient fait preuve de mauvaise foi dans l'exploitation du signe qui leur avait été indûment transmis dès lors que les cédants ne soutiennent pas avoir attiré leur attention sur l'origine de ce signe et les risques encourus du fait de son utilisation, ayant au contraire affirmé que le nom commercial dont il avait ainsi enrichi la représentation graphique ne se heurtait à aucun droit de propriété intellectuelle.

Compte tenu des éléments ainsi portés à l'appréciation de la cour, la garantie sollicitée sera accordée à concurrence de la moitié des condamnations mises à la charge de la société Jamy dès lors que même s'agissant du droit à la paternité de l'oeuvre, les cédants encourent une responsabilité pour avoir transmis les objets contrefaisants sans laisser dans le fonds l'oeuvre originale qui permettait d'en identifier l'auteur.

Sur les demandes accessoires

L'action de M. T. ayant été reconnue partiellement bien fondée, la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée à son encontre ne peut prospérer.

Chacune des parties succombant partiellement dans ses prétentions formées devant la cour conservera la charge de ses frais et dépens afférents à la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Confirme le jugement rendu le 7 février 2017 par le tribunal de grande instance de Rennes en ce qu'il a :

- accueilli partiellement la fin de non-recevoir tirée de la prescription et, en conséquence, déclaré irrecevables les demandes en indemnisation fondées sur la reproduction de l'oeuvre de M. T. réalisées avant le 13 juin 2009 ;

- déclaré recevable l'ensemble des autres demandes en contrefaçon ;

- dit que l'oeuvre de M. Guy T. représentant un colibri en vol stationnaire sur un fond nuancé clair est une oeuvre originale ;

- condamné la SARL Jamy à verser à M. Guy T. la somme de 3.000 euros en réparation du préjudice patrimonial au titre du gain manqué ;

- rejeté la demande de M. T. en réparation du préjudice patrimonial au titre des pertes subies ;

- condamné la SARL Jamy à verser à M. T. la somme de 2 000 euros en réparation du préjudice moral subi par lui du fait de l'atteinte à son droit à la paternité sur son oeuvre ;

- condamné la SARL Jamy à verser à M. T. la somme de 1.000 euros en réparation du préjudice moral subi par lui du fait de l'atteinte à son droit au respect de son oeuvre ;

- rejeté la demande des époux T. au titre de la procédure abusive ;

- condamné la SARL Jamy à verser à M. T. la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.

Le réformant pour le surplus et statuant à nouveau,

Dit que la prescription ne s'applique qu'aux actes de reproduction du colibri issu de l'oeuvre de M. T. réalisés avant le 13 juin 2009 ;

Dit qu'aucun contrat de cession des droits de reproduction de l'oeuvre n'a été conclu entre M. T. et la SARL Jamy ou M.T. ;

Fait interdiction à la SARL Jamy d'exploiter l'oeuvre de M. Guy T. représentant le colibri sous toute forme et sur tous supports quels qu'ils soient à l'exception, le cas échéant, des seuls dossiers de chaises dont la fabrication est antérieure au 13 juin 2009 sur lesquels cette reproduction n'aurait pas déjà été occultée ;

Dit qu'eu égard à l'exécution de la décision de première instance, il n'y a pas lieu d'assortir cette interdiction d'une astreinte ;

Accueille la demande en garantie formée par la SARL Cap Quib' et la SARL Jamy et condamne M. Jamy T. et Mme Jennine B. épouse T. à garantir la SARL Jamy de la moitié des condamnations en principal, frais et dépens prononcés à son encontre au profit de M. Guy T. ;

Rejette toute autre demande ;

Dit que chacune des parties conservera la charge des frais et dépens qu'elle a exposés au cours de la procédure d'appel.