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Décisions

CA Nancy, 1re ch. civ., 2 février 2016, n° 14/00396

NANCY

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Juratoys, RCS Lons Le Saulnier 453389660 (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Richet

Conseillers :

M. Ferron, Mme Bouc

TGI Nancy, du 6 févr. 2014

6 février 2014

FAITS ET PROCÉDURE :

La société V., dont le siège est situé à Moirans-en-Montagne (Jura), exerce depuis 1911 l'activité principale de création, fabrication et commercialisation de jouets en bois.

La société Juratoys, dont le siège est situé à Orgelet (Jura), et qui vient aux droits de la société J., fondée en 1998, exerce une activité de même nature.

Lors d'un salon organisé au parc des expositions, à Villepinte, la société V. a constaté que la société Juratoys commercialisait, sous la marque 'J.', des modèles de voitures en bois similaires à ceux à l'égard desquels elle était titulaire de droits d'auteur : il s'agissait d'un modèle de mini-voiture désigné 'Mini rally checkers ass.' qu'elle commercialisait depuis l'année 2008, et d'un modèle désigné 'Mini fourgon ass.' qu'elle commercialisait depuis 1996.

Après avoir fait effectuer par huissier, le 24 janvier 2010, un procès-verbal de constatation sur le stand de la société Juratoys, et acheté divers modèles qu'elle considérait comme contrefaisants, dans des magasins, à Paris et à Nancy, la société V. a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Nancy qui, par ordonnance du 12 décembre 2011, a fait diligenter, le 27 janvier 2012, au siège de la société Juratoys, des opérations de saisie- contrefaçon portant sur des modèles de jouets dénommés 'Sport cars' et 'Mini vans'.

Par acte du 16 février 2012, la société V. a fait assigner la société Juratoys devant le tribunal de grande instance de Nancy pour voir reconnaître qu'elle était victime d'actes de contrefaçon, ainsi que de concurrence déloyale et parasitaire, et interdire sous astreinte à la société défenderesse, de poursuivre les actes de fabrication et de commercialisation lui portant préjudice. Elle a réclamé des dommages-intérêts en réparation de son préjudice né d'une part de la contrefaçon, d'autre part des actes de concurrence déloyale dont elle avait été victime, la publication de la décision à intervenir dans quatre ou cinq journaux ou revues de son choix, ainsi que sur internet, et le bénéfice de l'exécution provisoire.

Par jugement contradictoire du 3 février 2014, le tribunal ainsi saisi a :

- dit que les modèles 'Mini rally checkers ass.' référence 2282, et 'Mini fourgon ass.' référence 2266 commercialisés par la société V. étaient des modèles originaux ;

- dit que la société Juratoys, en commercialisant les modèles 'Sport cars' et 'Mini vans', avait contrefait les produits de la société V., et s'était livrée à des actes constitutifs de concurrence déloyale ;

- interdit à la société Juratoys de poursuivre les actes de fabrication et de commercialisation des produits contrefaisants sous astreinte de 150 € par infraction constatée ;

- condamné la société Juratoys à verser à la société V. la somme de 30.000 € à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale et parasitaire ;

- ordonné la publication des quatre premiers chefs du dispositif de sa décision sur la page d'accueil du site internet de la société Juratoys dans une police de taille similaire au reste de ce site, pour une durée d'un mois à l'issue d'un délai de sept jours commençant à courir le lendemain de la signification de sa décision, et ce sous astreinte de 1.000 € par jour de retard ;

- ordonné l'insertion du dispositif de sa décision dans cinq revues ou journaux, au choix de la société V., et aux frais de la société Juratoys, dans la limite de 2.000 € par insertion ;

- sursis à statuer sur le montant du préjudice résultant des actes de contrefaçon, et ordonné avant dire droit la mise en oeuvre d'une expertise comptable judiciaire confiée à M. Jean-Louis M., [...] ;

- condamné la société Juratoys à payer à la société V. une somme de 100.000 € à valoir sur le montant de son préjudice, ainsi que celle de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire de sa décision et réservé les dépens.

Dans ses motifs, le tribunal a considéré que la société V. justifiait de l'exploitation des deux modèles dont elle revendiquait l'originalité, et qu'elle était présumée avoir la qualité d'auteur à leur égard au sens de l'article L.113-1 du code de la propriété intellectuelle de sorte qu'elle était recevable à agir en contrefaçon de ces modèles.

