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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 14 novembre 2012, n° 11/07473

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Energy Transaction (SARL)

Défendeur :

Atelier LZC (SARL), Mme Lambert, Mme Zorn, M. Cailloux

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rajbaut

Conseillers :

Mme Chokron, Mme Gaber

Avocats :

Me Fromantin, Me Bensimhon-Cance, Me Hardouin, Me Guilloux

TGI Paris, du 10 févr. 2011, n° 09/06355

10 février 2011

Vu l'appel interjeté le 19 avril 2011 par la société ENERGY TRANSACTION (SARL), du jugement contradictoire rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 10 février 2011 ;

Vu les dernières écritures de la société appelante ENERGY TRANSACTION, signifiées le 19 juillet 2011 ;

Vu les dernières conclusions de Vanessa LAMBERT, Barbara ZORN, Michaël CAILLOUX et la société LZC (SARL), intimés, signifiées le 12 septembre 2011 ;

Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 22 mai 2012 ;

SUR CE, LA COUR :

Considérant qu'il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, au jugement entrepris et aux écritures, précédemment visées, des parties ;

Qu'il suffit de rappeler que Vanessa LAMBERT, Barbara ZORN et Michaël CAILLOUX, dessinateurs-graphistes spécialisés dans le design des objets et accessoires de décoration intérieure, et la société LZC, qu'ils ont fondée ensemble en 2001 et à laquelle ils ont cédé les droits d'exploitation sur leurs créations, ayant découvert l'offre en vente dans un magasin du 14ème arrondissement de Paris d'une planche auto-collante portant l'indication 'importé par ENERGY TRANSACTION' et reproduisant, selon eux, le dessin 'PALMIER' créé et commercialisé depuis le mois de juillet 2006 et pour lequel ils revendiquent des droits d'auteur, ont vainement mis en demeure la société ENERGY TRANSACTION, par lettre recommandée avec avis de réception du 4 novembre 2008 de fabriquer et de commercialiser la planche auto-collante incriminée puis, l'ont assignée, suivant acte d'huissier de justice du 8 avril 2009, devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon et concurrence déloyale et parasitisme ;

Que le tribunal, par jugement dont appel, a admis le dessin revendiqué 'PALMIER'au statut d'oeuvre de l'esprit éligible à la protection par le droit d'auteur, a déclaré Vanessa LAMBERT, Barbara ZORN et Michaël CAILLOUX recevables à agir au fondement de ce droit, a refusé par contre à la société LZC la titularité des droits patrimoniaux d'auteur, a retenu la contrefaçon et condamné de ce chef la société ENERGY TRANSACTION à payer à chacun des trois coauteurs, la somme de 3000 euros en réparation du préjudice moral, a prononcé une mesure d'interdiction sous astreinte et rejeté les demandes de destruction et de publication, a débouté la société LZC de sa demande en concurrence déloyale et parasitisme, a débouté la société ENERGY TRANSACTION de sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive, a alloué à chacun des trois coauteurs une indemnité de 1500 euros au titre des frais irrépétibles ;

Que la société appelante ENERGY TRANSACTION, concluant pour les dispositions lui faisant grief à la réformation du jugement, prie la cour, statuant à nouveau, de dire que Vanessa LAMBERT, Barbara ZORN et Michaël CAILLOUX ne justifient pas être les auteurs du dessin 'PALMIER', qu'en toute hypothèse, ce dessin n'est pas original, et rejeter en conséquence la demande en contrefaçon, de condamner en outre les intimés au paiement de 20.000 euros de dommages-intérêts pour procédure abusive et de 10.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Que Vanessa LAMBERT, Barbara ZORN, Michaël CAILLOUX et la société LZC poursuivent la confirmation du jugement sauf en ce qu'il a rejeté comme irrecevables ou mal fondées l'ensemble des prétentions de la société LZC et écarté les mesures de destruction et de publication et demandent essentiellement à la cour, statuant à nouveau des chefs réformés, de condamner la société ENERGY TRANSACTION à payer à la société LZC la somme de 40.000 euros en réparation du préjudice patrimonial d'auteur, la somme de 30.000 euros pour concurrence déloyale et parasitisme, la somme de 15.000 euros au titre des frais de publication de l'arrêt à intervenir ;

Sur la qualité à agir au fondement du droit d'auteur,

Considérant que la société appelante conteste à Vanessa LAMBERT, Barbara ZORN et Michaël CAILLOUX, qui ne rapportent pas la preuve, selon elle, d'avoir créé en juillet 2006 le dessin 'PALMIER' revendiqué, la qualité à agir au fondement du droit d'auteur ;

Qu'elle conteste également cette qualité à la société LZC, qui ne justifierait pas exploiter le dessin en cause ;

Mais considérant qu'il résulte des pièces de la procédure que le dessin 'PALMIER' a été réalisé en exécution d'une commande de la société NOUVELLES IMAGES à la société LZC passée, suivant bon de commande du 11 avril 2006, pour un 'projet Home Stickers juillet 06, thèmes cocotiers, cactus' ;

Qu'il est précisé, aux termes du bon de commande précité, que Toute image réalisée sur commande de Nouvelles Images reste la propriété de son auteur . Nouvelles Images se réservera l'exclusivité des publications sur les formats et type d'édition stipulés dans le contrat d'édition et uniquement sur ceux-ci. L'auteur reste donc libre d'utiliser les images en dehors des limites du contrat ;

Qu'il est justifié par les échanges de mails intervenus entre Michaël CAILLOUX et la société NOUVELLES IMAGES au sujet du 'projet palmier', du processus de création du dessin 'PALMIER' dont plusieurs versions ont été réalisées avant que ne soit adressée à la société NOUVELLES IMAGES le 5 mai 2006 la version définitive ;

Considérant que le bon de commande émis par la société NOUVELLES IMAGES établit en outre que le dessin 'PALMIER' était destiné à illustrer une planche auto-collante ;

Considérant enfin que la planche auto-collante 'PALMIER', commercialisée par la société NOUVELLES IMAGES', donne à voir la mention : 'Design: Lambert-Zorn-Cailloux' et attribue ainsi, sans la moindre équivoque, la création du dessin à Vanessa LAMBERT, Barbara ZORN et Michaël CAILLOUX ;

Or considérant qu'il est disposé à l'article L.113-1 du Code de la propriété intellectuelle que la qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'oeuvre est divulguée ;

Considérant qu'il suit de l'ensemble des observations qui précèdent, auxquels la société ENERGY TRANSACTION n'oppose pas la preuve contraire, que Vanessa LAMBERT, Barbara ZORN et Michaël CAILLOUX sont les auteurs du dessin 'PALMIER' revendiqué et justifient par voie de conséquence de la qualité à agir au fondement du droit moral d'auteur ;

Considérant qu'il importe à cet égard de rappeler que le droit d'auteur comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu de mettre en doute la cession par les auteurs à la société LZC droits patrimoniaux attachés à leur création dès lors que cette cession est alléguée de concert par la partie cédante et par la partie cessionnaire et que chacune des parties en tire la conséquence en agissant l'une, au seul titre du droit moral, dont elle demeure investie nonobstant la cession des droits d'exploitation sur l'oeuvre, l'autre, au seul titre du droit patrimonial ;

Qu'il s'ensuit de ces éléments que le jugement sera confirmé en ce qu'il a reconnu à Vanessa LAMBERT, Barbara ZORN et Michaël CAILLOUX la qualité d'auteurs du dessin 'PALMIER' et infirmé en ce qu'il déclaré la société LZC irrecevable à agir au fondement du droit patrimonial d'auteur ;

Sur l'originalité,

Considérant que la société appelante, soutient encore, pour combattre le grief de contrefaçon, que le dessin 'PALMIER' réunirait des caractéristiques connues, empruntées au domaine public, et ne présenterait pas l'originalité requise pour accéder à la protection par le droit d'auteur ;