Sur le fond, il a estimé en premier lieu que les deux modèles revendiqués par la société V. étaient les fruits d'une recherche aboutie de composition et d'agencement d'éléments qui leur conféraient une véritable originalité au sein du fonds commun de l'univers du jouet, sans qu'il fût possible de les considérer comme imitant ou reproduisant des modèles préexistants ; en second lieu que les modèles litigieux reproduisaient, mises à part quelques différences de détail, les caractéristiques essentielles des modèles de la société V., et que l'impression visuelle d'ensemble qu'ils produisaient était de nature à créer un risque de confusion dans l'esprit du consommateur.

Par ailleurs, le tribunal a considéré qu'en utilisant, sans recherche spécifique, le travail fourni par la société V. pour vendre ses jouets avec les mêmes particularités, et les commercialiser sous une même présentation de produit, la société Juratoys, qui est un professionnel de la distribution de jouets d'enfants, avait commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire distincts des actes de contrefaçon qui lui étaient reprochés.

Par déclaration reçue au greffe de la cour, le 6 février 2014, la société Juratoys a relevé appel de ce jugement ; dans ses dernières conclusions, elle demande à la cour de l'infirmer, de débouter la société V. de toutes ses demandes, et de la condamner, outre aux entiers dépens, à lui payer la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de son recours, elle fait valoir à titre principal que les modèles argués de contrefaçon ne présentent, dans leur globalité ou leurs principales caractéristiques, aucun caractère d'originalité par rapport aux modèles précédemment fabriqués, et que ses propres réalisations ne présentent pas, par rapport aux modèles de son concurrent, des similitudes constitutives de contrefaçon ; qu'en outre il ne peut lui être reproché aucun acte de concurrence déloyale à l'encontre de la société V.. Subsidiairement, elle soutient que celle-ci ne rapporte pas la preuve d'un préjudice subi au titre du gain manqué ou du bénéfice réalisé, ou encore d'un préjudice résultant d'actes de concurrence déloyale.

La société intimée rappelle tout d'abord qu'elle rapporte la preuve d'actes d'exploitation non équivoques des modèles de jouets argués de contrefaçon de sorte qu'elle est recevable à invoquer le bénéfice de la présomption de titularité prévue à l'article L.113-1 du code de la propriété intellectuelle .

Elle soutient ensuite que l'originalité des modèles qu'elle a conçus tient à la combinaison des éléments qui les composent, et qui en font des créations uniques ; que les modèles invoquées par la partie adverse comme antérieurs, soit ne sont pas datées, ce qui exclut le caractère d'antériorité sur ces modèles, soit sont commentés en langue étrangère, ce qui exclut leur prise en compte ; que l'expert auquel l'appelante a eu recours n'a pu retrouver de modèle antérieur présentant une combinaison d'éléments comparable à celle des modèles V..

Elle fait encore valoir que les modèles commercialisés par la société Juratoys reprennent, outre certaines caractéristiques du domaine public, la combinaison originale d'éléments qu'elle avait conçue, et constituent en conséquence des actes de contrefaçon parce qu'ils donnent une impression visuelle d'ensemble très proche de celle que produisent ses propres modèles.

Elle expose enfin qu'outre des actes de contrefaçon, la société appelante a commis à son détriment des actes de concurrence déloyale en choisissant, pour commercialiser ses modèles contrefaisants, des emballages propres à alimenter le risque de confusion, des coloris identiques à ceux de ses propres modèles, ou des signes distinctifs ayant la même symbolique intellectuelle ; qu'elle s'est aussi rendue coupable de concurrence parasitaire en profitant de manière indue de son travail de création, de son savoir-faire et de sa notoriété acquise dans le domaine du jouet en bois.

En conséquence, alors qu'elle entend fournir des éléments concrets permettant d'évaluer son préjudice, elle conclut à la confirmation du jugement, sauf en ce qu'il a ordonné la mise en oeuvre d'une expertise judiciaire, et sous-évalué la réparation qui lui est due pour concurrence déloyale et parasitaire, et à la condamnation de la société Juratoys à lui payer :

- 498.853,48 € à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice consécutif aux actes de contrefaçon dont elle a été victime ;

- 50.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice consécutif aux actes de concurrence déloyale et parasitaire dont elle a été victime ;

- 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle demande enfin que la société Juratoys soit condamnée aux dépens de la procédure d'appel.

L'affaire a été conclue par ordonnance du conseiller de la mise en état du 10 novembre 2015.

MOTIFS DE LA DÉCISION:

L'article L.113-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que la qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'oeuvre est divulguée.

En l'espèce, il n'est pas contesté que la société V. exploite sous son nom les deux modèles de jouet dont elle prétend qu'ils ont été contrefaits par la société Juratoys, et celle-ci ne propose pas de renverser la présomption de titularité des droits qui en résulte.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a déclaré recevable l'action en contrefaçon formée par la société V..

1) L'action en contrefaçon.

A) Le bien-fondé de l'action.

L'article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose en son premier alinéa que l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous.

Ce texte pose le principe de la protection de toute oeuvre de l'esprit sans formalités et du seul fait de la création d'une forme originale.

En l'espèce, la société V. fait valoir qu'elle a créé des oeuvres originales en concevant deux modèles de jouets qui sont d'une part une petite voiture de course, d'autre part un petit fourgon postal. La partie adverse conteste que, ce faisant, elle ait fait preuve d'originalité dans la mesure où ces deux prétendues créations sont inspirées, pour la première des formes qui caractérisent les voitures de course d'avant-guerre, pour la seconde des éléments d'identification nécessaires à la représentation d'un type de véhicule standardisé, le fourgon postal.

S'agissant des jouets représentant des voitures de course d'avant-guerre, M. François T., expert et historien du jouet français, indique dans son rapport que la stylisation des formes dans le jouet en bois atteint son paroxysme dès 1935 en réduisant le conducteur à l'état d'une sphère sans aucun contour, et la carrosserie du véhicule à son expression la plus réduite. Il ajoute que le modèle de 1935 figurant en page 7 de son rapport reste le pivot d'un style général dont s'inspire chaque créateur ou fabricant depuis lors, et préfigure donc celui employé de nos jours sous des variantes et des versions déclinées à l'infini ; qu'ainsi, chaque fabricant de jouets en bois s'inspire toujours du même artefact, et lui confère un style propre, cet ensemble d'éléments formant l'ADN de chaque jouet et permettant à l'historien, amateur ou collectionneur de déterminer sa paternité.

S'il est vrai que le modèle V. <<Mini Rally Checkers Ass.>> (référence 2282) se situe dans la lignée des jouets fabriqués dès les années 1920-1930, et représentant des voitures de course monoplace, il n'en reste pas moins qu'il se caractérise par une combinaison d'éléments, forme générale arrondie et ramassée, petite boule blanche figurant la tête du pilote, damier blanc ou noir entre les roues se détachant sur la couleur jaune ou rouge de l'objet, roues indépendantes de la carrosserie, moins hautes que celle-ci, munies d'enjoliveurs métalliques, et portant la marque du fabricant, qui lui confère un caractère de nouveauté par rapport à tous les modèles antérieurs et, partant, une originalité certaine.

Pour remettre en cause le caractère original du modèle <<Mini Rally Checkers Ass.>> (référence 2282), la société Juratoys soutient encore qu'il n'est que la transposition de modèles antérieurs, le modèle <<Mini Bolide>> V. (référence 2264), les modèles de la marque Playsam ou de la marque Brio.

Si le modèle 2282 se présente comme une déclinaison du modèle 2264, ils sont tous les deux les fruits d'une même inspiration, et constituent l'un et l'autre un assemblage d'éléments qui leur confère une originalité susceptible de protection à l'égard des fabricants concurrents de la société V.. En revanche, ces deux modèles créés par celle-ci se distinguent des modèles appartenant aux fabricants précédemment cités. En effet, les modèles de la marque Playsam présentent une forme arrondie très accentuée, parfois surmontée d'une boule de couleur qui se détache du corps de l'objet en évoquant la tête d'un personnage, et munie de très petites roues qui sont presque intégrées à la carrosserie, ce qui produit une impression d'ensemble très différente des produits de la société V.. Il en va de même du modèle de la marque Brio qui se présente sous une forme fuselée munie de roues indépendantes plus hautes que la carrosserie, la tête du pilote, figurée aussi par une boule, étant protégée par un arceau de sécurité.