Qu'il importe dès lors de se livrer à la recherche nécessaire de l'originalité du dessin opposé, l'action en contrefaçon étant subordonnée à la condition que la création qui en est l'objet soit, peu important le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination, une oeuvre de l'esprit éligible à la protection instituée au Livre I du Code de la propriété intellectuelle, c'est- à dire une oeuvre originale ;

Considérant que l'originalité du dessin 'PALMIER' réside, selon les auteurs, dans la combinaison des éléments suivants : un élément principal constitué d'un palmier caractérisé par un tronc se dédoublant en 4 branches sur le côté droit et 5 sur le côté gauche ; sont en outre représentés des perroquets en vol, un de couleur rouge et l'autre de couleur rose fuschia, ainsi qu'un perroquet assis de couleur bleu ; enfin, des fleurs exotiques dans des dégradés de rose accompagnent ces motifs ; ces éléments ayant tous pour caractéristique d'être représentés en aplat et avec des formes stylisées ;

Considérant, en premier lieu, que c'est en vain que la société ENERGY TRANSACTION se réfère, pour conclure à la prétendue banalité du dessin opposé, aux oiseaux peints par Georges BRAQUE en 1953 , à la colombe bleue dessinée par PICASSO en 1961, et enfin à des photographies montrant des amaryllis, ces éléments fragmentaires étant inopérants à démontrer que la combinaison revendiquée serait dépourvue d'originalité ;

Que force est de relever, en deuxième lieu, que la société ENERGY TRANSACTION n'est pas en mesure de produire un dessin réunissant, selon la combinaison revendiquée, un palmier, des perroquets et des fleurs exotiques ;

Et qu'il importe enfin de rappeler que l'appréciation de l'originalité doit s'effectuer de manière globale, en fonction de l'aspect d'ensemble produit par l'agencement des différents éléments et non de l'examen de chacun de ces éléments pris isolément ;

Or considérant qu'il résulte de l'observation à laquelle la cour s'est livrée, que le palmier, les perroquets et les fleurs composant le dessin sont représentés dans des formes et dans des coloris qui ne constituent pas une reproduction de la nature et qui traduisent les libres choix de l'auteur, qu'en outre, la combinaison de ces différents éléments du monde animal et du monde végétal procède également d'un parti-pris de l'auteur ;

Considérant, en définitive, que si certains des éléments qui composent le dessin 'PALMIER' sont connus et appartiennent, pris séparément, au fonds commun des motifs décoratifs inspirés de la nature, leur combinaison telle que revendiquée confère à ce dessin une physionomie propre qui le distingue des autres dessins du même genre et qui porte l'empreinte de la personnalité de son auteur ;

Que le dessin 'PALMIER' satisfait dès lors à la condition d'originalité requise pour bénéficier de la protection par le droit d'auteur ;

Que le jugement entrepris sera sur ce point confirmé ;

Sur la contrefaçon,

Considérant que les intimés ont fait établir par huissier de justice le 5 mars 2009 un procès-verbal de constat d'achat au magasin à l'enseigne POLYSOLDES situé à Paris 14ème ;

Qu'en toute hypothèse, si la société ENERGY TRANSACTION nie toute ressemblance entre les planches adhésives illustrées en présence, elle ne conteste pas avoir commercialisé le produit incriminé et l'avoir fourni au magasin précité ;

Or considérant qu'il ressort de l'examen comparatif auquel la cour a procédé, que le dessin argué de contrefaçon allie un palmier qui occupe la place prépondérante, des perroquets et des fleurs exotiques, qu'il reproduit en aplat, dans le même style et dans le même coloris l'élément principal du dessin original à savoir le palmier, outre dans la même forme et le même coloris le perroquet assis du dessin original ainsi que les perroquets en vol rouge et rose fuschia, enfin, dans le même dégradé de rose et dans une forme identique, les amaryllis du dessin opposé ;

Considérant que la contrefaçon est caractérisée selon les dispositions de l'article L.122-4 du Code de la propriété intellectuelle, par toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause ;

Qu'elle s'apprécie, par application des dispositions précitées, au regard des ressemblances et non des différences, en tenant compte de l'impression visuelle d'ensemble et sans qu'il y ait lieu d'exiger une ressemblance totale ;