Par ailleurs, alors qu'il n'est justifié d'aucun modèle type représentant les canons d'un fourgon postal, le modèle <<Mini Fourgon Ass.>> (référence 2266) de la société V. présente également une combinaison d'éléments, forme haute, peu aérodynamique, rectangulaire, petite boule blanche figurant la tête du conducteur engoncée dans la carrosserie, avant arrondi, roues indépendantes de la carrosserie munies d'enjoliveurs métalliques, qui lui confère une originalité certaine.

L'article L.122-4 du code de la propriété intellectuelle dispose que toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit est illicite.

La société Juratoys se défend d'avoir emprunté aux deux modèles de la société V. les caractéristiques qui participent de leur originalité.

S'agissant de la petite voiture de course commercialisée par la société Juratoys sous l'appellation <<Sport Car>>, il convient de relever qu'elle a les mêmes dimensions que le modèle 2282 de la société V., qu'elle présente une forme arrondie et ramassée, surmontée d'une boule figurant la tête du pilote, munie de roues indépendantes de la carrosserie, moins hautes que celle-ci, portant la marque du fabricant et ornées d'enjoliveurs métalliques. Si elle se distingue par plusieurs particularités, forme en ellipse au lieu d'une forme en demi-lune, tête du pilote placée un peu plus en arrière, dessin d'une calandre à l'avant, il s'agit de détails qui ne laissent pas de considérer que l'impression d'ensemble que produisent à l'oeil du consommateur moyen les deux modèles concurrents est identique, et qu'il en résulte un risque de confusion dans l'esprit de ce consommateur.

S'agissant du petit fourgon postal commercialisé par la société Juratoys sous l'appellation <<Mini Van>>, il a aussi les mêmes dimensions et la même couleur jaune que celui créé par la société V. ; il présente la même forme haute et peu aérodynamique, une petite boule blanche figurant la tête du conducteur engoncée dans la carrosserie, un avant arrondi, des roues indépendantes de la carrosserie munies d'enjoliveurs métalliques. Si ce modèle se distingue de celui créé par la société V., forme rectangulaire plus massive et arrondie au-dessus de la tête du conducteur qui est un peu plus grosse, dessin d'une enveloppe au lieu du sigle de La Poste sur le corps du fourgon, roues blanches au lieu de roues noires, dessin d'une calandre à l'avant, il s'agit là aussi de détails qui n'empêchent nullement que l'impression d'ensemble produite par les deux modèles dans l'esprit du consommateur moyen est identique, et qu'il en résulte un risque de confusion.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a considéré qu'en commercialisant les modèles de jouets dénommés <<Sport Car>> et <<Mini Van>>, la société Juratoys a contrefait les modèles créés par la société V. et commercialisés sous les appellations <<Mini Rally Checkers Ass.>> et <<Mini Fourgon Ass.>>. Il le sera aussi en ce qu'il a d'une part interdit à la société Juratoys, sous astreinte de 150 € par infraction constatée, de poursuivre la fabrication et la commercialisation des produits contrefaisant, d'autre part ordonné, aux frais de la société défenderesse, la publication sur son site internet, et la publication dans cinq revues ou journaux, au choix de la société V., de tout ou partie du dispositif de sa décision.

B) Le préjudice.

L'article L.331-1-3 du code de la propriété intellectuelle dispose en son premier alinéa que pour fixer les dommages-intérêts, la juridiction prend en considération les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits et le préjudice moral causé au titulaire de ces droits du fait de l'atteinte.

Pour appréhender avec exactitude les bénéfices réalisés par la société Juratoys grâce à la vente des objets contrefaits, et le manque à gagner subi par la société V. du fait de la contrefaçon, il est nécessaire de prendre connaissance des pièces comptables et fiscales appartenant aux deux sociétés, de déterminer le nombre des objets contrefaits vendus durant les périodes concernées, et de comparer le chiffre d'affaires réalisé par l'une et l'autre société, tant avant qu'après la mise sur le marché de ces objets.

En revanche, contrairement à ce que soutient la société V., il n'y a pas lieu de prendre en considération le nombre des objets que la société Juratoys a commandés à son fabricant dans la mesure où elle n'a pas été nécessairement à même de les vendre en totalité.