Qu'en l'espèce, les différences tenant au nombre de perroquets et au nombre de fleurs ne sont pas d'emblée perceptibles au regard des ressemblances précédemment relevées dans le style, les formes et les couleurs et ne sont pas de nature à dissiper l'impression d'ensemble de similitude qui se dégage des dessins en présence ;

Que c'est dès lors avec raison que le tribunal a retenu le grief de contrefaçon ;

Sur la demande en concurrence déloyale et parasitisme,

Considérant que la société LZC ne justifie pas commercialiser la planche auto-collante 'PALMIER' dont elle indique à l'inverse qu'elle est distribuée par la société NOUVELLES IMAGES et ne montre pas davantage qu'elle disposerait, en vertu de la licence d'exploitation concédée à la société NOUVELLES IMAGES, qu'elle se garde de produire, du droit d'agir en concurrence déloyale en lieu et place de sa licenciée ;

Qu'en conséquence, c'est à bon droit, que le tribunal l'a déboutée de sa demande de ce chef ;

Sur les mesures réparatrices,

Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article L.331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle, la juridiction prend en compte, pour fixer les dommages-intérêts, les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits et le préjudice moral causé au titulaire de ces droits du fait de l'atteinte ;

Considérant que les auteurs ne critiquent pas le jugement dont appel en ce qu'il leur a alloué à chacun la somme de 3000 euros en réparation du préjudice moral ;

Qu'il importe en revanche de fixer le préjudice patrimonial de la société LZC des suites de la contrefaçon du dessin 'PALMIER' ;

Considérant que les éléments de la procédure et en particulier la facture d'achat en date du 3 août 2008 permettent d'estimer la masse contrefaisante entre 573 et 1146 exemplaires de planches auto-collantes illustrées du dessin revendiqué ;

Qu'il est en outre établi que le prix de vente au public du produit contrefaisant est de 2,90 euros contre 16 euros pour le produit copié ;

Or considérant que l'offre en vente massive de produits de contrefaçon, à un prix très inférieur, est de nature à banaliser le modèle original et à porter atteinte à sa valeur patrimoniale ;

Que les dommages-intérêts alloués à la société LZC seront fixés, au regard de l'ensemble des éléments d'appréciation soumis à la cour, à 25.000 euros ;

Considérant qu'il n'est pas démenti que la société ENERGY TRANSACTION a retiré de la vente le produit litigieux qui ne figure pas dans son catalogue de décembre 2008 ;

Qu'il n'y a pas lieu, au regard de cet élément d'ordonner en sus de la mesure d'interdiction sous astreinte pertinemment prononcée par le tribunal, une mesure de destruction sous astreinte qui n'est pas imposée par la nécessité de faire cesser les actes illicites et de prévenir ni, de surcroît au regard de l'ancienneté des faits, de faire droit à la demande de publication judiciaire ;

Sur les autres demandes,

Considérant qu'il s'infère du sens de l'arrêt que les intimés ont obtenu gain de cause pour l'essentiel de leurs demandes et que la demande en dommages-intérêts formée par la société appelante pour procédure abusive n'est pas fondée ;

Considérant que l'équité commande d'allouer à chacun des intimés une indemnité complémentaire de 1500 euros au titre des frais irrépétibles ;

PAR CES MOTIFS :

Confirme le jugement déféré sauf en celle de ses dispositions déclarant la société LZC irrecevable à agir en contrefaçon,

Statuant à nouveau du chef réformé,

Déclare la société LZC recevable à agir au fondement du droit patrimonial d'auteur,

Condamne la société ENERGY TRANSACTION à payer à la société LZC la somme de 25.000 euros en réparation du préjudice patrimonial subi des suites de la contrefaçon du dessin 'PALMIER',

Déboute des demandes contraires à la motivation,

Condamne la société ENERGY TRANSACTION aux dépens de la procédure d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile et à payer à chacun des intimés une indemnité complémentaire de 1500 euros au titre des frais irrépétibles.