En conséquence, il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné la mise en oeuvre d'une expertise judiciaire confiée à M. Jean-Louis M., et confié à celui-ci la mission suivante :

- se faire communiquer par les parties ou des tiers toutes les pièces, notamment comptables et fiscales utiles à l'accomplissement de sa mission ;

- déterminer le nombre des objets contrefaisants vendus par la société Juratoys, ainsi que les périodes concernées ;

- déterminer le bénéfice net qu'aurait réalisé la société V. sur la masse contrefaisante compte tenu du taux de bénéfice net moyen réalisé par elle sur la vente des produits contrefaits durant chaque année de la période de contrefaçon ;

- d'une manière générale, fournir au tribunal tous les éléments utiles au calcul de l'indemnité compensatrice du préjudice subi par la société V. du fait de la contrefaçon.

S'agissant de la période durant laquelle les objets contrefaisants ont été mis sur le marché, il résulte du procès-verbal d'huissier du 24 janvier 2010 que cette dernière date en constitue le point de départ, et d'un extrait du catalogue paru sous la marque J., en 2012, que les objets litigieux étaient toujours proposés à la clientèle durant cette dernière année.

En fonction de ces éléments, le jugement mérite encore d'être confirmé en ce qu'il a condamné la société Juratoys à payer à la société V. une somme de 100.000 € à titre de provision à valoir sur le montant de son préjudice consécutif à la contrefaçon.

2) L'action en concurrence déloyale et parasitaire.

L'action en concurrence déloyale, qui trouve son fondement dans les dispositions de l'article 1382 du code civil, suppose la démonstration d'une faute distincte des actes de contrefaçon.

En l'espèce, la manière dont la société Juratoys présente ses deux jouets à la clientèle, la petite voiture de course et le petit fourgon postal, est de nature à accentuer le risque de confusion que produit la reprise des caractéristiques essentielles dont résulte l'originalité des jouets conçus par la société V.. En effet, bien que les emballages choisis par la société Juratoys soient de taille supérieure à ceux de la société V., ils permettent de la même façon de visualiser les jouets directement et de profil, au lieu de se présenter, par exemple, comme des boîtes opaques sur lesquelles serait reproduit le dessin de l'objet qu'elles contiennent. Par ailleurs, les couleurs sous lesquelles la société Juratoys présente ses deux modèles sont les mêmes que celles choisies par la société V., à savoir un jaune et un rouge de même intensité. Enfin, le risque de confusion créé par ces deux éléments est encore aggravé par la localisation géographique des deux sociétés qui sont implantées l'une et l'autre dans le département du Jura, celui-ci jouissant d'une renommée certaine dans l'esprit des consommateurs en matière de fabrication de jouets en bois.

Par ailleurs, en mettant sur le marché des jouets dont l'apparence est de nature à créer un risque de confusion dans l'esprit du public entre ses propres produits et ceux de la société V., la société Juratoys a profité de la réputation et des investissements réalisés par son concurrent direct tant dans le domaine de la recherche pour créer des produits originaux, que dans celui de la publicité, la société V. établissant que pour assurer la promotion de sa production, elle a exposé, en 2011, des frais dont le total excédait la somme de 400.000 €.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a considéré que la société Juratoys avait commis au préjudice de la société V., outre des actes de contrefaçon, des actes de concurrence déloyale et parasitaire, et a condamné la première à payer à la seconde en réparation de son préjudice une somme de 30.000 €.

3) L'indemnité de procédure et les dépens.

La société V. obtenant la satisfaction de ses prétentions, le jugement sera confirmé en ce qu'il lui a alloué une somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, somme qui sera considérée comme indemnité de procédure de première instance et d'appel.

Pour le même motif, la société Juratoys sera déboutée de sa propre demande d'indemnité de procédure.

Si, en l'état de la procédure, c'est à juste titre que le tribunal a réservé les dépens de première instance, la société appelante qui succombe sera condamnée aux dépens de la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré et, y ajoutant ;

Dit que la somme de CINQ MILLE EUROS (5.000 €) qui a été allouée à la société V. sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile sera considérée comme indemnité de procédure de première instance et d'appel ;

Déboute la société Juratoys de sa propre demande d'indemnité de procédure ;

La condamne aux dépens de la procédure d'appel.